• William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; L'Eglise, son Fondement

     

    William Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

    § 6. L'Église, son Fondement.

    Chacun connaît les pages charmantes dans lesquelles M. Édouard Laboulaye a dépeint l'innombrable diversité des communautés religieuses aux États-Unis et où il nous montre son héros voyageant à la recherche d'une Église et errant de la Mosquée à la Synagogue, du temple des Catholiques à celui des Presbytériens, de la chapelle Méthodiste à la chapelle Unitaire. Où trouver la véritable Église au milieu de cette infinie variété de sectes? Comment, au milieu de l'universelle anarchie des opinions, parvenir à la vérité?

    Channing ne se laisse point arrêter par un aussi grossier épouvantail et il a trop de foi en la dignité humaine pour aboutir au scepticisme; mais il condamne comme erronées et dangereuses les bases sur lesquelles on fait généralement reposer l'Église, et il a recours à de tout autres principes pour établir sa légitimité. Il commence par une éloquente et spirituelle critique du système orthodoxe, et se demande si l'on peut adopter comme fondement d'une communauté le rite ou le dogme. On ne peut songer au premier, répond-il. Jésus-Christ, dans le Sermon sur la Montagne, et dans aucun autre de ses discours n'a rien dit de la forme extérieure de l'Église, et l'on ne voit nulle part que ni lui ni ses disciples aient fixé son rituel ou déterminé son organisation ultérieure. Cela ne doit point nous surprendre, puisque le Christianisme se propose comme fin suprême de répandre le culte spirituel parmi toutes les nations et à tous les degrés de développement, et que, pour pouvoir agir dans tous les temps, pour pouvoir s'allier à de nouvelles formes sociales et aux plus glorieux progrès de la civilisation, il doit être doué de la plus entière flexibilité et s'adapter aux besoins et à la marche du genre humain. On le voit par son histoire. Lors de sa constitution primitive, l'Église ne reposa pas sur une union forcée et arbitraire, elle fut une association libre et spontanée : aussi gagna-t-elle des milliers de prosélytes, et conquit-elle le monde par la seule persuasion.

    Lorsque plus tard elle fut séduite par l'amour de la domination et qu'elle voulut imposer une législation uniforme à tous les fidèles, elle renia son véritable principe, et elle devint le théâtre des plus coupables passions et des vices les plus odieux. Notre grande erreur consiste à exagérer l'importance de l'Église pour le salut. Nous nous imaginons que les cérémonies et les rites consacrés peuvent nous servir matériellement, qu'il y a dans ce que nous appelons le lieu saint une puissance mystérieuse qui agit sur nous sans notre participation, que le ministre est revêtu par l'ordination d'un pouvoir magique. Il n'en est rien. L'Église ne peut rien faire pour nous en comparaison de ce que nous devons faire par nous-mêmes : elle est un secours et non une force, elle ne peut nous améliorer qu'autant qu'elle nous excite à penser, à prier, à agir. L'influence du pasteur doit être toute morale : peu importent l'Université où il a étudié et le prêtre qui lui a imposé les mains, pourvu qu'il accomplisse sa tâche avec la crainte de Dieu et qu'il s'adresse avec la chaleur et la sincérité d'un Chrétien au cœur et à la conscience de ses frères. Aspirons à être les temples du Saint-Esprit et ne nous préoccupons point outre mesure de la secte dans laquelle nous parviendrons le plus sûrement à la régénération et au salut.

    Si Channing rejette l'uniformité rituelle comme fondement de l'Église de Christ, il n'éprouve pas une moins violente aversion pour les Confessions de foi, et il repousse tout credo de fabrication humaine comme lien d'union et moyen de grouper les esprits. Tout d'abord ils nous séparent de Jésus ; or notre plus grand privilège comme Chrétiens est de pouvoir nous asseoir aux pieds de notre divin Maître et de recevoir de lui la vérité sans mélange d'erreur.

    «De quel droit, s'écrie avec une généreuse indignation le pasteur de Boston, l'homme s'interpose-t-il entre moi et mon Sauveur pour me dicter mes doctrines? En vertu de quelle autorité chaque secte Protestante me prescrit-elle d'adopter son symbole sous peine d'être exclu pendant cette vie de la communion de mes frères, d'être damné pour la vie éternelle? »

    On ne peut s'empêcher de ressentir un souverain mépris pour les formules d'origine humaine lorsqu'on les compare au Nouveau Testament. Ce sont des squelettes, l'expression métaphysique de dogmes inintelligibles, et on nous ordonne de les substituer à la vérité pure et vivante telle qu'elle est sortie des lèvres de notre Rédempteur? On ne peut comprendre Jésus au moyen d'arides définitions; la seule manière de le connaître est de nous approcher de Lui, de le contempler, de l'entendre, de lui obéir et d'arriver ainsi à la claire et brillante perception de sa gloire.

    Le Christianisme est trop vaste et trop puissant pour être emprisonné dans les quelques lignes d'un symbole abstrait et pour être irrévocablement déterminé par la faible intelligence de l'homme. C'est un esprit plutôt qu'un système rigidement enchaîné, l'esprit d'un amour sans bornes. Les impressions qu'un vrai fidèle reçoit du caractère et des enseignements de son Maître ne peuvent qu'être faiblement exprimées par des mots et ne sont senties que par ceux qui comprennent les accents du cœur. On ne peut pas plus formuler la religion dans une série de propositions théologiques qu'on ne peut faire connaître au moyen de quelques termes vagues les traits d'un ami bien aimé. Il résulte de la grandeur du Christianisme que les idées que nous nous en faisons sont nécessairement incomplètes, et que .les plus profonds docteurs doivent toujours progresser dans la connaissance de la vérité. Or rien n'est plus contraire à une semblable disposition qu'une règle fixe et arbitraire, et une religion comme celle de Jésus demande que nous jouissions de notre liberté.

    En second lieu, les Confessions de foi sont contraires à la sincérité et dépouillent l'enseignement religieux de toute son influence. Pour persuader ses auditeurs, un pasteur doit pouvoir exprimer ses propres idées sous la forme avec laquelle elles se présentent à son esprit. Un symbole arrête cette libre expansion de la pensée : le pasteur doit chercher des paroles qui ne soient pas en contradiction avec les articles adoptés par son Église, et si de nouvelles idées s'imposent à lui, il doit les envelopper d'un langage nuageux et détourner de leur sens évident les formules consacrées.

    « Combien, s'écrie Channing avec une sainte véhémence, combien je plains profondément le ministre qui, dans la chaleur et la fraîcheur de la jeunesse, entrevoit une vérité plus élevée que celle qui est contenue dans le symbole, mais qui n'ose pas l'exprimer? qui se fait l'écho de ce qui n'est pas la simple et naturelle expression de son âme? Mieux vaudrait pour nous mendier notre pain et nous couvrir de haillons que de renoncer à la sincérité et à la franchise chrétiennes. Mieux vaut pour un ministre, prêcher dans des granges ou en plein air, s'il peut faire entendre la vérité de toute l'abondance de son âme, que d'élever dans des cathédrales, au milieu de la pompe et de la richesse, une voix qui n'exprime pas ses pensées intérieures. Si ceux qui portent les chaînes des Crédos connaissaient une seule fois le bonheur de respirer l'air de la liberté et de marcher avec un esprit sans entraves, il n'y a pas de trésors ni de puissance au monde qui pourrait les engager à renoncer à leur liberté spirituelle. »

    Enfin les crédos favorisent l'incrédulité en passant complètement sous silence la sainteté de Jésus et les vérités essentielles du Christianisme et en insistant sur les dogmes les plus obscurs et les plus incompréhensibles. Le Christianisme devient un recueil de contradictions visibles et de propositions énigmatiques et il est repoussé par les hommes éclairés comme une insulte à la raison et comme le triomphe du fanatisme sur le bon sens. Channing saisit cette occasion pour condamner en termes sévères l'hypocrisie et la haineuse intolérance dont il avait eu à souffrir pendant tout le cours de son ministère, et il dépeint avec une verve mordante ces Pharisiens modernes qui se plaisent à répandre les soupçons et le trouble dans les paroisses, qui ne craignent point de diffamer la vie privée de leurs adversaires et qui représentent le pasteur hérétique comme un émissaire de Satan déguisé en ange de lumière. Il s'élève avec une éloquence vengeresse contre la tentative mainte fois renouvelée par les Orthodoxes d'imposer un système d'exclusion à l'égard des Unitaires et il voit dans leurs sauvages violences et leurs farouches anathèmes la destruction de la paix dans les Églises et les familles et la ruine du Christianisme. De si étranges prétentions trahissent chez leurs auteurs une grossière ignorance et un insupportable orgueil : elles ne peuvent se justifier par l'Écriture qui n'impose d'autre condition à l'entrée dans le Royaume de Dieu que l'adhésion aux préceptes de l'Évangile ; loin de servir la religion et de rendre à l'Église sa pureté native, elles ne peuvent extirper l'erreur et favorisent les plus odieuses persécutions. Aussi est-ce un devoir sacré pour tous les amis de la charité et de la liberté chrétiennes, de soutenir les droits de la conscience individuelle et de repousser toute assertion de supériorité de la part d'une secte quelconque comme une coupable usurpation.

    Quel sera donc le fondement de l'Église demanderons-nous à Channing ? Le seul qu'ait choisi Jésus, la pureté du cœur et de la vie, la piété sincère qui se montre par des faits. L'Église n'a d'importance qu'autant qu'elle élève l'âme vers le Créateur et elle aura atteint son véritable but, si nous faisons la volonté de notre Père Céleste, si nous écoutons avec humilité les leçons de Jésus, si nous prenons la ferme résolution d'accomplir la tâche qui nous est imposée en dépit des plus violentes tentations et des plus rudes sacrifices. « A celui qui est instruit par sa conscience, à celui qui a été fortifié dans la lutte et consolé dans la douleur, à celui qui a soif de pureté et dont le cœur déborde d'amour et de reconnaissance pour l'Éternel, on ne pourra dire que les promesses du Sauveur ne sont pas faites pour lui et qu'il ne peut approcher de Dieu. Il a senti le pouvoir des paroles et de la croix de Jésus1; il ne pourra être séparé de lui par l'exclusion et le bigotisme. » Les seuls éléments d'une Église vivante et active sont un pasteur éclairé et convaincu et de fidèles disciples du Christ.

    Mais quel sera le lien de tous ces esprits qui cherchent chacun la vérité, et qui ne marchent point du même pas ? Quel principe constituera cette Église par laquelle on arrive de tous les côtés, et réunira ces chrétiens qui ne sont rapprochés ni par le rite, ni par le dogme? Le même principe qui est à la base des Eglises particulières, le commandement qui, selon Jésus, résume la Loi et les Prophètes, l'amour de Dieu et de l'humanité. Le seul lien entre toutes les sectes, la seule religion universelle est l'amour; quiconque est pénétré de la morale de l'Évangile et en fait la règle de sa vie, celui-là accomplit la Loi éternelle et est membre du Royaume de Dieu. Tant que les Protestants adopteront la méthode autoritaire et s'obstineront à chercher l'unité de foi dans l'unité de croyances, ils ne pourront échapper à l'impitoyable dilemme de Bossuet, et ne seront qu'une fraction obscure et inconséquente du Catholicisme. Le seul moyen de triompher de l'orgueilleux auteur dès Variations est de recourir à la conscience et au jugement individuels, et de poursuivre la vérité dans la mesure de nos forces sans prétendre à l'absolu. C'est par ce complet affranchissement des symboles et des formules que le Protestantisme aura sa raison d'être, et que nous pourrons aspirer à cette Église universelle qu'a dépeinte Channing avec une sainte passion et une splendide éloquence.

    «Il y a une Église plus grande que toutes les Églises particulières quelque grandes qu'elles soient: c'est l'Église universelle qui s'étend sur toute la terre, et ne fait qu'un avec l'Église qui est dans le Ciel. Tous ceux qui suivent le Christ ne forment qu'un seul corps, un seul troupeau; c'est ce que nous enseignent différents passages du Nouveau Testament. Vous vous rappelez la ferveur de sa dernière prière : "Que tous ne fassent qu'un, comme Lui et son Père ne font qu'un." Dans cette Église sont admis tous ceux qui participent à l'esprit de Christ. Elle ne demande pas qui nous a baptisés, de qui nous tenons notre passeport, quel signe nous portons. Si nous avons été baptisés par le Saint-Esprit, ses larges portes nous sont ouvertes. Là sont réunis ceux que des noms différents ont séparé et séparent encore. Là il n'est pas question d’Église grecque, romaine ou anglicane, mais seulement de l’Église de Christ. Mes amis, ce n'est pas là une union imaginaire. Quand l’Écriture parle ainsi, ce n'est pas une vaine rhétorique, c'est la vérité pure. Tous ceux qui participent sincèrement à la vérité chrétienne, sont essentiellement unis. Dans l'esprit qui les anime, il y a une force d'amour qu'on ne trouverait dans aucun autre lien. Séparés par les mers, il y a entre eux des sympathies fortes et indissolubles. La voix nette et puissante d'un Chrétien inspiré vole par toute la terre et dans un autre hémisphère touche des cordes qui lui répondent. La parole d'un Fénelon par exemple arrive à des millions d'âmes dispersées dans le monde. Ne sont-elles pas toutes de la même Église?

     Je tressaille de joie au nom des saints qui ont vécu, il y a des siècles : le temps ne nous sépare pas, l'ancienneté ne les rend que plus vénérables. Ne sommes-nous pas du même corps ? Est-ce que cette union n'est pas quelque chose de réel ? La réunion dans un même édifice n'est pas ce qui fait une Église. Me voici dans un temple. Je suis assez près de l'un de mes semblables pour le toucher, mais il n'y a pas entre nous un sentiment commun. La vérité qui me remue, cet homme s'en rit comme d'un rêve et d'une chimère, le désintéressement que j'honore, il l'appelle faiblesse ou folie. Que nous sommes loin l'un de l'autre, quoiqu'en apparence si voisins ! Nous appartenons chacun à des mondes différents. Que je suis plus près de quelque âme pure, généreuse qui vit dans un autre continent, mais dont la parole a pénétré mon cœur, dont les vertus m'ont enflammé d'émulation, dont les pieuses pensées s'offrent à mon esprit, lorsque je suis dans la maison de prière. Lequel de ces deux hommes est de mon Église ?

    Ne me dites pas que je m'abandonne à un rêve de mon imagination, quand je dis que des chrétiens éloignés, que tous les chrétiens et moi-même, nous ne formons qu'un corps et qu'une Église, aussi longtemps qu'une même piété et qu'un même amouj1 nous possèdent. Rien de plus réel que cette union spirituelle. Il y a une grande Eglise qui embrasse tout: Chrétien, j'en fais partie et personne ne peut m'en faire sortir. Vous pouvez bien m'exclure de votre Église romaine, de votre Église épiscopale, de votre Église calviniste, pour quelques défauts supposés dans mon symbole ou dans ma secte, et je suis content d'en être exclu; mais je ne veux pas qu'on me détache du grand corps de Christ Qui me séparera d'hommes tels que Fénelon, Pascal et Borromée, de l'archevêque Leighton, de Jérémy Taylor et de John Howard ? Qui rompra le lien spirituel qui m'unit à ces hommes ? Ne me sont- ils pas chers? L'esprit qui déborde dans leurs écrits et dans leurs vies ne pénètre-t-il pas mon cœur? Ne sont-ils pas une partie de mon être? Ne suis-je pas un autre homme que ce que j'aurais été si ces grands esprits n'avaient agi sur moi? Et est-il au pouvoir d'un synode, d'un conclave ou de toutes les assemblées ecclésiastiques du monde de m'en séparer? Je tiens à ces grands esprits par la pensée et l'affection, est-ce qu'on supprime la pensée et l'affection par la bulle d'un pape, ou l'excommunication d'un Concile ? L'âme brise dédaigneusement ces barrières, déchire ces toiles d'araignée pour s'unir aux grands et aux bons, et si elle possède leur esprit, est-ce que vivants ou morts, les grands et les bons la repousseront parce qu'elle ne s'est pas enrôlée dans telle secte ou dans telle autre. Une âme pure a le droit de cité dans l'univers entier. Elle appartient à l’Église, à la famille de ceux qui sont purs dans tous les mondes. La vertu n'est pas chose locale, elle n'est pas respectable parce qu'elle a pris naissance dans telle ou telle société, mais à cause de sa beauté indépendante et éternelle. Voilà le lien de l’Église universelle. Nul homme n'en peut être excommunié que par lui-même en tuant la vertu dans son âme. Toutes les sentences d'exclusion sont vaines, si nous ne brisons le lien de la vertu qui nous unit à toutes les âmes saintes. » 

    Tout commentaire serait de mauvais goût après ces magnifiques paroles : il ne nous reste plus qu'à appeler de tous nos vœux la prompte réalisation du rêve du pieux pasteur de Boston, et de travailler chacun selon nos forces à son accomplissement.

     

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      DidierLe Roux

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