• William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Eschatologie de Channing

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Eschatologie de Channing 

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Eschatologie de ChanningWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     
    § 8. Eschatologie de Channing.

    Channing croyait à la vie future de toutes les forces de son âme et la regardait comme l'un des principes essentiels du Christianisme; aussi en parla-t-il souvent dans les discours qu'il prononça devant ses auditeurs de Federal Street et chercha-t-il à leur en donner des notions plus rationnelles et plus élevées que celles qui avaient alors cours dans l'Orthodoxie américaine. Bien qu'il n'ait jamais entrepris de démontrer scientifiquement l'immortalité de l'âme, il a consacré plusieurs pages éloquentes à la défense de cette thèse, et nous pouvons ranger sous trois chefs principaux les arguments qu'il emploie contre les incrédules.

    Tout d'abord, il invoque le témoignage de la nature et déclare que l'on ne peut conclure de l'universelle destruction de tous les êtres organisés à notre propre anéantissement sans violer les distinctions les plus élémentaires entre la matière et l'esprit. En effet, quand on considère un végétal ou un animal, on reconnaît qu'il ne lui faut qu'un temps relativement bref pour accomplir sa destinée. Il n'en est pas de même dans le monde de l'esprit: nos facultés, nos aspirations, nos projets ne connaissent point de bornes ; à chaque pas que nous faisons en avant, nous avons l'espoir d'une plus noble conquête, et plus nous nous élevons, plus nous sentons notre affinité avec le Créateur.

    En deuxième lieu, le monde de la matière est contenu dans d'étroites limites et il n'a besoin que d'un court espace de temps pour réaliser son plein développement. Au contraire l'expansion indéfinie de l'esprit, loin d'être en contradiction avec les lois de la Création, est en pleine harmonie avec elles, et plus un homme a de vie intellectuelle et morale, plus il exerce d'influence autour de lui. En progressant il produit sans cesse des fruits nouveaux en beauté, en vérité, en sainteté et contient en lui des germes de puissance plus admirables que ceux qu'il a jamais manifestés. Les choses matérielles existent pour autrui, non pour elles- mêmes ; leur disparition ne cause aucun dommage. L'homme ne peut supporter l'idée d'une ruine totale, parce qu'il se souvient du passé et qu'il prévoit l'avenir. Le progrès ne peut être arrêté à son origine; la pensée et la vertu ne peuvent être radicalement supprimées ; la raison, la conscience, la volonté ne peuvent complètement s'éteindre, et plus l'homme est uni à Dieu, plus il a horreur du néant. On parle, il est vrai, de destruction de la matière, mais nous sommes victimes d'une erreur de langage. Rien ne périt entièrement, et les éléments décomposés se réunissent pour former de nouvelles combinaisons plus brillantes et plus utiles que les précédentes. Au contraire, si l'âme pouvait être anéantie, ce serait un mal irréparable, parce que nous avons notre individualité propre, et que nous ne pouvons transmettre à d'autres nos talents et nos affections. ' Channing a également recours à la psychologie, et il se base sur la nature morale de l'homme pour établir son immortalité. Le mal provient en effet d'une noble cause, de la liberté morale. Si nous péchons, c'est parce que nous sommes des êtres responsables; si nous sommes exposés à la tentation, c'est parce que nous pouvons en triompher et aspirer à la perfection. Lors même que nous sommes le plus dégradés, nous conservons par la menace d'un châtiment la notion d'une vie future, et nous sentons que, si pendant cette vie nous demeurons impunis, nous ne pourrons toujours nous soustraire aux jugements de Dieu. Enfin, nos transgressions si énormes et si abondantes soient-elles, loin de diminuer notre confiance dans les forces et l'avenir de l'humanité, ne servent qu'à mettre dans une plus éclatante lumière la piété et la sainteté. L'homme, qui au milieu de tant d'influences corruptrices demeure fidèle au devoir et à la vérité, est supérieur à celui qui atteindrait le but sans passer par la tentation, et nous jouirons pleinement dans le Ciel du bonheur que nous n'avons pu goûter sur la terre.

    Channing insiste en dernier lieu sur la preuve scripturaire et attache une grande importance à la résurrection du Christ. Quel fait plus propre à dissiper nos doutes, que l'histoire de cet homme qui, après avoir subi le plus ignominieux des supplices et avoir été déposé sans espoir dans le sépulcre, est animé, trois jours après, d'une vie nouvelle et reparaît au milieu des siens pour attester le triomphe de l'humanité sur le Prince de la Mort. Le Christianisme nous a le premier révélé l'immortalité, non qu'auparavant cette doctrine nous fût inconnue, mais parce qu'il l'a entièrement transformée. Avant Jésus, elle demeurait à l'état d'hypothèse, de vague espérance ; depuis sa résurrection elle est devenue une glorieuse certitude ; avant lui elle ne raffermissait point notre vertu et favorisait quelquefois nos plus honteuses passions ; après lui, elle est une doctrine essentiellement morale et donne du courage et des forces à celui qui veut lutter contre ses mauvais penchants et mener une vie conforme à l'Évangile.

    Le mérite de l'Eschatologie de Channing ne consiste point seulement dans cette argumentation en faveur de l'immortalité de l'âme, si intéressante et si vigoureuse qu'elle soit. Sauf quelques incrédules de bas étage qui professaient l'Athéisme pour justifier leur immoralité et qui ne jouissaient d'aucun crédit, nul ne songeait, dans la Nouvelle-Angleterre, à mettre en doute le dogme d'une vie future. Ce qu'il importait, c'était de le dégager de sa forme grossière et surannée, et de le concevoir selon le spiritualisme évangélique. Or, aujourd'hui encore, l'Orthodoxie américaine maintient obstinément, jusque dans leurs moindre détails, les symboles traditionnels, en dépit des conquêtes les plus solidement établies de la science moderne et des plus claires affirmations de la conscience, et rien n'est plus choquant que le matérialisme des Spurgeon, des Ward-Beecher et d'autres éminents prédicateurs anglo-saxons. L'enfer est toujours considéré par eux comme le séjour local de Satan et des démons, et les impies y sont en proie à d'horribles tourments corporels qui ne doivent point avoir de fin. Le Ciel est conçu de la manière la plus charnelle, et l'on invoque les brillantes et poétiques descriptions de l'Apocalypse en faveur du Réalisme le plus vulgaire et le plus repoussant. Les justes jouissent, grâce à un acte auquel ils n'ont point eu de part, d'une parfaite félicité comme les pécheurs subissent, pour la transgression d'Adam, une damnation éternelle.

    Les premiers en Amérique, les Unitaires eurent la gloire de protester contre d'aussi barbares doctrines et de réaliser, sur ce point comme sur tant d'autres, un considérable progrès. Channing, en particulier, ne cessa de protester contre les erreurs de la théologie contemporaine, et conçut la vie future sous sa forme la plus édifiante et la plus élevée. Pour lui, l'Enfer n'est point un lieu étranger à la terre, et nous n'avons point à redouter des châtiments physiques. L'Enfer commence dès ici-bas pour ceux qui sont en guerre avec Dieu, et il consiste dans la misère et l'endurcissement amenés par le péché. La Rédemption a pour but notre délivrance spirituelle ; Jésus n'est pas venu dans ce monde pour arracher les coupables aux flammes de la Géhenne : il est venu pour nous guérir de nos maux et pour nous affermir dans la foi, la sainteté et l'amour. Une fois que l'homme a vaincu ses passions, une fois qu'il obéit aux prescriptions de sa conscience et qu'il conforme ses actes à la parole divine, il n'a plus à se préoccuper d'enfer et de jugement, et Channing appliquerait volontiers à chacun de nous les belles paroles de M. Renan sur Jésus : « Aucun ange ne le réconforta, si ce n'est celui de sa bonne conscience ; aucun Satan ne le tenta, si ce n'est celui que chacun de nous porte en son cœur. »

    De même nous ne devons point nous représenter le Ciel comme un paradis matériel dans lequel nous serons subitement transportés et où des jouissances d'un ordre supérieur seront à la disposition de ceux qui en obtiendront l'entrée. La Vie Céleste commence dès ici bas et se développe pour tout homme dans la mesure où il accomplit avec fidélité la tâche qui lui est imposée et où il est pénétré du Saint-Esprit, mais tant que dure l'existence actuelle, une lutte inévitable et douloureuse entre nos inclinations égoïstes et nos plus nobles penchants nous empêche de posséder pleinement le salut. Le bonheur, qui n'est que faiblement entrevu ici-bas, se réalisera de la manière la plus complète et la plus glorieuse dans l'éternité. Toutes nos facultés recevront leur entier déploiement, la vérité nous apparaîtra sans voiles, nos plus pures aspirations seront pleinement satisfaites, nous serons unis à nos frères par une universelle sympathie, et selon le mot sublime de l'Apôtre, Dieu sera tout en tous.

    Channing croit au salut final de toutes les créatures spirituelles et il repousse avec vivacité le dogme des peines éternelles tel que le formule la théologie Ecclésiastique. Comment, en effet, des êtres finis pourraient-ils être condamnés pour une faute passagère à un supplice irrémissible? Comment concilier le perpétuel malheur d'une créature quelconque avec la miséricorde de Dieu? Pourquoi l'action du Créateur serait-elle toujours impuissante ? Comment la félicité des Élus pourrait-elle être sans mélange, s'ils avaient le sentiment que les êtres qui leur sont le plus chers subissent d'effroyables tourments sans aucun espoir de pardon? Cela est aussi contraire à la perfection de Dieu qu'à une saine anthropologie, et l'idée d'un rétablissement final, d'une à àהoxactaotaorç  הacטtשׁט est des plus consolantes pour l'humanité. 

    Quant à la forme de notre nouvelle existence, quant au bonheur qui nous est réservé dans les célestes parvis, Channing n'a garde de tomber dans les bizarres rêveries et les fantastiques aberrations qui sont si fréquentes dans la théologie anglo-saxonne, et il se distingue dans ses vues Eschatologiques par sa sobriété et son spiritualisme. Selon lui, notre suprême félicité consistera dans la contemplation de Dieu. Sur la terre nous ne pouvons le connaître qu'imparfaitement, et les notions que nous nous formons de Lui sont toujours entachées d'erreur. Là-haut nous le verrons face à face, nous l'admirerons dans toutes ses œuvres, nous serons avec Lui dans une communion immédiate. Rien ne pourra désormais nous séparer de Jésus-Christ, et nos rapports avec Lui surpasseront ce que nous pouvons concevoir de plus tendre et de plus sublime. Loin d'être accablés par sa grandeur, nous serons animés par Lui d'une nouvelle vie, et nous nous épanouirons sous sa bienfaisante influence, comme la nature au printemps se transforme sous les rayons du soleil. Nous ferons mieux que de sympathiser avec notre Rédempteur : nous serons ses collaborateurs dans son auguste mission, et nous contribuerons avec Lui à l'avancement du Royaume de Dieu. Le Ciel n'est point un lieu d'oisive extase et de béatitudes stériles, et notre union avec le Christ ne serait point parfaite si nous ne travaillions pas de concert avec Lui à la régénération de nos semblables.

    Enfin, nous entrerons dans la glorieuse société des Rachetés, et nous vivrons avec tous les grands serviteurs de Dieu et les plus illustres bienfaiteurs de l'humanité. Nos relations ne seront plus souillées par notre égoïsme et nos mauvaises passions, nous jouirons de la sainte liberté des enfants de Dieu, et nous trouverons notre bonheur à favoriser les progrès de ceux qui sont moins avancés que nous dans la connaissance des choses divines.

    De si radieuses perspectives remplissent Channing d'un noble enthousiasme, et il s'écrie dans un pieux transport : « Le ciel est une glorieuse réalité. Nous devrions toujours en sentir l'attraction. S'il y avait ici-bas un pays qui réunît tout ce qu'il y a de beau dans la nature et tout ce qu'il y a de grand en fait de vertu et de génie, et qui comptât au nombre de ses citoyens les patriotes, les poètes, les philosophes, les philanthropes les plus célèbres de notre époque, avec quelle ardeur nous traverserions l'Océan pour visiter cette contrée! L'attrait du ciel n'est-il pas mille fois plus grand ! Là vivent les aînés de la création, ces fils de l'aurore qui firent entendre des chants de joie à la création de notre espèce ; là sont les grands et les bons de tous les temps et de tous les climats; les amis, les bienfaiteurs, les libérateurs de l'humanité ; le patriarche, le prophète, l'apôtre, le martyr, les véritables héros de la vie publique et plus encore de la vie privée, le père, la mère, l'époux, l'épouse, l'enfant, tous inconnus de l'histoire, mais qui ont marché sous les yeux de Dieu dans toute la beauté de l'amour et du sacrifice. Là sont ceux qui ont jeté dans nos cœurs les fondements de la vertu et de la charité, les écrivains qui nous ont inspiré de purs et nobles sentiments, les amis dont le courage a illuminé nos demeures et donné de la force et du calme à nos cœurs. Ils sont là-haut réunis à l'abri de tous les orages vainqueurs du mal, et ils nous disent: Venez avec nous dans notre éternelle félicité, unissez-vous à nos chants de louange, partagez notre adoration, notre amitié, notre progrès, notre amour. Ils nous disent : Cultivez maintenant dans votre vie terrestre cet esprit et cette vertu du Christ qui sont le commencement et l'aurore du Ciel, et bientôt, avec une amitié plus qu'humaine, nous vous accueillerons dans notre immortalité. Cette voix vous parlera-t-elle en vain? Est-ce que notre amour du monde, est-ce que la persévérance dans le péché nous sépareront de la société du Ciel par un gouffre que nous ne franchirons jamais ? »

     

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    Suite : Critique du système théologique de Channing.
     

     

      
      DidierLe Roux

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