• THÉODORE PARKER SA VIE ET SES ŒUVRES ; Chapitre 4 : LE VOYAGE EN EUROPE
     

    THÉODORE PARKER

     

    SA VIE ET SES ŒUVRES

     

    Un Chapitre De I'histoire De L'abolition
    De L'esclavage Aux États-Unis

    Albert Réville 

     

     

     

    CHAPITRE IV.

    LE VOYAGE EN EUROPE.

    Mort de Channing. — L'association des ministres unitaires. — L'exclusivisme religieux en Amérique. — La santé de Parker est compromise. — Départ pour l'Europe. — La France. — Florence. — Rome. — Venise. — Prague. — Berlin. — Heidelberg. — Wittenberg. — Tubingue. — Une vocation.

     

     

    On concevra sans peine que, si cette exposition complète de ses vues religieuses recruta des partisans à Parker au sein de la société bostonienne, elle ne fit qu'aigrir ses adversaires et augmenter leur nombre. Le vénérable Channing, un peu surpris par cette irruption de vues nouvelles qui dépassaient les siennes, mais trop foncièrement libéral pour s'enrôler dans le parti de la compression, était mort au moment où Parker venait de publier ses conférences de Boston (automne de 1842). Parker sentit vivement sa perte. Peut-être Channing seul eût-il été en état d'élever une voix conciliante et écoutée au milieu des passions théologiques soulevées. Il fut question d'exclure le pasteur de West-Roxbury de l'association des ministres unitaires de Boston, et dans une séance, à laquelle il assistait, il dut repousser pendant plusieurs heures des accusations aigres-douces, évidemment dictées par le désir de le pousser à une démission volontaire. Quelques membres pourtant témoignèrent quelque sympathie pour sa position et son caractère. Il n'y tint plus et fondit en larmes. Voici ce qu'il écrivait quelques jours après à l'un de ses amis, présent à la séance :

    Vous-vous trompez un peu, mon cher ami, sur la cause de mes larmes l'autre nuit. Ce n'était pas que vous ou d'autres m'eussiez dit des choses dures. Tous auraient pu m'en dire aussi long qu'ils auraient voulu, je n'en eusse pas cligné l'œil. Ce sont les bonnes choses qu'ont dites B. et G., et ce que votre figure montrait que vous alliez dire vous-même, voilà ce qui m'a fait pleurer. J'eusse pu rendre argument pour argument, coup pour coup, bienveillance pour malveillance, toute la nuit durant. Mais, du moment que quelqu'un prend mon parti et prononce un mot de sympathie, je ne suis plus un homme, je pleure comme une femme...

    Mais laissons ce sujet pénible. J'ai toujours su les risques que je courais en émettant des opinions contraires à la théologie courante. Je n'ai pas oublié George Fox, ni Priestley, ni même Abélard, ni saint Paul. Non pas que je me compare à ces nobles hommes, si ce n'est en ceci que chacun d'eux fut destiné à rester seul, et que je le suis aussi. Je sais ce que Paul ressentait quand il écrivait : "A mon premier interrogatoire, personne ne m'a assisté." Mais je sais aussi ce que signifie cette parole d'un plus grand que Paul : "Cependant je ne suis pas seul; car le Père est avec moi." Si je mourais demain, je pourrais dire :

    I hâve the richest, best of consolations,

    The thought that I hâve given,

    To serve thé cause of Heaven,

    The freshness of my early inspirations.* (J'ai la plus riche, la meilleure des consolations, — La pensée que j'ai donné — Pour servir la cause de Dieu — La fraîcheur de mes premières inspirations.) 

    Je me soucie peu du résultat que cela aura pour moi personnellement. Toute destinée m'est indifférente, pourvu que j'aie l'occasion de faire mon devoir. Sans doute ma vie sera extérieurement une vie de tristesse et de séparation d'avec d'anciens associés (je ne peux plus dire amis). La société, je le sais, va me regarder avec défiance et les ministres avec haine; peu m'importe. Intérieurement, ma vie est et doit être une vie de paix profonde, d'une satisfaction, d'un bien-être tel que toutes mes paroles ne sauraient en décrire le charme. Il n'est pas de peine terrestre qui me trouble au delà d'un moment, pas de désappointement qui soit capable de me rendre chagrin, triste ou soupçonneux. Tous les maux extérieurs, je les secoue comme la neige tombée sur mon manteau. Je n'eusse jamais pensé que je serais aussi heureux dans cette vie que je l'ai été ces deux dernières années. Le côté destructeur de l'œuvre que je me sens appelé à faire est pénible, mais il est léger quand je pense à la grande tâche de la construction. Ne pensez pas que je sois flatté, comme on le dit, de voir que la foule vient m'entendre. La pensée que je fais ce que je sais être mon devoir est pour moi une riche récompense, je n'en connais pas d'aussi grande. Pourtant j'ai, de plus, la satisfaction de savoir que j'ai réussi à réveiller l'esprit de religion, de foi en Dieu, chez vingt ou vingt-cinq hommes qui, auparavant, n'avaient ni foi, ni religion, ni espérance. Cela seul, et l'expression de leur gratitude (soit de vive voix, soit par lettres, soit par l'entremise d'un ami) compense pour moi tout ce que les ministres du monde entier pourraient dire ou faire contre moi. Mais pourquoi parler de cela? Seulement pour vous montrer que je ne suis pas près de me laisser abattre. Plusieurs de mes ancêtres, il y a deux ou trois cents ans, donnèrent leurs têtes pour leur religion! Je ne suis pas appelé à une pareille épreuve, et je peux bien porter ma croix plus légère.

    Tous ceux qui, éprouvant le besoin de la sympathie dans leur vie quotidienne, se sont vus placés dans l'alternative de perdre cette joie profonde ou de manquer au devoir, comprendront ce qu'il y a de résignation dans ce langage résolu. Cette fermeté lui était nécessaire. Depuis lors et pendant les années qui suivirent son installation à Boston, il fut en butte à une opposition qui aurait découragé tout autre que lui. Les accusations, les injures, les menaces dévotes, la haine de la majorité du peuple ameutée par ses dénonciateurs, tombèrent sur lui comme une avalanche. Des insultes lui furent adressées en public par des hommes qui se vantaient naguère de son amitié. On pria tout haut, dans mainte réunion pieuse, pour qu'il fût ou converti ou puni d'en haut. On refusa, et ceci est caractéristique des mœurs américaines, de s'asseoir sur le même canapé, à la même table, de monter dans le même omnibus. On le traita on lépreux de l'Église et de la société. Pendant un certain temps, il y eut contre lui une véritable coalition de la presse, patronnée par des coteries riches et puissantes. On refusait partout ses travaux. Il ne put pendant plusieurs mois trouver dans toute l'Union un seul libraire qui consentît à imprimer ses premiers ouvrages. C'est un éditeur swedenborgien de New York qui prit enfin sur lui de tenter l'aventure. Non seulement l'Académie de Boston n'osa jamais lui ouvrir ses rangs, où il eût sans contredit occupé l'une des premières places, mais encore, quand il voulut s'intéresser à quelques œuvres de philanthropie chrétienne, il dut le faire en secret, par des tiers, en se cachant comme pour une mauvaise action.

    Rien n'éteignit son courage, et vraiment il y a quelque chose qui fortifie dans la vue de cet homme, qui n'a que son caractère et sa conviction pour résister à toutes les forces sociales réunies contre lui, et qui finit par conjurer leur opposition. N'étant lié que par sa conscience, au-dessus de tout soupçon d'intérêt personnel, n'étant inféodé à aucun parti politique ou religieux, il fut fort, pourrait-on dire, de ce qui était sa faiblesse. Il continua à mener de front l'activité pastorale et le travail de cabinet le plus absorbant. Il travaillait en moyenne quinze heures par jour, se tenant au courant de tous les progrès de la science européenne. Critique, exégèse, linguistique, philosophie, archéologie, ethnologie comparée, statistique, il voulait tout connaître et communiquer à ses concitoyens, dans son langage clair et pénétrant, le fruit de ses veilles laborieuses. C'est peu de temps après ses conférences de Boston que parut sa traduction de l'Introduction à l'Ancien Testament du professeur De Welte, enrichie, comme nous le savons, de notes et d'éclaircissements considérables. De plusieurs côtés on commençait à lui demander de venir se faire entendre. Quand on l'avait entendu, il était rare qu'on ne le priât pas de revenir, et, comme il ne voulait pas que ses paroissiens en souffrissent, c'est aux dépens de ses nuits qu'il parvenait à tenir tête pendant le jour aux exigences de la situation. A la fin sa santé, qui avait déjà souffert de ses excès de travail à l'Université, se trouva fortement ébranlée, et ses amis furent unanimes à lui conseiller une année de repos et un voyage en Europe. Ce devait être pour lui un moyen tout à la fois de rétablir sa santé et d'agrandir encore le cercle de ses connaissances.

    L'année qu'il consacra à ce voyage fut, a-t-il dit lui-même, la plus profitable de sa vie. L'Europe l'intéressa au plus haut degré. Il fit à Londres la connaissance de plusieurs hommes distingués dans les sciences et dans la théologie, entre autres du professeur Newman. Paris et la France eurent ensuite leur tour. Notre caractère, nos mœurs, nos monuments, tout, jusqu'aux noms baroques de plusieurs de nos rues, est noté avec une précision surprenante sur son journal de voyage. Voici comment il résume le jugement qu'il porte sur nous, dans une lettre écrite sur un ton humoristique à l'un de ses amis :

    «Après tout, il y a chez les Français une certaine unité de caractère qui a son mérite. Ils sont toujours gais : gais dans leurs affaires, gais dans leur religion. Leurs églises moines ont un style particulier et toute leur architecture, du moins à partir de Delorme, est gaie. Le Français danserait volontiers devant le Seigneur comme le roi David. »

    A Paris il entendit MM. Damiron, Lenormant et Jules Simon. Ce dernier, encore jeune, lui sembla réaliser, selon ses propres expressions, le beau idéal du professeur faisant son cours. « Jamais, dit-il, je n'ai lu ni entendu d'exposition de doctrines plus lucides que celle de M. Simon, retraçant les idées de Plotin sur la Divinité, bien qu'il me parût pécher un peu sous le rapport de l'exactitude. » Son amour de la clarté lui rendait nos bons auteurs particulièrement chers. Il avait beaucoup profité, disait-il, « de la brillante mosaïque de M. Cousin. »

    II passa ensuite en Italie, visita Gênes, Pisé, Florence. Qui lui eût dit alors que, seize ans plus tard, il viendrait exhaler son dernier soupir dans la ville des Médicis!

    Extraits de son journal :

    Florence. — La première fois que je visitai la belle église de Santa-Croce, c'était par un jour triste et pluvieux. Ne sachant que faire, j'entrai dans cette maison des trépassés. Pendant que je copiais des inscriptions, les prêtres chantaient leur office, et, de temps à autre, l'orgue soupirait une musique qui semblait descendre du ciel. C'était triste, doux, caressant l'âme.

    N'est-il pas curieux que Galilée ait dû être enterré dans cette église et y avoir son monument? Car c'est dans ce cloître que résidait le tribunal qui l'a persécuté. Ainsi va le monde. Les fils de saint François, à qui le pape confia le pouvoir inquisitorial en Toscane, se réunissaient dans le cloître de Santa-Croce. Aujourd'hui le grand-duc de Toscane est heureux de conserver la moindre relique de Galilée, jusqu'à son doigt qui se trouve à la bibliothèque Laurentienne...

    J'ai maintenant visité la plupart des merveilles de cette charmante ville. Je dois dire que les grandes peintures de Raphaël, la Vierge à la chaise, le Jules II, le Léon X, la Fornarina, m'ont impressionné plus que je n'osais l'espérer. La première fois que j'entrai au palais Pitti, je ne savais pas ce que je devais regarder, quand tout à coup mes yeux tombèrent sur la Madone. Quelle peinture! Dieu du ciel, quelle peinture. Et quel génie! J'en dois dire autant des grandes œuvres du Titien, la Madeleine, les Deux Vénus. Mais le Laocoon, la Vénus de Médicis, l'Apollon ne m'ont pas saisi autant que je m'y serais attendu. Les statues en général sont restées un peu au-dessous de ce que je m'étais imaginé.

    Nous pouvons reconnaître à ce dernier trait l'ami de la vie et du mouvement. La statuaire est toujours plus abstraite, plus impersonnelle que la peinture. C'est précisément ce qui fait sa supériorité aux yeux de ses partisans.

    Pouzzole et Baies. — Mémento la jeune fille près du Cento Camarelli, qui filait à la mode antique, cette jolie fille dont Freeman examina les superbes dents, à la beauté de laquelle je donnai un demi-carlin, et qui s'agenouilla pour que nous pussions bien voir son collier.

    Puis il gagne Rome « la veuve de deux antiquités. »

    II n'est pas de cité, excepté Jérusalem et Athènes, qui soit aussi riche que Rome en souvenirs. Deux fois la capitale du monde, la première fois par la puissance païenne, physique; la seconde, par la puissance chrétienne, spirituelle! Les deux fois elle a fait le désert autour d'elle...

    Que j'aime à errer le long des rues de Rome, à m'asseoir aux lieux où fut le Forum! Alors, je songe aux armées qui sortaient de la petite ville pour conquérir le monde. Quelles traces ces sombres géants ont laissées sur la terre'.... Mais quel contraste quand on voit cette foule de mendiants et de vauriens! Ô cité du crime depuis les jours de Romulus jusqu'à ceux d'à présent! Toi qui lapides les prophètes! Le sang des martyrs est sur toi de tes premiers à tes derniers jours...

    Nous sommes allés voir Sainte-Marie-Majeure. C'est une église extrêmement riche, mais elle n'a rien d'imposant. Ce n'est pas une architecture religieuse. Il me semble que l'unitarisme moderne aimerait ce style-là : il est clair, actuel, l'œuvre de cerveaux logiques et démonstratifs, complètement libre de mysticisme...

    Nous sommes allés à la prison Mamertine où mourut Jugurtha, ainsi que les complices de Catilina. C'est là aussi que Paul fut prisonnier. Le concierge montre une source qui jaillit, dit-il, tout exprès pour saint Pierre (lequel passa dans ces murs neuf mois avec saint Paul) et qui lui servit à baptiser quarante-neuf soldats, tous morts martyrs. Une pierre gravée raconte le même événement. J'ai goûté de cette eau. Absurdité à part, c'est quelque chose de s'asseoir dans le donjon où Paul fut prisonnier.

    Dimanche, 3 mars 1844. — Nous avons été présentés au pape en compagnie de quelques autres Américains. Il était debout, en simple habit de moine, le dos appuyé contre une sorte de table. Il causa avec M. Greene, notre introducteur. Il bénit quelques rosaires apportés par les Américains. Nous restâmes environ vingt minutes. Sa figure était bienveillante, et il nous regardait d'un air affable. On parla de l'état de Rome, de la langue anglaise en Amérique, du fameux cardinal polyglotte de la propagande * (Le cardinal Maio). Le pape fit un signe, et nous nous retirâmes.

    Un fait à noter, et qui a de nombreux parallèles. Parker fut un moment amadoué par les manières exquises, la politesse raffinée des hauts dignitaires de l'Église de Rome. Il les trouva charmants, presque séduisants. Non pas que ses tendances et ses idées religieuses en eussent reçu le moindre choc, mais on le voit pourtant, dans ses notes et dans ses lettres datées des premiers jours de son passage à Rome, enclin à une indulgence, rare chez lui, pour les défenseurs et les soutiens d'un système, à ses yeux très funeste. Sa première désillusion lui vint d'un Romain qu'il interrogea sur la moralité du clergé indigène. « Un dixième des prêtres, lui fut-il répondu, se compose d'hommes consciencieux et purs; quant aux autres... » Au lieu d'achever, le Romain fit un mouvement d'épaules : « Les murs ont des oreilles,» ajouta-t-il, et il se tut. Lors même que la proportion indiquée se ressentirait très probablement des rancunes, datant déjà de loin, de la population romaine contre le gouvernement clérical, une telle déclaration devait faire ouvrir les oreilles toutes grandes à Parker, à qui un jeune, néophyte américain venait d'affirmer que l'état moral du clergé romain était celui d'une pureté immaculée.

    Venise. — J'ai découvert le secret du coloris des peintres vénitiens. Ils l'ont trouvé dans le ciel, dans la mer, sur les maisons et les habitants de leur ville. Je me lève chaque jour une heure ou deux avant le soleil, et j'attends cette pourpre splendide qui, du point où le soleil se lève, rayonne dans toutes les directions, puis disparaît dans la clarté du jour. Le silence solennel de la cité des lagunes n'est interrompu que par les pêcheurs allant en mer et dressant leurs blanches voiles contre la pourpre de l'horizon. Les cloches nombreuses ne font qu'ajouter au silence général...

    Venise est un songe de la mer. La science de l'Occident et la fantaisie de l'Orient semblent s'être donné la main pour la construire. Un Grec aurait pu dire que Neptune, enivré de nectar et d'Amphitrite, s'endormit dans les abîmes de la mer et songea. Venise serait son rêve pétrifié. Le soleil colore étrangement les murs de ses palais et de ses églises. On dirait que leur richesse, en s'enfuyant, a doré leurs murailles.

    Prague. — Un garçon de dix-neuf ans environ me conduisit au vieux cimetière juif, allé Priedhof. C'est un petit enclos d'un ou deux arpents, entouré de vieilles maisons, de vieux murs, tout plein de tombeaux. Les pierres touchent les pierres. Il y a de longues inscriptions en hébreu. La terre est pleine d'ossements Israélites. De vieux sureaux ont atteint une prodigieuse grosseur. Ce sont les patriarches de l'endroit. Quelques-uns avaient un pied de diamètre. Le guide me dit qu'ils étaient vieux de six cents ans, et je peux bien le croire. Là sont les tombeaux de doctes rabbins, de bons lévites, de nobles aussi : car, dans ce pays, les juifs s'assoient à côté des princes. Je n'avais jamais vu de cimetière juif auparavant, et ce terrain me fit une impression que je n'avais jamais ressentie. J'ai une sympathie innée pour ce peuple mystérieux, opprimé depuis des siècles, toujours vivace pourtant. Je pensai aux services qu'il a rendus au genre humain et à la récompense qu'il en a reçue! Abraham, Isaac et Jacob, Moïse et les prophètes me vinrent en mémoire, et aussi celui qui fut le point culminant de l'hébraïsme, la fleur de sa nation. Je n'oublierai jamais les sentiments que j'éprouvai en déposant pieusement une pierre sur la tombe d'un patriarche mort depuis mille ans, et je cueillis une feuille du sureau dont les racines plongeaient dans ses cendres.

    Berlin. — Entendu W. sur la logique. Il insista longtemps sur la Beatimmtheit (détermination). Quand il lui fallait toucher à quelque chose de bien profond, il se mettait le bout de l'index entre les yeux, sur l'organe de l'individualité, et l'abaissait ensuite graduellement tout le long du nez. Il descend si profondément au dessous de la nature des choses qu'il faut quitter, non seulement ses habits, mais encore toute sa Sinnlichkeit (l'être sensible), sa mémoire, son sens commun, son imagination, ses affections. Alors on devient un blosser Geisl (un pur esprit), et l'on peut s'enfoncer, s'enfoncer, dans la mer de la philosophie. — Mémento le jeune étudiant, à face de poudingue, qui tâcha de saisir la distinction entre Dasein et réalité sans y parvenir...

    Entendu Schelling *(Schelling était entré depuis quelque temps dans sa dernière manière, c'est-à-dire dans sa tentative manquée d'abattre l'hégélianisme et de restaurer l'orthodoxie luthérienne.) sur la philosophie de la révélation (0ffenbarung's Philosophie)... Il a environ soixante-dix ans. Il est petit, cinq pieds au plus, regard doux, nez court et un peu relevé, cheveux d'un blanc de neige, front large, grande bouche, teint pâle, yeux bleus, jadis très brillants. Sa voix est faible. Il a perdu quelques dents, ce qui fait que son articulation n'est plus très distincte. L'auditoire se compose de cent cinquante à deux cents personnes... Il me semble regrettable qu'il ait ouvert ce cours. La plupart de ses auditeurs, m'a-t-on dit, n'y viennent que par curiosité, pour voir un homme illustre et sourire à l'ouïe de ses doctrines. D'autres n'y viennent même que pour se moquer des sénilités d'un homme qui vient "aplatir la tête au grand serpent du scepticisme, comme si c'était un saucisson de Gœttingue." Bien peu, à présent, adoptent ses idées; on respecte pourtant un homme qui a tant fait pour la philosophie. Mais les hégéliens le regardent comme un ennemi du libéralisme, appelé à Berlin pour aider au maintien de l'ordre de choses existant.

    Il entendit encore à Berlin MM. Vatke, Michelet, Twesten, Steffens, etc. A Halle il fit la connaissance de M. Tholuck, et à Heidelberg il se lia d'amitié avec MM. Schlosser et Gervinus. Ce dernier, qui n'avait encore que vingt-cinq ans, venait d'être appelé à l'université. Nous trouvons, dans le journal de Parker, un aperçu dont la situation théologique de l'heure actuelle atteste la finesse et la perspicacité. C'est en 1844 qu'il écrivait ce qui suit :

    Gervinus pense que l'influence de Strauss est finie. Ullmann en dit autant. Je crois qu'ils se trompent. La première influence, celle du tapage, est finie, cela n'est pas douteux. Mais ce qu'il a mis de vérité dans son livre est tombé au fond de la théologie allemande, et la réformera. Il en fut de même des doutes si fièrement exprimés dans les fragments de Wolfenbûttel. On prend souvent une cessation de moyens pour une cessation de la fin. Strauss n'organise pas de parti; son action n'est donc pas visible. Mais ses idées ne sont ni mortes, ni inactives, je m'imagine. Elles feront leur chemin, après tout. Peu à peu, ce qu'elles ont de faux sera éliminé et oublié. Alors paraîtra la vérité de son livre.

    Quelques jours après il était à Wittemberg.

    Nous entrâmes dans l'église par la porte où Luther afficha ses quatre-vingt-quinze thèses. J'en achetai un exemplaire dans l'église même. C'est une brochure de seize pages. Quel changement depuis ce jour-là! Et quand cette œuvre finira-t-elle? La nuit vint. Je me promenai devant cette porte et m'abandonnai au cours de mes pensées. L'étoile du soir scintillait au ciel. Quelques rares passants allaient et venaient. Un air doux tombait sur ma tête. Je sentis l'esprit du grand réformateur. Trois siècles et un quart! Et quel changement! Dans trois siècles et un quart, on dira que la religion protestante a fait peu de chose jusqu'au moment où nous sommes, en comparaison de ce qui a été fait depuis lors. Oui, si cette œuvre est de Dieu ! * (Sur la place du Marché, à Wittemberg, est une statue de bronze de Luther avec cette inscription :

    It's Gollnwerk, so wird's beslelim; It's Menschenwerk, wird's untergelien. C'est-à-dire :

    Si cette œuvra est de Dieu, elle subsistera ;
    si c'est l'œuvre de l'homme, elle disparaîtra.)
     

     

    En allant à Tubingue, il fit route avec un jeune homme qui s'intitulait Bekleidung's-Kunst-Assessor (assesseur clans l'art de l'habillement), pour ne pas dire garçon tailleur. Il voyageait, disait-il, en vue des xslhelischen Angelegenheiten seines Herzms (intérêts esthétiques de son cœur). Il allait sans doute voir sa promise.

    A Tubingue il vit les professeurs Ewald et Baur. Il fut enchanté de l'accueil que lui fit le premier, dont il ne faut pas juger les manières par le style injurieux de ses ouvrages de controverse. A Baie il fut cordialement accueilli par le professeur De Wette. Il visita également l'Université de Bonn, et de retour en Angleterre, il eut la bonne fortune de se rencontrer en petit comité avec Garlyle, Sterling et enfin M. Martineau, l'éminent prédicateur unitaire, pour lequel il prêcha.

          Le temps du retour était venu. Comme on l'a pu remarquer, au milieu des surprises et des enchantements de son voyage en Europe, le sentiment de sa mission comme théologien réformateur ne l'avait pas quitté. Ses idées libérales, soit en politique, soit en religion, s'étaient fortifiées de tout ce qu'il avait vu. Il avait pressenti, dans notre vieux monde, les signes non douteux d'une transformation religieuse. Mais il avait vu aussi l'énorme force de résistance que des traditions et des institutions séculaires, fondues en quelque sorte dans le sang des peuples de l'Europe, opposaient, par leur seule inertie, aux travaux des hommes d'avenir et de progrès religieux. Il était donc revenu plus convaincu que jamais de la nécessité de cette rénovation spirituelle, et en même temps plein de l'espoir qu'en Amérique, sur cette terre encore si jeune, au sein de cette Union qui comptait à peine un demi-siècle d'âge, l'avènement de l'ère nouvelle serait plus prompt, moins pénible que chez nous. Sans avoir la prétention d'en être l'initiateur en titre, il se sentait appelé à la hâter de sa parole et de sa plume. Il ne lui eût pas été possible de résister à cette vocation.

      


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      DidierLe Roux

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  • THÉODORE PARKER SA VIE ET SES ŒUVRES ; Chapitre 3 : LA CRISE RELIGIEUSE

    THÉODORE PARKER

     

     

    SA VIE ET SES ŒUVRES

     

    Un Chapitre De I'histoire De L'abolition
    De L'esclavage Aux États-Unis

    Albert Réville 

     

     

    CHAPITRE III.

    LA CRISE RELIGIEUSE.

    Enseignement religieux de Parker. — Un nuage orageux se forme. — Les hérésies du pasteur unitaire. — L'unitarisme parvenu. — Un sermon incendiaire. — Parker mis à l'index. — Un diacre modèle. — La Résolution de Boston. — Les conférences. — De la religion en général. — Dieu. — L'immortalité. — Jésus-Christ. — La Bible. — Les églises. — La vérité nécessaire.

     

    Nous traduirons ici un fragment d'une lettre adressée par Théodore Parker, le 10 août 1838, à l'un de ses amis, M. W. Silsbee. On y verra un exposé, tracé par lui-même, de sa méthode comme prédicateur, et des vues religieuses auxquelles il était parvenu.

    « Dans mes entretiens religieux, je dis à mes paroissiens que la religion est aussi nécessaire à leur âme que le pain à leur corps, la lumière à leurs yeux, la pensée à leur esprit. Je leur demande de regarder dans leurs cœurs pour voir s'il n'en est pas ainsi. Ils me disent que je leur tiens le langage du bon sens, et que cela est vrai. On me questionne souvent sur des points qui frisent l'hérésie. Je leur dis que Moïse et les auteurs de l'Ancien Testament avaient des notions peu élevées de Dieu, mais pourtant les meilleures qu'on pût avoir de leur temps. Ils comprennent cela et croient ce que le Nouveau Testament leur enseigne sur Dieu. — Quant au Christ, ils sentent la beauté de son caractère quand ils voient en lui un homme ayant les mêmes besoins qu'eux, les mêmes épreuves, les mêmes tentations, les mêmes joies, les mêmes chagrins, et pourtant toujours supérieur à la tentation, sorti victorieux de chaque épreuve. Ils retrouvent en eux-mêmes des choses analogues.

    J'insiste principalement sur quelques grands points, savoir la noblesse de la nature humaine, l'idéal sublime que l'homme devrait se proposer, sa dégradation actuelle, ses inclinations basses, ses vains plaisirs, la nécessité d'être fidèle à ses convictions, quelles qu'elles soient, avec la certitude qu'à cette condition l'homme fait travailler pour lui la toute-puissance elle-même de Dieu, de même que le mécanicien emploie toute la puissance de la rivière pour faire tourner sa roue.

    J'insiste aussi sur la perfection et la providence de Dieu, sur l'exactitude et la beauté de ses lois physiques, morales, religieuses. Ma confiance dans la Bible s'est accrue. Ce n'est pas un livre scellé, c'est un livre ouvert. Je pense qu'il y a trois témoignages de Dieu dans la création : 1° les œuvres de la nature : elles ne le révèlent pas entièrement; nous ne pouvons encore résoudre toutes les contradictions qu'on y rencontre ; 2° la parole de nos semblables : j'entends par là toute la sagesse du passé, inclus les Écritures; il y a dans celles-ci des parties qui diffèrent beaucoup en degré, mais non en genre, des autres écrits; 3° les sentiments infinis de chaque âme individuelle. — A présent, j'appuie fort sur le premier témoignage, plus encore sur le second, mais surtout sur le troisième. Car tout homme peut avoir dans son cœur des révélations aussi splendides que celles d'un Moïse, d'un David et d'un Paul; j'ajouterais même qu'un Jésus, mais je ne pense pas que jamais homme ait eu une conscience de Dieu aussi parfaite que lui. »

    Les premiers temps du séjour de Parker à WestUoxbury furent d'une tranquillité parfaite. Ses idées, quoique neuves et hardies, étaient acceptées volontiers, son charmant caractère et son sérieux achevaient de lui gagner les cœurs. Peu à peu cependant l'idylle devait faire place au drame. Au fait on peut douter que Théodore Parker se fût contenté à la longue d'une existence aussi paisible. Son besoin d'activité, la conscience qu'il avait de ses talents et du bien qu'il pouvait faire à son pays, l'idée que, pour opérer une réforme théologique, c'est dans un centre d'hommes éclairés, préparés par leurs besoins moraux à l'œuvre réformatrice, qu'il faut travailler, tout concourait à lui inspirer le désir d'exercer ses forces sur un plus vaste théâtre que celui de West-Roxbury. On peut même signaler sur son journal quelques traces d'abattement, de mélancolie, évidemment engendrée par la monotonie et le genre relativement mesquin de la vie qui se déroulait à ses yeux. Mais un nuage orageux ne tarda pas à se former dans cette atmosphère trop calme.

    Depuis plus d'une année il avait dans un tiroir de son bureau deux sermons roulant sur les contradictions qu'on peut relever dans la Bible. Ce fut seulement après avoir consulté des amis et des personnes d'expérience, qui, pour la plupart, il est vrai, eussent préféré qu'il n'en fît rien, qu'il se décida à les prêcher. A sa grande surprise, à sa grande joie, il se trouva que ses paroissiens n'en furent nullement choqués, ceux-là même d'entre eux qui ne sympathisaient pas complètement avec lui. Il arrive souvent aux prédicateurs, sur la foi des conservateurs timorés qu'ils consultent, de se représenter la masse plus éloignée qu'elle n'est en réalité des vues libérales.

    Mais la rumeur fut grande parmi les unitaires bibliques. Puis Parker parla à mainte reprise de son espérance que l'avenir verrait naître d'autres Christs, encore supérieurs à celui que nous devons au passé. Je présume qu'ici son expression était plus paradoxale que sa pensée. C'était surtout sa foi dans le progrès futur du genre humain qu'il voulait exprimer par là, et comme s'il eût été jaloux de la perfection que le passé pouvait léguer à l'avenir. Peut-être qu'avec plus de réflexion il eût évité cette manière fâcheuse de formuler une vérité que ne renierait certes pas celui qui a pu dire : L'homme qui croit en moi fera les mêmes œuvres que moi, il en fera même de plus grandes (Jean, xiv, 12). Il y a dans le champ du génie et surtout de l'inspiration religieuse de ces grandeurs qui ne se mesurent pas, et qui par conséquent défient qu'on les dépasse. On doit aussi se demander si l'humanité n'a pas un chemin déterminé à parcourir dans son histoire ici-bas, et si en vertu des lois présidant à sa constitution intime, certaines grandeurs individuelles ne doivent pas demeurer sans rivales, quels que soient les progrès accomplis par la masse. Mais cette manière d'envisager une question, en soi purement spéculative et sans conséquence actuelle, fit qu'un grand nombre des coreligionnaires de Parker reculèrent d'effroi, et il commença d'être bien porté, dans les cercles aristocratiques de Boston, d'énoncer des jugements perfidement compatissants sur le pauvre incrédule de WestRoxbury. Autres griefs. Parker répandait l'idée que la divinité du christianisme repose tout entière sur sa valeur religieuse et morale, et que la preuve tirée des miracles est radicalement impuissante. Partout on voit les partisans du miracle réagir contre ces deux thèses avec une sorte de colère concentrée, tenant à ce que des miracles qui ne prouvent rien sont inutiles, et que des miracles inutiles, ils le sentent bien, et sont vite éliminés de la conscience et de l'histoire. Parker publiait une excellente critique du fameux livre de Strauss sur la Vie de Jésus, en montrant les qualités et les défauts avec autant d'impartialité que de pénétration, mais à peu près personne autour de lui ne comprenait ce qui avait amené et historiquement justifié l'entreprise du docteur allemand, de sorte qu'on ne savait aucun gré à Parker de la modération ni de la supériorité de son point de vue. Dans d'autres articles encore, il avait semé des idées allemandes sur la philosophie, l'immanence de Dieu dans le monde et dans l'histoire, les éléments mythiques de la Bible, idées qui le faisaient ranger parmi les panthéistes et les spinosistes par ceux qui n'avaient pas même une teinture des études spéciales nécessaires à une appréciation quelque peu éclairée de questions de ce genre. Déjà nombre de ses collègues avaient déclaré qu'ils ne lui céderaient plus leurs chaires. L'unitarisme américain, comme tant d'autres partis politiques et religieux parvenus à la puissance, n'osait pas aller jusqu'au bout du principe de foi libre qui fait sa vitalité. Après avoir tant souffert lui-même des mépris, de l'ignorance, de l'étroitesse des églises moins éloignées de la tradition, maintenant qu'il s'était creusé un lit profond et large, qu'il avait en quelque sorte forcé le respect et la considération des autres sectes, au lieu de travailler au développement de son principe libéral, il trouvait de meilleur goût, plus commode, d'emprunter à ses vieilles rivales les armes rouillées de leur intolérance. Il ne s'agissait pas tant de réfuter Parker que de le faire taire, et l'on s'imaginait ainsi maintenir la paix, sans voir qu'après tout on n'obtenait par là que le silence, et que, les questions une fois posées, il n'a jamais été donné au silence de les résoudre.

    Au surplus, dans l'Église protestante, en Amérique surtout, n'obtient pas le silence qui veut. Le fait même des procédés exclusifs dirigés contre Parker attirait, sur lui et sur les points de doctrine qu'il avait soulevés, l'attention de beaucoup de gens qui, autrement, n'eussent pensé ni à l'homme ni à sa théologie.

    Ce fut surtout un sermon prêché à Boston, le 13 mai 1841, qui mit le feu aux poudres. Il s'agissait de consacrer au saint ministère un jeune candidat. Parker, qui devait coopérer à cette cérémonie avec plusieurs de ses collègues, avait été chargé du discours de consécration,* (Voir les fragments traduits à la fin de cet ouvrage sous le titre : Ce qui passe et ce qui demeure dans le christianisme.) et il avait mis cette occasion à profit pour développer ses vues sur le christianisme, ses éléments transitoires et sa valeur permanente. Il avait rangé dans la première catégorie bien des choses que la théologie traditionnelle considérait au contraire comme les colonnes du temple, et malgré le soin qu'il avait pris de moins attaquer directement les croyances qu'il ne partageait plus que d'en montrer l'indifférence au point de vue d'une piété positive et réelle, les conservateurs se montrèrent fort sensitive, selon l'expression anglaise, impressionnables au plus haut degré, sur les matières traitées, et ne virent plus en Théodore Parker qu'un révolutionnaire des plus dangereux.

    Il en résulta une controverse violente, dans laquelle Parker, à peu près abandonné a lui-même, dut tenir tête à une foule d'attaques et d'injures fanatiques parties de tous les points de l'horizon. Que Parker, encore dans toute la vigueur de la jeunesse, avec la claire conscience de son bon droit, révolté des dénis de justice, des calomnies, du peu d'amour de la vérité dont faisaient preuve nombre d'anciens amis dont il eût attendu tout autre chose, enclin par caractère à riposter par le sarcasme et l'ironie, que Parker, dis-je, n'ait pas su toujours conserver dans ce débat le calme et la modération qu'on doit toujours désirer, c'est, ce qu'on ne peut contester. On sait d'ailleurs qu'en fait de discussions politiques et religieuses, la modération, rare partout, n'est pas précisément une vertu américaine. Après tout, ce n'est pas avec des compliments qu'on réforme une société religieuse. Il vient des instants où l'on est bien forcé de dire en face aux pharisiens ce qu'ils sont et de jeter au feu les bulles qui vous envoient brûler éternellement en enfer.

    Nous n'entrerons pas dans les détails, aujourd'hui sans intérêt, de cette controverse qui entretint pendant des mois la presse quotidienne et périodique du Massachusetts, sans compter d'innombrables brochures que, comme toujours en pareil cas, firent paraître des zélateurs empressés de rendre témoignage à leur parfaite ignorance des questions soulevées. Une sorte de terrorisme moral fut organisé contre Parker, la timidité des uns y contribua aussi bien que les passions surexcitées des autres. Il se trouva bientôt que toutes les chaires unitaires, à l'exception d'une dizaine au plus, furent fermées à Parker dans toute l'étendue de la Nouvelle-Angleterre.

    Ses paroissiens de West-Roxbury, qui suivaient ses prédications depuis déjà quatre ans et s'étaient aisément habitués à de prétendues hérésies facilitant, bien loin de la détruire, la vie religieuse et morale, lui étaient restés fidèles en dépit de toutes les démarches faites pour les éloigner de leur pasteur. On lui savait gré surtout de sa franchise. Citons, comme preuve à l'appui, les réflexions de l'un de ses diacres du nom de Farrington, excellent homme et dont nous aimerions bien voir se multiplier la race : « M. Parker, disait-il, distingue  entre la religion et la théologie. Il a raison. Nous aimons sa religion, c'est exactement celle qu'il nous faut, nous la comprenons, et cette religion est l'essentiel. Quant à sa théologie, nous ne sommes pas tout à fait au clair. Il y a dedans plus d'une chose qui diffère de ce que nous avions appris. Mais aussi on nous avait bien enseigné des choses quelque peu singulières. Plusieurs points de sa théologie sont justes, nous en sommes certains, le tout a le ton du sens commun, et si quelque chose sonne parfois étrangement à nos oreilles, pourtant nous sommes contents de l'entendre parler comme il pense. Car s'il se mettait à ne pas prêcher ce qu'il croit, j'aurais peur qu'il ne finît par prêcher ce qu'il ne croit pas. » * (Life and Correspondence, II, 30ô.) 

    On peut considérer cet honnête diacre comme l'organe de l'opinion moyenne de la petite paroisse. Mais on conçoit que les proportions que la lutte avait prises durent augmenter encore le désir de Parker de travailler sur un plus vaste champ à l'œuvre de réforme qu'il avait entreprise. A Boston les hommes de progrès et d'initiative, que n'effrayait pas la croisade prêchée contre un théologien plus laborieux que les autres et dont tout le crime était d'avoir franchement mis son enseignement religieux en harmonie avec son savoir et sa conscience, ne voulurent pas que cette voix courageuse fût étouffée. Ils tinrent une assemblée pour en délibérer et, à l'unanimité, adoptèrent la motion pure et simple :

    RÉsolu : Que le Rév. Théodore Parker sera entendu à Boston.

    Parker répondit à cet appel qui lui ouvrait la capitale intellectuelle et commerciale de la Nouvelle-Angleterre. Il vint donc et rencontra des sympathies qui dépassèrent son attente. Ce n'est jamais impunément que l'esprit obscurantiste réussit à dominer dans une société protestante. Les Églises issues de la réforme ont sans doute leurs étroitesses, leurs périodes de défaillance ou de stagnation ; mais leur origine ne peut être oubliée de tous leurs membres, le sentiment que leur raison d'être, leur unique justification clans l'histoire ; est la libre acquisition et la libre prédication de la foi religieuse, finit toujours par faire valoir ses droits, et c'est toujours à lui qu'appartient le dernier mot dans leurs débats intérieurs.

    Les conférences tenues à Boston dans l'hiver de 1841-1842 furent réunies par Théodore Parker en un volume intitulé Discussion de sujets religieux* (Discourse of Matters pertaining to Religion). C'est là qu'on peut trouver un exposé complet de ses idées théologiques. Nous tâcherons de les reproduire aussi brièvement que possible en analysant ce remarquable ouvrage*. (Il faut savoir que la première édition date de 1842 et que, sauf quelques changements peu importants, tenant surtout à ce que depuis lors Parker se prononça positivement contre l'authenticité du quatrième évangile, ses idées sont restées essentiellement les mêmes. On pourra juger du caractère véritablement avance de sa théologie, en voyant qu'il y a plus de vingt ans, le jeune théologien de la Nouvelle-Angleterre professait déjà des opinions et des vues dont l'apparition, récente encore parmi nous, a fait l'effet d'une nouveauté inouïe, et qui commencent seulement à se frayer un certain accès au milieu des cercles intelligents de la vieille Europe.) 

    Livre 1er. — De La Religion En GÉnÉral. — Toutes les institutions humaines sont provenues d'un principe inhérent à la nature humaine. Rien dans la société qui ne soit aussi en l'homme. La religion ne fait pas et ne saurait faire exception. Il est aussi irrationnel de l'attribuer aux artifices des prêtres et des princes, quoiqu'ils en aient bien souvent abusé, que de prendre l'art et les ruses des marchands pour la cause du commerce. Il y a donc en l'homme un principe religieux naturel.

    A ce principe religieux naturel qui, considéré de plus près, a pour contenu principal le sentiment d'un infini parfait dont nous dépendons, doit correspondre un objet adéquat. Nous ne pouvons concevoir une tendance sans objet. C'est pourquoi l'homme croit en Dieu par une intuition spontanée de sa raison. Les arguments ordinairement allégués pour prouver l'existence de Dieu peuvent confirmer, mais ils ne sauraient engendrer cette foi intuitive.

    Quant à la conception déterminée que nous nous formons de Dieu, elle est nécessairement inférieure à la réalité, le fini ne pouvant comprendre l'infini. De là tout à la fois la permanence, l'universalité de l'idée intuitive de Dieu tout le long de l'histoire, et les innombrables variétés des conceptions que les hommes se sont faites de Dieu. Les épouvantables abus que l'homme a si souvent commis au nom de la religion prouvent la profondeur et la puissance de cette tendance instinctive de la nature humaine bien plus encore qu'ils ne plaident contre elle.

    Il ne faut pas plus confondre la religion, qui est un fait, avec la théologie, qui est la science de ce fait, que les étoiles avec l'astronomie.

    Il y a trois grandes formes historiques de la religion : le fétichisme, le polythéisme et le monothéisme. Le premier consiste dans l'adoration des objets visibles. C'est un culte immédiat de la nature, ou plutôt de certains phénomènes de la nature qui éveillent dans l'esprit humain le sens du mystère, ou de la crainte, ou de la reconnaissance, etc. Il tend toutefois à généraliser les objets de l'adoration jusqu'à ce qu'il ait fait une divinité de chacune des grandes divisions de la nature visible : le ciel, la terre, la mer. Cette forme de religion n'a que très peu de valeur morale, si elle en a.

    Le polythéisme consiste dans l'adoration de plusieurs divinités issues de la personnification des forces matérielles et morales du monde, les premières cédant toujours plus de terrain à celles-ci. Il faut noter l'opulence de ses formes et de ses symboles, son charme puissant, surtout en Grèce, et sa tendance, plus ou moins inconsciente, soit vers le panthéisme, soit vers le monothéisme. A son ombre se constitue le sacerdoce, avec ses bienfaits relatifs et ses abus. La guerre est l'état normal de la nature et du genre humain, comme des divinités entre elles. L'esclavage est à l'origine un progrès sur la guerre d'anéantissement, et avec lui commence le travail, la production surabondante et, dès lors, le commerce. L'État et la religion sont un, que cette unité soit ou non fondée sur une théocratie. Le polythéisme tantôt arrête, tantôt favorise le développement moral. C'est surtout au point de vue de la moralité domestique et intérieure comme à celui de la moralité universelle ou humanitaire qu'il est en défaut. Il n'inspire guère que des vertus civiques.

    Avec le monothéisme apparaissent les grandes idées d'humanité, de droit égal pour tous, de liberté et d'idéal moral absolu. Car le Dieu unique doit être parfait en sagesse, en amour, en volonté. Mais là aussi, là surtout, il faut revenir à la distinction déjà faite entre l'identité de l'idée monothéiste à travers les âges et les nombreuses conceptions, si souvent inférieures, grossières même, que l'homme s'en est faites. Le monothéisme primitif des Hébreux est encore très incomplet et n'exclut nullement l'existence d'autres dieux que Jéhovah. Lorsque Jéhovah seul est regardé comme vrai Dieu, il s'en faut encore bien que le caractère qui lui est attribué soit celui de la perfection. L'Ancien Testament le représente sous des traits fort peu spirituels et vénérables. Mais, de Moïse à Jésus-Christ, la ligne du monothéisme toujours plus pur et plus élevé se prolonge jusqu'à ce qu'elle arrive à la conception du Père céleste.

    Il est certaines questions étroitement rattachées à la religion, celles, entre autres, de l'état primitif du genre humain et de l'immortalité. Quant à la première, tout concourt à prouver que les hommes, qu'ils descendent ou non d'un seul couple primitif (la solution de cette question obscure ne change rien au fait de l'unité spirituelle du genre humain), ont débuté sur la terre par un état extrêmement bas, tout voisin de l'animalité. Les mythes de l'Éden, de l'âge d'or et autres semblables, contredits par d'autres souvenirs encore plus anciens, s'expliquent par la tendance à idéaliser le passé, et ne répondent à rien de réel. Le royaume de Dieu n'est pas en arrière, il est en avant.

    Quant à la doctrine de l'immortalité, elle est presque aussi générale que la foi en Dieu, et dérive, comme celle-ci, de la tendance de la nature humaine vers l'infini. Il faut ici, de même qu'en parlant de la foi en Dieu, distinguer fortement entre l'idée et la conception de la vie future. Celle-ci, aussi bien que les arguments avancés pour la démontrer, peut être fort défectueuse. La foi en l'immortalité, d'abord très vague et parfois même indirectement niée dans plusieurs livres de l'Ancien Testament, va toujours en s'affermissant et en se précisant, surtout depuis la captivité. On peut suivre les marques d'un développement analogue chez les autres peuples. Si la doctrine de l'Église qui voue à l'éternelle damnation la grande masse des hommes était vraie, le don de l'immortalité fait par Dieu à notre race serait une malédiction bien plus qu'une prérogative.

    La religion, selon qu'elle tourne en superstition, en fanatisme, ou bien en piété réelle, en amour de Dieu, est ou la plus redoutable des puissances qui régissent la marche des choses humaines, ou le plus grand, le plus salutaire, le plus suave des bienfaits divins.* (Voir le morceau traduit à la fin du volume sous le titre de Joie religieuse.) 

    Livre II. — Relation Du Sentiment Religieux Avec Dieu. — Dieu infiniment parfait, voilà ce que le sentiment religieux requiert. Si, en disant que Dieu est personnel, on entend qu'il est supérieur aux limitations des êtres inconscients; si, en disant qu'il est impersonnel, on veut dire qu'il est supérieur aux limitations de notre personnalité, on a raison. Mais si, en se servant de ces deux termes, on prétend reporter sur lui les limitations de la personnalité ou celles de l'inconscience, on a tort. En tant que perfection infinie, nous devons attribuer à Dieu la toute-puissance, la toute présence (immanence), la justice, l'amour, la sainteté. La nature entière est donc une révélation de l'Être qui pénètre et dirige toutes choses. Les forces de la nature sont ses modes d'action. De là l'uniformité et la stabilité des lois de la nature.

    Mais Dieu est en l'homme non moins que dans la nature, et de même qu'à chaque besoin de l'être vivant Dieu fait correspondre dans la nature un objet qui le satisfasse, de même, à notre besoin religieux, il fournit une satisfaction naturelle. C'est la communion de l'âme avec Dieu par le moyen du sentiment religieux, de laquelle aussi dérive le phénomène de l'inspiration. Un tel point de vue écarte aussi bien ce déisme naturaliste qui sépare Dieu du monde, n'admet pas de rapport actuel entre l'homme et Dieu, et réduit la religion à une forme, peut-être utile, mais vide et glacée, que le supernaturalisme qui n'admet de révélation de Dieu à l'homme que moyennant le miracle. La vraie notion, celle du spiritualisme, admet l'action permanente de Dieu sur et dans l'âme humaine, action grâce à laquelle l'âme perçoit directement, intuitivement, les vérités rationnelles et morales. Mais l'inspiration, supposant la coopération de l'âme inspirée, diffère selon la race et selon l'individu, qui peut être plus ou moins richement doué, qui peut se servir avec plus ou moins d'énergie des facultés qu'il a reçues. La condition essentielle de l'inspiration, c'est que l'homme observe purement la loi de son être spirituel. Le meilleur, le plus sage, le plus religieux, est aussi le plus inspiré. C'est faute de religion ou de réflexion, que l'homme se croit si éloigné de Dieu qu'il a besoin de faire reposer sa foi et son espérance sur l'autorité d'une église ou d'un livre.

    Livre III. — Relation Du Sentiment Religieux Avec Le Christianisme. — Le christianisme est-il la religion absolue, c'est-à-dire l'amour parfait de Dieu et de l'homme, manifesté dans une vie où toutes les facultés humaines se développent harmonieusement? Pour répondre à cette question, il faut recourir aux enseignements de Jésus lui-même. Pour cela, il faut consulter les évangiles, qui ne prétendent aucunement à cette inspiration miraculeuse que la tradition réclame en leur faveur, et qui auraient tort d'y prétendre, puisqu'on fait ils se contredisent fréquemment. Cependant et malgré tout ce qu'il y a de légendaire et de mythique dans leurs récits, il faut bien admettre qu'un grand fait, une vie divine, un enseignement des plus élevés, sont à la source du courant traditionnel qu'ils ont recueilli. Laissons de côté le quatrième évangile qui n'est historique, ni en lui-même, ni dans l'intention de son rédacteur. Grâce aux synoptiques (trois premiers évangiles, ainsi nommés de leurs nombreux passages parallèles qu'on peut mettre en regard pour les comparer de plus près), malgré leurs divergences, nous pouvons reconstruire l'enseignement que Jésus rehaussa par sa noble vie, et qui consiste à montrer dans l'amour de Dieu et des hommes le commandement et le bien suprêmes. Pourtant on regrette de devoir constater, à côté d'un incomparable sentiment de la perfection divine, des assertions qui stipulent un enfer éternel, l'existence personnelle du diable, la fin prochaine du monde jointe au retour du Messie triomphant sur les nuées du ciel. Peut-être aussi serait-on en droit de lui reprocher certaines fautes, ' fort excusables, mais enfin certaines fautes. Mais il n'en est pas moins réel que le principe de la religion éternelle a été proclamé par lui et magnifiquement réalisé dans sa vie. La religion de l'esprit, supérieure aux rites, aux prêtres et aux dogmes, a donc fait son apparition avec lui, par lui et en lui. Il ne faut pas faire reposer l'autorité de la doctrine de Jésus sur des miracles qui sont, ou impossibles, ou attestés très insuffisamment. Les miracles de saint Bernard seraient plus admissibles que ceux du Christ s'il fallait se décider uniquement en pesant les témoignages. D'autre part, si l'on dit que c'est la doctrine qui prouve les miracles, on proclame par cela même leur inutilité. L'autorité de cette doctrine repose entièrement sur sa vérité.

    L'excellence de la doctrine de Jésus ressort, en particulier, de ce qu'elle autorise pleinement l'homme à s'avancer indéfiniment au delà du point où Jésus est resté lui-même. Tout ce qui s'accorde, avec la raison, la conscience et le sentiment religieux est essentiellement chrétien. La religion du Christ est donc une religion de liberté, celle du développement continu, de la poursuite incessante du meilleur et du plus parfait. — Une autre de ses supériorités, c'est qu'elle nous propose, non pas un système, mais une méthode de religion et de vie, savoir l'obéissance à la loi intérieure écrite par Dieu sur les tables de nos cœurs. — De plus elle est éminemment pratique et compte pour rien la confession du dogme, l'accomplissement du rite, en comparaison d'une vie sainte et aimante. C'est une religion de la vie quotidienne, du foyer domestique et de la place publique, de la solitude en pleine campagne et aussi de la participation à la marche simultanée du genre humain. Elle ne connaît rien d'une sainteté vicaire, et si elle nous montre un frère priant avec nous le Père céleste, elle ignore cet altorney, ce procureur plaidant avec Dieu, ou cet innocent, victime expiatoire de péchés qu'il n'a pas commis, l'un et l'autre forgés par la théologie traditionnelle.

    Autant qu'on peut reconstituer le portrait du Christ, toute part faite aux limitations et imperfections inévitables de son caractère, on doit s'incliner devant lui comme devant la plus grande âme qui ait passé sur la terre.

    La doctrine évangélique monta des bords du lac de Galilée à Jérusalem, à Antioche, à Éphèse, à Athènes, à Corinthe, à Rome, et triompha de tous ses ennemis. Mais, hélas ! ce ne fut pas sans perdre de sa pureté divine par son mélange avec le judaïsme, le paganisme et la politique. Mais elle est éternelle par son principe et elle éliminera dans son application continue les erreurs qui, dès les premiers jours, en ce Jésus lui-même qui la proclama et lui donna vie et puissance, purent se mêler avec elle.

    Livre IV. — Relation Du Sentiment Religieux Avec La Bible. — Les immenses et bienfaisants résultats de la diffusion de la Bible dans le monde doivent avoir une cause proportionnelle. Mais il ne faut pas la chercher ailleurs que dans la sublimité des enseignements que la Bible contient, et cela n'ôte pas le droit de constater et de repousser les éléments contradictoires, absurdes ou immoraux, qu'elle renferme aussi. Comme celle du christianisme en général, l'autorité de la Bible n'est autre que celle de la vérité qu'elle contient et qui se justifie elle-même devant la conscience humaine. Si la Bible doit disparaître au souffle de la critique, c'est qu'elle devait disparaître. Mais elle ne disparaîtra pas, à cause et dans la mesure de la vérité qui est en elle.

    Livre V. — Relation Du Sentiment Religieux Avec L'Église. — Jésus ne fonda pas d'église. Mais sa religion, comme toutes les religions, rapprocha ceux qui la possédaient, et la sympathie commune pour sa personne resserra singulièrement cette association religieuse. Au commencement la liberté trônait au sein des réunions chrétiennes. C'est peu à peu que, sur l'organisation républicaine, démocratique des premiers temps, se greffa la hiérarchie épiscopale. Avec Paul qui tâche d'émanciper la chrétienté des formes juives, s'opère, d'autre part, l'introduction d'un dogme défini, nécessaire, dans le christianisme. Peu à peu la servitude, soit vis-à-vis du prêtre, soit vis-à-vis du dogme formulé par le prêtre, devient la règle dans l'Église. De là les horreurs spirituelles et temporelles de l'Église du moyen âge et la légitimité de la Réforme. — Celle-ci a scindé d'une manière irrévocable l'unité extérieure de l'Église. Le catholicisme doit sa force et sa part de vérité à ce qu'il reconnaît la continuité de l'action révélatrice et rédemptrice de Dieu parmi les hommes; mais son erreur et sa faiblesse proviennent de ce qu'il prétend renfermer cette action divine dans les cadres de son clergé et dans les formes de sa doctrine; de là son intolérance, sa tyrannie, son effroi de l'examen indépendant, l'état arriéré des populations qui lui sont soumises. — Le mérite du protestantisme est donc d'avoir brisé ce joug intolérable et replacé l'individu dans la position où Jésus voulait qu'il fût, c'est-à-dire en la présence immédiate de Dieu. Son tort fut de vouloir renfermer toute vérité, toute inspiration dans la Bible, et comme celle-ci donnait lieu à plusieurs interprétations, de formuler des confessions de foi obligatoires. De là ses divisions. Ses diverses branches, du calvinisme le plus sombre à l'unitarisme le plus large, ont toutes leurs défauts et leurs qualités. Toutes sont trop étroites, trop esclaves de la lettre biblique. La critique nous délivrera de cette dernière servitude. L'avenir appartient au spiritualisme, qui se propose pour but suprême l'identité de volonté de l'homme avec Dieu, et qui subordonne tout, églises, cultes, formes religieuses, à la grande chose, seule nécessaire, à la seule religion qu'on puisse dire éternelle : Amour de Dieu et amour de l'homme.

    Nous devions à nos lecteurs cette analyse condensée de l'exposition, pleine de mouvement et d'éloquence, que Parker donna de ses doctrines à ses auditeurs de Boston. Que de fois n'avons-nous pas été tentés de substituer à notre sec résumé une traduction continue ! Il était également impossible de marquer, chemin faisant, l'incroyable quantité d'auteurs indiqués en note dans le livre et dont le nombre, presque effrayant, nous montre combien le théologien noté d'hérésie avait pris au sérieux son devoir de chercher la vérité avant de l'enseigner aux autres. Il ne s'agit pas en ce moment de faire une critique de ces vues religieuses. Si j'osais émettre un avis personnel, je dirais que sur Certains points, par exemple la genèse des mythologies, le caractère personnel du Christ, son enseignement proprement dit, en général la manière un peu trop hostile selon moi dont le passe de l'Église est envisagé, je ne saurais me ranger entièrement de l'avis de l'éminent orateur. Mais, ces réserves faites, je ne dissimulerai pas mes ardentes sympathies pour cet ensemble de belles et généreuses doctrines. Théodore Parker est dans la grande lignée des hommes de Dieu qui, chacun en son temps, ont combattu le bon combat de la piété jointe à la liberté. Les erreurs qu'il a pu mêler à ses vues si nobles et si grandes s'en iront. Mais la vérité, dont il a tâché de montrer à tous la splendeur éternelle, cette vérité que l'amour ardent et pur de la perfection qui est en Dieu et doit venir en l'homme est ce qu'il y a de plus beau, de plus nécessaire, au ciel et sur la terre, cette vérité ne périra pas, et nul ne peut contester à Parker la gloire d'en avoir été l'un des plus puissants prédicateurs.

     


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      DidierLe Roux

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  • THÉODORE PARKER SA VIE ET SES ŒUVRES ; Chapitre 2 : L'EDUCATION RELIGIEUSE

     

    THÉODORE PARKER

     

     

    SA VIE ET SES ŒUVRES

     

    Un Chapitre De I'histoire De L'abolition
    De L'esclavage Aux États-Unis

    Albert Réville 

     

     

     

    CHAPITRE II.

    L’ÉDUCATION RELIGIEUSE.

    La religion de la famille Parker. — L'unitarisme. — Ses avantages — Ses défauts. — Rupture définitive de Parker avec le calvinisme. — Timidités et hardiesses. — Ce qu'il fit à l'université. — Old Paulus. — De la grande condition du progrès religieux. — Ce que disaient de la Bible la tradition et la critique. —L'histoire des dogmes. — Les religions comparées. — Les miracles. — Le Christianisme essentiel. — La paroisse de West-Roxbury.

    Il nous faut revenir sur nos pas pour nous rendre compte des principes et du développement religieux de Théodore Parker.

    Ses parents, avons-nous dit, étaient de pieux unitaires. Leur unitarisme n'avait rien d'étroit ni de dogmatique. De tout ce que l'on sait de l'enfance de Parker il ressort que le dogme proprement dit tenait fort peu de place dans les conversations et dans les lectures de la famille. Le caractère froid et pratique du père, la disposition plus sentimentale et rêveuse de la mère, contribuaient également à éloigner de l'horizon domestique ce qui est ou purement théorique ou resserré dans d'étroites et infranchissables formules. On lisait donc la Bible, on se rendait exactement à l'église, mais on cherchait avant tout dans le livre sacré et dans la prédication hebdomadaire ce qui allait au cœur, ce qui éclairait la conscience, ce qui parlait de Dieu à l'âme, sans se préoccuper beaucoup du reste. Admirablement conseillé et dirigé sous le rapport moral, le jeune Théodore fut donc à peu près abandonné à lui-même quant aux doctrines religieuses; mais sa réflexion enfantine ne tarda pas à se porter sur ce domaine qui excitait son désir de savoir plus encore que tout le reste. II en résulta que ses croyances religieuses se formèrent en même temps que lui, non pas sans doute sans subir l'influence de la tradition environnante, ce qui eût été impossible, mais sans que jamais il vît en elles un joug pénible, sous lequel il faut se courber sans mot dire. « Ma tête, » a-t-il dit quelque part, « n'est pas plus naturelle à mon corps que ma religion à mon âme. » Dès qu'il commença à réfléchir, il ressentit une indicible horreur à l'idée des peines éternelles qu'il avait vues formulées dans un vieux catéchisme, et ce fut un délicieux soulagement pour lui quand il sut qu'il y avait d'excellents chrétiens qui n'y croyaient pas. Il écoutait avec ravissement ce que sa mère lui disait du beau caractère de Jésus. Ses bonnes amies, les fleurs et les étoiles, lui racontèrent de très bonne heure la gloire de Dieu. Il était surtout saisi par le sentiment de l'infinité de Dieu, et de tout temps il trouva une joie intense dans la pensée de cette omniprésence, de cette activité sans limites, qui pénètrent toutes choses et se révèlent à l'esprit religieux dans tous les phénomènes de l'univers. Du reste, ses idées d'adolescent sur la Bible, son inspiration, les miracles, n'avaient rien encore de bien défini et ne dépassaient pas le niveau moyen des croyances unitaires au sein desquelles il était élevé.

    Il est vrai que cette éducation unitaire était pour le jeune homme un privilège immense. De combien de préjugés et d'étroitesses n'était-il pas préservé par cela même! L'unitarisme aspirait à donner à l'homme une religion éclairée, moralisante, d'accord avec les institutions, les libertés, les besoins nouveaux de la société moderne. Il se rattachait par son culte, sa morale, son esprit général, à la grande Église réformée; mais, tout en fondant comme elle ses doctrines sur la Bible, il tâchait d'interpréter les livres saints de façon que les vieux dogmes irrationnels et contradictoires fussent éliminés de l'enseignement religieux. Rien dans l'unitarisme ne contrariait, tout favorisait au contraire le progrès social et politique. Il répandait une atmosphère bienfaisante de libéralisme progressif et de tolérance religieuse. Il n'avait aucune complaisance pour cette dévotion austère, monacale, supportable peut-être au sein des populations qui n'ont pas le travail productif en honneur; mais il maintenait avec fermeté les grands principes de la morale chrétienne qui doivent diriger une vie laborieuse, inspirer les vertus domestiques et sociales. Aussi était-ce dans ces rangs que se recrutaient les patrons les plus courageux et les plus influents des grandes améliorations publiques et des institutions philanthropiques. Tandis que, sur la question de l'esclavage par exemple, l'orthodoxie du Sud de l'Union, et en grande partie celle du Nord, devenaient de plus en plus les humbles servantes des intérêts égoïstes inféodés au maintien de cette horrible institution; tandis que, dans une superstitieuse adoration de la lettre biblique, oubliant que si la lettre de l'Évangile n'a rien de formel contre l'esclavage, son esprit le condamne péremptoirement, elles ne rougissaient pas de mettre ce régime barbare sous la protection des livres saints, — c'était surtout du sein de l'unitarisme que naissait le ferment abolitionniste, longtemps dédaigné, aujourd'hui la première puissance de l'Union. Cette Église unitaire large et progressive, libérale et sérieuse, voyait donc ses adhérents augmenter chaque jour en nombre dans la Nouvelle-Angleterre, et là où elle ne se substituait pas par voie de conquête aux autres églises, elle entretenait un loyer permanent de libéralisme et de réforme qui rayonnait sur les autres sociétés religieuses. C'est par là, par cette voie indirecte, que l'unitarisme a le plus agi sur l'état religieux en Amérique, et l'on se tromperait fort si l'on prenait le chiffre officiel de ses partisans pour la mesure exacte de ses progrès réels. Peu à peu un grand nombre d'églises universalistes, baptistes, presbytériennes, se laissaient pénétrer par le levain du libéralisme unitaire et se transformaient graduellement. Des prédicateurs d'un grand mérite, tels que Henri Ware et l'illustre Channing, accéléraient encore ce mouvement pacifique et compensaient, le second surtout, les défauts de la tendance unitaire par la chaleur communicative de leur talent et de leur cœur.

    Nous parlons de défauts : en effet, à côté de l'excellent esprit philanthropique et libéral qui distinguait le parti unitaire, il y avait des lacunes graves qui devaient se faire d'autant plus sentir que son influence grandissait. Sous le rapport théologique surtout, l'unitarisme était plus riche de bonnes intentions que de résultats. Beaucoup d'hommes éclairés, qui éprouvaient le besoin d'une religion simple et pratique et ne pouvaient plus supporter le joug de la vieille orthodoxie, respiraient à leur aise dans cette atmosphère plus douce et plus large. Reste à savoir si, en s'adoucissant, la religion ne s'était pas quelque peu affadie. Une certaine sécheresse, un rationalisme vulgaire et bourgeois laissaient parfois regretter les dogmes, irrationnels sans doute, mais imposants, grandioses, de l'orthodoxie traditionnelle. Le déisme, avec sa froide religiosité, perçait à chaque instant. Le mysticisme, cet élément inséparable de toute religion vivante, et parfaitement légitime tant que, se bornant à la sphère du sentiment, il ne prétend pas régenter arbitrairement la conscience et la raison, se trouvait quelque peu réduit dans l'unitarisme à l'état d'un ange dont on aurait coupé les ailes. La philosophie et la critique biblique lui faisaient absolument défaut comme à tout le protestantisme anglo-saxon de ce temps-là. C'était encore le sensualisme de Locke qui trônait dans les écoles théologiques de l'ancienne et de la nouvelle Angleterre. Comme un tel système réduit l'âme humaine à la plus complète passivité, comme il aboutit logiquement au matérialisme ou au scepticisme, et que pourtant il ne peut ni ne veut détruire les voix intérieures de l'âme qui réclament énergiquement des croyances, des devoirs, des espérances, ses partisans se réfugient ordinairement dans l'idée d'une révélation extérieure, miraculeuse, et s'imposant à l'homme avec l'arbitraire de l'autorité absolue. Aussi l'unitarisme, si libéral en matière de dogme, était-il resté très attaché au point de vue surnaturel et aux anciennes idées concernant l'origine et l'autorité miraculeuse des livres de la Bible. Il était tout aussi habile que l'orthodoxie à plier au gré de ses désirs les textes concordant mal avec ses doctrines particulières, et si le malheur eût voulu que le symbole d'Athanase se fût trouvé dans l'Écriture, ses théologiens eussent certainement entrepris de démontrer qu'il n'enseigne pas la Trinité.

    Telle était, avec ses avantages et ses inconvénients, la situation théologique dont Parker allait trouver à Cambridge les représentants les plus éminents. Au surplus, il avait pu étudier de près la vieille orthodoxie calviniste, qui était encore la croyance de la majorité et qui, chaque année, grâce à l'émigration d'Europe, aux Anglais surtout, recevait des renforts considérables, compensant amplement ses pertes. Dans son enfance et autour de la maison paternelle, il avait connu d'honorables partisans de la vieille foi des pères pèlerins. Pendant son séjour à Boston comme sous-maître, il suivit assidûment les prédications orthodoxes du fameux Lyman Beecher, alors dans tout l'éclat de son talent. « Une année de cette prédication, dit-il, acheva de tuer en moi tout le prestige que la théologie calviniste pouvait encore exercer sur mon esprit. » Les côtés sombres de cette doctrine, qui enseigne un Dieu prédestinant arbitrairement quelques hommes au salut et l'immense majorité du genre humain à l'éternelle damnation, lui furent toujours profondément antipathiques.

    Cependant il ne soupçonnait pas encore lui-même les -conséquences de la détermination qu'il avait prise de chercher la vérité religieuse en toute indépendance. En s'initiant chez le docteur Francis à la littérature et à la théologie allemandes, il avait été surpris et même souvent choqué de la liberté de parole et de pensée qui régnait en matière biblique dans ces parages inconnus, et qui contrastait si fortement avec le respect profond, méticuleux, facilement superstitieux, que l'Église unitaire, comme toutes les Églises protestantes américaines, professait pour la. Bible et son contenu tout entier. Lorsqu'il se mit à lire l'Introduction à l'Ancien Testament d'Eichhorn, c'est à genoux qu'il demanda à Dieu de ne pas être égaré, dans sa recherche de la vérité, par les raisonnements des incrédules. Nous avons, de ses croyances religieuses à cette époque, un résumé adressé par lui-même à l'un de ses neveux.

    Cambridge, 2 avril 1834.

    . . . Vous désirez savoir ce que je crois. Je crois en la Bible. Cela vous satisfait-il ? Non, direz-vous; tous les chrétiens professent la même croyance, et comme ils diffèrent entre eux!

    Je commence donc. Je crois qu'il y a un seul Dieu, existant de toute éternité, pour qui le passé, le présent et l'avenir sont également présents. Je crois qu'il est tout puissant, bon, miséricordieux, récompensant les bons et punissant les méchants dans cette vie et dans l'autre. Cette punition peut être éternelle.* (Dans cette confession de foi, évidemment inspirée par la crainte de froisser une âme en heurtant trop brusquement ses croyances, Parker entend par la possibilité des peines éternelles celle qui résulterait d'une persévérance volontaire et éternelle dans le péché.) Par conséquent je ne crois pas que les joies et les peines de la vie future soient corporelles. Des plaisirs matériels fatigueraient bientôt, et Dieu nous préserve de châtiments pires que ceux de la conscience.

    Je crois que les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament ont été écrits par des hommes inspirés de Dieu, en vue de certains desseins; mais je ne crois pas qu'ils aient été toujours inspirés. Je crois que le Christ est le Fils de Dieu, conçu et né d'une manière miraculeuse, et qu'il est venu prêcher une meilleure religion par laquelle l'homme pût être sauvé.

    Cette religion, je le crois, procure à l'homme le bonheur suprême dans cette vie et lui promet l'éternelle félicité dans un autre monde. Je ne pense pas que nos péchés nous soient pardonnés parce que le Christ est mort. Je ne puis concevoir pourquoi ils le seraient pour cette raison, bien que nombre de grands et excellents hommes aient partagé cette croyance. Je crois que Dieu sait tout ce que nous ferons, mais ne nous détermine pas à faire quoi que ce soit.

    Comme on le voit, dans cette exposition de ses croyances, les doctrines orthodoxes sont adoucies, ou réduites à leur minimum, ou même complètement éliminées. La Trinité n'est plus représentée là que par la naissance miraculeuse de Jésus. L'inspiration de la Bible n'est pas constante, donc elle n'est pas absolue, d'où il suit que c'est à la conscience de l'homme qu'il appartient de décider, en lisant le volume sacré, quels sont les enseignements vraiment divins, quels sont ceux qui ne sauraient prétendre à cette prérogative. L'autorité dictatoriale de la Bible est donc virtuellement ruinée. Mais Parker ne s'avouait pas encore cela. On aura remarqué aussi le point de vue utilitaire, optimiste, de cette confession de foi : ceci est un trait que Parker devait à toute son éducation, à sa franche et forte nature : il le conservera, mais l'ennoblira toujours plus par un spiritualisme des plus élevés. Il faut suivre maintenant les transformations que subit sa foi religieuse à mesure que le champ de ses études s'élargit.

    A l'université, comme à Boston, comme à Waterlown, il fut le plus infatigable travailleur qu'on eût jamais vu. C'est au point qu'au bout de quelques mois il avait dépassé la plupart de ses professeurs eux-mêmes. Il excellait dans les exercices de discussion, mais ne promettait pas encore d'être le brillant orateur qu'il a été depuis, ce qui n'a rien d'étonnant. La prédication comme exercice, devant un auditoire imaginaire, est pour l'étudiant en théologie protestant ce que la messe blanche avec l'hostie non consacrée est pour le jeune lévite catholique. Parker a été un grand et puissant orateur à partir du jour où la prédication fut devenue pour lui une lutte, un combat à outrance. Le côté sarcastique de son caractère se déployait à l'aise dans ces exercices juvéniles. Un jour qu'il lui était échappé de dire sans façon le vieux Paul, old Paulus, en parlant de l'apôtre des Gentils, il répondit au professeur qui le blâmait de cette expression irrévérente qu'il avait bien raison, et continua de développer son thème en faisant allusion à plusieurs reprises au « gentleman de Tarse. »

    Mais il ne faudrait pas juger de ses dispositions réelles par cette boutade momentanée qui se rattachait chez lui à une antipathie croissante pour tout ce qui sentait le factice et le convenu. Il est telle manière de citer old Paulus qui dénote une étude plus approfondie, partant plus respectueuse des écrits du premier des réformateurs de l'Église, que bien des prosopopées en l'honneur du saint canonisé. On se familiarise aisément avec les grandeurs qu'on examine de près et beaucoup. Or, Parker examinait beaucoup, et de toujours plus près. Il lisait les pères, savourait avec délices la grande littérature mystique, s'initiait à l'histoire des dogmes et des religions antiques, s'entourait des meilleurs exégètes allemands, et avide d'élargir toujours plus le cercle de ses études, voyant le monde grandir à mesure qu'il le connaissait mieux, il parvenait à mener de front avec l'étude de la théologie celle d'une dizaine de langues mortes ou vivantes.* (On peut voir par les échantillons que son journal et sa correspondance contiennent de sa manière de parler les langues étrangères, qu'il avait voulu les connaître afin de pouvoir lire les grands auteurs dans l'original, et aussi de se faire une idée du problème, dont il comprenait déjà l'immense importance et qui fait l'intérêt de cette belle science moderne qu'on appelle la philologie comparée. Il se soucia peu de les parler correctement, pourvu qu'il pût se faire comprendre. C'est ainsi que racontant, Sa santé souffrait de nouveau des excès de travail lors de son premier voyage à travers la France, comment il dut prendre la diligence d'Avignon à Arles, en compagnie d'une énorme matrone qu'il appelle Madame Fumeau, il décrit en termes moitié anglais, moitié français, l'accident qui arriva à son parapluie laissé dans la voiture pendant qu'on passait le Rhône : Madame Fumeau se mit sur la ( s'assit dessus ) therefore, voilà ma parapluie cassée.) 

    Tel fut à peu près le cours que suivirent les idées de Parker, à mesure que les choses divines et humaines se révélèrent à son âme passionnée de vérité. Nous avons dit que l'unitarisme américain, fort en avant des autres églises au point de vue des dogmes proprement dits, se mouvait encore sur le même terrain qu'elles quant à l'idée d'une révélation extérieure, miraculeuse, imposant son autorité à la conscience et à la raison, et exclusivement contenue dans la Bible. C'était par des interprétations, tantôt fort légitimes, tantôt fort arbitraires, qu'il se flattait de faire taire les réclamations du sens moral et de l'intelligence éclairée. En fait la critique biblique, déjà complètement émancipée en Allemagne, était encore chez lui dans l'enfance. Parker, qui lisait les Allemands, ne tarda pas à se sentir à l'étroit dans les théories de ses professeurs qui prenaient toujours la Bible en bloc, comme un tout irréductible, sans se préoccuper autrement des circonstances qui avaient présidé à la rédaction, aux remaniements, à la réunion des livres qui la composent.

    La tradition lui disait : « La Bible est une, elle est la révélation de Dieu à l'humanité, c'est un livre surnaturel qui, de sa première à sa dernière ligne, est parole de Dieu. » — Mais voici ce que la critique lui apprenait. D'abord, quand il en serait ainsi, encore faudrait-il, pour que la Bible que le peuple lit actuellement fût un livre infaillible, que les traductions elles-mêmes le fussent, et quant aux savants qui peuvent la lire dans l'original, qu'ils ne fussent pas eux-mêmes très indécis et très partages sur le sens qu'il faut donner à nombre de passages importants. — Puis nous devrions posséder ce texte miraculeux dans son intégralité, sans l'ombre d'une variante, et c'est par dizaines de milliers que l'on compte aujourd'hui les variantes dans le texte biblique. — Mais surtout la tradition a-t-elle donc oublié que la Bible n'est, dans l'économie chrétienne, ni un fait primitif, ni un fait simple et irréductible? Telle que nous la possédons aujourd'hui, elle se compose de deux parties bien distinctes, l'Ancien et le Nouveau Testament : le premier, source régulatrice de la religion juive; le second, document de la religion chrétienne originelle. Mais le premier se compose de trente-neuf livres écrits par des auteurs différents espacés sur plusieurs siècles; le second, de vingt-sept livres, divers aussi par leur origine et leur but. Qui a réuni à deux reprises ces deux collections? On n'en sait rien pour l'Ancien Testament, qui n'était pas même rigoureusement clos quand Jésus vint au monde. On ne le sait pas davantage quant au Nouveau, dont le canon ne fut arrête avec précision qu'au 4ème siècle, après bien des variations et des tâtonnements, après que tel des écrits qui le composent actuellement eut été longtemps ignoré ou rejeté, et que tel autre, exclu aujourd'hui du canon, eut longtemps été en possession d'une autorité égale à celle des livres canoniques. Sur quelle inspiration miraculeuse les collecteurs du canon se sont-ils donc appuyés pour faire leur triage? Ils étaient faillibles comme nous. Comment donc soutenir l'infaillibilité d'un livre sorti d'une opération faite par des hommes sujets à l'erreur?

    Si du moins un examen attentif des livres canoniques justifiait complètement leur œuvre! Mais tant s'en faut qu'il en soit ainsi. Le canon traditionnel attribue à Moïse cinq livres évidemment composés de documents divers par la date et par l'esprit, dont le dernier raconte sa mort; au prophète Isaïe, des prédications qui doivent être scindées en deux groupes forts distincts et séparés l'un de l'autre par une période d'au moins cent cinquante ans ; au roi David, un très grand nombre de psaumes dont une grande partie, sinon la très grande majorité, lui est de beaucoup postérieure; à Daniel, qui est censé avoir vécu au temps de la captivité de Babylone, une série d'oracles visiblement rédigés sous le règne d'Antiochus Epiphane. — De même le Nouveau Testament actuel attribue à l'apôtre Paul l'épître aux Hébreux, qui ne peut être de lui, et à l'apôtre Pierre une seconde épître qui suppose que toute la première génération chrétienne était morte quand elle fut écrite (II Pierre, m, 3-9). Ce sont là les faits les plus saillants que la critique ait mis en lumière, et si positivement démontrés que les plus méticuleux, parmi ceux qui s'en sont sérieusement occupés, ont dû se rendre à la force de l'évidence. — Si maintenant, faisant abstraction des auteurs, nous passons au contenu de ces livres, pouvons-nous regarder comme une révélation divine continue ces récits ou ces enseignements où il est si facile de relever tant d'erreurs astronomiques, physiques, historiques; ces narrations qui se contredisent; ces miracles décidément impossibles, même pour ceux qui croient volontiers au miracle, et dont le caractère légendaire ou mythique s'impose à tout esprit non prévenu; ces idées grossières de Dieu représenté comme un être imparfait, colère, vindicatif et arbitraire? S'imagine-t-on d'ailleurs que la Bible contienne d'un bout à l'autre une seule et même doctrine? C'est ce que les unitaires pensent encore, et de là leurs tours de force en fait d'interprétation. Sur ce point ils n'ont rien à reprocher aux autres sectes chrétiennes qui toutes s'ingénient à tordre le sens des déclarations scripturaires jusqu'à ce qu'elles soient parvenues à les faire cadrer avec leurs dogmes particuliers. Mais, pour l'observateur attentif, cette unité de la doctrine biblique est une illusion. Pour nous borner au Nouveau Testament, autre est la doctrine des trois premiers évangiles, autre celle du quatrième; autre est l'enseignement de l'apôtre Paul, autre celui de l'épître de Jacques ou de l'Apocalypse. Qu'il ne soit donc plus question d'imposer aux chrétiens la doctrine de la Bible, car il y en a plusieurs. On conçoit comment, ces portes une fois percées dans le mur de clôture de l'enceinte consacrée, le flot de la critique ne tarde pas à tout envahir. L'histoire des dogmes chrétiens contribuera non moins puissamment à détacher le jeune théologien de la tradition dogmatique du passé. Elle a été déjà faite en Allemagne, et d'une main magistrale. Si l'unitaire y trouve d'amples confirmations des griefs de sa secte contre les dogmes de la Trinité, du péché originel, de la rédemption par le sang du Christ, s'il voit qu'elle a eu parfaitement raison de dire que le christianisme en lui-même est fort indépendant de ces doctrines, qu'il a vécu avant elles et par conséquent leur survivra, il doit reconnaître aussi que l'église de son choix n'a pas échappé plus que les autres à l'illusion qui leur a fait croire à toutes que l'antiquité chrétienne a été précisément ce qu'elles sont, et il devra se dire qu'il est vain de vouloir à tout prix se régler sur une église primitive qui a eu aussi sa part d'erreurs et de défauts graves. Le vrai christianisme, celui qui répond réellement à l'esprit et aux intentions du maître, est en avant, non pas en arrière de nous.

    Enfin l'étude des religions comparées, des mythologies, des peuples et des langues Vient poser au penseur une question rénovatrice de la théologie tout entière: Le christianisme, quelque supérieur qu'il soit à toutes les religions historiques, est-il tellement séparé de celles-ci par son origine miraculeuse que l'on doive le leur opposer purement et simplement comme la vérité à l'erreur, l'œuvre de Dieu à celle des hommes? Ou plutôt l'histoire des religions ne présente-t-elle pas des phénomènes que l'on peut dire, non pas égaux, mais semblables à ceux qu'on peut observer en étudiant les origines du christianisme? Zoroastre, Mahomet, Bouddha surtout, sont-ils jugés quand on les a relégués sans autre forme de procès dans la catégorie des imposteurs ou des hallucinés? Et quand on voit que l'on peut classer les religions comme les genres et les espèces de la nature vivante, quand on découvre la loi immanente de ce développement religieux de l'humanité qui s'est élevée peu à peu, sur ce domaine comme sur d'autres, de la matière à l'esprit, du fétichisme le plus enfantin à la conception la plus sublime de l'être divin, ne serait-il pas infiniment plus rationnel d'admettre que, non-seulement le christianisme et le judaïsme, mais encore tout le mouvement ascensionnel de l'humanité cherchant son Dieu est le déploiement imposant d'une seule et même loi de croissance? A ce point de vue, Jésus, fils de l'humanité attirée par Dieu, a prononcé le mot que la conscience humaine avant lui s'essayait à bégayer, mais en le prononçant il l'a rendu clair et facile pour tous.

    Telles étaient les idées, les doutes, les découvertes qui se croisaient dans l'intelligence de Théodore Parker durant son séjour à l'université. Déjà, de concert avec quelques amis, il rédigeait pour le Scriptural Interpréter des articles sur l'Ancien Testament où perçait l'influence que les critiques allemands commençaient à exercer sur ces esprits indépendants et sérieux. C'est ainsi, par exemple, qu'on démontrait comment le chapitre LII d'Isaïe n'est pas du tout une prédiction de la personne et de la mort de Jésus, mais une description idéale du juste ou du serviteur de l'Éternel, tel qu'il était pendant la captivité de Babylone. En général on faisait voir que les prophéties, rapportées de l'Ancien Testament à la personne de Jésus, manquaient de toute validité en tant que prédictions miraculeuses. Il y eut un cri de surprise et bientôt de terreur dans les rangs des vieux unitaires. Ils ne se demandèrent pas: Ces jeunes gens ont-ils tort ou raison? mais : Où allons-nous? Et qu'épargnera-t-on si l'on y va de la sorte?

    Il est clair que des arguments de cette force ne suffisaient pas pour faire reculer les hardis explorateurs. Du reste Parker n'avait pas organisé encore ses idées théologiques. Beaucoup de choses étaient encore chez lui à l'état chaotique. Par exemple, quant au surnaturel, il n'avait pas encore, ainsi qu'il le dit lui-même, l'idée de Dieu qu'il eut plus tard et qui, une fois acquise, lui rendit l'admission d'un miracle réel aussi impossible que celle d'un triangle rond. On peut seulement observer qu'à partir de cette époque, sa foi dans les miracles bibliques va toujours en diminuant. A mesure, en effet, qu'il promenait sur les pages de la Bible le flambeau d'une libre critique, il devait se convaincre toujours plus qu'il n'y avait pas un seul miracle suffisamment attesté pour qu'un homme pût se croire tenu de subordonner son expérience quotidienne au témoignage d'un écrivain peut-être inexact, peut-être mal renseigné, peut-être enfin trompé par son propre enthousiasme. Plein d'admiration pour les vertus héroïques et l'incomparable beauté morale du Christ, il se disait déjà que c'était leur ôter toute valeur que leur assigner pour cause une naissance et une nature extra-humaines. Cette naissance miraculeuse de Jésus est sans doute enseignée dans deux évangiles. Mais les deux autres, tout le reste du Nouveau Testament, n'en savent rien, et les évangiles eux-mêmes qui la rapportent contiennent d'autres données qui la démentent. Puis une grande idée s'emparait toujours plus de l'esprit de Parker, celle de la perfection absolue de Dieu, et elle devait lui servir désormais de pierre de touche pour apprécier les doctrines religieuses. Enfin, plongeant au fond de cette mer tumultueuse d'opinions de toute espèce qui s'entrechoquent et se réduisent mutuellement en poussière, son esprit judicieux et pratique cherche le fond résistant, permanent, sur lequel il faut jeter l'ancre, et il le trouve en ceci, qu'il n'est rien de meilleur pour un être quelconque, qu'il ne peut non plus y avoir pour lui d'obligation plus impérieuse que d'obéir à la loi de son être: donc, pour l'homme à la loi de la \nature spirituelle. Être bon et faire le bien dans la foi au Père céleste, c'est le sentiment chrétien proprement dit, il n'est rien de supérieur à cela au ciel ni sur la terre, et c'est le fondement sur lequel il faut toujours édifier. C'est aussi là-dessus qu'il veut construire.* (Il ne faudrait pas croire que le sentiment religieux chez Parker se trouvât desséché ou amoindri à la suite de cette investigation persévérante et libre. Nous aurons plus d'une fois l'occasion d'observer que ce qui fait l'originalité et la puissance de Parker, c'est cette réunion du mysticisme et du rationalisme, saisis l'un et l'autre par leur côté légitime. C'est en 1836 qu'il composa ces beaux vers : 

    Jésus, there is no doarer name than thine,

    Which time bas blazened on his mighly scroll ;

    No wreaths nor garlands ever did entwine

    So fair a temple of so vast a soûl.

    There every virtue set his triumph-seal ;

    Wisdom conjoined with strength and radiant grâce

    In a sweet copy Heaven to reveal

    And stamp perfection on a mortal face.

    Once thé earth wert Thou, before men's eyes,

    That did not halfThy beauteous brightness see,

    E'en as thé emmet does not read thé skies

    Nor our weak orbs look through immensity.

    Ce que nous essayons de traduire ainsi, en invoquant l'indulgence due à toute traduction de vers en une langue étrangère :

    Jésus, il n'est pas de nom plus précieux que le tien, — Ce nom que le temps a blasonné sur sa puissante voûte, — Et jamais frises ni guirlandes ne se sont déroulées — Autour d'un si beau temple que celui de ta grande âme. — Chez toi chaque vertu a posé le sceau de son triomphe. — La sagesse s'est alliée à la vaillance et à la grâce — Pour révéler le ciel dans une douce image — Et imprimer la perfection sur des traits mortels. — Tu passas jadis sur la terre devant les yeux des hommes — Qui m virent pas à moitié ta sublime splendeur, — Pas plus que la fourmi ne sait lire dans les cieux, — Et que nos faibles yeux ne pénètrent l'immensité.)

    Cependant les années du noviciat théologique touchaient à leur terme. Bientôt il put prêcher en qualité de candidat au saint ministère et se faire connaître dans plusieurs localités, en attendant qu'une paroisse vacante l'appelât comme pasteur à poste fixe. C'était en 1836. Il partageait son temps entre ces prédications itinérantes qui lui valaient déjà une certaine réputation, et ses travaux théologiques toujours poussés avec ardeur. C'est alors qu'il conçut le dessein de faire paraître une traduction de l'Introduction à l'Ancien Testament du professeur De Wette. C'était en ce temps le meilleur ouvrage de ce genre. Avec la candeur du jeune homme qui croit que le monde est comme lui disposé d'avance à se tourner vers la lumière, il en espérait beaucoup de bien en vue des progrès d'une saine théologie. Il voulait surtout briser par ce moyen, dans l'opinion des gens éclairés, cette bibliolâtrie qui enchaînait tant d'intelligences. Il dut avouer par la suite qu'il s'était bien trompé dans ses calculs. Mais, dans cet espoir, il se livrait avec sa fougueuse ardeur à ce travail de traduction, enrichissant d'ailleurs l'ouvrage allemand d'une masse de notes fournies par sa propre érudition et le rectifiant même quelquefois. Ce fut vers le même temps qu'il eut la douleur de perdre son vieux père. Sa douce et pieuse compagne l'avait de quelques années précédé dans la tombe. Leur souvenir resta comme embaumé dans le noble cœur de leur fils. On peut s'en apercevoir souvent dans ses discours religieux.

                 En 1837, la petite paroisse unitaire de WestRoxbury, située à peu de distance de Boston, fit choix de lui comme pasteur. La communauté se composait d'une soixantaine de familles, vivant pour la plupart dans une modeste aisance, quelques-unes riches et instruites. Les devoirs pastoraux n'étaient pas absorbants. Le pays était beau. La cure, d'une simplicité charmante, était enfouie dans la verdure, et, selon une coutume assez répandue dans les contrées protestantes, le pasteur avait le libre accès des jardins du voisinage. Son goût pour la méditation à travers champs ou au milieu des fleurs, qu'il aimait avec passion, trouvait là pleine satisfaction. Il pouvait aller aisément à Boston, et y profiter des derniers entretiens du docteur Channing, dont il fréquentait beaucoup la maison. Ses paroissiens écoutaient avec plaisir ses sermons pleins d'originalité, de poésie, d'applications à leur vie simple et honnête. Ce fut dans cette retraite parfumée qu'il alla s'établir avec sa chère Lydia, devenue la compagne de sa vie.

     


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      DidierLe Roux


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  • THÉODORE PARKER

     

     

    SA VIE ET SES ŒUVRES

     

    Un Chapitre De I'histoire De L'abolition
    De L'esclavage Aux États-Unis

    Albert Réville 

     

     

     CHAPITRE PREMIER.

    L'enfance Et La Première Jeunesse. 

    Naissance de Th. Parker. — Sa famille. — Son éducation domestique.— La petite tortue. — La petite fée. — Les lectures. — La Bible aux myrtilles. — Entrée au collège Harvard. — Temps durs à Boston. — Plus doux à Watertown. — L'aube des beaux jours se lève. — Miss Lydia.

     

    Théodore Parker naquit le 24 août 1810 dans l'état de Massachusetts, à Lexington, où sa famille, de la vieille roche puritaine, originaire du comté d'York et passée en Amérique depuis 1635, s'était fixée au commencement du xvième siècle. Son grand-père se distingua comme soldat lors de la guerre du Canada, à la prise de Québec, mais surtout dans la guerre de l'indépendance américaine. Il déploya même un véritable héroïsme au combat de Bunker's Hill, qui ouvrit la lutte sanglante d'où l'Union américaine devait sortir si glorieusement triomphante. Son père, qui avait cinquante ans en 1810, joignait, comme tant de cultivateurs de la Nouvelle-Angleterre1, une instruction solide à une grande habileté manuelle. Plus mécanicien encore que fermier, d'une force remarquable en mathématiques, il fabriquait pour le voisinage des roues de moulin, des pompes, des instruments d'agriculture. II était aussi grand lecteur, aimant beaucoup la Bible, bien que passablement sceptique sur le point des miracles, grand partisan de l'instruction populaire et tâchant de la développer le plus possible dans le cercle rustique dont il était un des oracles les plus écoutés. C'était un de ces hommes froids et forts, profondément honnêtes, qui n'hésitent jamais entre le devoir et l'intérêt, et dont le souvenir reste une bénédiction pour leurs enfants engagés à leur tour dans la bataille de la vie. Sa femme, non moins zélée dans l'accomplissement de ses devoirs, était pourtant d'un caractère très différent. Gracieuse, délicate, adroite comme une fée et charitable comme une sainte, tel est le portrait que nous en a laissé son fils qui la perdit jeune encore, et qui en avait conservé un délicieux souvenir. Bien souvent, dans ses rêves, il revit son bel œil bleu de puritaine, franc, pur, austère, mais tout brillant d'amour pour son Benjamin : car Théodore était le plus jeune de ses dix enfants.

    Les Parker étaient unitaires, comme tant d'autres descendants des pères pèlerins, à Boston et dans toute la Nouvelle-Angleterre. On sait que l'unitarisme est une branche du protestantisme dont le dogme principal est l'unité absolue de Dieu. Partant de là, les unitaires rejettent le dogme de la Trinité qui enseigne que Dieu est un, et pourtant existe en trois personnes distinctes, égales, co-éternelles. Ils ne reconnaissent donc que le Père pour Dieu, voient dans le Saint-Esprit sa puissance, son action, non pas une personne, et assignent au Fils un rang subordonné. En général, disons que leur théologie a quelque chose de moins tragique, de plus optimiste que les anciens systèmes protestants. Toutefois ce libéralisme dogmatique n'avait amené aucun changement notable dans la manière de vivre de la famille Parker, qui continuait à mener l'existence laborieuse et simple de ses ancêtres. Le ménage était besogneux. Les enfants étaient venus en grand nombre. La vieille grand-mère vivait encore, plus qu'octogénaire. Les enfants la voyaient descendre chaque jour à l'heure du dîner, venant solennellement occuper à table la place d'honneur qui lui était toujours réservée. Après quoi elle prenait son tricot, à moins que le jour ne fût un dimanche. Ce jour-là elle lisait sa vieille Bible in-/4°, édition d'Oxford, qu'elle tenait de son mari qui l'avait reçue en échange d'une charge de foin délivrée à Boston, » ou bien dans le PuritanHymn Book de Cambridge. C'était Théodore qui, deux fois par jour, devait porter dans sa chambre, à sa vénérable aïeule, le cordial dont elle avait l'habitude.

    Malgré toutes ces charges, une aisance relative régnait dans la maison, grâce à la vie sobre, au travail courageux du père, que ses fils aînés aidaient déjà, et à l'économie ingénieuse de la mère. Celle-ci était l'ange de cet intérieur, et si le père en représentait la prose correcte et régulière, elle en était la poésie. Elle aimait la prière silencieuse, intérieure; les poètes anglais faisaient sa lecture favorite ; elle chantait à ses enfants les ballades populaires et prenait le plus grand soin de leur éducation morale. Pendant les longues soirées d'hiver le père faisait à sa femme et à ses enfants des lectures instructives qu'il commentait avec clarté et bon sens. Un trait à noter, c'est que tout ce monde, les femmes comme les hommes, lisait .les journaux du pays. Tout cela respirait l'honnêteté, la décence, le respect de soi-même ; c'était la famille protestante d'autrefois, un peu repliée sur elle-même, mais avide de savoir, sympathique à la lumière, où le père est le prêtre, la mère le confesseur, du reste unie, paisible et contente.

    Ceux qui aiment à penser que les dispositions morales sont héréditaires, pourront trouver une confirmation de leurs vues dans cette esquisse de la famille Parker. Ils retrouveront en effet chez leur fils Théodore, à côté de l'érudition , que seul des siens il put acquérir, le sens pratique du père, les inclinations poétiques et mystiques de la mère, et même l'humeur guerroyante du grand-père.

    On comprend du reste que si l'entourage du jeune Théodore n'offrait pas à ses premières années de bien grandes ressources pour le développement de l'intelligence, il était impossible de vivre dans un milieu plus favorable à la formation du caractère. Ses parents cherchaient à développer systématiquement en lui les facultés dont l'usage contribue le plus à mûrir le jugement, savoir la comparaison, l'observation, l'habitude de se décider en se rendant compte des motifs déterminants. On lui apprit de bonne heure à consulter son propre sentiment religieux et moral. "L'esprit d'examen, dit-il, était encouragé en moi de toutes les manières et dans tous les sens." II pouvait lire tous les livres de la maison, mais il ne lui était pas permis d'en prendre un nouveau avant d'avoir montré qu'il comprenait ce qu'il avait lu dans le précédent. Ce qui achèvera de donner une idée de cette éducation forte et simple, c'est cette déclaration qu'il a faite lui-même : "Durant toute mon enfance, je n'entendis pas mes parents proférer un seul mot qui fût irréligieux ou superstitieux."

    Nous le laisserons encore raconter lui-même un incident de sa vie enfantine, dans lequel on discerne déjà ce qu'il sera plus tard, l'homme de la conscience impérieuse, indomptable.

    "J'étais encore un bambin en jupons, je n'avais pas plus de quatre ans. Par un beau jour de printemps, mon père me mena par la main à quelque distance de la ferme, mais il m'ordonna bientôt d'y revenir seul. Sur ma route se trouvait un petit étang, dont l'eau recouvrait en ce moment un assez large espace. J'aperçus une rhodora* (Je dois à une obligeante communication de M. le professeur Martins, de Montpellier, de savoir qu'il s'agit ici d'une plante américaine connue sous le nom de Rhodora du Canada. C'est une plante de la famille des Bruyères (Ericacées), voisine des Azalées, des Rhododendrons, des Kalmias, etc.) toute épanouie. C'est une fleur rare dans la contrée, et je me dirigeai de son côté. Arrivé là, je découvris une petite tortue tachetée qui se chauffait au soleil dans l'eau peu profonde où baignait la tige de cette belle plante. Aussitôt je levai mon bâton pour en frapper la pauvre bête; car bien que je n'eusse jamais tué la moindre créature, j'avais pourtant vu d'autres enfants s'amuser à détruire des oiseaux, des écureuils, et d'autres petits animaux, et j'avais envie de suivre leur mauvais exemple. Mais tout à coup quelque chose arrêta mon bras, et j'entendis en moi-même une voix claire et forte qui disait : 'Cela est mal!' Tout surpris de cette émotion nouvelle, de cette puissance inconnue qui, en moi et malgré moi, s'opposait à mes actions, je retins mon bâton en l'air jusqu'à ce que j'eusse perdu de vue la tortue et la belle fleur. Je courus à la maison et racontai la chose à ma mère, en lui demandant qui donc m'avait dit que c'était mal. Je la vis essuyer une larme avec son tablier et, me prenant dans ses bras, elle me dit : 'On appelle cela quelquefois la conscience, mais j'aime mieux l'appeler la voix du bon Dieu dans nos âmes. Si tu l'écoute et lui obéis, alors elle te parlera toujours plus clairement et te guidera toujours bien ; mais si tu fais la sourde oreille, si tu lui désobéis, elle deviendra peu à peu plus obscure et te laissera sans guide en pleines ténèbres.' Là-dessus elle me quitta, émue, troublée de ce qu'elle avait entendu, mais sans doute repassant tout cela dans son cœur maternel, tandis que je continuais de m'émerveiller et de réfléchir autant que peut le faire un pauvre enfant. Mais je puis affirmer qu'aucun événement dans ma vie ne m'a laissé d'impression aussi profonde et aussi durable." 

    C'est là un éveil vigoureux de la conscience chez un enfant, mais cet enfant est un petit Yankee qui, tout en admirant la voix intérieure qui lui parle, est tout près de trouver fort impertinente cette intervention d'un tiers dans ses affaires.

    A six ans il alla à l'école, où il semble qu'une certaine disposition à la raillerie le faisait un peu redouter de ses petits camarades. Il imitait avec une, rare perfection les manières, le langage, la tenue des autres : quelque chose de ce talent dangereux, fréquent chez les hommes richement doués sous le triple rapport de l'esprit, de l'imagination et de la sympathie, lui resta plus tard à l'Université et dans sa vie publique. Du reste, il devint fort, adroit, et protecteur en titre des petits opprimés. A sept ans, il eut, pour une petite fille du voisinage, une de ces inclinations enfantines, plus fréquentes qu'on ne pense, pour ainsi dire inconscientes, et dont le souvenir demeure suave et parfumé jusqu'au soir de la vie.

    "J'avais environ sept ans," écrivait-il un jour à un ami, M. George Ripley, "lorsqu'une toute jolie petite fille fit son apparition à notre humble école de village. Elle avait de sept à huit ans. Elle me fascinait au point que je ne pouvais plus regarder mes livres, et je fus grondé pour n'avoir pas su mes leçons : ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant, et ce qui ne m'arriva plus après le départ de la petite fée. Elle ne resta qu'une semaine avec nous, et je pleurai amèrement quand elle s'en alla. Elle était si jolie! je n'osais pas lui parler, mais j'aimais à tourner autour d'elle comme un moucheron autour d'une fleur des champs. Elle s'appelait Narcissa. Elle est tombée dans l'océan des âges, et disparut avant que j'eusse atteint ma huitième année."

    Ce sont là, il est vrai, les indices d'une grande précocité, attestée d'ailleurs par l'étonnante rapidité de son développement physique et intellectuel. De très-bonne heure il dut partager son temps entre l'école et les travaux de la ferme. Le père Parker avait ses raisons pour mettre vite ses enfants à l'ouvrage. Cela n'empêcha pas Théodore d'être, dès l'âge de huit ans, un lecteur insatiable. Il avait peu de volumes à sa disposition, mais ce petit nombre valait bien des bibliothèques. Il avait la Bible, les poètes anglais, favoris de sa mère, quelques classiques latins et grecs, Homère, Plutarque, Virgile, qu'il lut d'abord dans des traductions, bientôt dans l'original. Car un ministre unitaire des environs, M. W. White, remarquant ses heureuses dispositions, lui donna des leçons de latin et de grec*( Le nom de Jésus, qu'il remarqua dans un naïf cantique latin, ne lui laissa pas de repos qu'il n'eût deviné le sens de la cantilène : 

    Dormi, Jesu ; mater ridet

    Quee tam dulcem somnura videt ;

    Dormi, Jesu blandule !

    Si non dormis, mater plorat ;

    Inter fila cantans orat.

    Blande, veni, somnule.) 

    De plus, Bon père avait des livres de mathématiques, de voyages, d'histoire naturelle, qu'il dévora de manière à les savoir par cœur. A dix ans il avait catalogué à sa manière la flore des environs. A douze, par une belle nuit, il remarqua lui-même à l'œil nu l'apparence de croissant propre à la planète Vénus. Aussitôt il cherche partout un livre d'astronomie et le lit avec rage. Il dépassait déjà, par son savoir précoce, la plupart des enfants élevés dans les villes, et, en véritable Américain, il trouvait toujours quelque procédé ingénieux pour parer aux inconvénients de sa position. Par exemple, il désirait ardemment avoir une Bible à son usage. Celle de la famille était peu portative et trop précieuse pour qu'on la lui abandonnât, et il n'avait pas un sou vaillant pour en acheter une. Mais il ne fut pas embarrassé pour si peu. Il alla cueillir des myrtilles dans la forêt voisine, les vendit au marché de Boston et amassa tout doucement la somme, heureusement peu élevée, qui suffit en Amérique pour solder l'achat d'un exemplaire du divin livre. Il trouva encore du temps pour apprendre le français et l'espagnol. C'est ainsi que s'écoula son adolescence.

    Cependant à mesure que les jeunes Parker grandissaient, les besoins du ménage allaient en diminuant, et à la seule condition de ne pas être à charge à ses parents, Théodore put aviser aux moyens de faire son chemin dans une carrière libérale. Un soir de l'été de 1830, il avait été absent toute la journée et ne rentra qu'à minuit. Se dirigeant aussitôt vers la chambre de son vieux père : "Père, lui dit-il, je suis entré aujourd'hui au collège Harvard." Ce collège est une sorte d'université fondée à Cambridge, non loin de Boston, et où les jeunes gens de la Nouvelle-Angleterre viennent en grand nombre prendre leurs degrés. Il avait employé la journée entière à passer l'examen requis des postulants à l'inscription. Le vieillard ne fut pas moins inquiet à l'ouïe de cette nouvelle qu'il ne l'avait été de l'absence prolongée de son fils. "Hé quoi! Théodore," lui dit-il, "tu sais que je ne suis pas en état de supporter de pareilles dépenses ! — Je le sais, père, mais mon intention est de pourvoir à mon entretien en donnant des leçons ou en ouvrant une école." Son plan était en effet de se tirer d'affaire en combinant le métier d'instituteur avec l'étude des matières traitées dans les cours académiques et en se présentant régulièrement aux examens.

     Ce plan était plus facile à concevoir qu'à exécuter. Il fallut toute son énergie opiniâtre, toute sa sobriété, toute son ardeur au travail pour venir à bout des innombrables obstacles qui se dressèrent sur sa route. Il vécut d'abord à Boston, sous-maître dans une école privée, gagnant de 75 à 80 francs par mois, consacrant la majeure partie de ses nuits à l'étude, ne fréquentant aucune maison amie, aucun lieu de divertissement, quelquefois découragé, mélancolique, désirant mourir, mais se relevant toujours de ses défaillances momentanées, reprenant le courage de son honnête et fière pauvreté, se souvenant peut-être de la vieille devise de sa famille : Semper aude. Sa santé souffrait rudement de ses excès de travail, et le malaise physique aggravait visiblement le malaise moral. Enfin, voyant qu'il n'arriverait jamais à ses fins à Boston, il se transporta à Watertown où, sans un sou, sans un élève, il ouvrit une école pour son propre compte. Il commença avec deux élèves, bientôt il en eut plus de cinquante. Car les enfants faisaient sous sa direction de merveilleux progrès, ce qu'ils devaient surtout à l'affection extraordinaire que le maître avait su leur inspirer. Il commençait donc à se réconcilier avec la destinée. La seule ombre à ce tableau fut la pression que les parents des enfants de son école exercèrent sur lui pour qu'il renvoyât une petite fille de couleur qui lui avait été confiée. On sait combien, à cet égard, le préjugé était puissant et l'est encore aux États-Unis. Parker s'est reproché toute sa vie d'avoir cédé à cette exigence. Mais il y allait, de l'existence de son école à peine fondée, de toutes ses espérances, et ses idées sur les devoirs de notre race envers les noirs n'avaient pas encore la fixité ni surtout l'énergie qu'elles acquirent depuis.

    Dû reste l'aube des beaux jours commençait à se lever pour lui. Toujours économe, dur envers lui-même jusqu'à la cruauté, il amassait sou à sou l'argent qui devait lui permettre d'aller étudier pour tout de bon à l'université. Le pasteur unitaire du lieu, M. Francis, homme intelligent et fort instruit, appelé par la suite à occuper une chaire professorale à Cambridge, lui avait ouvert en même temps sa maison et sa bibliothèque. Parker, qui avait appris l'allemand pendant son séjour à Boston, s'initia chez lui à la littérature et surtout à la théologie germaniques, choses pour ainsi dire inconnues dans ce temps en Amérique, non moins, au fait, que dans maint autre pays plus rapproché du Rhin. C'étaient seulement quelques esprits d'élite qui commençaient alors à deviner que dans les universités allemandes s'élaborait une science religieuse incomparable et destinée à transformer toutes les théologies officielles. Malgré ces nombreuses lectures, à côté des heures que, pour les motifs que l'on sait, il devait consacrer à la direction de son école, il trouvait encore, le moyen d'aller deux fois par semaine à Cambridge prendre des leçons d'hébreu. Bien mieux, il eut encore le temps de devenir amoureux et de le dire à la personne que cela devait intéresser le plus, miss Lydia Cabot, charmante jeune fille, d'une beauté remarquable, qui donnait aussi des leçons dans la petite ville et était sa collègue à l'école du dimanche*(On appelle ainsi dans les pays protestants des cours élémentaires de religion que des jeunes gens des deux sexes font le dimanche aux enfants de la paroisse pour les préparer à l'instruction religieuse donnée par le pasteur.-— La famille Cabot est une famille ancienne et honorée du Massachusetts : elle croit pouvoir rattacher ses origines au fameux navigateur Sébastien Cabot.) C'est encore un charmant incident de sa vie de jeune homme que l'entrevue qu'il eut avec son vieux père pour lui faire part de ses intentions matrimoniales. Il la raconte lui-même dans une lettre à sa fiancée :

    Watertown, mardi soir, 30 octobre 1833.

    J'ai été chez mon père. Il ne tarda pas à revenir de l'église. Je l'emmenai au jardin, et l'informai de la fatale affaire, comme il vous plaît d'appeler cela.

    Une larme brilla dans ses yeux vénérables. — 'Vraiment? dit-il.'— Vraiment, repris-je, et je tâchai de décrire quelques-unes de vos bonnes qualités. — II faudra attendre un bon bout de temps, observa-t-il.—Oui, mais nous sommes jeunes, et nous espérons obtenir votre approbation.— 'Oui, oui! la femme de votre choix me conviendra toujours; mais, Théodore, ajouta-t-il, et ses paroles s'enfoncèrent avant dans mon cœur, il vous faut être un homme de bien et un bon mari, et c'est une grande entreprise.' Je lui fis toute sorte de promesses, et puisse le ciel être témoin de ma fidélité à les tenir !" 

    Il y eut bien alors quelques moments de relâche dans les travaux de chaque jour. Il se trouva que les bords du Beaver Creek, les vieux chênes qui l'ombragent, les collines environnantes formaient le plus beau paysage des cinq parties du monde. Les fleurs cueillies dans les excursions champêtres ne furent pas rapportées au logis uniquement pour l'amour de la botanique. Mais la petite lampe de l'infatigable travailleur n'en demeura allumée que plus avant dans la nuit. Enfin Parker se vit en possession d'un petit capital tout juste suffisant pour passer le temps requis à l'université.

     

     

    Table des Matières.

    Chapitre 1 : L'ENFANCE ET LA PRIME JEUNESSE.
     
    Chapitre 2 : L'EDUCATION RELIGIEUSE.
     
    Chapitre 3 : LA CRISE RELIGIEUSE.
     
    Chapitre 4 : LE VOYAGE EN EUROPE
      
    Chapitre 5 : LE PASTEUR DE LA 28e CONGREGATION DE BOSTON.
    Chapitre 6 : REFORMATEUR AMERICAIN.
    Chapitre 7 : LA QUESTION DE L'ESCLAVAGE.
    Chapitre 8 : LES KIDNAPPERS.
    Chapitre 9 : LES DERNIERS JOURS D'UN JUSTE.
    Chapitre 10 : CET HOMME FUT UN PROPHETE.


    Fragments : CE QUI PASSE ET CE QUI DEMEURE DANS LE CHRISTIANISME.
    Fragments : LA JOIR RELIGIEUSE
    Fragments : LA VRAIE IDÉE D'UNE ÉGLISE CHRÉTIENNE
    Fragments : LES VIEILLARDS
    Fragments : LE DEVOIR D’OBÉIR A LA LOI DES ESCLAVES FUGITIFS.
    Fragments : LES PÉCHÉS CAPITAUX DU PEUPLE.
    Fragments :  LE TEXTE DU JOUR
    Fragments :  LA VÉRITÉ EN LUTTE AVEC LE MONDE.


    DidierLe Roux

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; L'Unitarisme après Channing. Conclusion
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; L'Unitarisme après Channing. ConclusionWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     
    § 10. L'Unitarisme après Channing. Conclusion.

    Une crise était imminente au sein de l'Unitarisme, depuis la Révolution qui s'était opérée dans la Théologie moderne ; elle éclata aussitôt après la mort de Channing. Tant qu'il avait vécu, il lui avait été possible de la prévenir par sa modération et ses lumières et d'élever une voix conciliante et écoutée au milieu du soulèvement des passions religieuses. Comme Vinet, comme Arnold, comme Schleiermacher, il mourut juste à temps pour n'être pas obligé de se prononcer forcément dans le schisme qui sépara d'une manière irrévocable ses disciples.

    C'était en 1843, à l'époque où l'Amérique commençait à ressentir le contrecoup du mouvement littéraire et philosophique qui dans la première moitié du dix-neuvième siècle avait agité l'Ancien Monde. Les vieilles croyances furent discutées de la manière la plus franche et la plus hardie, tous les systèmes, les plus nobles et les plus profonds comme les plus bizarres et les plus absurdes, reçurent un accueil favorable et trouvèrent de chaleureux défenseurs. Pour répandre leurs idées, les novateurs fondèrent une Revue « The Dial » dans laquelle ils exposèrent les résultats de la critique contemporaine et développèrent à la fois les idées les plus sages et les plus élevées et les fantaisies les plus étranges. Une révolution aussi soudaine et aussi radicale ne pouvait manquer de troubler et d'irriter plusieurs personnes : une réaction était imminente, et les Orthodoxes essayèrent de combattre violemment la marche des esprits qu'ils ne pouvaient comprendre. Malheureusement, plusieurs ministres Unitaires se joignirent dans cette œuvre de compression à leurs anciens persécuteurs, et abandonnèrent les principes qui avaient fait leur force et leur gloire. Effrayés des découvertes de la Théologie allemande et des doutes qui se manifestaient dans le jeune clergé, froissés de voir nier l'inspiration absolue de la Bible, la composition surnaturelle des Livres Saints, la valeur Messianique des prophéties, la réalité de certains miracles de l'Ancien Testament, ils jetèrent le cri d'alarme, et au lieu de se demander : «Ces jeunes gens ont-ils tort ou raison ? » ils se dirent : «Où allons-nous et qu'épargnera-t-on si l'on procède de la sorte? » Les professeurs de l'Université d'Harvard, qui auraient dû réagir contre cette explosion de Podium theologicum et servir la cause de la tolérance et de la science indépendante, changèrent le système de leur enseignement et voulurent limiter les droits du libre examen. Un écrivain distingué, M. Norton, proclama que la masse des hommes doit accepter les opinions religieuses des théologiens comme elle accepte les affirmations scientifiques des astronomes, que les miracles de Jésus-Christ sont la seule preuve de la divinité de sa doctrine, et que la critique et la philosophie conduisent fatalement l'humanité à sa perte. La peur fit adopter, à des Chrétiens qui se disaient libéraux, les plus repoussantes maximes du Catholicisme !

    Au reste, les Orthodoxes et les Vieux Unitaires ne furent pas les seuls dans cette croisade contre les partisans de la Théologie moderne. Ils rencontrèrent de puissants auxiliaires dans la magistrature, le haut commerce, la presse périodique, dans tous ceux qui flattaient les passions populaires ou qui étaient dominés par le respect humain, l'ambition, la soif de réussir. Un Attorney général accusa de blasphème un ministre de la campagne, parce qu'il avait prouvé publiquement que Jésus de Nazareth n'avait accompli aucune des prophéties Messianiques. Un journaliste fut emprisonné pour avoir écrit contre la notion vulgaire de Dieu. Le gouverneur du Massachusetts proposa même à cet État de restreindre la liberté de la parole. Plus tard, ce furent les mêmes hommes qui accusèrent Emerson d'incrédulité et d'athéisme, et qui ne répondirent à ses hardies investigations et à ses brillantes recherches, que par les lieux communs d'une dogmatique surannée ou de puériles spéculations Apocalyptiques. Ce furent eux qui traitèrent Théodore Parker comme un lépreux de l'Église et de la société, et qui le poursuivirent pendant toute sa vie de leurs basses insultes et de leurs viles intrigues. Ce furent eux qui, pour la plupart, s'opposèrent aux travaux des Abolitionnistes et qui formèrent une ligue honteuse avec les partisans de l'esclavage, les uns déclarant que la Bible était infaillible, les autres que puisqu'elle prononce sur Cham et ses descendants une irrévocable malédiction et qu'elle ordonne aux serviteurs d'obéir à leurs maîtres, il est juste, naturel et légitime que les Noirs soient soumis aux Blancs. Aujourd'hui, les Anciens Unitaires sont complètement rentrés dans le giron de l'Orthodoxie, et ils ne diffèrent d'elle que sur des points insignifiants. Ils n'ont adopté aucun des résultats les mieux établis de la critique, sont revenus par des voies détournées et des explications arbitraires à quelques-uns des dogmes traditionnels repoussés par leurs prédécesseurs et n'ont pas craint de rétablir les Confessions de foi dans l'Église illustrée par Channing.

    Les Néo-Unitaires sont surtout répandus à Boston et dans le Massachusetts, et sont moins remarquables par leur quantité numérique que par la valeur des hommes qui se sont enrôlés sous leur drapeau. Ils ont eu en particulier la gloire de compter dans leurs rangs le penseur le plus original et le prédicateur le plus éloquent des États-Unis, Ralph Waldo Emerson et Théodore Parker. Le premier, que M. Emile Montégut a fait connaître au Public Parisien par un élégant article de la Hnvw. det Deux-Monde*, a doté sa patrie d'une philosophie indépendante et l'a initiée aux travaux et aux découvertes de la Théologie Allemande. Il fut élevé à l'école de Channing et devint l'un des plus célèbres ministres de l'Église Unitaire. Plus tard, il se démit de ses fonctions, mais il est resté toujours sympathique au Christianisme, et il a été l'un des plus dévoués et des plus chaleureux admirateurs de Théodore Parker. C'est un esprit pénétrant et inquisiteur, un écrivain fantasque et profond, un croyant qui a foi dans la vérité et dans le progrès matériel et moral, mais qui n'est enchaîné par aucun préjugé et par aucun système et qui repousse les conventions, les règles surannées, tout bagage inutile, tout fardeau du passé. Quant à Théodore Parker, dont le nom est familier à tous les Protestants de langue française depuis les beaux travaux de MM. Barckhausen et Albert Réville, il a été sans contredit le plus éminent pasteur des Néo-Unitaires, et il a joué dans son pays le rôle d'un Réformateur, en sorte que des publicistes Anglaise! Américains n'ont pas craint de le comparer à Luther. Disciple, lui aussi, de Channing, il suivit pendant son séjour à Harvard, les discours de l'illustre prédicateur de Federal Street qui était dans toute la force de son talent, et il fut détaché par lui des doctrines Orthodoxes ; mais il alla beaucoup plus loin que son maître et il s'éleva au-dessus des compromis timides et transitoires des premiers Unitaires. Il aborda le grand problème religieux qui agite les âmes à notre époque avec la droiture, la liberté, la science qui sont nécessaires à la solution d'aussi graves questions. Tout en acceptant franchement les résultats de la critique et de la spéculation modernes, il se pénétra toujours plus de l'éternelle vérité du Christianisme, et il confirma les enseignements de Jésus par le témoignage de la théologie la plus avancée. Son caractère fut à la hauteur de son intelligence, et il inspira à tous ceux qui le connurent, une profonde affection et une sincère estime par son équité, sa tolérance, sa mansuétude à l'égard de ses plus fougueux adversaires, son inépuisable charité, son infatigable dévouement pour les malheureux et les déshérités de ce monde. Il ne cessa, pendant tout son ministère, de protester contre les péchés de son peuple, et il se montra le courageux et persévérant Apôtre de l'instruction, de la tempérance, de l'affranchissement des Noirs. Parker est mort trop tôt pour avoir pu présenter ses doctrines sous une forme définitive, et l'on ne peut juger de son système d'après d'imparfaites exquises, mais on n'en doit pas moins admirer son œuvre et voir en lui l'un des plus éloquents et des plus héroïques défenseurs du progrès et de la liberté de conscience.

    Depuis la mort de leur brillant orateur, les Néo-Unitaires n'ont cessé de se développer et de compter dans leurs rangs les hommes les plus éminents de l'Union. L'un des plus récents voyageurs qui on visité l'Amérique, M. Ernest Duvergier de Hauranne, qui a dépeint avec tant d'esprit et de verve, les mœurs et la société des Yankees et qui par sa position se trouvait au-dessus de toutes les controverses sectaires, a consacré quelques pages aux Églises Américaines, et n'a point caché sa sympathie pour les libres croyants. Il parle avec émotion de la piété et des vertus de Charles Sumner, d'Horace Mann, de Wendell Philipps et d'autres disciples de Parker, admire leur largeur et leur indépendance, et remarque que pendant qu'en France on aurait voulu brûler la Vie de Jésus, de M. Ernest Renan, et que les évêques n'avaient répondu à l'auteur que par les plus grossiers pamphlets et les plus plates injures, l'on avait rendu hommage parmi les Unitaires à l'érudition et aux talents de l'illustre hérésiarque, et que l'on avait discuté ses opinions avec autant de calme que d'impartialité. « C'est peut-être aux yeux des fermes croyants, ajoute M. Duvergier de Hauranne avec une charmante ironie, la plus dangereuse forme de l'erreur, un piége caché, insidise diaboli, mais aux yeux du moraliste, c'est la plus innocente des philosophies, la plus bienfaisante même, si elle satisfait les doutes de quelques raisons inquiètes sans détruire en elles le sentiment religieux, si elle leur sert d'étape sur la pente de l'incrédulité sans les jeter dans la négation violente et hostile. Ils ne sont plus Chrétiens : c'est possible ; mais ils se disent Chrétiens, ils croient l'être et c'est encore l'être à demi. »

    Quelle ligne de conduite Channing aurait-il suivie dans ces controverses? se serait-il rangé parmi les novateurs et aurait-il accepté dans ce qu'ils ont d'incontestable, les résultats de la critique? aurait-il, par frayeur de l'inconnu, rétrogradé jusqu'aux confessions de foi, et se serait-il associé aux mesures d'intimidation et de contrainte adoptées par les partisans de la tradition? Pour nous, nous croyons qu'il était trop foncièrement libéral pour s'enrôler jamais parmi les partisans de la compression. Malgré le déplaisir que pouvaient lui causer des vues aussi foncièrement divergentes des siennes, il n'aurait jamais eu recours qu'à une libre et courtoise discussion avec ses adversaires, et il aurait fini par comprendre la légitimité de la théologie moderne. En tout cas, il aurait blâmé ceux de ses disciples qui s'opposèrent à l'esprit du siècle et qui remirent en honneur Ies dogmes de l'antique orthodoxie, et il n'aurait jamais consenti à assurer le triomphe de la vérité par l'imposition d'un symbole ou d'une formule quelconque.

    Sa position à l'égard des Néo-Unitaires est plus difficile à déterminer, et M. Emile de Bonnechose a pu soutenir avec quelque apparence de raison dans la Revue Chrétienne qu'il n'y avait aucun trait de ressemblance entre Channing et Parker.

    Le jeune pasteur de West-Roxbury se rendait souvent à Boston et il profita des derniers entretiens de l'illustre vieillard dont il fréquentait assidûment les soirées hebdomadaires, mais il rencontra peu d'adhérents dans ce petit cénacle et il y excita par ses premières témérités une vive indignation. Channing lui-même, tout en recommandant la tolérance et le support, voyait avec anxiété l'approche imminente d'une scission au sein de l'Unitarisme et il était trop âgé et trop affaibli par la maladie pour plier son esprit à de nouvelles idées.

    Si on les compare entre eux, sous le rapport théologique, le contraste est frappant et l'on comprend que l'on ait essayé d'accorder à l'un le titre de Chrétien, tout en excluant l'autre de l'Église. Channing fit toujours preuve, au milieu des plus âpres débats, d'une exquise modération, et il ne demanda qu'à se tailler, au milieu des murs ébréchés de la foi traditionnelle, un modeste réduit où il pût contempler paisiblement la miséricorde infinie de Dieu et la merveilleuse diversité du cœur humain. Parker, dans sa soif passionnée de la vérité, rompit brusquement avec les partisans du passé, entonna en intrépide pionnier le « go ahead » du Yankee et, selon la belle expression de M. Albert Réville, il marcha droit devant lui sans se préoccuper de la poussière qu'il soulevait en traversant tant de ruines, les yeux toujours fixés vers la lumière éternelle.

    Channing était un homme agréable et cultivé et possédait des connaissances générales, variées et étendues, mais il était étranger aux études critiques, peu versé dans les recherches exégétiques, mal informé des récents travaux de la Science Allemande, désireux, avant tout, d'adoucir, de pacifier, d'améliorer les âmes. Parker manquait, lui aussi, du génie spéculatif, et il se rendit coupable de bien des démonstrations heurtées et de bien des inconséquences; mais il avait une science théologique très vaste et du meilleur aloi, et il n'ignorait aucun des problèmes résolus ou débattus en Europe de l'autre côté du Rhin.

    Sous le rapport des croyances, la différence est encore plus complète. Channing, tout en regardant la religion comme un des besoins innés de notre être, admet le caractère surnaturel du Christianisme et insiste sur la nécessité d'une révélation extérieure. Parker enseigne qu'il y a dans l'âme un sentiment religieux qui est un élément essentiel et primordial de notre nature, et que la religion est un simple produit des facultés humaines, comme la science, l'art, la morale.

    Channing croit fermement au surnaturel et considère le miracle comme l'une des preuves les plus importantes du Christianisme, bien qu'il reconnaisse qu'il n'a plus aujourd'hui la même valeur qu'au siècle Apostolique. Parker rejette résolument toute intervention surnaturelle de la divinité et déclare qu'il lui est aussi impossible de croire à un miracle qu'à un triangle rond.

    Channing, bien qu'il ne se soit jamais expliqué clairement sur la nature et la valeur des prophéties, en parla toujours comme aurait pu le faire un docteur orthodoxe, et ne songea jamais à ébranler cette colonne de l'ancienne Apologétique. Parker ne conteste nullement le caractère sacré des prophètes et l'auguste mission dont ils furent revêtus, mais il les considère moins comme des devins et des diseurs d'oracles surnaturels que comme les représentants de la grande idée Monothéiste et les tribuns de Jéhovah qui protestaient contre les péchés du peuple et les abus du sacerdoce et de la royauté.

    Channing, pour la Christologie, en était resté au point de vue d'Anus et, tout en parlant en ternies éloquents de la sainteté et des vertus du Christ, il lui attribue une divinité métaphysique relative. Parker voit en Jésus un homme, le type le plus élevé de notre race, l'idéal auquel nous devons tous nous efforcer d'atteindre, mais il regarde sa supériorité comme purement morale, et il émet même quelques doutes sur son anamartésie et son omniscience.

    On le voit: le contraste est complet aux yeux d'un observateur superficiel, par des arguments spécieux, nier le lien qui unit entre eux les deux chefs les plus éminents de l'Unitarisme Américain. Mais, si les divergences sont saillantes, les ressemblances ne sont pas moins essentielles et le même esprit anime ces deux hommes partis en apparence de points si opposés.

    Et tout d'abord, dans le domaine purement théologique, tous deux conçurent Dieu comme un Père et insistèrent sur son infinie bonté et son inépuisable miséricorde. Tous deux firent preuve à l'égard de l'homme du même optimisme et virent en lui un être créé pour la perfection. Tous deux se formèrent de la vie future les notions les plus spiritualistes et combattirent les superstitions populaires sur le diable et le dogme barbare des peines éternelles.

    Tous deux virent dans la religion le principe et la tin suprême de la société et expliquèrent, par le développement ou le déclin des croyances religieuses, les progrès et les chutes des peuples. Pas de civilisation sans Christianisme, dit Channing dans son admirable discours sur la Liberté spirituelle; pas de bonheur pour une nation sans religion, s'écrie à son tour Parker, et il consacra sa vie tout entière à la propagation de cette généreuse doctrine. Tous deux cherchèrent à répandre des idées plus vraies et plus éclairées sur la piété, et la déclarèrent inséparable de la moralité. Ils condamnèrent également et ce mysticisme malsain qui est le produit d'une surexcitation de l'esprit et des sens et qui se complaît dans une dévotion verbeuse et romantique, et ce glacial traditionalisme qui matérialise la religion et la fait consister dans des habitudes de culte, dans des réunions, des lectures, des prières méthodiques qui ne valent point un libre élan de l'âme vers Dieu. La morale se résume pour eux dans le travail et la charité compris dans le sens le plus élevé de ces mots, et le Christianisme n'exige qu'une obéissance absolue à la Loi divine, un amour illimité de Dieu et des hommes, qui permet et commande l'action harmonieuse de toutes nos facultés et leur complet développement. L'Église ne doit pas reposer sur les dogmes ou les rites particuliers d'une secte, mais sur les principes universels et permanents du Christianisme et elle doit être assez large pour embrasser dans son sein tous les vrais disciples de Jésus dans le passé et dans l'avenir.

    Tous deux jouirent sur leurs contemporains d'une légitime influence et l'exercèrent toujours en faveur de la tolérance et de la diffusion des lumières. Channing fut l'ami et le conseiller des hommes les plus éminents de l'Union et prépara par ses discours et par ses écrits le triomphe de la cause libérale. Parker fut le directeur spirituel et le compagnon d'armes de Chase, de Seward, de Wendell Philipps, de Charles Sumner, d'Horace Mann, les encouragea, les consola, les approuva, les blâma quelquefois avec franchise, et fut toujours prêt à payer de sa propre personne et à rehausser ses belles prédications par son héroïque exemple. Qui mesurera la quantité d'esprit libéral répandue par les deux éloquents Apôtres dans leurs entretiens et leurs conférences ? Qui comptera les grains qu'ils ont semés dans une bonne terre et qui se sont épanouis au jour de la grande moisson ?

    Tous deux s'intéressèrent vivement à la solution des problèmes sociaux et, en leur qualité de pasteurs, ils se donnèrent la noble et périlleuse mission de combattre le mal sous toutes ses formes et de renverser tous les obstacles qui retardaient la victoire de la vérité et du progrès. Semblables aux prophètes de la Judée, ils déployèrent dans leur ministère le dévouement d'un tribun et la rigidité d'un censeur. Dans leurs poitrines brûlait ce feu sacré, cet ardent amour du bien, cette sainte haine du vice qui fortifie et réconforte les Réformateurs à l'heure des plus rudes combats et des plus douloureuses épreuves. Ils luttèrent contre l'ivrognerie qui fait de si cruels ravages parmi les peuples du Nord, la flétrirent par la peinture de ses hideux effets et, pour ajouter au poids de leurs paroles, ils entrèrent dans ces ligues contre les spiritueux, connues sous le nom de Sociétés de Tempérance. Ils cherchèrent à opposer une digue au flot toujours montant du Paupérisme, et montrèrent un zèle touchant pour le relèvement des pécheresses et des criminels. Ils travaillèrent au développement et à la propagation de l'instruction et demandèrent la réforme des écoles où l'on élève les classes supérieures des États-Unis. Ils déplorèrent le scepticisme contemporain et les conquêtes toujours plus nombreuses de l'incrédulité, mais au lieu d'en chercher la cause dans les intérêts et les passions des laïques et de déclamer contre le fol orgueil et la radicale corruption du siècle, ils en trouvèrent la source dans l'ignorance et les préjugés du clergé et lui reprochèrent de ne pas satisfaire les plus légitimes aspirations de la raison et de la conscience modernes.

    Tous deux intervinrent dans les questions politiques, et protestèrent avec une éloquence vengeresse contre la vénalité de la presse, l'ambition démesurée des Sénateurs et des Députés, l'avidité des Capitalistes qui servent le Dieu Dollar et l'adorent lui seul. Tous deux combattirent avec une invincible persévérance l'Esclavage, et furent des Abolitionnistes courageux et convaincus. Channing montra dans la lutte plus de calme et d'onction, mais il ne dévia jamais de la ligne de conduite qu'il s'était tracée, et il consacra à la défense des Nègres quelques-uns de ses meilleurs et de ses plus solides écrits. Parker attaqua le Sud avec un admirable désintéressement et une sainte véhémence, ne cessa du haut de la chaire de s'élever contre le grand péché de l'Amérique, et protégea les esclaves fugitifs au péril de sa vie.

    Tous deux, enfin, eurent cruellement à souffrir des intrigues sectaires et des aberrations de l'exclusivisme orthodoxe, et virent leurs intentions les plus pures, leurs paroles les plus nobles, leurs actes les plus généreux, leurs déclarations les plus sincères odieusement travestis par cette hypocrisie dévote qui ne pardonne pas à ceux qui la démasquent.

    Le dirai-je en terminant? Si étrange que cela puisse paraître au premier abord, Channing est le père spirituel de Théodore Parker, et il a activement concouru à la révolution qui s'est opérée dans le sein du Protestantisme. Du moment que la vérité religieuse se justifie par son accord avec les besoins les plus intimes de notre âme, on en conclut que cela seul dans la religion est vrai qui est religieux, que cela seul est religieux qui répond à de pieux désirs ou qui produit de saintes émotions. Dès lors le miracle ne conserve plus la même valeur. Si légitime que soit pour plusieurs théologiens l'importance du surnaturel, il n'est plus comme dans l'ancienne Apologétique la pierre de l'Angle sur laquelle repose tout l'édifice. Le Christianisme n'est pas divin, parce qu'il nous a été révélé d'une manière extraordinaire, et qu'il descend comme la colombe prophétique des cieux entr'ouverts. Il est divin, parce qu'il est bienfaisant et qu'il répond à nos aspirations les plus élevées ; il est divin, parce qu'il a donné à ceux qui erraient la vérité, aux pécheurs la sainteté. La méthode de Channing aboutit directement au Rationalisme contemporain. Sans doute, il n'a point prévu un semblable résultat, et il aurait été effrayé de toutes les conséquences qui ont été tirées de son système, mais personne n'a travaillé dans un sens plus contraire à ses intentions ; personne, par les coups qu'il a portés à la théorie orthodoxe, n'a contribué d'une manière plus efficace à l'avènement de la critique moderne.

    Comme Arnold, comme Schleiermacher, comme Vinet, le pasteur de Boston assista à l'aurore d'une ère nouvelle, et il doit être regardé comme l'un des plus éminents précurseurs de la Théologie Moderne. Par quelques-uns des arguments de son Apologétique, par son attachement à quelques-uns des articles de la dogmatique traditionnelle, il appartient au passé, et on ne saurait recourir à son autorité dans les débats actuels. Par son subjectivisme, par son respect pour la raison et la conscience humaines, par la largeur de ses vues, par son amour de la vérité, par sa foi dans le progrès il appartient à l'avenir, et l'œuvre à laquelle il a travaillé sera éternelle. Ses vrais disciples ne sont pas ceux qui adoptent servilement toutes ses maximes et qui n'opposent aux doutes des chercheurs et aux découvertes de la science que d'impuissantes formules et une théologie surannée. Ce sont ceux qui s'inspirent de son esprit, et qui suivent la voie qu'il a si glorieusement ouverte. Peut-être les accusera-t-on d'incrédulité, peut-être évoquera-t-on contre eux le spectre du scepticisme, mais ils ne sauraient être effrayés par de semblables reproches. Le véritable sceptique n'est pas celui qui se voue tout entier à la conquête de la vérité, et qui se montre d'autant plus exigeant en fait de preuves qu'il la vénère davantage. Comme le dit excellemment M. Edmond Scherer: «Le véritable sceptique est l'homme de parti pris, celui dont en chaque question le siége est fait, celui qui a pris une position une fois pour toutes, et qui ne songe plus qu'à la défendre, l'homme qui regarde à l'utilité sociale, morale ou religieuse des idées plutôt qu'à leur conformité avec les faits. Soyons-en sûrs: ce qu'il y a de moins sérieux encore dans notre société frivole, ce qu'il y a de moins sain et de moins sincère, c'est précisément ce dogmatisme qui s'attribue si volontiers le monopole de la sincérité et du sérieux. »

     

     

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      DidierLe Roux


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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Critique du système théologique de Channing 

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Critique du système théologique de ChanningWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     
    § 9. Critique du Système théologique de Channing.

    L'Unitarisme, à l'époque où vivait Channing, avait affranchi ses adhérents de bien des erreurs et de bien des superstitions, et il possédait une incontestable supériorité sur l'antique Orthodoxie puritaine. Il aspirait à donner à l'homme une religion élevée et moralisante, en harmonie avec les institutions et les besoins nouveaux de la société moderne, favorisait les réformes politiques et sociales, et répandait une bienfaisante atmosphère de franc libéralisme et de tolérance éclairée. Tout en prenant pour base de ses doctrines comme les autres communions protestantes l’Écriture Sainte, il s'efforçait d'interpréter la Bible, de manière à éliminer du Symbole les vieux dogmes illogiques et contradictoires, et il avait peu à peu abandonné ou rejeté dans l'ombre la Trinité, le péché originel, la corruption radicale de l'homme, l'expiation vicaire, les peines éternelles et les autres articles fondamentaux du Calvinisme. Channing, par la largeur de ses vues et la chaleur communicative de son talent, contribua pour une forte part à ce mouvement progressif du Protestantisme, et il s'efforça toujours de concilier le Christianisme avec les exigences de sa raison et de sa conscience. Cependant, malgré l'étendue de ses connaissances et son sincère amour de la vérité, nous ne pouvons nous dissimuler que son système présente de graves lacunes, et que sous le rapport théologique il est plus riche en bonnes intentions qu'en heureux résultats.

    Comme la plupart des écrivains anglo-saxons, Channing affecte un suprême dédain pour les spéculations métaphysiques, et dans sa crainte des rêveries abstruses et des théories aventureuses, il n'ose point rompre avec la routine et les préjugés du vulgaire. Il en resta toute sa vie à l'enseignement incomplet et superficiel de l'Université, et il ne connut, en fait de philosophie, que l'École Écossaise, École agréable et modérée qui combattit avec succès le Matérialisme, et qui fit, dans le domaine de la psychologie, d'ingénieuses découvertes, mais qui est dépourvue d'originalité et de profondeur et qui, dans le champ de la métaphysique, n'a abordé la solution d'aucun problème important.

    De là, dans l'ensemble des conceptions de Channing, une réelle sécheresse, un rationalisme borné et mesquin, un bon sens grossier et prosaïque qui fait parfois regretter les dogmes erronés mais imposants de l'orthodoxie traditionnelle. Quand l'on compare ces sages et honnêtes doctrines aux hardies hypothèses et aux majestueuses constructions des âges antiques ou de l'époque moderne, quand l'on songe à la splendide théologie des Augustin, des Origène, des St. Thomas d'Aquin, des Calvin, des Schleiermacher, l'on ne peut se défendre d'un sentiment de surprise et de tristesse, et l'on est désappointé de se trouver en face d'un respectable gentleman, aimable, vertueux, dévoué, mais sans enthousiasme, sans grandeur, sans poésie.

    Cette absence de haute culture philosophique se trahit dans toutes les œuvres de Channing, et est l'un des côtés faibles de son système, mais elle ne se montre nulle part plus visiblement que dans son Anthropologie et sa Christologie.

    Comme Rousseau, le pasteur de Boston admet que primitivement l'homme fut une créature excellente : actuellement, il le croit trop rapproché du sublime modèle que son noble cœur avait rêvé. Pour lui, le péché n'est plus un mal réel et profond dont nous ne saurions trop nous exagérer l'importance ; c'est un arrêt dans notre développement qui sera surmonté au temps voulu, et il n'est besoin pour la pleine expansion de nos facultés que de plus de courage dans la lutte et de plus de confiance en nos propres forces. Sans nul doute Channing a raison de prétendre qu'il reste encore en nous comme dans tous les autres êtres un reflet des perfections de l’Éternel, et de combattre le dogme de la perversité native et absolue du genre humain ; il a tort de se laisser entraîner par son optimisme et d'oublier qu'en chacun de nous l'ange commence par l'animal. Le péché est plus qu'un retard dans notre marche ascensionnelle vers le bien, c'est un recul volontaire; ce n'est point simplement le résultat de notre faiblesse, c'est le produit de notre libre détermination. N'y a-t-il pas dans notre vie des moments où nous choisissons de notre plein gré le mal, et où nous violons la loi morale malgré les plus clairs avertissements de notre conscience, n'y a-t-il pas des heures où nous nous plongeons de gaieté de cœur dans le désordre, et où nous nous détournons de Dieu pour satisfaire nos plus honteuses passions? Rejetons la théologie traditionnelle et craignons par une idée exagérée de sa misère d'ôter à l'homme tout ressort pour l'action et toute aspiration vers l'idéal ; mais n'affaiblissons point, avec le sentiment du péché, le sentiment de notre responsabilité, et n'oublions point que par nous-mêmes et livrés à nos seules ressources nous sommes incapables de sainteté et de dévouement.

    C'est de ce manque de saine psychologie et de haute métaphysique que découlent également les erreurs christologiques de Channing. Le pasteur unitaire adopte, en leur ôtant quelque peu de leur sécheresse, les conceptions d'Arius et il ne s'élève point au-dessus de cette théologie sagace, mais vulgaire et sans portée spéculative. Son Christ flotte entre ciel et terre, et n'a ni la grandeur du Dieu de la dogmatique ecclésiastique, ni la vérité et la beauté du Jésus de la critique moderne. Bien que Channing insiste sur la réalité de l'humanité du Sauveur, et qu'il dépeigne en termes éloquents ses souffrances et ses vertus, il est encore à ses yeux un être surnaturel qui est supérieur aux auges, mais qui ne possède qu'une divinité relative. Or, en Christologie, il n'y a pas de milieu. Ou bien, comme l'ont compris Athanase et les champions d'une rigide orthodoxie, il faut faire résider la divinité de Jésus dans son essence, et voir en lui le Verbe Eternel qui a de tout temps coexisté dans le sein du Père, et qui est descendu du Ciel pour porter le fardeau de nos fautes et pour obtenir par son abaissement et ses tourments volontaires notre justification et notre pardon. Ou bien il est le Fils de Dieu dans le sens religieux et moral, parce qu'il fut dans une parfaite et constante union avec son Père, et nous devons-le considérer comme un ami et un frère, comme un être de notre race, quoique unique et incomparable, comme celui qui par sa vie et par sa mort demeure à jamais notre idéal, et dont la parole sera toujours la nourriture des âmes affamées et altérées de justice. Channing eut le mérite de s'opposer à l'ancienne formule Trinitaire, et de repousser une doctrine aussi choquante pour le bon sens que pour une conscience éclairée; il eut le tort de ne pas se représenter d'une manière assez intime la complète union en Jésus du divin et de l'humain, et de ne pas le regarder comme un homme semblable à nous pour toute chose, sauf pour le péché.

    En même temps qu'il manque de philosophie, Channing manque aussi de critique. Il était instruit et cultivé, mais il n'était ni spécialement versé dans les études théologiques ni exactement informé des récentes découvertes de la science. Ses connaissances étaient variées et étendues, mais elles étaient de seconde main et étaient dépourvues de profondeur et d'originalité. En particulier il ne possédait à aucun degré cette pénétration exquise, ce sentiment délicat des nuances, cette sûreté dans les recherches, ce don merveilleux d'intuition historique qui ont été si richement départis à l'Allemagne, et qui aujourd'hui encore sont à peu près totalement étrangers aux penseurs Anglo-Saxons.

    Dans toutes les sectes Américaines, dans les plus progressives comme dans les plus rétrogrades, la Bible demeurait entourée d'une superstitieuse vénération, et elles avaient substitué au pape de Rome un pape de papier qui n'était ni moins despotique ni moins arbitraire. L'Unitarisme lui-même, qui était relativement si hardi en fait de dogmes, et qui niait sans scrupule la Trinité, la divinité métaphysique de Jésus-Christ, la corruption radicale de l'homme, l'expiation vicaire, les peines éternelles, n'avait pas su s'affranchir sur ce point des préjugés traditionnels et était demeuré, en fait de critique, d'une timidité excessive. Il restait très attaché aux notions concernant l'inspiration littérale, l'infaillibilité et l'authenticité des Livres Saints et se montrait tout aussi habile que ses adversaires, à plier au gré de ses secrets désirs, les textes qui ne pouvaient concorder avec ses doctrines favorites. L'Écriture était dictée miraculeusement depuis le premier verset de la Genèse jusqu'au dernier verset de l'Apocalypse, et ne devait rien contenir qui puisse choquer notre raison et notre conscience; aussi si le malheur eût voulu qu'il s'y trouvât le symbole d'Athanase, l'on aurait certainement prouvé qu'il ne parlait pas de la Trinité.

    Channing, par son spiritualisme et la largeur de ses vues, semblait appelé à réagir contre ce méticuleux formalisme, et à initier ses compatriotes au mouvement commencé avec tant d'éclat par Herder, Lessing, Semmler et les Rationalistes du dix-huitième siècle, mais il connaissait mal l'Allemagne, ne la comprenait qu'à demi, et n'avait ni la flexibilité ni la puissance intellectuelles qui doivent présider aux discussions critiques. Si mécontent qu'il fût de la théologie d'Oxford, il n'en connut pas d'autre et il continua à se servir avec une parfaite sécurité des procédés de l'ancienne Apologétique. Selon lui, les Apôtres furent subitement transformés par l'effusion du Saint-Esprit, et ils possédèrent des dons surnaturels qui depuis ont été refusés aux chrétiens les plus éminents, la primitive Église nous présente un idéal auquel notre époque doit s'efforcer de revenir, et le premier siècle fut un âge d'or auquel a soudainement succédé une complète altération de la vérité.

    Bien qu'il n'aborde jamais dans ses Traités les problèmes relatifs à la composition des Livres Saints, les quelques passages qui y font allusion, dénotent la plus parfaite ignorance à cet égard. Ainsi, il ne se doute pas qu'il y a des errata dans le Nouveau Testament, que plusieurs livres n'ont pas été composés par les auteurs dont ils portent les noms, que les Évangiles Synoptiques sont dans un désaccord à peu près constant avec le quatrième, que l'on ne peut assimiler la doctrine de Paul avec celle de Jacques, celle du bouillant prophète de l'Apocalypse avec celle du mystique auteur du quatrième Évangile.

    Quant aux arguments invoqués par Channing contre l'incrédulité, ils sont d'une étrange faiblesse, et ne diffèrent en rien de ceux employés par les Lardner et les Paley dans leurs controverses avec les Déistes anglais du dix-huitième siècle. Bien qu'il insiste avec raison sur les preuves internes du Christianisme et qu'il voie dans son accord avec les plus hautes aspirations de notre être, le signe le plus convaincant de sa divinité, il regarde encore la prophétie et le miracle comme deux des principaux soutiens de la foi, et il considère comme irréfutable le fameux dilemme d'après lequel les Apôtres n'ont pu être ni trompeurs ni trompés.

    Toutes les autres difficultés sont résolues par lui d'une manière aussi peu satisfaisante, et il n'a point su s'élever au-dessus de l'ingénieuse et puérile Apologétique de ses prédécesseurs.

    Toute cette partie de la théologie de Channing a singulièrement vieilli et elle ne peut répondre ni aux besoins actuels de l'Église ni aux objections des libres-penseurs. Maintenant que l'on a rassemblé avec plus de soin les documents authentiques du Christianisme, qu'on les a examinés avec plus d'impartialité, qu'on en a fixé le sens avec plus d'exactitude,les recherches historiques ont fait un immense progrès et une révolution s'est opérée dans la science. Non seulement l'on a négligé les écrits de seconde main pour remonter directement aux sources, l'on a adopté une méthode nouvelle qui interroge les témoignages avec sagacité, qui les compare patiemment entre eux, qui en détermine avec précision l'importance. Après s'être attaquée à l'histoire et à la mythologie profanes et après avoir dissipé à son contact les superstitions et les légendes traditionnelles comme les vapeurs de la vallée se dissipent au lever du soleil, la critique a abordé l'histoire sacrée et a établi que le Christianisme était une religion historique. Elle a enseigné que les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament n'étaient point tombés du Ciel, mais qu'ils avaient eu une origine humaine, des auteurs différents, des destinées toutes terrestres. Elle a déclaré que les dogmes n'étaient point immuables comme l'affirmaient les partisans de la théologie ecclésiastique, et elle a raconté leur naissance, leurs fluctuations, leurs changements, leur disparition, leur valeur toute relative. Elle a montré que nous ne devions point, par un inintelligent respect, nous abstenir de tout jugement sur ces faits, mais que nous devions les étudier avec la même liberté et la même rigueur que toute autre histoire et tout autre livre. Le résultat de tous ces travaux n'a point été seulement de rectifier certaines thèses, de renverser certaines opinions reçues. Toutes les questions ont été déplacées, le point de vue a complètement changé, le fond même de la théologie a été entièrement renouvelé.

    La Bible restera toujours le Livre fortifiant et consolateur, le Livre par excellence. Elle demeurera la lumière des esprits et le pain des âmes, mais on a dégagé son contenu des fausses théories qui l'obscurcissaient, et elle ne servira plus de nourriture à une piété formaliste On ne la constituera plus en code et en oracle; on ne revendiquera plus l'inspiration absolue pour chaque mot du Livre, pour les points voyelles du texte hébreu ; on ne s'imaginera plus entendre la voix de la divinité dans le Cantique des Cantiques, on lire les destinées du monde dans l'Apocalypse. Au lieu de chercher dans les Saints Livres des thèses pour toutes les sciences, on y trouvera ce qui est nécessaire au salut; au lieu de travailler à mettre ses enseignements d'accord avec les plus récentes découvertes de l'astronomie ou de la géologie, l'on admirera les grandes vérités religieuses et les sublimes leçons morales qui y sont renfermées ; au lieu de la parcourir sous une influence dogmatique et de l'interpréter d'une manière littérale et exclusive, l'on écoutera avec ravissement la parole toujours jeune et toujours nouvelle du Fils de l'Homme et l'on se confiera en la puissance de l'Esprit, L'Esprit de la Bible est l'Esprit même de Dieu, l'Esprit qui a été promis aux siens par le Maître et qui a fondé le Royaume. C'est lui qui a soutenu les Apôtres et les Prophètes; c'est lui qui a animé les Augustins, les Origène, les Thomas Kempis, les Jean Huss, les Luther, les Calviris, les Schleiermarcher, les Channing, les Vinet ; c'est lui qui, dans tous les temps et dans toutes les Églises, dirigera les grands serviteurs de l'Éternel.

    Quant au surnaturel, rien ne prouve mieux le changement qui s'est opéré dans la théologie contemporaine. Jusqu'au siècle dernier, tout le monde admettait les miracles et ils répondaient à toutes les objections. Aujourd'hui, grâce aux progrès des études historiques, à une connaissance plus exacte des Livres Saints et de leur composition, à des travaux approfondis sur les religions comparées, au prodigieux développement des sciences naturelles, à la transformation de la philosophie, à une psychologie plus saine et plus judicieuse, la question a complètement changé et le surnaturel est attaqué et défendu par de tout autres arguments que ceux des incrédules et des apologètes du dix-huitième siècle. On ne peut, de nos jours, combattre efficacement l'irréligion et le fanatisme qu'en reconnaissant franchement les droits de la critique et revenir aux anciennes controverses, s'escrimer contre le Déisme et le Rationalisme, serait s'engager dans une bataille moderne avec des armes du Moyen Age.

    Cependant, ne nous montrons pas injustes envers le pasteur de Boston. Esprit essentiellement pratique, peu versé dans les discussions de l'Ecole, préoccupé, avant tout, de l'amélioration des classes ouvrières et de la réforme de h société ; il connut peu les doutes, les aspirations, les inquiétudes du chercheur et ne prévit ni la nécessité ni la grandeur de la crise que nous traversons. Il fit plus et mieux que cela : il mit en pratique et fit aimer la religion de Jésus et ne se résigna jamais à l'opposition radicale proclamée entre la science et la foi, entre la pensée et la vie. Bien qu'il fût convaincu de l'excellence des preuves traditionnelles et qu'il conservât dans son système plusieurs fragments de l'antique Orthodoxie, il fit reposer son Apologétique sur de tout autres fondements et établit la divinité du Christianisme par son accord avec la conscience humaine. Bien qu'il fût effrayé des résultats de la critique et qu'il fût parfois choqué de l'indépendance et de la hardiesse de ses adeptes, il n'eut jamais recours contre eux à la persécution et à l'anathème, et il 's'efforça de communiquer à ses disciples le même esprit de paix et de concorde. Ne serait-il point à souhaiter qu'à notre époque de trouble et de divisions nous montrassions toujours la même tolérance et le même respect pour nos adversaires, que nous ne poursuivîmes que la vérité et que nous eûmes une aussi inébranlable confiance dans le progrès?

    Si Channing ne se distingua ni par sa pénétration ni par sa profondeur, il fut au plus haut degré remarquable par son bon sens. Conformément au génie de sa race, il fut un esprit droit et ferme plutôt qu'un esprit délicat et compréhensif, et il suppléa par la vigueur et la justesse naturelle de son intelligence à son manque de flexibilité et de spéculation philosophique. Dans sa lutte avec l'orthodoxie il ne se livra ni à un minutieux examen des textes ni à de subtiles discussions métaphysiques; il fit comparaître devant le tribunal de sa raison les formules traditionnelles et il rejeta résolument les dogmes absurdes et contradictoires que les Puritains regardaient comme l'essence du Christianisme. C'est ainsi que, malgré les déclarations expresses du Calvinisme, il se refusa à voir en l'homme un être entièrement corrompu et voué à une éternelle damnation, que tous les arguments des Scholastiques, Catholiques et Protestants ne purent lui faire admettre l'expiation vicaire et qu'en dépit des Pères et des Conciles il considéra les Symboles de Nicée et d'Athanase comme d'arides et bizarres produits d'une théologie orgueilleuse et d'une dialectique pédantesque. Son système, s'il n'est pas téméraire de donner ce nom à l'ensemble de ses vues, fut un système à la Franklin et brilla par sa clarté, son honnêteté, son caractère simple et pratique. C'était celui qui convenait à de robustes Anglo-Saxons peu familiarisés avec les problèmes critiques et les discussions ontologiques, mais éminents par la droiture de leur cœur et l'énergie de leur sens moral.

    Ce vigoureux bon sens, qui fut son principal auxiliaire dans la démolition de la théologie ecclésiastique, l'inspira d'une manière encore plus heureuse dans sa conception de la vie chrétienne et donna à sa piété sa physionomie modérée et virile. Elle lui fit repousser également, comme contraires à la conscience et à l'enseignement du Maître, et cette religion sèche et intellectualiste qui fait dépendre le salut de la pureté des croyances et qui ne répond aux aspirations infinies de l'âme humaine que par de stériles Credos et de perpétuels syllogismes, et cette religion sentimentale et vaporeuse qui se complaît en d'énervantes extases et qui ôte à l'homme toute activité et toute ardeur pour le bien. Nul n'a dépeint en termes plus vifs et plus piquants, et n'a combattu avec une plus sévère franchise que Channing et cette dévotion farouche et atrabilaire qui ne voit dans le monde que le Royaume de Satan, et dans les bénédictions de la vie que les pièges et les séductions du Malin, et ce glacial traditionalisme qui réduit la foi à un système dont il s'agit de bien posséder le mécanisme et de bien répéter le mot d'ordre, et cet illuminisme extravagant qui fait passer soudainement le fidèle du plus sombre désespoir à la confiance la plus orgueilleuse, et qui répugne autant à la raison qu'à une conscience éclairée. Nul n'a trouvé des paroles plus nobles et plus chaleureuses pour décrire cette mâle et fortifiante piété du cœur qui imprime le cachet de la religion à toutes nos actions et à toutes nos pensées, et qui a pour base l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Ce sera l'éternelle gloire du pasteur de Boston d'avoir conçu le Christianisme sous sa forme la plus pure et la plus spiritualiste, alors qu'il était de toute part obscurci par les superstitions et les préjugés, et d'avoir protesté avec une éloquence vengeresse contre l'ignorance, la corruption, les servitudes qui s'opposent à notre développement individuel et social.

    Cependant, si vraies et si excellentes que soient les théories de Channing, elles prêtent néanmoins le flanc à la critique et on peut leur reprocher à bon droit leur terre à terre et leur utilitarisme un peu grossier. Ce qu'il y a de tendre, de vague, d'insaisissable dans l'âme humaine est par trop négligé ; il n'y a plus de place pour la contemplation, l'enthousiasme, la poésie ; le mysticisme, qui est parfaitement légitime lorsqu'il est limité à la sphère du sentiment et qu'il ne prétend point dominer la raison et la conscience, est réduit à l'état d'un ange dont on aurait coupé les ailes.

    Je ne puis non plus approuver la sévérité excessive avec laquelle Channing et les Unitaires en général condamnèrent les Revivais si fréquents en Angleterre et en Amérique. Certes, je n'ai aucun goût pour ces conversions en masse, tantôt réfléchies et sincères, tantôt aussi fébriles et factices. Le plus souvent il s'associe à ces tentatives de régénération spirituelle un accroissement de fanatisme et de ferveur pour les dogmes orthodoxes et l'on s'imagine qu'il est du devoir de tout bon Chrétien, non seulement de se corriger de ses défauts, mais de se montrer plus intolérant que jamais à l'égard de ceux qui s'écartent du Credo traditionnel. Le plus souvent aussi, l'on prend des sensations nerveuses pour un redoublement de la foi et l'on dédaigne l'équité, la charité, la bienveillance pour le prochain à mesure que s'opère le prétendu changement. Quelquefois même, dans l'excès du zèle, l'on va jusqu'à supplier Dieu d'amener les hérétiques aux opinions favorites de la secte, ou, s'ils se montrent absolument réfractaires à l'action de la grâce, de les retrancher d'un monde où ils n'apportent que dangers et tentations pour leurs semblables et comme le firent les Puritains de Boston à l'égard de Théodore Parker, l'on organise des prières pour demander à l'Éternel la conversion ou la mort du pécheur.

    Malgré ces graves déficits, un historien sagace et impartial aurait tort de ne pas discerner les éléments sérieux qui se trouvent dans des mouvements aux apparences parfois bizarres et grotesques. Le tort de l'Orthodoxie a été de déclarer cette forme de conversion la seule saine et la seule vraie, mais on ne peut méconnaître sa réalité, surtout dans les classes où l'imagination et le sentiment l'emportent sur la raison. Tant que dans les masses de l'Angleterre et de l'Amérique ne régnera pas une notion plus éclairée de la religion et du salut des âmes, tant qu'une Orthodoxie formaliste maintiendra une opposition absolue entre la vie ordinaire et la vie dévote, entre le monde et Dieu, elles ne comprendront le Christianisme que sous la forme d'une transformation radicale de leurs habitudes et d'une brusque et complète rupture avec le passé. Pendant la plus grande partie de leur vie, elles s'abandonneront sans frein à leurs instincts les plus grossiers et n'écouteront que la voix de leurs intérêts et de leurs plaisirs, mais qu'il survienne une crise redoutable dans le commerce, un profond bouleversement dans le monde politique, une grande calamité sociale, et l'on assistera à un retour soudain et passionné aux antiques coutumes puritaines, à une existence austère et monacale, à l'implacable condamnation des joies les plus nobles et des délassements les plus légitimes. Ne proscrivons aucune forme de la piété et sachons comprendre la raison d'être de manifestions qui ont pu avoir d'heureux résultats, mais travaillons, avant tout, à l'instruction et au relèvement des classes inférieures et efforçons-nous d'épurer et de vivifier l'idéal religieux qui gît au cœur même de notre nature et qui a trouvé sa plus parfaite réalisation dans la personne de Jésus de Nazareth.

    Nous pourrions multiplier ces critiques de détail, mais à quoi bon? Ce n'est point un professeur de théologie systématique qu'il faut chercher en Channing ; c'est un Réformateur, un prophète de l'avenir. C'est bien moins, une doctrine qu'on doit lui demander que des consolations, du courage, de la foi, de l'espérance. Peu importe que son enseignement présenté de graves lacunes, et qu'il n'ait pas su complètement se dégager des opinions et des préjugés de son époque, puisqu'il a été pendant toute sa carrière le fervent Apôtre du spiritualisme et qu'il a combattu avec une infatigable énergie les dogmes et les institutions qui lui paraissaient contraires à la vérité et au progrès. Peu importe que son Apologétique ne puisse être conservée dans toutes ses parties, et qu'il s'appuie avec trop de confiance sur des arguments vieillis, puisqu'en dernier ressort il s'adresse à notre conscience, et qu'il justifie le Christianisme par son accord avec les besoins les plus élevés de notre âme.

    D'ailleurs, quand l'on songe à l'étroitesse et au fanatisme de la plupart de ses contemporains, aux erreurs auxquelles il dut s'opposer, aux superstitions qu'il eut à dissiper, on ne saurait trop admirer sa persévérance dans la lutte, son indépendance à l'égard de la discipline et de la routine ecclésiastiques, son inaltérable mansuétude vis-à-vis de ses plus fougueux adversaires. Dieu était représenté par le Calvinisme comme le Dieu des vengeances, qui ne veut le bonheur que de quelques êtres arbitrairement élus, et qui nous condamne pour la plus légère transgression à d'atroces et perpétuels tourments. Channing le conçut sous les traits du Père Céleste, dont l'infinie bonté s'étend à toutes les créatures, et qui les comble de ses plus précieuses bénédictions. L'homme était représenté comme un être entièrement corrompu qui était incapable de faire le bien, et qui violait par tous ses actes la loi divine. Channing, avec un optimisme quelque peu exagéré, reconnut qu'il avait été créé pour la perfection, et qu'il était tenu de réaliser sa destinée. Christ était un être étrange qui possédait deux natures entièrement différentes, et on se le figurait dans l'œuvre de la Rédemption, tantôt comme un procureur plaidant avec Dieu, tantôt comme une innocente victime qui expiait sur la croix les fautes qu'elle n'avait pas commises. Channing, tout en lui attribuant une divinité métaphysique inférieure et mal définie, insista sur son humanité et ses vertus, et l'appela notre Rédempteur parce qu'il nous ouvrait par sa vie et par sa mort la voie du salut, et qu'il intercédait pour nous comme un frère bien-aimé auprès de notre Créateur. L'Enfer et le Ciel étaient dépeints de la manière la plus charnelle, et l'on envoyait sans scrupule l'immense majorité des hommes dans les flammes de la Géhenne. Channing déclara que l'homme ne pouvait ni être sauvé sans une intime union avec Dieu, ni être maudit avec l'approbation de sa conscience, et il admit pour les pécheurs les plus endurcis la possibilité de la repentance et du pardon.

    Mais ce qui désigne par-dessus tout le pasteur de Boston à la sympathie et à la reconnaissance des hommes éclairés, c'est d'avoir compris et proclamé la liberté religieuse dans toute son étendue, de ne s'être asservi à aucun symbole, de n'avoir reçu le mot d'ordre d'aucun parti. Dès son entrée dans le ministère, il protesta contre l'intolérance, l'exclusivisme, l'oppression soit physique, soit morale, et, loin d'accabler ses adversaires de sarcasmes et d'anathèmes, il se proposa toujours d'examiner leurs objections avec une scrupuleuse exactitude, et de les discuter avec une sereine modération. Il reconnut dans l’Église les droits de la libre recherche, et voulut qu'elle fût large, parce qu'il savait que tout édifice qui repose sur l'intimidation et la contrainte périt tôt ou tard misérablement. Le salut, soit de l'homme, soit de la société, ne dépend ni des dogmes, ni des rites, ni des sacerdoces, ni des livres. Il dépend du Christ en nous, du cœur honnête et droit, de l'âme affectueuse et tendre, de la volonté persévérante et dévouée. L'Église, vraiment universelle, est celle qui est assez belle et assez hospitalière pour réunir dans son sein tous les grands serviteurs de Dieu, tous les vaillants soldats du présent et de l'avenir, toux ceux qui ont aimé Jésus n'importe dans quel temps, ni dans quelle secte. Cette Église viendra: déjà les antiques préjugés se dissipent, les barrières réputées autrefois infranchissables commencent à s'abaisser, la persécution des prophètes ne saurait retarder d'un moment le triomphe de la cause qu'ils ont soutenue, et Channing sera béni par tous les hommes de cœur comme l'un de ses plus éloquents prédicateurs et l'un de ses plus héroïques champions.

    « L'arbre se reconnaît à ses fruits, dit la maxime évangélique. » Les théories les meilleures et les plus élevées ne se vulgarisent, ne pénètrent dans la foule, ne la subjuguent que lorsqu'elles s'incarnent dans un homme éminent dont les actes sont la traduction des paroles. Channing ne fut pas seulement un écrivain distingué, un aimable et onctueux moraliste, un penseur consciencieux et éclairé, un orateur persuasif et sympathique. Il fut un Chrétien dans la plus vraie et la plus vaste acception de ce mot, et sa vie ne fut qu'un splendide commentaire de ses généreuses doctrines. La tendresse de son âme était égale à la force de son caractère, sa sensibilité était essentiellement virile, parce qu'elle n'était nullement personnelle, son activité était aussi sainte que féconde, son intelligence était large, ouverte au progrès, trop droite pour ne jamais sacrifier la vérité à aucun système. Comme l'a dit excellemment. Bunsen, Channing était un personnage de l'antiquité avec un cœur chrétien : homme comme un Grec, citoyen comme un Romain, fervent comme un Apôtre. Comment sans une foi ardente aurait-il pu supporter les déceptions, les ingratitudes, les douleurs de toute espèce auxquelles on doit se résigner, lorsqu'on voue son existence à l'enseignement, à la défense, à la propagation d'une grande idée? Comment, sans un profond amour pour Dieu et une incessante communion avec Jésus, aurait-il trouvé tant de paroles cordiales et édifiantes, fourni un aliment incomparable aux âmes languissantes et minées par le doute, rendu le courage, la paix, le bonheur, la vie, aux faibles, aux mélancoliques, aux affligés, aux blessés de ce monde ? Une semblable mission n'est possible que lorsque l'on aime ses frères et que l'on croit au pouvoir de la vérité. Aussi nous a-t-il paru bon de faire une étude attentive des principes et de l'œuvre de l'illustre Réformateur américain, et de nous retremper dans sa parole pleine de consolation et d'espérance. Au milieu de notre société contemporaine, où le succès et les jouissances matérielles tiennent la plus grande place dans nos préoccupations, alors que les édifices et les traditions séculaires s'écroulent de toutes parts et menacent d'ensevelir sous leurs décombres leurs partisans et leurs adversaires, l'on aime à entendre des voix jeunes et désintéressées qui nous enseignent à nous confier au progrès et à poursuivre l'idéal, malgré les obstacles et les anathèmes ; l'on se sent plus fort dans le commerce de ces héros chrétiens, qui n'obéirent qu'à leur conscience, et n'eurent d'autres passions que la sainteté, la vérité, la liberté.

     

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    Suite: L'Unitarisme après Channing. Conclusion.
     

     

     

     
      DidierLe Roux


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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Eschatologie de Channing 

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Eschatologie de ChanningWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     
    § 8. Eschatologie de Channing.

    Channing croyait à la vie future de toutes les forces de son âme et la regardait comme l'un des principes essentiels du Christianisme; aussi en parla-t-il souvent dans les discours qu'il prononça devant ses auditeurs de Federal Street et chercha-t-il à leur en donner des notions plus rationnelles et plus élevées que celles qui avaient alors cours dans l'Orthodoxie américaine. Bien qu'il n'ait jamais entrepris de démontrer scientifiquement l'immortalité de l'âme, il a consacré plusieurs pages éloquentes à la défense de cette thèse, et nous pouvons ranger sous trois chefs principaux les arguments qu'il emploie contre les incrédules.

    Tout d'abord, il invoque le témoignage de la nature et déclare que l'on ne peut conclure de l'universelle destruction de tous les êtres organisés à notre propre anéantissement sans violer les distinctions les plus élémentaires entre la matière et l'esprit. En effet, quand on considère un végétal ou un animal, on reconnaît qu'il ne lui faut qu'un temps relativement bref pour accomplir sa destinée. Il n'en est pas de même dans le monde de l'esprit: nos facultés, nos aspirations, nos projets ne connaissent point de bornes ; à chaque pas que nous faisons en avant, nous avons l'espoir d'une plus noble conquête, et plus nous nous élevons, plus nous sentons notre affinité avec le Créateur.

    En deuxième lieu, le monde de la matière est contenu dans d'étroites limites et il n'a besoin que d'un court espace de temps pour réaliser son plein développement. Au contraire l'expansion indéfinie de l'esprit, loin d'être en contradiction avec les lois de la Création, est en pleine harmonie avec elles, et plus un homme a de vie intellectuelle et morale, plus il exerce d'influence autour de lui. En progressant il produit sans cesse des fruits nouveaux en beauté, en vérité, en sainteté et contient en lui des germes de puissance plus admirables que ceux qu'il a jamais manifestés. Les choses matérielles existent pour autrui, non pour elles- mêmes ; leur disparition ne cause aucun dommage. L'homme ne peut supporter l'idée d'une ruine totale, parce qu'il se souvient du passé et qu'il prévoit l'avenir. Le progrès ne peut être arrêté à son origine; la pensée et la vertu ne peuvent être radicalement supprimées ; la raison, la conscience, la volonté ne peuvent complètement s'éteindre, et plus l'homme est uni à Dieu, plus il a horreur du néant. On parle, il est vrai, de destruction de la matière, mais nous sommes victimes d'une erreur de langage. Rien ne périt entièrement, et les éléments décomposés se réunissent pour former de nouvelles combinaisons plus brillantes et plus utiles que les précédentes. Au contraire, si l'âme pouvait être anéantie, ce serait un mal irréparable, parce que nous avons notre individualité propre, et que nous ne pouvons transmettre à d'autres nos talents et nos affections. ' Channing a également recours à la psychologie, et il se base sur la nature morale de l'homme pour établir son immortalité. Le mal provient en effet d'une noble cause, de la liberté morale. Si nous péchons, c'est parce que nous sommes des êtres responsables; si nous sommes exposés à la tentation, c'est parce que nous pouvons en triompher et aspirer à la perfection. Lors même que nous sommes le plus dégradés, nous conservons par la menace d'un châtiment la notion d'une vie future, et nous sentons que, si pendant cette vie nous demeurons impunis, nous ne pourrons toujours nous soustraire aux jugements de Dieu. Enfin, nos transgressions si énormes et si abondantes soient-elles, loin de diminuer notre confiance dans les forces et l'avenir de l'humanité, ne servent qu'à mettre dans une plus éclatante lumière la piété et la sainteté. L'homme, qui au milieu de tant d'influences corruptrices demeure fidèle au devoir et à la vérité, est supérieur à celui qui atteindrait le but sans passer par la tentation, et nous jouirons pleinement dans le Ciel du bonheur que nous n'avons pu goûter sur la terre.

    Channing insiste en dernier lieu sur la preuve scripturaire et attache une grande importance à la résurrection du Christ. Quel fait plus propre à dissiper nos doutes, que l'histoire de cet homme qui, après avoir subi le plus ignominieux des supplices et avoir été déposé sans espoir dans le sépulcre, est animé, trois jours après, d'une vie nouvelle et reparaît au milieu des siens pour attester le triomphe de l'humanité sur le Prince de la Mort. Le Christianisme nous a le premier révélé l'immortalité, non qu'auparavant cette doctrine nous fût inconnue, mais parce qu'il l'a entièrement transformée. Avant Jésus, elle demeurait à l'état d'hypothèse, de vague espérance ; depuis sa résurrection elle est devenue une glorieuse certitude ; avant lui elle ne raffermissait point notre vertu et favorisait quelquefois nos plus honteuses passions ; après lui, elle est une doctrine essentiellement morale et donne du courage et des forces à celui qui veut lutter contre ses mauvais penchants et mener une vie conforme à l'Évangile.

    Le mérite de l'Eschatologie de Channing ne consiste point seulement dans cette argumentation en faveur de l'immortalité de l'âme, si intéressante et si vigoureuse qu'elle soit. Sauf quelques incrédules de bas étage qui professaient l'Athéisme pour justifier leur immoralité et qui ne jouissaient d'aucun crédit, nul ne songeait, dans la Nouvelle-Angleterre, à mettre en doute le dogme d'une vie future. Ce qu'il importait, c'était de le dégager de sa forme grossière et surannée, et de le concevoir selon le spiritualisme évangélique. Or, aujourd'hui encore, l'Orthodoxie américaine maintient obstinément, jusque dans leurs moindre détails, les symboles traditionnels, en dépit des conquêtes les plus solidement établies de la science moderne et des plus claires affirmations de la conscience, et rien n'est plus choquant que le matérialisme des Spurgeon, des Ward-Beecher et d'autres éminents prédicateurs anglo-saxons. L'enfer est toujours considéré par eux comme le séjour local de Satan et des démons, et les impies y sont en proie à d'horribles tourments corporels qui ne doivent point avoir de fin. Le Ciel est conçu de la manière la plus charnelle, et l'on invoque les brillantes et poétiques descriptions de l'Apocalypse en faveur du Réalisme le plus vulgaire et le plus repoussant. Les justes jouissent, grâce à un acte auquel ils n'ont point eu de part, d'une parfaite félicité comme les pécheurs subissent, pour la transgression d'Adam, une damnation éternelle.

    Les premiers en Amérique, les Unitaires eurent la gloire de protester contre d'aussi barbares doctrines et de réaliser, sur ce point comme sur tant d'autres, un considérable progrès. Channing, en particulier, ne cessa de protester contre les erreurs de la théologie contemporaine, et conçut la vie future sous sa forme la plus édifiante et la plus élevée. Pour lui, l'Enfer n'est point un lieu étranger à la terre, et nous n'avons point à redouter des châtiments physiques. L'Enfer commence dès ici-bas pour ceux qui sont en guerre avec Dieu, et il consiste dans la misère et l'endurcissement amenés par le péché. La Rédemption a pour but notre délivrance spirituelle ; Jésus n'est pas venu dans ce monde pour arracher les coupables aux flammes de la Géhenne : il est venu pour nous guérir de nos maux et pour nous affermir dans la foi, la sainteté et l'amour. Une fois que l'homme a vaincu ses passions, une fois qu'il obéit aux prescriptions de sa conscience et qu'il conforme ses actes à la parole divine, il n'a plus à se préoccuper d'enfer et de jugement, et Channing appliquerait volontiers à chacun de nous les belles paroles de M. Renan sur Jésus : « Aucun ange ne le réconforta, si ce n'est celui de sa bonne conscience ; aucun Satan ne le tenta, si ce n'est celui que chacun de nous porte en son cœur. »

    De même nous ne devons point nous représenter le Ciel comme un paradis matériel dans lequel nous serons subitement transportés et où des jouissances d'un ordre supérieur seront à la disposition de ceux qui en obtiendront l'entrée. La Vie Céleste commence dès ici bas et se développe pour tout homme dans la mesure où il accomplit avec fidélité la tâche qui lui est imposée et où il est pénétré du Saint-Esprit, mais tant que dure l'existence actuelle, une lutte inévitable et douloureuse entre nos inclinations égoïstes et nos plus nobles penchants nous empêche de posséder pleinement le salut. Le bonheur, qui n'est que faiblement entrevu ici-bas, se réalisera de la manière la plus complète et la plus glorieuse dans l'éternité. Toutes nos facultés recevront leur entier déploiement, la vérité nous apparaîtra sans voiles, nos plus pures aspirations seront pleinement satisfaites, nous serons unis à nos frères par une universelle sympathie, et selon le mot sublime de l'Apôtre, Dieu sera tout en tous.

    Channing croit au salut final de toutes les créatures spirituelles et il repousse avec vivacité le dogme des peines éternelles tel que le formule la théologie Ecclésiastique. Comment, en effet, des êtres finis pourraient-ils être condamnés pour une faute passagère à un supplice irrémissible? Comment concilier le perpétuel malheur d'une créature quelconque avec la miséricorde de Dieu? Pourquoi l'action du Créateur serait-elle toujours impuissante ? Comment la félicité des Élus pourrait-elle être sans mélange, s'ils avaient le sentiment que les êtres qui leur sont le plus chers subissent d'effroyables tourments sans aucun espoir de pardon? Cela est aussi contraire à la perfection de Dieu qu'à une saine anthropologie, et l'idée d'un rétablissement final, d'une à àהoxactaotaorç  הacטtשׁט est des plus consolantes pour l'humanité. 

    Quant à la forme de notre nouvelle existence, quant au bonheur qui nous est réservé dans les célestes parvis, Channing n'a garde de tomber dans les bizarres rêveries et les fantastiques aberrations qui sont si fréquentes dans la théologie anglo-saxonne, et il se distingue dans ses vues Eschatologiques par sa sobriété et son spiritualisme. Selon lui, notre suprême félicité consistera dans la contemplation de Dieu. Sur la terre nous ne pouvons le connaître qu'imparfaitement, et les notions que nous nous formons de Lui sont toujours entachées d'erreur. Là-haut nous le verrons face à face, nous l'admirerons dans toutes ses œuvres, nous serons avec Lui dans une communion immédiate. Rien ne pourra désormais nous séparer de Jésus-Christ, et nos rapports avec Lui surpasseront ce que nous pouvons concevoir de plus tendre et de plus sublime. Loin d'être accablés par sa grandeur, nous serons animés par Lui d'une nouvelle vie, et nous nous épanouirons sous sa bienfaisante influence, comme la nature au printemps se transforme sous les rayons du soleil. Nous ferons mieux que de sympathiser avec notre Rédempteur : nous serons ses collaborateurs dans son auguste mission, et nous contribuerons avec Lui à l'avancement du Royaume de Dieu. Le Ciel n'est point un lieu d'oisive extase et de béatitudes stériles, et notre union avec le Christ ne serait point parfaite si nous ne travaillions pas de concert avec Lui à la régénération de nos semblables.

    Enfin, nous entrerons dans la glorieuse société des Rachetés, et nous vivrons avec tous les grands serviteurs de Dieu et les plus illustres bienfaiteurs de l'humanité. Nos relations ne seront plus souillées par notre égoïsme et nos mauvaises passions, nous jouirons de la sainte liberté des enfants de Dieu, et nous trouverons notre bonheur à favoriser les progrès de ceux qui sont moins avancés que nous dans la connaissance des choses divines.

    De si radieuses perspectives remplissent Channing d'un noble enthousiasme, et il s'écrie dans un pieux transport : « Le ciel est une glorieuse réalité. Nous devrions toujours en sentir l'attraction. S'il y avait ici-bas un pays qui réunît tout ce qu'il y a de beau dans la nature et tout ce qu'il y a de grand en fait de vertu et de génie, et qui comptât au nombre de ses citoyens les patriotes, les poètes, les philosophes, les philanthropes les plus célèbres de notre époque, avec quelle ardeur nous traverserions l'Océan pour visiter cette contrée! L'attrait du ciel n'est-il pas mille fois plus grand ! Là vivent les aînés de la création, ces fils de l'aurore qui firent entendre des chants de joie à la création de notre espèce ; là sont les grands et les bons de tous les temps et de tous les climats; les amis, les bienfaiteurs, les libérateurs de l'humanité ; le patriarche, le prophète, l'apôtre, le martyr, les véritables héros de la vie publique et plus encore de la vie privée, le père, la mère, l'époux, l'épouse, l'enfant, tous inconnus de l'histoire, mais qui ont marché sous les yeux de Dieu dans toute la beauté de l'amour et du sacrifice. Là sont ceux qui ont jeté dans nos cœurs les fondements de la vertu et de la charité, les écrivains qui nous ont inspiré de purs et nobles sentiments, les amis dont le courage a illuminé nos demeures et donné de la force et du calme à nos cœurs. Ils sont là-haut réunis à l'abri de tous les orages vainqueurs du mal, et ils nous disent: Venez avec nous dans notre éternelle félicité, unissez-vous à nos chants de louange, partagez notre adoration, notre amitié, notre progrès, notre amour. Ils nous disent : Cultivez maintenant dans votre vie terrestre cet esprit et cette vertu du Christ qui sont le commencement et l'aurore du Ciel, et bientôt, avec une amitié plus qu'humaine, nous vous accueillerons dans notre immortalité. Cette voix vous parlera-t-elle en vain? Est-ce que notre amour du monde, est-ce que la persévérance dans le péché nous sépareront de la société du Ciel par un gouffre que nous ne franchirons jamais ? »

     

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    Suite : Critique du système théologique de Channing.
     

     

      
      DidierLe Roux

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Morale de Channing
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Morale de ChanningWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

     § 7. Morale de Channing.

    Les décrets de Dordrecht sur la corruption radicale de l'homme et sur la grâce irrésistible avaient conservé de nombreux partisans dans la Nouvelle-Angleterre à l'époque où commença à prêcher Channing. Aussi eut-il à se défendre à maintes reprises du reproche de Pélagianisme, et fut-il accusé par les disciples de Jonathan Edwards de saper les bases de toute morale. Il ne lui fut pas difficile de réfuter d'aussi puériles objections, et de se justifier pleinement aux yeux de tous ceux que n'aveuglaient point le fanatisme et le parti pris. Il admettait la grâce, mais il n'y voyait point comme les Calvinistes rigides une puissance matérielle, qui s'impose à nous et qui nous fait une nécessité de la vertu. Aucune théorie ne saurait être plus dangereuse, puisqu'elle détruit la responsabilité de l'homme, et fait de Dieu l'auteur du péché. Selon l'Unitarisme, la grâce est une influence morale et persuasive qui nous éclaire et qui, en développant nos plus nobles facultés, nous rend dignes de la vie éternelle. Loin de rendre les œuvres inutiles, elle les réclame impérieusement, puisque la sainteté est le don le plus précieux que Dieu puisse faire à ses créatures, et qu'une vie conforme aux préceptes et à l'exemple de Jésus est une condition essentielle de la régénération ; mais admettre ce principe n'est point admettre le principe du mérite personnel de l'homme, et son droit à la félicité. Les œuvres à elles seules ne peuvent nous procurer le salut, et c'est à la miséricorde de Dieu que nous devons l'assurance du pardon et de l'immortalité.

    Cette controverse sur la grâce ne fut point la seule dans laquelle fut engagé Channing : il fut, pendant toute sa vie, en butte aux tracasseries, et aux perfides insinuations des orthodoxes qui ne pouvaient lui pardonner sa tolérance et son spiritualisme. Les uns prétendaient qu'il prêchait une morale mondaine consistant dans une honnêteté vulgaire et dans l'absence de vices grossiers, et qu'il passait sous silence la pureté du cœur, la dévotion intime, l'amour de Jésus-Christ et des choses du Ciel. D'autres, qui ne voyaient dans la foi que la croyance à un plus ou moins grand nombre de dogmes contradictoires et inintelligibles, le qualifiaient d'impie et de blasphémateur et déclaraient ses discours immoraux, parce qu'ils ne roulaient pas exclusivement sur la Trinité, la corruption radicale de l'homme, la damnation éternelle. Les farouches descendants des Puritains qui se plaisaient à jeter sur la dévotion un sombre voile, et qui regardaient les joies les plus innocentes comme autant de péchés irrémissibles, criaient au scandale et représentaient l'Unitarisme comme une hôtellerie placée à mi-chemin de l'incrédulité, parce qu'il rendait au Christianisme son aimable gaieté et sa sereine mansuétude, et qu'il favorisait tout plaisir noble et tout délassement élevé. Enfin les entrepreneurs de revivais, qui prennent trop souvent l'ébranlement des nerfs pour la vivification du sentiment religieux et l'étroitesse des idées pour un redoublement de fidélité envers l'Eternel, prêchaient sans cesse de nouvelles croisades contre ce courageux adversaire de la tradition et cet infatigable champion d'une piété saine et virile. A des calomnies aussi ridicules qu'odieuses, Channing aurait pu se contenter de répondre comme le philosophe grec à celui qui niait le mouvement : en montrant les hommes d'élite qu'il consolait et qu'il édifiait, et les magnifiques institutions qu'il avait fondées. Il fit plus, et il exposa souvent à ses auditeurs de Féderal Street quels étaient à ses yeux l'essence et les traits distinctifs de la vraie piété. Son caractère constitutif n'est point de reconnaître Jésus pour Maître et pour Seigneur, de confesser son absolue divinité, de lui donner dans nos pensées et dans nos prières la place du Père Céleste : on peut ressentir pour un être une vénération illimitée sans que la température du cœur s'élève au-dessus d'un froid glacial. Elle ne consiste pas davantage, comme le disent les sectateurs d'une vague religiosité, dans de langoureuses extases, dans une mystique contemplation du Sauveur, dans une fade adoration de sa croix et de ses blessures toujours saignantes. Il y a loin de ces énervants soupirs à un véritable amour, et Jésus est tout autre chose qu'une apparition touchante, tout autre chose qu'un personnage sur lequel on pleure comme sur une tragique fiction. Elle se fait encore moins remarquer par un zèle bruyant, une activité fébrile, une indiscrète ferveur pour la conversion de nos frères. La piété réclame une exquise délicatesse, et se reconnaît au rare et incomparable parfum qu'elle exhale.

    La véritable religion a sa base dans la nature morale de l'homme, dans le sentiment du devoir, dans le pouvoir qui est donné à chacun de nous de transformer notre être spirituel d'après les prescriptions de notre conscience. Elle se prouve moins par des paroles que par des actes et se manifeste dans la vie de tous les jours par la patience avec laquelle nous supportons les épreuves, par une charité sans bornes, par une droiture et une véracité inflexibles, par l'entière soumission de nos passions à la volonté de Dieu. Loin d'être une subite illumination de l'esprit, loin de passer par de mystérieuses alternatives d'exaltation et de désespoir, la piété chrétienne se distingue par son caractère rationnel et par une marche ascensionnelle vers la perfection. Elle peut être provoquée par de soudaines et profondes émotions, mais elle ne se développe que graduellement et elle vivifie toutes nos facultés sous sa bienfaisante influence.

    Ses traits fondamentaux sont l'amour de Dieu et l'amour de Jésus. Le premier est la véritable fin de tout notre être et nous avons été créés par Dieu pour être intimement unis à Lui. C'est en Lui seul que nous pouvons trouver la satisfaction de nos plus nobles désirs et de nos plus sublimes aspirations, par Lui seul que nous pouvons parvenir à la félicité. Non seulement l'amour de Dieu est nécessaire à notre bonheur, il est indispensable pour la force et l'expansion de toutes nos vertus. Sans lui nos meilleures dispositions se flétriraient et s'éteindraient, la conscience ne serait pour nous qu'une faible et vacillante lueur, la charité ne pourrait lutter contre l'insensibilité et l'ingratitude universelles. Quant à l'amour du Christ, il découle tout naturellement de l'amour de Dieu: Jésus est pour nous le suprême idéal et il a droit à notre reconnaissance par la grandeur de son œuvre, ses souffrances et ses bienfaits.

    Et ici Channing analyse avec l'autorité d'un Chrétien éminent et d'un sagace moraliste les vertus qui doivent découler de ce double amour et dont toute sa vie fut l'éloquent et persuasif commentaire. Il serait superflu de le suivre sur ce terrain et d'entreprendre une énumération qui ne serait qu'une nouvelle édition du catéchisme: nous aimons mieux montrer l'excellence des idées constitutives de Channing en morale et leur parfait accord avec les données de la conscience moderne.

    Pour tout homme éclairé, en effet, la religion répond à un besoin inné de sa nature et doit être le levain purificateur de son activité quotidienne. Son but est d'unir l'homme à son Créateur par des liens toujours plus étroits et de lui inspirer le sentiment profond et continu de la nécessité du perfectionnement en soi et autour de soi. Aussi longtemps que, comme le Catholique du Moyen Age, on vit dans la divinité une puissance redoutable et hostile qu'il fallait apaiser par des rites magiques et des absolutions sacerdotales, et que l'on considéra la piété comme un ensemble de cérémonies ecclésiastiques, de jeûnes, de pèlerinages, de prières machinalement répétées, l'on établit entre la vie ordinaire et la vie religieuse un infranchissable abîme et l'on se retira du monde pour passer au service de Dieu dans le couvent. La Réforme, qui contribua beaucoup à briser ce dualisme, n'acheva point complètement sa tâche et l'orthodoxie du dix-septième siècle eut le tort de confondre la foi avec l'adhésion à un certain nombre de thèses dogmatiques et d'adopter un patois de Canaan qui trahissait une aversion plus ou moins avouée pour la vie naturelle et pleinement humaine. C'est la gloire du dix-neuvième siècle d'avoir définitivement condamné ce farouche Puritanisme qui regardait comme diaboliques l'art, la science, les joies honnêtes et d'avoir posé comme base de la religion certains principes très simples en eux-mêmes, mais très riches en application à la vie individuelle et sociale. La vie dévote, comme la comprenaient les partisans de la tradition, a désormais perdu toute sa valeur, mais un sentiment religieux aussi profond qu'élevé animera tous nos actes et fera de notre vie une constante prière. C'est par religion que nous nous abstiendrons de toute passion dégradante et de tout désir impur et que nous aspirerons à la perfection dans les petites choses comme dans les grandes; c'est par religion que nous travaillerons à la diffusion des lumières, à la réforme des institutions, à l'extinction des misères et des corruptions sociales ; c'est par religion que nous nous associerons à toutes les améliorations et à tous les progrès et que notre vie tout entière deviendra un hymne à la gloire de Dieu. Ou nous nous trompons fort ou nous croyons qu'une conception aussi favorable au spiritualisme qu'à la saine piété gagnera des adhérents toujours plus nombreux parmi les Chrétiens sincères et les hommes cultivés et qu'elle deviendra la religion du dix-neuvième siècle à mesure que la science et la civilisation multiplieront leurs conquêtes. Des vues aussi sobres et aussi pures peuvent paraître étranges aux partisans du passé, habitués qu'ils sont aux formes antiques et aux dogmes traditionnels, mais nous pouvons répondre qu'elles eurent pour premier prédicateur ce Jésus qu'on nous accuse de renier. Le principe que nous soutenons n'est pas, en effet, autre chose que l'épanouissement du commandement nouveau proclamé par le prophète de Nazareth, que pour entrer dans le Royaume, il n'est nullement besoin d'un symbole nettement défini et qu'il suffit d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa pensée et son prochain comme soi-même. Ce sera l'éternel honneur de Channing d'avoir compris ce principe dans toute sa beauté et d'en avoir prévu toutes les conséquences, alors qu'il était grossièrement méconnu par les partisans de l'Orthodoxie américaine et obscurci aux yeux de la grande majorité par les préjugés et les superstitions, et d'en avoir été pendant tout son ministère l'éloquent Apôtre et le courageux propagateur.

     

     

    Retour  L’Église, son Fondement. 

     

     Suite : Eschatologie de Channing
     

     

     

     
      DidierLe Roux


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    William Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

    § 6. L'Église, son Fondement.

    Chacun connaît les pages charmantes dans lesquelles M. Édouard Laboulaye a dépeint l'innombrable diversité des communautés religieuses aux États-Unis et où il nous montre son héros voyageant à la recherche d'une Église et errant de la Mosquée à la Synagogue, du temple des Catholiques à celui des Presbytériens, de la chapelle Méthodiste à la chapelle Unitaire. Où trouver la véritable Église au milieu de cette infinie variété de sectes? Comment, au milieu de l'universelle anarchie des opinions, parvenir à la vérité?

    Channing ne se laisse point arrêter par un aussi grossier épouvantail et il a trop de foi en la dignité humaine pour aboutir au scepticisme; mais il condamne comme erronées et dangereuses les bases sur lesquelles on fait généralement reposer l'Église, et il a recours à de tout autres principes pour établir sa légitimité. Il commence par une éloquente et spirituelle critique du système orthodoxe, et se demande si l'on peut adopter comme fondement d'une communauté le rite ou le dogme. On ne peut songer au premier, répond-il. Jésus-Christ, dans le Sermon sur la Montagne, et dans aucun autre de ses discours n'a rien dit de la forme extérieure de l'Église, et l'on ne voit nulle part que ni lui ni ses disciples aient fixé son rituel ou déterminé son organisation ultérieure. Cela ne doit point nous surprendre, puisque le Christianisme se propose comme fin suprême de répandre le culte spirituel parmi toutes les nations et à tous les degrés de développement, et que, pour pouvoir agir dans tous les temps, pour pouvoir s'allier à de nouvelles formes sociales et aux plus glorieux progrès de la civilisation, il doit être doué de la plus entière flexibilité et s'adapter aux besoins et à la marche du genre humain. On le voit par son histoire. Lors de sa constitution primitive, l'Église ne reposa pas sur une union forcée et arbitraire, elle fut une association libre et spontanée : aussi gagna-t-elle des milliers de prosélytes, et conquit-elle le monde par la seule persuasion.

    Lorsque plus tard elle fut séduite par l'amour de la domination et qu'elle voulut imposer une législation uniforme à tous les fidèles, elle renia son véritable principe, et elle devint le théâtre des plus coupables passions et des vices les plus odieux. Notre grande erreur consiste à exagérer l'importance de l'Église pour le salut. Nous nous imaginons que les cérémonies et les rites consacrés peuvent nous servir matériellement, qu'il y a dans ce que nous appelons le lieu saint une puissance mystérieuse qui agit sur nous sans notre participation, que le ministre est revêtu par l'ordination d'un pouvoir magique. Il n'en est rien. L'Église ne peut rien faire pour nous en comparaison de ce que nous devons faire par nous-mêmes : elle est un secours et non une force, elle ne peut nous améliorer qu'autant qu'elle nous excite à penser, à prier, à agir. L'influence du pasteur doit être toute morale : peu importent l'Université où il a étudié et le prêtre qui lui a imposé les mains, pourvu qu'il accomplisse sa tâche avec la crainte de Dieu et qu'il s'adresse avec la chaleur et la sincérité d'un Chrétien au cœur et à la conscience de ses frères. Aspirons à être les temples du Saint-Esprit et ne nous préoccupons point outre mesure de la secte dans laquelle nous parviendrons le plus sûrement à la régénération et au salut.

    Si Channing rejette l'uniformité rituelle comme fondement de l'Église de Christ, il n'éprouve pas une moins violente aversion pour les Confessions de foi, et il repousse tout credo de fabrication humaine comme lien d'union et moyen de grouper les esprits. Tout d'abord ils nous séparent de Jésus ; or notre plus grand privilège comme Chrétiens est de pouvoir nous asseoir aux pieds de notre divin Maître et de recevoir de lui la vérité sans mélange d'erreur.

    «De quel droit, s'écrie avec une généreuse indignation le pasteur de Boston, l'homme s'interpose-t-il entre moi et mon Sauveur pour me dicter mes doctrines? En vertu de quelle autorité chaque secte Protestante me prescrit-elle d'adopter son symbole sous peine d'être exclu pendant cette vie de la communion de mes frères, d'être damné pour la vie éternelle? »

    On ne peut s'empêcher de ressentir un souverain mépris pour les formules d'origine humaine lorsqu'on les compare au Nouveau Testament. Ce sont des squelettes, l'expression métaphysique de dogmes inintelligibles, et on nous ordonne de les substituer à la vérité pure et vivante telle qu'elle est sortie des lèvres de notre Rédempteur? On ne peut comprendre Jésus au moyen d'arides définitions; la seule manière de le connaître est de nous approcher de Lui, de le contempler, de l'entendre, de lui obéir et d'arriver ainsi à la claire et brillante perception de sa gloire.

    Le Christianisme est trop vaste et trop puissant pour être emprisonné dans les quelques lignes d'un symbole abstrait et pour être irrévocablement déterminé par la faible intelligence de l'homme. C'est un esprit plutôt qu'un système rigidement enchaîné, l'esprit d'un amour sans bornes. Les impressions qu'un vrai fidèle reçoit du caractère et des enseignements de son Maître ne peuvent qu'être faiblement exprimées par des mots et ne sont senties que par ceux qui comprennent les accents du cœur. On ne peut pas plus formuler la religion dans une série de propositions théologiques qu'on ne peut faire connaître au moyen de quelques termes vagues les traits d'un ami bien aimé. Il résulte de la grandeur du Christianisme que les idées que nous nous en faisons sont nécessairement incomplètes, et que .les plus profonds docteurs doivent toujours progresser dans la connaissance de la vérité. Or rien n'est plus contraire à une semblable disposition qu'une règle fixe et arbitraire, et une religion comme celle de Jésus demande que nous jouissions de notre liberté.

    En second lieu, les Confessions de foi sont contraires à la sincérité et dépouillent l'enseignement religieux de toute son influence. Pour persuader ses auditeurs, un pasteur doit pouvoir exprimer ses propres idées sous la forme avec laquelle elles se présentent à son esprit. Un symbole arrête cette libre expansion de la pensée : le pasteur doit chercher des paroles qui ne soient pas en contradiction avec les articles adoptés par son Église, et si de nouvelles idées s'imposent à lui, il doit les envelopper d'un langage nuageux et détourner de leur sens évident les formules consacrées.

    « Combien, s'écrie Channing avec une sainte véhémence, combien je plains profondément le ministre qui, dans la chaleur et la fraîcheur de la jeunesse, entrevoit une vérité plus élevée que celle qui est contenue dans le symbole, mais qui n'ose pas l'exprimer? qui se fait l'écho de ce qui n'est pas la simple et naturelle expression de son âme? Mieux vaudrait pour nous mendier notre pain et nous couvrir de haillons que de renoncer à la sincérité et à la franchise chrétiennes. Mieux vaut pour un ministre, prêcher dans des granges ou en plein air, s'il peut faire entendre la vérité de toute l'abondance de son âme, que d'élever dans des cathédrales, au milieu de la pompe et de la richesse, une voix qui n'exprime pas ses pensées intérieures. Si ceux qui portent les chaînes des Crédos connaissaient une seule fois le bonheur de respirer l'air de la liberté et de marcher avec un esprit sans entraves, il n'y a pas de trésors ni de puissance au monde qui pourrait les engager à renoncer à leur liberté spirituelle. »

    Enfin les crédos favorisent l'incrédulité en passant complètement sous silence la sainteté de Jésus et les vérités essentielles du Christianisme et en insistant sur les dogmes les plus obscurs et les plus incompréhensibles. Le Christianisme devient un recueil de contradictions visibles et de propositions énigmatiques et il est repoussé par les hommes éclairés comme une insulte à la raison et comme le triomphe du fanatisme sur le bon sens. Channing saisit cette occasion pour condamner en termes sévères l'hypocrisie et la haineuse intolérance dont il avait eu à souffrir pendant tout le cours de son ministère, et il dépeint avec une verve mordante ces Pharisiens modernes qui se plaisent à répandre les soupçons et le trouble dans les paroisses, qui ne craignent point de diffamer la vie privée de leurs adversaires et qui représentent le pasteur hérétique comme un émissaire de Satan déguisé en ange de lumière. Il s'élève avec une éloquence vengeresse contre la tentative mainte fois renouvelée par les Orthodoxes d'imposer un système d'exclusion à l'égard des Unitaires et il voit dans leurs sauvages violences et leurs farouches anathèmes la destruction de la paix dans les Églises et les familles et la ruine du Christianisme. De si étranges prétentions trahissent chez leurs auteurs une grossière ignorance et un insupportable orgueil : elles ne peuvent se justifier par l'Écriture qui n'impose d'autre condition à l'entrée dans le Royaume de Dieu que l'adhésion aux préceptes de l'Évangile ; loin de servir la religion et de rendre à l'Église sa pureté native, elles ne peuvent extirper l'erreur et favorisent les plus odieuses persécutions. Aussi est-ce un devoir sacré pour tous les amis de la charité et de la liberté chrétiennes, de soutenir les droits de la conscience individuelle et de repousser toute assertion de supériorité de la part d'une secte quelconque comme une coupable usurpation.

    Quel sera donc le fondement de l'Église demanderons-nous à Channing ? Le seul qu'ait choisi Jésus, la pureté du cœur et de la vie, la piété sincère qui se montre par des faits. L'Église n'a d'importance qu'autant qu'elle élève l'âme vers le Créateur et elle aura atteint son véritable but, si nous faisons la volonté de notre Père Céleste, si nous écoutons avec humilité les leçons de Jésus, si nous prenons la ferme résolution d'accomplir la tâche qui nous est imposée en dépit des plus violentes tentations et des plus rudes sacrifices. « A celui qui est instruit par sa conscience, à celui qui a été fortifié dans la lutte et consolé dans la douleur, à celui qui a soif de pureté et dont le cœur déborde d'amour et de reconnaissance pour l'Éternel, on ne pourra dire que les promesses du Sauveur ne sont pas faites pour lui et qu'il ne peut approcher de Dieu. Il a senti le pouvoir des paroles et de la croix de Jésus1; il ne pourra être séparé de lui par l'exclusion et le bigotisme. » Les seuls éléments d'une Église vivante et active sont un pasteur éclairé et convaincu et de fidèles disciples du Christ.

    Mais quel sera le lien de tous ces esprits qui cherchent chacun la vérité, et qui ne marchent point du même pas ? Quel principe constituera cette Église par laquelle on arrive de tous les côtés, et réunira ces chrétiens qui ne sont rapprochés ni par le rite, ni par le dogme? Le même principe qui est à la base des Eglises particulières, le commandement qui, selon Jésus, résume la Loi et les Prophètes, l'amour de Dieu et de l'humanité. Le seul lien entre toutes les sectes, la seule religion universelle est l'amour; quiconque est pénétré de la morale de l'Évangile et en fait la règle de sa vie, celui-là accomplit la Loi éternelle et est membre du Royaume de Dieu. Tant que les Protestants adopteront la méthode autoritaire et s'obstineront à chercher l'unité de foi dans l'unité de croyances, ils ne pourront échapper à l'impitoyable dilemme de Bossuet, et ne seront qu'une fraction obscure et inconséquente du Catholicisme. Le seul moyen de triompher de l'orgueilleux auteur dès Variations est de recourir à la conscience et au jugement individuels, et de poursuivre la vérité dans la mesure de nos forces sans prétendre à l'absolu. C'est par ce complet affranchissement des symboles et des formules que le Protestantisme aura sa raison d'être, et que nous pourrons aspirer à cette Église universelle qu'a dépeinte Channing avec une sainte passion et une splendide éloquence.

    «Il y a une Église plus grande que toutes les Églises particulières quelque grandes qu'elles soient: c'est l'Église universelle qui s'étend sur toute la terre, et ne fait qu'un avec l'Église qui est dans le Ciel. Tous ceux qui suivent le Christ ne forment qu'un seul corps, un seul troupeau; c'est ce que nous enseignent différents passages du Nouveau Testament. Vous vous rappelez la ferveur de sa dernière prière : "Que tous ne fassent qu'un, comme Lui et son Père ne font qu'un." Dans cette Église sont admis tous ceux qui participent à l'esprit de Christ. Elle ne demande pas qui nous a baptisés, de qui nous tenons notre passeport, quel signe nous portons. Si nous avons été baptisés par le Saint-Esprit, ses larges portes nous sont ouvertes. Là sont réunis ceux que des noms différents ont séparé et séparent encore. Là il n'est pas question d’Église grecque, romaine ou anglicane, mais seulement de l’Église de Christ. Mes amis, ce n'est pas là une union imaginaire. Quand l’Écriture parle ainsi, ce n'est pas une vaine rhétorique, c'est la vérité pure. Tous ceux qui participent sincèrement à la vérité chrétienne, sont essentiellement unis. Dans l'esprit qui les anime, il y a une force d'amour qu'on ne trouverait dans aucun autre lien. Séparés par les mers, il y a entre eux des sympathies fortes et indissolubles. La voix nette et puissante d'un Chrétien inspiré vole par toute la terre et dans un autre hémisphère touche des cordes qui lui répondent. La parole d'un Fénelon par exemple arrive à des millions d'âmes dispersées dans le monde. Ne sont-elles pas toutes de la même Église?

     Je tressaille de joie au nom des saints qui ont vécu, il y a des siècles : le temps ne nous sépare pas, l'ancienneté ne les rend que plus vénérables. Ne sommes-nous pas du même corps ? Est-ce que cette union n'est pas quelque chose de réel ? La réunion dans un même édifice n'est pas ce qui fait une Église. Me voici dans un temple. Je suis assez près de l'un de mes semblables pour le toucher, mais il n'y a pas entre nous un sentiment commun. La vérité qui me remue, cet homme s'en rit comme d'un rêve et d'une chimère, le désintéressement que j'honore, il l'appelle faiblesse ou folie. Que nous sommes loin l'un de l'autre, quoiqu'en apparence si voisins ! Nous appartenons chacun à des mondes différents. Que je suis plus près de quelque âme pure, généreuse qui vit dans un autre continent, mais dont la parole a pénétré mon cœur, dont les vertus m'ont enflammé d'émulation, dont les pieuses pensées s'offrent à mon esprit, lorsque je suis dans la maison de prière. Lequel de ces deux hommes est de mon Église ?

    Ne me dites pas que je m'abandonne à un rêve de mon imagination, quand je dis que des chrétiens éloignés, que tous les chrétiens et moi-même, nous ne formons qu'un corps et qu'une Église, aussi longtemps qu'une même piété et qu'un même amouj1 nous possèdent. Rien de plus réel que cette union spirituelle. Il y a une grande Eglise qui embrasse tout: Chrétien, j'en fais partie et personne ne peut m'en faire sortir. Vous pouvez bien m'exclure de votre Église romaine, de votre Église épiscopale, de votre Église calviniste, pour quelques défauts supposés dans mon symbole ou dans ma secte, et je suis content d'en être exclu; mais je ne veux pas qu'on me détache du grand corps de Christ Qui me séparera d'hommes tels que Fénelon, Pascal et Borromée, de l'archevêque Leighton, de Jérémy Taylor et de John Howard ? Qui rompra le lien spirituel qui m'unit à ces hommes ? Ne me sont- ils pas chers? L'esprit qui déborde dans leurs écrits et dans leurs vies ne pénètre-t-il pas mon cœur? Ne sont-ils pas une partie de mon être? Ne suis-je pas un autre homme que ce que j'aurais été si ces grands esprits n'avaient agi sur moi? Et est-il au pouvoir d'un synode, d'un conclave ou de toutes les assemblées ecclésiastiques du monde de m'en séparer? Je tiens à ces grands esprits par la pensée et l'affection, est-ce qu'on supprime la pensée et l'affection par la bulle d'un pape, ou l'excommunication d'un Concile ? L'âme brise dédaigneusement ces barrières, déchire ces toiles d'araignée pour s'unir aux grands et aux bons, et si elle possède leur esprit, est-ce que vivants ou morts, les grands et les bons la repousseront parce qu'elle ne s'est pas enrôlée dans telle secte ou dans telle autre. Une âme pure a le droit de cité dans l'univers entier. Elle appartient à l’Église, à la famille de ceux qui sont purs dans tous les mondes. La vertu n'est pas chose locale, elle n'est pas respectable parce qu'elle a pris naissance dans telle ou telle société, mais à cause de sa beauté indépendante et éternelle. Voilà le lien de l’Église universelle. Nul homme n'en peut être excommunié que par lui-même en tuant la vertu dans son âme. Toutes les sentences d'exclusion sont vaines, si nous ne brisons le lien de la vertu qui nous unit à toutes les âmes saintes. » 

    Tout commentaire serait de mauvais goût après ces magnifiques paroles : il ne nous reste plus qu'à appeler de tous nos vœux la prompte réalisation du rêve du pieux pasteur de Boston, et de travailler chacun selon nos forces à son accomplissement.

     

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      DidierLe Roux

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; Le Christ, la Rédemption
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; Le Christ, la RédemptionWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

    § 5. Le Christ, la Rédemption. 

    Des vues aussi hardies sur l'Anthropologie ne pouvaient se concilier avec la Christologie traditionnelle : aussi Channing fut-il conduit à rejeter les bizarres et subtiles formules léguées aux Réformateurs par les Pères grecs et les Conciles du quatrième siècle et se rangea-t-il ouvertement sous la bannière du Subordinatianisme. Plus hardi et plus logique qu'Arius, il fut moins sec et moins intellectualiste que le docteur Priestley et les Unitariens du dix-huitième siècle, et il se laissa inspirer par sa foi vivante et son ardent amour pour son Rédempteur. Jésus fut avant tout pour lui le deuxième Adam, l'homme idéal, notre ami et notre frère, celui qui nous est semblable pour toute chose, sauf pour le péché.

    Il s'attacha tout d'abord à combattre les dogmes de Nicée et de l'Orthodoxie scholastique, et les repoussa au nom du bon sens comme au nom d'une piété sincère et éclairée. Jésus n'a point les deux natures, comme le prétendent les décrets de Chalcédoine, et il n'est point à la fois faible et borné comme homme, tout puissant et omniscient comme Dieu. Il est un seul être, ayant une seule âme et un seul esprit, aussi réellement distinct que nous du Dieu unique. Il n'est point Dieu, comme l'affirme Athanase: il est Fils de Dieu, soumis en toutes choses à son Père, tenant de lui tous ses pouvoirs, n'ayant le droit d'être cru des hommes que parce qu'il avait été oint et désigné par Lui. Les traditionalistes ne peuvent alléguer, en faveur d'une doctrine aussi extraordinaire que la leur, aucun passage des Livres Saints, et doivent avoir recours à des textes faussement interprétés. L'esprit général de la Bible est en contradiction avec d'aussi absurdes théories, et Jésus ne peut, à cause de son humble condition et de ses perpétuelles souffrances, être regardé comme possédant de toute éternité l'essence divine.

    Si Channing opposa toute sa vie une courageuse résistance aux erreurs de l'Orthodoxie américaine, il ne s'éleva pas avec moins d'énergie contre le Rationalisme vulgaire de son époque, et vit en Jésus-Christ tout autre chose que le plus sublime des philosophes ou le plus persuasif des docteurs. Selon lui, la personne de Jésus est inséparable de ses enseignements, et le premier prédicateur du Christianisme fut celui qui le réalisa dans ses actes de la manière la plus parfaite. Considérés en eux-mêmes, les préceptes de Jésus sont nobles et éloquents; mais ils n'ont toute leur valeur que lorsqu'ils sont associés à sa vie de dévouement et d'abnégation. Comme le commandement d'aimer Dieu devient clair et intelligible, lorsqu'on songe à la manière dont le Maître le mit en pratique ! De quelle lumière ne s'éclaire pas l'ordre de pardonner à ses ennemis, lorsqu'on se transporte au Calvaire et qu'on entend la prière du Sauveur pour ses bourreaux ! De quelle force irrésistible n'est pas revêtue la doctrine de l'immortalité lorsque nous voyons rouler la pierre du sépulcre et le Christ en sortir dans tout l'éclat de sa puissance et de son triomphe pour jouir de la vie et du bonheur promis aux élus! Non! Jésus est pour Channing plus qu'un simple homme : il est le Fils de Dieu.

    Mais qu'entend le théologien Unitaire par un mot susceptible de significations aussi diverses? La divinité de Jésus-Christ ne repose pas, à ses yeux, sur de mystérieuses propriétés, sur sa céleste filiation, sa génération éternelle, son obscure et mystique union avec son Père, car la sympathie et la vénération que nous ressentons pour un être ne peuvent être fondées que sur ce que nous connaissons de lui et non pas sur des attributs inconnus et incompréhensibles. Elle ne repose pas non plus sur ses miracles, car ils ne peuvent, à eux seuls, constituer sa véritable dignité, et Jésus est incontestablement plus grand lorsqu'il pleure sur sa patrie ou qu'il comble les foules ingrates de ses bienfaits, que lorsqu'il ressuscite les morts ou apaise les tempêtes en vertu d'une puissance surhumaine. Enfin, elle n'a point pour base essentielle son inspiration, bien qu'elle lui ait été accordée sans mesure. Elle ne pouvait lui donner droit au respect et à l'amour qu'en tant qu'il était touché par les vérités qu'il proclamait, et l'homme auquel auraient été communiquée d'une manière surnaturelle les plus sublimes révélations et qui n'en sentirait point la beauté, pourrait être inspiré, mais, n'aurait aucun titre à notre admiration.

    Non, Jésus fut le Fils de Dieu dans l'acception la plus, réelle et la plus élevée de ce mot : il le fut parce qu'il fut semblable à notre Père Céleste et qu'il participa à ses perfections, parce qu'il adopta comme siens les plans miséricordieux du Créateur et qu'il se consacra avec la plus entière obéissance à leur réalisation. Aussi, bien que Channing ne voie point seulement en Jésus un simple homme et qu'il lui assigne un rang supérieur aux anges, il insiste fortement sur sa parfaite humanité et ne cesse de le proposer à notre imitation. Il se plaît à contempler ses vertus, nous le représente, au milieu du formalisme pharisaïque et du Messianisme exalté des Rabbins, comme le libérateur spirituel et le prophète de la religion permanente et vraie, et nous dépeint dans des pages magnifiques sa sainteté absolue, son universelle charité, sa piété d'autant plus réelle qu'elle est moins bruyante et moins dogmatique, sa sympathie pour toutes nos joies et toutes nos douleurs. C'est pour cette parfaite concordance avec le divin idéal que Jésus mérite d'être appelé le Sauveur du Monde et qu'il est digne de nos hommages, c'est par elle qu'il est vainqueur de la mort et qu'il vit éternellement.

    Si tel est le Rédempteur, que sera la Rédemption? Channing s'élève avec force contre la théorie d'Anselme de Canterbury, alors professée en Amérique par les disciples d'Edwards et d'Hopkins et la déclare contraire au bon sens et attentatoire à la bonté de Dieu. Les Calvinistes séduisent le vulgaire par l'illusion d'une expiation infinie et ils sont heureux de voir le Dieu tout-puissant souffrir à la place des pécheurs; mais ils se laissent abuser par un grossier sophisme et ils sont forcés eux-mêmes de reconnaître que ce n'est point le Dieu infini et immuable qui est mort sur la croix, mais que c'est Jésus homme qui, seul, a éprouvé les douleurs de l'agonie.

    Ils disent encore que Christ Dieu est un objet plus attachant pour la foi, et qu'en contemplant son abaissement et sa misère, nous sentons mieux toute l'étendue de son amour et de sa miséricorde. Mais Christ étant le Dieu infini et immuable, ne pouvait pas évidemment se dépouiller de la plus faible partie de ses perfections et, au moment où il se faisait chair, il continuait à remplir, ainsi que son Père, la terre, le ciel et l'immensité. Il pouvait, pendant qu'il était sur la croix, souffrir dans son âme humaine, mais dans son âme divine, dans celle qui était véritablement la sienne, il était l'être le plus heureux de l'univers, il était aussi heureux que le Père infini, et ses angoisses n'étaient rien en comparaison de sa félicité. Malgré cela, les Orthodoxes persistent à se dire touchés, accablés de l'humiliation de leur Dieu, mais ils nous ôtent par leurs théories toute sympathie pour Jésus et éveillent en nous des sentiments diamétralement contraires à un sincère amour. Le véritable moyen de nous faire admirer le dévouement du Rédempteur est de voir en lui une personne unique, non d'avoir recours à l'expiation d'une victime surhumaine, et de s'attacher obstinément aux formules des Pères grecs et des Scholastiques du moyen âge.

    Ces objections ne sont point les seules que fasse Channing au dogme traditionnel. Il lui reproche de porter atteinte à la bonté de Dieu et d'attribuer au Christ le pouvoir d'apaiser son Père et de le rendre compatissant pour le pécheur, tandis qu'en réalité II a été envoyé par Lui et ne peut point opérer lui-même notre salut. Il est offensant pour la justice divine, parce qu'une créature bornée comme l'homme n'est point passible d'une irrémissible condamnation et que la culpabilité de tout être doit être proportionnée à sa nature et à ses facultés. Rien n'est plus contradictoire que d'admettre que tantôt Dieu est assez sévère pour exiger que nos fautes soient expiées dans d'éternels tourments, tantôt assez faible et assez indulgent pour se contenter des souffrances temporaires du Christ homme, comme d'un complet équivalent des peines infinies méritées par le pécheur. Dieu, dans cette hypothèse, ne pardonne jamais, et rien n'est plus, propre à obscurcir la beauté du Christianisme et à répandre des doutes sur la miséricorde de l'Eternel. Enfin ce système a des conséquences morales désastreuses, et il tend à propager l'opinion que Jésus a pour principal but de détourner de nos têtes le châtiment plutôt que de nous communiquer la sainteté. On affaiblit ainsi la nécessité du progrès personnel et l'on remplace par de pompeuses déclamations sur le sang de l'Agneau l'obéissance due aux préceptes du Maître.

    Selon le théologien Unitaire, la Rédemption doit être conçue à un point de vue plus vrai et plus élevé. Jésus doit être regardé comme l'envoyé de Dieu pour la délivrance spirituelle et morale de l'humanité. Il a pour mission de soustraire les hommes au péché et aux maux qui en sont la suite, et de conduire, par la vérité, au bonheur éternel. Il est notre Sauveur, non parce qu'innocent il expie sur la croix les fautes des coupables, mais parce qu'il est le médecin, la lumière et le guide d'êtres malades, ignorants et égarés. Il n'opère pas notre affranchissement, comme le prétend saint Anselme, par la substitution juridique, mais par ses enseignements, son exemple, sa mort, sa résurrection, les secours divins qu'il nous procure par sa continuelle intercession auprès de notre Père Céleste. Tout autre manière d'agir serait inutile ou dangereuse, et il ne servirait à rien d'arracher le pécheur aux flammes éternelles si on laisse brûler un enfer dans son cœur, de l'introduire dans le Royaume de Dieu s'il reste étranger au bonheur et à la pureté des Élus. Aussi, aucune influence n'est-elle plus noble que celle du Christ, parce qu'elle est exclusivement morale ; aucune Rédemption plus glorieuse parce qu'elle s'adresse, avant tout, au cœur et à la conscience.

     

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      DidierLe Roux


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