• W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    LA RELIGION EST UN PRINCIPE SOCIAL.

    SERMON PRÊCHÉ A L'ÉGLISE DE FEDERAL-STREET. BOSTON,
    10 DÉCEMBRE 1820.

    Jacques 1: 27. "La pure religion devant Dieu et le Père, c'est de visiter les orphelins et les veuves, et de se garder des souillures du monde."

     

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    Qu'est-ce que la religion? Voici une question qui intéresse tout homme qui réfléchit, non seulement à cause de l'importance qui s'y attache, mais à cause de la variété des réponses qu'on y a faites. Cette question ne peut se résoudre qu'en en proposant une autre, savoir, qu'est-ce que Dieu? Car, par religion, nous entendons le culte dû à l'Être suprême, et ce culte doit nécessairement répondre à la nature de Dieu ; de sorte que nos idées, en fait de religion, seront vraies ou fausses, suivant que nous comprendrons bien ou mal le caractère divin.

    Les religions du paganisme, au milieu de leur immense variété, s'appuyaient, en général, sur une idée d' la Divinité qu'elles empruntaient aux souverainetés de la terre. On supposait que les dieux étaient dominés comme les hommes par l'amour des louanges, des hommages, des distinctions. L'adorateur cherchait donc à se rendre les dieux favorables par des offrandes, des honneurs, des respects ; il cherchait à calmer leur colère par les moyens qui apaisent ici-bas les blessures de l'orgueil. Une pareille religion avait peu de force pour purifier les âmes, encore bien que dans les temps même de la plus grande ignorance, la conscience apprit aux hommes à regarder la Divinité comme la vengeresse du crime.

    L'idée de Dieu, que nous donne la révélation et que la réflexion confirme, est bien plus noble. Dieu est un être parfait, infini, suffisant à son propre bonheur, et n'ayant besoin de rien de la part de ses créatures. S'il a créé l'univers, ce n'est pas pour avoir des esclaves qui lui rappelassent sa supériorité, c'est pour avoir des enfants qui connussent ses perfections et qui en jouissent, qui reçussent le bonheur de sa plénitude, qui partageassent ses bienfaits et y rendissent témoignage ici-bas et ailleurs. La communication du bien sur la terre et dans l'éternité, voilà ce que la révélation nous offre comme l'objet où Dieu se complaît. Il est donc évident que la vraie religion, celle qui répond à la nature divine doit consister en deux choses : d'abord à favoriser ces sentiments d'amour et de reconnaissance qui sont dus à une bonté infinie, et ensuite à seconder activement les desseins de cette bonté, c'est-à-dire à faire tout ce qui peut servir au bien-être présent et futur des autres et de nous-mêmes. Un respect plein d'affection et de reconnaissance envers Dieu, considéré comme la bonté pure et infinie, et des efforts pour assurer à nous-mêmes et aux autres tout le bonheur pour lequel Dieu nous a créés, ce sont là les deux grandes branches d'une religion éclairée. La première en est la part intérieure, la seconde en est l'action et l'expression dans la vie.

    Dans le texte, l'apôtre ne cherche pas à nous donner la définition complète de la religion, mais seulement à décrire les actes par lesquels elle se manifeste ; et ces actes répondent à ce que je viens d'établir. Ils consistent à faire du bien aux autres et à nous en faire à nous-mêmes. La religion pure et sans tache, c'est de visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction. C'est d'être prêt à toute bonne parole, à toute bonne oeuvre ; c'est aussi de se conserver pur des souillures de ce monde, c'est-à-dire, d'éviter ces excès de convoitise et de passion qui souillent notre honneur et nous privent des plus nobles jouissances. Ces vues pratiques ont un prix infini, et quand elles prévalent, elles font de la religion un bienfait. L'abandon où on les a laissées et le faux zèle avec lequel on a exalté d'autres formes de piété sont au nombre des traits les plus affligeants dans l'histoire de la religion.

    Dans cette définition générale, je choisis un trait particulier pour en faire l'objet de notre étude. La religion pure et sans tache, nous dit-on, consiste à faire le bien ; car, visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, est employé par l'apôtre comme la partie pour le tout, afin de désigner toutes les manières de faire du bien aux hommes. Ce langage nous apprend que la religion est un principe social, intimement lié aux devoirs sociaux, et qui nous touche comme étant faits pour la société. J'insiste sur cette façon d'envisager la religion, afin de combattre une maxime trop généralement admise, c'est que la religion est une affaire particulière entre l'homme et son Créateur, où le prochain n'a aucun intérêt. C'est un retour à la vieille doctrine qui faisait abandonner la société pour adorer Dieu dans les déserts, et il nous étonne de voir que quelques-uns de ceux qui se prétendent supérieurs aux préjugés vulgaires adoptent cette erreur des fanatiques les plus renforcés.

    La religion, nous dit-on, est chose particulière et personnelle, c'est une question qui n'intéresse que l'individu et Dieu. Les tiers et l'État ne doivent pas s'en mêler. Que l'individu ait une religion ou qu'il n'en ait pas, qu'elle soit bonne ou mauvaise, cela ne regarde que lui.

    Ce langage vague, qui semble dire que la religion de l'individu n'intéresse pas la société, et qu'en ce point elle n'a pas le droit d'user de son influence, peut faire beaucoup de mal ; je veux combattre cette idée en maintenant que la religion est éminemment un principe social, que ce principe entre dans la vie sociale, qu'il a une influence considérable sur le bien public, que la société a ici un grand intérêt, et qu'elle ne peut dédaigner là religion sans manquer à ce qu'elle se doit. On ne tient pas assez compte du caractère social de la religion ; c'est un sujet sur lequel il faut insister.

    I. Observons d'abord que la religion est fondée sur notre nature sociale et sort de nos relations sociales. Votre religion, dites-vous, est un intérêt particulier qui ne touche que vous. Mais d'où vous est-elle venue ? Est-elle née avec vous? Non. En un sens important elle est un présent de la société. Vous l'avez reçue de vos parents, et encore plus de l'État ; car, si le Christianisme ne florissait pas dans l'État, si des institutions publiques, si de continuelles observances ne le rendaient pas visible combien peu de nous seraient chrétiens! Nous sommes des êtres religieux parce que nous sommes des êtres sociables. Comment nous formons-nous l'idée des attribut de Dieu, surtout de sa bonté et de sa justice ces principaux fondements de la religion, si ce n'est par ce que nous en voyons la manifestation chez nos semblables dans la vie sociale? Et les affections que nous éprouvons pour Dieu, telles que le respect, la reconnaissance et l'amour, n'ont-elles pas eu d'abord nos semblables pour objet? La société est l'école où le cœur se forme pour le Créateur. On peut dire en vérité que notre religion tout entière nous vient par la société; elle est le produit et le fruit de la vie sociale. Il est donc impossible que la société n'exerce pas ici son influence, et qu'elle laisse l'individu se faire seul sa religion.

    II. La religion est un intérêt social, car en ce point les hommes ont un penchant a penser et à agir de concert, et elle est par conséquent un lien d'union. La religion n'est pas un secret à enfermer dans nos cœurs, c'est un sentiment fait pour être communiqué, partagé, fortifié par la sympathie, et dont tous doivent jouir en commun ; c'est la nature même de la religion, car qu'est-ce que Dieu, le grand objet du culte? Est-il seulement le Père de tel ou tel individu, ou le Père et le chef de cette grande famille dont chaque individu est un membre? Si d'autres hommes ont le même intérêt que moi à connaître l'Etre suprême, s'ils ont le même rapport avec lui,  si Dieu est l'objet et le centre commun de leur âme comme de la mienne, nous avons donc en Dieu le lien d'union qui nous rattache les uns aux autres. La religion a toujours montré son caractère social en encourageant les associations qui pouvaient exprimer et fortifier le sentiment religieux. Chez toutes les nations, et surtout chez les chrétiens, on s'est réuni pour un objet religieux. Quelques-uns des engagements les plus forts ont leur source dans le respect de l'être suprême. La religion est donc un intérêt social, puisqu'elle est un des grands liens de l'État.

    III. La religion est un intérêt public et social aussi bien qu'un intérêt privé, parce que le rapport commun de Dieu avec les hommes n'est pas seulement, comme nous venons de le dire, un motif de sympathie et d'attachement, mais parce qu'en outre ce rapport nous impose le devoir de reconnaître Dieu publiquement. Ce n'est pas assez d'adorer Dieu en particulier, car ce n'est là que la reconnaissance que nous lui devons comme à notre bienfaiteur particulier ; il doit y avoir des actes et des offrandes pour le Père et le Seigneur universel. La nature et le devoir nous poussent à témoigner notre reconnaissance publique aux bienfaiteurs des peuples, aux souverains, aux chefs de nations ; la société qui est l'œuvre et le royaume de Dieu, et qui tire de lui tout son bonheur, n'est-elle pas tenue envers lui à une reconnaissance publique? Sans cela le véritable caractère de Dieu, celui qui lui donne sa majesté, c'est-à-dire son règne universel, ne serait-il pas méconnu? La religion de la société a le même fondement que la religion particulière ; car Dieu est aussi bien le créateur de la société que de l'individu; c'est même là que sa grandeur et sa bonté se manifestent le mieux; la société est donc tenue de rendre hommage à Dieu par son organe et son représentant, qui est le gouvernement.

    IV. La religion est un intérêt social, car elle agit puissamment sur la société, et contribue de façons diverses à en maintenir la stabilité et la prospérité. La religion n'est pas seulement une affaire particulière; l'État est intéressé à la propager, car elle est le meilleur appui des vertus et des principes sur quoi repose l'ordre social. La religion pure et sans tache consiste, suivant notre texte, à faire le bien ; d'où il s'ensuit que si Dieu est l'auteur et l'ami de la société, le reconnaître c'est fortifier tous les devoirs sociaux. Une piété éclairée consacre tout ce qu'elle a de force à la cause de l'ordre public.

    Peu de gens soupçonnent, personne peut-être ne comprend à quel point la religion soutient toutes les vertus. On ne sait pas tout ce que nos sentiments moraux et sociaux puisent à cette source ; combien la conscience est impuissante sans la croyance de Dieu. On ne sait pas combien la charité serait paralysée si le sentiment d'une bienveillance plus élevée n'était là pour l'exciter et la soutenir ; combien l'édifice social craquerait tout à coup, et avec quel épouvantable fracas il s'écroulerait, si l'idée de l'Être suprême, de la responsabilité humaine et de la vie future s'effaçaient dans tous les esprits. Vienne un jour où les hommes croient fermement qu'ils sont l'œuvre et le jouet du hasard, qu'aucune intelligence supérieure ne s'occupe des affaires humaines, que tout périt à la mort, que les faibles n'ont pas de tuteur, et les opprimés point de vengeur, qu'il n'y a pas de récompense pour les sacrifices faits à la justice et au bien public, qu'un serment n'est pas entendu au ciel, que les crimes secrets n'ont pas d'autre témoin que celui qui les commet, que -l'existence humaine n'a pas de but, et que la vertu n'a point d'ami qui ne lui manque jamais, que cette courte vie est tout pour nous, et que la mort est un néant éternel ; oui, que les hommes abandonnent une fois complètement la religion, et qui pourra concevoir ou décrire l'immense désolation qui suivra? Croyez-vous que les lois humaines et la sympathie naturelle maintiendraient l'union de la société? Autant vaudrait croire que si le soleil s'éteignait dans les cieux, nos torches pourraient éclairer et nos feux animer et fertiliser la création. Si l'homme n'est qu'un insecte éphémère que rien ne protége, qu'y a-t-il en lui qui appelle le respect et l'amour ? Et qu'est-il autre chose, si l'athéisme est vrai? Détruisez dans une société toute pensée et toute crainte de Dieu, aussitôt l'égoïsme et les sens s'empareront de l'homme tout entier. Quand les appétits ne connaîtront plus de barrière, quand la pauvreté et la souffrance n'auront plus ni consolation ni espoir, elles mépriseront le frein des lois humaines. Vertu, devoir, principes ne seront plus que des mots sonores et méprisés. Un égoïsme sordide supplantera tous les autres sentiments, et l'homme deviendra véritablement ce que la théorie de l'athéisme prétend qu'il est, le compagnon de la brute.

    Ce qui est bien digne de remarque, c'est que la religion chrétienne a une importance particulière pour les sociétés libres. Il est permis de douter que la liberté politique puisse subsister sans la religion. Au moins savons-nous qu'on n'a jamais joui de l'égalité ni d'une justice impartiale là où le christianisme n'a pas été compris. Il favorise les institutions libres, d'abord parce que son esprit est l'esprit même de la liberté, c'est-à-dire un esprit de respect pour les intérêts et les droits d'autrui. Le Christianisme reconnaît l'égalité essentielle de l'humanité ; il étouffe en nous ce germe naturel d'ambition et de rapine d'où est sorti l'esclavage des masses au profit de quelques privilégiés ; son influence purifiante et ses préceptes directs, reportent à Dieu, et à lui seul, cet hommage suprême que nous avons prodigué, avec tant d'impiété, à des hommes titrés et couronnés. Ses tendances sont donc toutes pour la liberté. La religion établit profondément les seuls fondements de la liberté, qui sont la bienveillance, la justice et le respect de la nature humaine. L'esprit de liberté n'est pas seulement, comme on se l'imagine trop souvent, un soin jaloux de nos propres droits, la volonté de ne pas nous laisser opprimer, c'est encore le respect des droits d'autrui, et la volonté de ne laisser injurier ni fouler aux pieds personne, si humble ou si élevée que soit sa condition. Or, c'est là l'esprit du Christianisme; et la liberté n'a de garantie qu'autant que cette justice et cette bienveillance animent la société.

    La religion est favorable à la liberté d'une autre manière. Elle diminue la nécessité de la répression publique, et supplée à l'emploi de la force dans l'exécution des lois, en faisant que l'homme soit sa loi à lui-même, en réprimant la disposition de nuire à la société et de la troubler. Faites disparaître tout ce que la religion possède d'influence pour purifier et contenir le cœur humain, aussitôt l'égoïsme, la rapacité et l'injustice éclatent en de nouveaux excès, et, au milieu des dangers croissants de la société, il faut fortifier le gouvernement. II faut que l'État multiplie les moyens de réprimer le désordre et le crime, et cette force et ces moyens peuvent être tournés, et l'ont souvent été, contre la liberté qu'ils devaient défendre. Diminuez les principes dans une société, vous augmentez le besoin de la force. Ici le gouvernement n'a pas besoin de ce déploiement de puissance qu'on trouve chez les autres nations, ici point de soldats, point d'armée d'espions, point de police vexatoire ; quelques juges sans armes, quelques officiers civils nous suffisent; le gouvernement fait si peu de bruit, il se trouve si rarement en contact avec nous, que nous jouissons de ses bienfaits, sans penser qu'il existe ; et c'est la perfection de la liberté. A quoi devons-nous ce bienfait ? Je réponds : C'est à la puissance des lois que la religion grave dans nos cœurs, c'est à ces lois qui liguent l'opinion contre l'injustice et l'oppression, qui répandent dans la société un esprit d'équité et de bienveillance. La religion est donc l'âme de la liberté, et aucune nation sous le ciel n'y a un plus grand intérêt que la nôtre.

    La religion est donc un intérêt social ; c'est sur elle que repose la société. Ce n'est pas une affaire privée. Mon voisin, ma famille et la société ont intérêt à ce que j'aie des principes religieux, et à ce que ces principes soient répandus le plus possible. La religion de l'individu intéresse l'État autant que les particuliers.

    La première conclusion à tirer de ceci, c'est qu'en fait de religion, c'est un droit et un devoir pour nous d'exercer les uns sur les autres une influence réciproque. Si la religion est un principe social et le fondement du bonheur social, elle appelle des efforts communs. Ce n'est pas une question où chacun doive être laissé à lui-même, et n'ait rien à faire pour les autres ; chacun doit encourager la religion et la répandre autour de lui. En toutes choses les hommes agissent fortement les uns sur les autres; pourquoi la religion serait elle une exception, elle qui est un des premiers intérêts de l'humanité ?

    La seconde conclusion est que si les individus sont tenus d'encourager la religion, le même droit et la même obligation incombent à la société. Dieu est le créateur de la société, et le sentiment de Dieu constitue la force, le soutien, la vie de la liberté sociale, comment donc la société ne reconnaîtrait-elle pas Dieu, et ne ferait-elle pas tout ce qu'elle peut pour répandre le respect dû à son autorité ? S'il est établi par l'expérience que le Christianisme contribue puissamment à l'ordre et au bonheur publics, pourquoi la société n'appliquerait-elle pas ce principe comme les autres grandes vérités que le temps a confirmées?

    On dit quelquefois que la religion n'a pas besoin du secours de la société; qu'elle peut se suffire à elle-même. Autant vaudrait dire que, pour se propager, elle n'a pas besoin de l'aide des parents, de l'aide du talent et de l'aide des associations. La religion n'a pas été faite pour prospérer et s'étendre sans l'action des hommes. Elle vit et se perpétue à force de travail et de soins. Elle ne se propage pas d'elle-même; c'est l'homme qui la communique à l'homme. Or, la question est de savoir si la société n'a pas aussi le pouvoir de la répandre et de la perpétuer ? La société peut-elle agir par son gouvernement d'une manière avantageuse pour la religion ? S'il en est ainsi, pourquoi n'userait-elle pas de cette faculté aussi bien que les individus, elle pour qui la religion est un fondement principal ?

    On dit que l'État peut en toute sûreté laisser ce soin à l'individu. Mais ce n'est pas de la sagesse chez une société que de laisser à la discrétion des particuliers un des grands intérêts dont sa sûreté dépend. On pourrait dire avec autant de justesse qu'il faut laisser l'éducation aux individus, car l'instinct paternel est bien plus fort et s'étend plus loin que le zèle religieux. N'oublions pas non plus que l'instruction religieuse est nécessaire à ces classes de la société qui peuvent le moins se la donner par elles-mêmes, à ceux dont le sort pénible et inégal engendre des mécontentements et des tentations que la religion seule peut apaiser. Une société ne doit-elle pas procurer à ces classes l'enseignement de cette vérité divine qui, non seulement retient les pauvres, mais qui les élève, et en fait tout à la fois de bons citoyens ici-bas, et les héritiers du bonheur à venir.

    On nous dit que l'intervention de l'État a été funeste, que les politiques ont fait de la religion l'instrument de leur ambition, et l'ont ainsi affaiblie et avilie. Cela n'est que trop vrai. Le prince s'est souvent ligué avec le prêtre pour briser les âmes, et dépouiller les hommes de leurs droits. Mais parce que l'État a souvent abusé de la religion, parce qu'il l'a souvent avilie, ne peut-il jamais lui venir en aide et la faire servir au progrès de la vertu publique? Parce que, sous le despotisme et dans des temps d'ignorance, on a perverti la religion pour en faire un instrument d'ambition, s'ensuit-il qu'une société libre et civilisée ne puisse confier à des magistrats élus le soin de pourvoir à l'enseignement religieux afin de soutenir les mœurs publiques ? Est-ce que l'immense différence des circonstances n'assure pas un résultat différent? Nous demande-t-on quelle garantie nous avons contre l'abus que la législature pourra faire de ce pouvoir, contre l'érection d'un nouveau despotisme spirituel ? Je réponds : quelle est notre garantie pour chacune de nos institutions ! Quel gage avons-nous que le magistrat n'abusera pas de tout pouvoir qui lui est confié ? La seule, la vraie garantie est dans l'esprit public, dans les lumières du jour, et, grâce à ces lumières, il est impossible que les représentants d'un peuple libre visent aujourd'hui à établir une tyrannie spirituelle, ou à ranimer des superstitions condamnées. C'est mal étudier l'histoire que de nous laisser effrayer à ce point par les abus de la société naissante, et de ne pas profiter de toutes les ressources offertes à une nation pour son bonheur.

    Laissez-moi terminer par quelques remarques sur le principal motif de l'opinion que j'ai combattue. Croire que le gouvernement n'a rien à faire avec la religion, cela tient à des idées étroites sur l'objet du gouvernement et sur la nature de la religion.

    Il est des gens, et peut-être y en a-t-il beaucoup, qui regardent l'État comme institué pour les fins les moins élevées de notre existence, pour l'homme considéré comme animal, pour la protection, le soutien et les commodités de la vie matérielle. Or, l'État embrasse toute la nature de l'homme ; il est fait pour l'être intelligent, social, moral et religieux ; il est destiné à protéger tous les grands intérêts de l'humanité et à en assurer le progrès. L'action de l'État est légitime quand il veille sur la vie domestique, et qu'il maintient et fortifie la sainteté du lien conjugal; quand il veille sur l'intelligence et l'éducation, et qu'il fournit les moyens de développer toutes les facultés de l'esprit ; quand il encourage les institutions de bienfaisance, et que par d'autres moyens encore, il répand de tous côtés la charité. Son action est légitime quand il se montre sévère envers l'impiété, la débauche et l'indécence ; quand il décourage les vices qui nuisent ù la société en affaiblissant le sen liment moral et religieux et en dégradant le caractère du peuple. Le gouvernement est une noble et vénérable institution, un instrument dont la puissance morale est immense, et qui, dans tous les temps, a grandement contribué à fixer le caractère des nations. Son véritable esprit est celui par lequel Dieu règne, une vue large et impartiale du bien général ; toutes ses lois ne sont que des applications particulières de ces grands principes de justice et de bonté qui forment le caractère de Dieu et entrent dans l'essence même de la piété. Le gouvernement est avant tout une institution morale et religieuse, destinée à agir sur les hommes, moins par la force que par un principe moral et religieux. C'est une institution large et sublime qui concentre le pouvoir d'une société pour protéger les plus grands intérêts : la liberté, l'industrie, l'intelligence, la fidélité domestique, la charité générale, la pureté des mœurs et la piété.

    C'est en se faisant du gouvernement une idée étroite et basse qu'on lui défend de se mêler de religion, et c'est aussi par suite des idées étroites qu'on se fait de la religion qu'on veut la séparer du gouvernement. Le but ordinaire qu'on donne à la religion, c'est d'assurer le bonheur futur de l'homme par une suite de rites, de cérémonies, de sentiments, qui ont peu de rapport avec la vie présente; tandis que, défait, la religion est destinée à protéger, à orner, et à rendre heureuse toute notre existence ; elle se mêle à toute notre vie; elle est une loi pour le magistrat, un principe d'obéissance pour le sujet, un frein pour les passions qui affligent et mettent en danger la société. Elle dirige nos facultés, nos efforts, nos conquêtes en richesse ou en intelligence, de manière à former une société, pure, noble et heureuse. Le Christianisme embrasse le bien présent comme le bien à venir; il coïncide parfaitement avec l'État dans son esprit et ses fins, et n'en diffère que par une largeur et une étendue plus grande. Il n'y a pas entre eux la répugnance qu'on imagine. Ils n'ont pas un objet, un champ d'action séparé. Leur commun objet, c'est l'homme ; notre bonheur et notre vertu sont leur fin commune ; et il est juste que pour parvenir à cette fin, ils s'encouragent réciproquement et se prêtent un secours mutuel.

    Ces fausses idées sur le gouvernement et la religion ont eu pour cause naturelle les énormes abus des siècles passés, et les fréquentes coalitions de l'Église et de l'État afin d'opprimer les peuples. Pour prévenir le retour de pareils maux, il en est parmi nous qui semblent avoir résolu que le gouvernement et la religion n'auront jamais un point de contact, mais qu'ils auront chacun leur sphère et leur action séparées. La religion ne pénétrera pas dans la salle de la législature ; et le législateur ne soutiendra pas une seule des colonnes du temple de la religion. C'est ainsi qu'on veut détacher des institutions politiques toutes les idées de respect, de sainteté et de piété que les hommes les plus sages se sont efforcés d'y attacher. Quant à la religion, on ne veut pas davantage que la société la fortifie en rendant témoignage à son autorité et à son excellence; elle n'a aucun droit à la reconnaissance de l'État qu'elle soutient. Séparer ainsi les forces vives qui font le bonheur de l'humanité, c'est séparer les éléments du monde naturel, et les condamner à agir seuls, chacun dans sa région. On oublie que tous les intérêts de l'humanité se tiennent et ne peuvent marcher que de front; on oublie que le plus grand bien de la société ne peut naître que de l'action commune de toutes les causes qui servent la nature humaine.

    J'ai voulu montrer que la religion est un intérêt social ; elle n'est pas ce qu'en fait une philosophie superficielle, elle n'est pas chose particulière, distincte, étroite; au contraire, elle est une puissance et un esprit universels, l'amie et la garde des individus, des familles et des États.

    Quand une société est convaincue de cette grande vérité, elle est tenue de la faire entrer dans ses institutions politiques, et d'assurer à tous les citoyens les bienfaits de l'instruction et du culte chrétien. Pour ce qui est des moyens employés pour obtenir ce résultat, c'est un sujet sur lequel je ne pourrais m'étendre, quand bien même je serais compétent pour le traiter. Je remarque seulement que le libre esprit de notre constitution, qui assure à chaque citoyen le choix de l'Église à laquelle il veut prêter son appui, est chose de la plus haute importance; ce principe fondamental d'un gouvernement libre s'oppose à toute restriction qui n'est point exigée par le bien public. Si à cela on pouvait ajouter des mesures qui fixassent d'une manière impartiale un chiffre de contributions proportionné à la fortune de l'individu, l'État aurait rempli son devoir à l'égard de la religion. Mais je laisse le soin de traiter ce sujet à de plus sages et de plus expérimentés. J'espère que notre peuple continuera à reconnaître Dieu comme le créateur de la société et la source de notre prospérité politique. Nous continuerons à soutenir cette religion, pour laquelle nos pères bravèrent les dangers du1 désert et domptèrent un sol rebelle, cette religion qui, en se mêlant à toutes leurs institutions sociales les consacra et les unit ; cette religion grâce à laquelle cette république donne un exemple de prospérité, d'intelligence, de travail, décourage, de persévérance, d'ordre public et de vertu privée, qui a été rarement égalé, et n'a peut-être jamais été surpassé dans l'histoire des nations.

     

     

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    Suite: Le christianisme est une religion raisonnable.

     

    Didier Le Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

    DU RESPECT DU A TOUS LES HOMMES.

    I Pierre II: 17. "Honorez tous les hommes."

     

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    Parmi les nombreux et inestimables bienfaits du Christianisme, je ne mets pas au moindre rang le nouveau sentiment avec lequel il nous fait considérer nos semblables ; le nouvel intérêt qu'il éveille en nous pour tout ce qui est humain ; la nouvelle importance qu'il donne à l'âme ; le nouveau rapport qu'il établit d'homme à homme. En ce point il a commencé une grande révolution qui s'est étendue sans bruit dans le monde, et qui ne s'arrêtera que lorsque de nouveaux liens auront remplacé ceux qui, jusqu'ici, ont uni la race humaine. Le Christianisme n'a fait que commencer son œuvre de réforme. Sous son influence s'avance d'une manière certaine, quoique lente, un nouvel ordre de choses ; et ce changement salutaire s'opérera en grande partie par la révélation faite à l'homme de sa propre nature, et par l'enseignement qui lui est donné de respecter tous ceux qui partagent cette nature avec lui.

    Jusqu'ici le Christianisme a peu fait auprès de ce qu'il lui reste à faire pour établir le véritable lien d'union entre les hommes. Les vieux liens de la société existent encore en grande partie. Ce sont l'instinct, l'intérêt, la force. Le vrai lien, qui est le respect réciproque, et qui appelle l'amour mutuel et le dévouement, est jusqu'ici peu connu. Une nouvelle révélation, si je puis m'exprimer ainsi, reste encore à faire ; ou plutôt les vérités de l'ancienne révélation, en ce qui concerne la grandeur de la nature humaine, doivent être tirées de l'obscurité et de l'oubli. Il faut que l'âme soit considérée avec un respect religieux qu'on n'a pas senti jusqu'ici ; il faut que les droits sacrés de tout être auquel ce principe divin a été accordé s'établissent sur les ruines de ces maximes funestes qui, dans l'Église comme dans l'État, ont trop longtemps partagé le genre humain en deux classes, la vile multitude et l'orgueilleuse minorité.

    Il n'y a rien que les hommes connaissent moins qu'eux-mêmes. Ils en savent bien plus sur la création qui les environne, sur la matière et sur ses lois, que sur ce principe spirituel pour qui la matière fut créée, et sans qui l'univers n'aurait aucun prix. Personne sans doute ne peut ignorer complètement son âme, car l'âme c'est lui-même, et il est impossible qu'on n'ait pas la conscience de ses actes les plus sensibles. Mais, pour la plupart des hommes, l'âme est un chaos, une région enveloppée de nuages perpétuels, un pays invisible et qui effraye l'imagination. L'affinité de l'esprit avec Dieu, le pouvoir moral de l'âme, l'objet pour lequel ses facultés lui ont été données, l'avenir qui l'attend, notre bonheur subordonné tout entier à la droiture de nos actions et à notre progrès, ces vérités qui devraient nous occuper entièrement, sont des mots vides pour la plupart des hommes, et n'ont, pour aucun de nous, cette réalité vivante qu'elles prendront un jour, j'en suis convaincu. La foi en la nature infinie et immortelle de l'âme, foi sans laquelle nous ne sommes rien, est loin de s'être complètement développée. On n'a pas encore un juste respect des autres. Le vrai lien de la société manque donc; aussi y a-t-il défaut de charité chrétienne. Il y a, il est vrai, beaucoup de charité instinctive, naturelle, et cela n'est pas à dédaigner ; mais la charité de Jésus Christ, qui consiste dans la calme résolution de souffrir, et, s'il est nécessaire, de mourir pour nos frères, la charité du Christ sur la croix, celle que le chrétien doit véritablement imiter, celle-là est peu connue; et pourquoi? C'est que chez les hommes nous ne voyons rien qui leur donne droit à de pareils sacrifices de notre part ; nous ne les jugeons pas dignes qu'on souffre pour eux. Pourquoi serions-nous martyrs pour des êtres qui, moralement, ne nous intéressent guère plus que les brutes ?

    Rien ne peut faire de l'homme le véritable ami de son semblable, si ce n'est la vue de quelque chose d'intéressant et de grand dans la nature humaine. Il nous faut voir et sentir l'abîme qui sépare la vie spirituelle, que nous avons en nous, de la vie végétale ou animale qui agit autour de nous. Si belle que soit la fleur, je ne puis l'aimer d'un amour désintéressé qui me ferait lui sacrifier mon bonheur. C'est en vain qu'on m'exhorte à m'attacher de toutes les forces de mon âme à des animaux, quelque utiles ou agréables qu'ils soient. Ils ne sont pas capables de vérité, de vertu et de progrès. Il leur manque ce principe du devoir qui seul donne de la permanence à l'individu ; aussi perdent-ils bientôt leur nature individuelle, et vont-ils se confondre avec la masse générale. L'homme mérite une affection différente, car il a une nature raisonnable et morale, qui doit le faire durer à jamais, et au moyen de laquelle il peut parvenir à un inexprimable bonheur, ou tomber dans un malheur indicible. Ce qui est en lui le rend plus intéressant que la terre ou les cieux; et le seul moyen de l'aimer comme il faut, c'est d'entrevoir en lui cette force immortelle. Jusque-là la charité ne sera guère que de l'instinct; nous n'embrasserons qu'avec froideur la cause de l'humanité.

    On dira que le Christianisme a beaucoup contribué à faire naître la charité, et qu'il a appris aux hommes à s'appeler frères. Oui, à s'appeler de ce nom ; mais leur a-t-il, jusqu'ici, donné le véritable sentiment de fraternité? Nous sentons que nous sommes tous de même race, et c'est bien. Nous faisons remonter notre origine aux deux mêmes époux, et nous sentons que le même sang coule dans nos veines. Mais comprenons-nous notre fraternité spirituelle? Sentons-nous que nous descendons tous d'un même Père céleste, à l'image duquel nous avons tous été faits, et de la perfection duquel nous pouvons tous approcher? Sentons-nous qu'il y a une même vie divine dans notre âme et dans toutes les âmes? Voilà pourtant le seul lien véritable qui unisse l'homme à l'homme. C'est un lien plus sacré, plus durable que tous les liens de la terre. Le sentons-nous, et, par suite, nous respectons-nous vraiment les uns les autres?

    Quelquefois, il est vrai, on accorde un respect sincère, profond, et presque sans bornes ; mais à qui ? Aux grands hommes, à ceux qu'un abîme sépare de la foule ; à ceux que le génie, le caractère, l'énergie, le rang, le succès placent au-dessus des autres. A ceux-là on rend des honneurs ; mais ce n'est pas là respecter tous les hommes ; au contraire, cet hommage est le plus souvent défavorable au respect chrétien dont je plaide la cause. On honore les grands aux dépens de l'humanité. Ils absorbent et concentrent l'admiration du monde, et leur éclat jette dans une obscurité plus profonde et fait dédaigner leurs semblables moins bien doués. Je ne refuse point d'honorer les grands hommes, mais je dis qu'il ne faut pas qu'ils s'élèvent en abaissant la foule. Je dis que, lorsqu'on rend de justes honneurs aux grands hommes, cet hommage ne fait qu'augmenter notre estime pour l'humanité, et nous lier plus étroitement à nos semblables ; mais, si des grands hommes on fait des idoles, s'ils détournent notre intérêt des hommes ordinaires, alors ces honneurs nous corrompent ; ils brisent le lien sacré qui nous unit à tous, et l'admiration même que nous éprouvons pour la grandeur nous pervertit. La véritable manière d'envisager les grands hommes, c'est de les considérer comme des exemples et des modèles de notre commune nature, qui montrent ce qui appartient à toutes les âmes, bien que jusqu'ici cette excellence ne paraisse que chez le petit nombre. L'éclat que répandent les grands hommes n'est, après tout, qu'une faible révélation de la force contenue dans tout être humain. Ils ne sont pas des prodiges, des miracles, mais des développements naturels de l'âme humaine. Ils sont, il est vrai, comme des hommes au milieu d'enfants, mais les enfants ont un principe de croissance qui les conduit à la virilité.

    Que les grands hommes et la foule soient d'une même famille, c'est ce que prouve l'admiration que le génie inspire à la foule. Une admiration sincère, éclairée, sort toujours de quelque ressemblance entre celui qui l'éprouve et celui qui l'inspire. Celui qui comprend la grandeur a été créé pour en avoir sa part ; le germe est en lui ; souvent même cette admiration montre plus de noblesse chez celui qui l'éprouve que chez celui qui l'excite ; car, quelquefois, le grand homme est si absorbé dans sa propre grandeur, qu'il ne peut en admirer d'autre ; et je n'hésite pas à dire qu'un esprit ordinaire, mais capable d'une généreuse admiration, est fait pour s'élever plus haut que l'homme supérieur qui ne sait jouir que de sa seule excellence. Les grands hommes, je veux non pas les séparer de l'humanité, mais les confondre avec elle. Je ne regarde pas comme un faible bienfait de la philosophie qu'elle nous enseigne que la pensée de l'homme de génie existe en germe chez le moindre de ses frères. Les facultés que le savant exerce dans les découvertes les plus profondes sont celles que le commun des hommes emploie chaque jour dans les travaux de la vie.

    Pour montrer sur quels motifs repose l'obligation d'honorer tous les hommes, je pourrais examiner cette nature humaine qui nous est commune à tous, et exposer quels sont ses droits au respect. Mais, laissant de côté cet immense sujet, je ferai remarquer qu'il y a dans l'âme un principe qui rend tous les hommes essentiellement égaux, qui les place sur un pied d'égalité quant aux moyens de bonheur, qui peut mettre au premier rang ceux dont la condition est la plus misérable en ce monde, et qui, par conséquent, donne aux plus malheureux un droit à l'intérêt et au respect. Je veux parler du sentiment du devoir, de la faculté de distinguer et de faire ce qui est bien, du principe moral et religieux, du moniteur intérieur qui parle au nom de Dieu; c'est là le grand présent que Dieu nous a fait à tous. Nous n'en pouvons concevoir de plus beau. Dans le séraphin et dans l'archange nous ne pouvons rien concevoir de plus élevé que la vertu, où le pouvoir de se conformer à la volonté et aux perfections morales de Dieu. Ce pouvoir renverse toutes les barrières qui séparent le séraphin du dernier des hommes ; il en fait des frères. Quiconque a reçu de Dieu ce sentiment et cette capacité du bien, est uni au monde spirituel par un lien plus fort que tous les liens de la nature. Il possède un principe qui, s'il y est fidèle, doit le faire avancer à jamais, et lui assure la perfection et le bonheur des êtres de l'ordre le plus élevé.

    C'est ce pouvoir moral qui rend tous les hommes égaux, qui anéantit toutes les distinctions du monde. C'est par là que l'ignorant ou le pauvre peut devenir le plus grand des hommes ; car le plus grand c'est celui qui est le plus fidèle au devoir. Il est probable qu'on , trouverait les hommes les plus nobles dans les conditions les moins heureuses de la société, parmi ceux dont les noms ne sont jamais prononcés hors du cercle étroit où ils travaillent et ils souffrent, qui n'ont que deux deniers à donner, qui ; peut-être même, ne les ont pas, et désirent pour nourriture les miettes qui tombent de la table du riche ; car c'est dans cette classe qu'on peut trouver ceux qui ont résisté à la plus terrible tentation, ceux qui ont rempli les devoirs les plus difficiles, ceux qui, au milieu des épreuves les, plus cruelles, ont mis leur confiance en Dieu, ceux qui ont le plus souffert de l'injustice et ont le plus pardonné; et voilà ceux qui sont grands, ceux qui sont élevés.

    Peu importe quels devoirs chacun est appelé à remplir, peu importe qu'ils semblent petits et obscurs. La grandeur aux yeux de Dieu ne gît pas dans la sphère où on agit, ni dans l'effet qui est produit, elle est tout entière dans la vertu, dans l'énergie avec laquelle on s'attache à la volonté divine, avec laquelle on supporte les épreuves, et avec laquelle on aime et on recherche le bien.

    Le sentiment du devoir est le plus beau présent de Dieu. L'idée du juste est la première et la plus noble révélation que Dieu ait faite à l'âme humaine, et toutes les révélations extérieures ont cette révélation pour fondement et pour objet. Tous les mystères de la science et de la théologie perdent leur grandeur devant le simple sentiment du devoir qui perce dans l'âme du petit enfant. Ce sentiment l'introduit dans le royaume moral de Dieu. Ce sentiment devient pour lui un lien éternel. Celui chez qui la conviction du devoir est développée est, dès ce moment, soumis à une loi que nulle puissance au monde ne peut abroger. En se sentant responsable, il forme une nouvelle et indissoluble union avec Dieu. Il parait devant un tribunal intérieur, des décisions duquel dépend tout son bonheur ; il entend une voix qui, s'il l'écoute, le conduira à la perfection, tandis que, s'il la dédaigne, il attire sur lui une misère inévitable. Nous comprenons peu la grandeur du principe moral qui existe dans chaque âme humaine. Nous ne songeons pas à tout ce que son action a d'imposant. Nous oublions que ce principe est le germe de l'immortalité. Si nous le comprenions, nous considérerions avec respect tout être auquel il a été accordé.

    Après avoir montré qu'il y a dans l'âme humaine un fondement pour le respect que notre texte nous prescrit d'accorder à tous les hommes, j'ajoute qu'en étudiant le Christianisme, on verra que ce devoir nous est imposé par de nouvelles considérations encore plus solennelles. La religion tout entière est un témoignage rendu au prix que l'homme a aux yeux de Dieu, à l'importance de la nature humaine, aux desseins infinis pour lesquels nous fûmes créés. La religion nous montre Dieu envoyant au secours de l'humanité son fils bien-aimé, la brillante image et le représentant de ses perfections ; il l'envoie, non pas seulement pour faire disparaître un fardeau de souffrances et de châtiment (car, bien que les théologiens exaltent cette œuvre de Dieu, ce n'est pas la plus noble), mais pour créer des hommes d'après cette divine image dont lui-même offre les traits, pour purifier l'âme de toute souillure, pour lui donner une nouvelle puissance sur le mal, pour lui montrer l'immortalité comme son but et sa destinée ; et l'immortalité, ce n'est pas seulement une existence perpétuelle, c'est une existence céleste et de progrès continuel. Telles sont les idées du Christianisme. Ces biens, Dieu les propose, non pas à quelques-uns, à ceux qui sont instruits ou puissants, mais à tous les hommes, aux plus pauvres, à ceux qui sont tombés le plus bas ; et nous savons que, par la puissance de ses promesses, il a souvent élevé à une véritable grandeur ceux qui étaient le plus déchus, et qu'il leur a donné ici-bas, avec la vertu et la paix, un avant-goût du ciel. Tel est le Christianisme. Vus à la lumière de la religion, les hommes sont des êtres dont Dieu s'occupe, auxquels il a donné son fils, sur lesquels il répand son esprit, et qu'il a créés pour le plus grand de tous les biens, pour partager ses perfections et son bonheur. Mes amis, voilà le Christianisme. Notre scepticisme ne peut étouffer la lumière éclatante que cette religion répand sur l'âme et sur l'avenir de l'humanité ; et nous honorerons d'autant plus tous les hommes que nous serons mieux pénétrés de cette vérité.

    On me dira que le Christianisme parle de l'homme comme d'un pécheur, et le signale ainsi à notre aversion et à notre mépris. Je sais qu'il parle du péché, mais il n'en parle pas comme étant indissolublement lié à l'âme, comme faisant partie de l'essence humaine ; c'est une souillure temporaire dont il nous invite à nous purifier. La grande doctrine de l'Évangile, c'est que l'homme le plus égaré peut être ramené dans la bonne voie, que celui qui est tombé le plus bas peut se relever, et qu'il n'est point de pureté, de force, de bonheur où l'âme la plus coupable ne puisse atteindre par la pénitence. Le Christianisme, il est vrai, nous donne, des fautes de l'humanité, un sentiment plus profond et plus vif qu'aucune autre religion. En nous révélant la perfection du caractère de Jésus Christ, il nous montre combien sont imparfaits même les meilleurs. Mais s'il nous révèle la perfection dans Jésus, ce n'est pas pour nous décourager, c'est pour nous donner un modèle ; c'est pour nous donner la soif de cette perfection et nous y pousser. Jésus m'apprend ce que l'homme deviendra s'il est fidèle à cette nouvelle lumière ; et chacun de nous peut y être fidèle.

    Le Christianisme nous montre l'homme comme un pécheur, mais je n'y trouve nulle part ces sombres idées sur l'humanité qui nous feraient fuir nos semblables comme un nid de reptiles. Dans le langage courtois de la théologie, on a dit de l'homme qu'il était à demi brute, à demi démon. Mais c'est une exagération coupable et funeste. La brutalité, c'est-à-dire la passion animale, est forte chez l'homme, mais n'y a-t-il en nous que des appétits? Est-ce qu'il n'y a rien qui les combatte? Est-ce qu'ils constituent l'essence de l'âme? N'est-ce pas plutôt un accident, le résultat de l'union de l'esprit avec la matière? La source de ces appétits n'est-elle pas dans le corps ? Outre les inclinations animales, je vois dans toutes les passions humaines un penchant aux excès coupables. Je vois non pas un seul tentateur, mais de nombreux tentateurs dans le cœur humain, et je n'ignore pas quelle est la terrible puissance de ces ennemis de notre vertu. Mais n'y a-t-il chez l'homme que de la tentation, que du penchant au mal? N'y a-t-il pas des forces qui en Contrarient les effets ? N'y a-t-il pas d'attraits dans la vertu ? Pas de penchant vers Dieu ? Pas dé sympathie pour la douleur? Pas de respect pour la grandeur? Pas de luttes morales? Pas de triomphes de principes? Cette force même de la tentation me semble un des indices de la grandeur de l'homme. Elle montre un être créé pour grandir au milieu des obstacles, de là souffrance et du combat ; elle montre un être appelé aux vertus les plus hautes ; car nous sentons tous, par un instinct infaillible, que la vertu est grande en proportion de l'obstacle qu'elle surmonte, en proportion de l'énergie avec laquelle on l'adopte et on s'y attache. Je vois les hommes placés par le Créateur sur un champ de bataille ; il y a des périls pour qu'ils en triomphent ; souvent vaincu, ils sont toujours appelés à de nouveaux efforts ; ils jouissent toujours du privilège d'approcher de la source de toute puissance, et de rechercher la grâce dans les moments de besoin ; ils entendent toujours les encouragements d'un chef céleste qui a lui-même combattu et vaincu, et qui leur tend sa couronne de justice et de victoire.

    Ces courtes réflexions sur la nature humaine et sur le Christianisme vous montrent sur quoi repose l'obligation solennelle de respecter tous les hommes, d'attacher une importance infinie à la nature humaine, et de l'honorer même dans son enfance et sa faiblesse présente. Ce sentiment d'honneur et de respect pour les hommes me frappe de plus en plus comme étant essentiel au caractère chrétien. Mieux compris et plus fidèlement cultivé, ce sentiment contribuerait beaucoup au progrès de l'église et du monde. En fait, j'attache à ce sentiment une telle importance, que je mesure d'après ses progrès ceux que fait la société. Je juge des événements publics par l'action, qu'ils exercent sur ce sentiment. J'estime les révolutions politiques suivant qu'elles élèvent chez les hommes les idées qu'ils se font de leur nature, et qu'elles leur inspirent le respect de leurs droits réciproques. Les mouvements étonnants dont l'Europe est en ce moment le théâtre me suggèrent naturellement et m'imposent presque ce nouvel exemple de l'importance que j'attache à ce sentiment. Quelques mots à ce sujet.

    Qui est-ce qui rend si intéressant le mouvement révolutionnaire à l'étranger? C'est que le respect de la nature humaine s'y montre d'une manière plus forte, et, pour moi, c'est ce qui en fait le principal intérêt. J'y vois la preuve que l'âme commence à se connaître, et qu'elle comprend sa destinée. Je vois que l'homme s'estime davantage. Je le vois arrivant à la conviction que tous ses semblables ont des droits égaux et indestructibles. J'y vois la première lueur de ce grand principe, que l'individu ne doit pas être l'instrument d'autrui, mais qu'il doit se gouverner d'après une loi intérieure et marcher à sa propre perfection ; qu'il appartient à Dieu à lui-même, e n'a point d'autre maître. Dans l'état actuel du monde ces idées sont obscures et confuses, car jusqu'ici on a fait peu d'efforts pour les mettre dans tout leur jour, et leur donner une forme pratique et déterminée. La foule ne sait pas clairement ce qu'elle veut. L'imagination que la raison et l'expérience n'ont pas réglée l'éblouit de ses visions brillantes mais sans fondement. La foule est poussée en avant avec une violence dangereuse, par le sentiment qu'elle n'a pas trouvé son élément ; par une foi vague, mais cependant noble, dans un bien plus grand que celui auquel elle est parvenue ; par l'impatiente qu'elle éprouve de supporter les freins qui la dégradent. Dans cette violence il n'y a rien d'étrange, rien qui doive nous décourager. On sait que partout, dans leur premier développement, les grands principes se manifestent de façon irrégulière. C'est ce qui arrive en fait de religion. Dans l'histoire on voit souvent que la religion, après avoir été longtemps humiliée, se montre violente et fanatique, qu'elle excite quelque fois des guerres sanglantes, mais elle finie toujours par établir un empire plus calme sur la société. L'homme nous montre aussi que le sentiment de droits et de l'égalité s'est d'abord développé avec violence! Et cependant, ce sentiment un noble sentiment et le présage d'un meilleur état social.

    Si l'on me demande ce que j'entends des révolutions qui agitent en ce moment l'Europe, je réponds que j'en attends un bien qui comprend et me cache tous les autres. J'en attends le renversement d'institutions qui ont plus ou moins brisé le vrai lien qui unit l'homme à l'homme, qui ont asservi la volonté d'un maître la volonté, le cœur et la conscience des peuples, et j'espère qu'à la place de ces institutions en grandiront d'autres qui exprimeront, entretiendront et répandront de tous côtés le juste respect de la nature humaine, qui fortifieront chez les hommes le sentiment de leurs facultés, de leurs devoirs et de leurs droits, qui formeront l'individu à l'indépendance morale et religieuse, qui se proposeront pour but l'élévation de toutes les classes de la société, et qui donneront un libre essor aux meilleurs esprits dans cette œuvre de communs progrès. Je n'attends point que cela se réalise tout à coup. Le soleil qui doit amener un jour plus brillant se lève au milieu de nuages épais et menaçants. Peut-être les esprits ne furent-ils jamais plus agités qu'aujourd'hui. Cependant je ne désespère pas.

    Un nouvel ordre d'idées et de principes commence à se développer ; une philanthropie plus large commence à triompher des distinctions de rangs et de nations ; on sent de façon toute nouvelle ce qui est dû aux ignorants, aux pauvres et aux vicieux. Le droit de tout homme à une éducation qui excite ses plus nobles facultés, et lui apprenne de plus en plus à se maîtriser lui-même, ce droit est reconnu comme il ne l'a jamais été. On sent de plus en plus que le gouvernement n'est pas fait pour élever quelques privilégiés, mais bien sur pour protéger les droits de tous. Voilà de grandes révolutions de principes qui commencent et qui s'étendent, personne ne le niera ; et pour moi, ce sont autant de prophéties qui annoncent un état meilleur pour l'humanité! Oh! Puisse cette amélioration s'accomplir sans effusion de sang ! Comme chrétien, mon esprit est troublé toutes les fois que je me réjouis d'un bien, quelque grand qu'il soit, quand on l'achète à ce terrible prix. Un bien ainsi acquis est toujours imparfait et, en général, de courte durée. La guerre peut renverser le despotisme, mais il est rare qu'elle fonde de meilleures institutions. Même lorsqu'elle est unie, comme dans notre histoire, à de nobles principes, elle enflamme et laisse derrière elle des passions qui font de la liberté une lutte fiévreuse entre des partis jaloux, et qui exposent un peuple à la tyrannie des factions qui se cachent sous les formes de la liberté. Rien n'affaiblit autant que la guerre le respect des hommes pour la nature humaine; et si, pour travailler à la régénération de l'humanité, je ne voyais pas d'influences plus saintes que l'épée, en vérité, je désespérerais.

    Jusqu'ici j'ai parlé des causes et de l'importance de ce respect qu'on doit à tous les hommes. Je n'ai pas le temps de m'étendre sur les divers moyens d'accomplir ce devoir. Je dis seulement: Respectez tous les hommes. Honorez l'individu depuis le commencement jusqu'à la fin de sa carrière terrestre. Honorez l'enfant. Accueillez celui qui entre dans la vie avec le sentiment de sa grandeur mystérieuse, en pensant qu'une existence immortelle vient de commencer, qu'un esprit vient d'être créé qui ne sera jamais éteint. Honorez l'enfant. Sur ce principe repose toute bonne éducation. Jamais nous ne saurons élever l'enfant tant que nous ne l'aurons pas pris dans nos bras comme fit Jésus, et que nous n'aurons pas senti que le royaume du ciel est composé de ces petits. Ces quelques paroles nous apprennent quel est l'esprit d'une véritable éducation; et, faute de les comprendre, on a mal secondé le principe divin qui est dans l'âme de l'enfant.

    Honorez aussi les pauvres. Ce respect est nécessaire pour rapprocher les heureux du monde de ceux qui souffrent. Lui seul rend la bienfaisance vraiment divine. Sans lui, l'aumône dégrade celui qui la reçoit. Apprenons combien sont légères et insignifiantes les distinctions qui nous séparent du pauvre. Celui qui est le dernier par la fortune peut être le premier par les plus nobles attributs de l'humanité. Une union fraternelle, fondée sur cette conviction, et qui se propose de fortifier les pauvres dans la tentation, fera infiniment plus pour cette classe souffrante que toutes nos associations artificielles. Tant que le Christianisme ne nous aura pas appris à respecter la nature humaine, quel que soit celui qui en soit revêtu, nous ferons peu de bien. Je conçois qu'avec une vertu chrétienne aussi faible qu'est la nôtre, nous comprenions mal l'empire qu'on pourrait exercer sur ceux qui sont tombés et délaissés, si notre bienveillance reconnaissait véritablement et complètement en eux l'image de Dieu.

    Peut-être qu'aucun de nous n'a encore entendu, ni ne peut comprendre le ton de voix avec lequel un homme profondément pénétré de ce sentiment parlerait à son semblable. C'est un langage qu'on ne connaît guère sur la terre, et l'éloquence n'a point encore opéré de semblables merveilles. Je m'arrête, bien que je ne fasse qu'indiquer l'application du principe sur lequel je viens d'insister. Je finis comme j'ai commencé, en disant que la grande révélation dont nous avons besoin maintenant est une révélation de l'homme à lui-même. La foi qui nous manque, c'est la foi dans ce que nous pouvons devenir nous et nos semblables, la foi dans le germe divin qui se trouve dans notre âme. Pour ce qui est de la plupart des choses qu'on appelle les mystères de la religion, nous pouvons les ignorer sans crime. Mais le mystère qui est en nous, le mystère de notre nature spirituelle, responsable, immortelle, il nous faut chercher à le connaître. Heureux ceux qui ont commencé à le pénétrer, et à qui il a inspiré le respect d'eux-mêmes, et un intérêt sincère et respectueux pour leurs frères !

     

     

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    DidierLe Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    LA VIE FUTURE.

     

    DISCOURS PRONONCÉ LE DIMANCHE DE PÂQUES 1834, APRÈS LA MORT D'UN EXCELLENT ET TRÈS CHER AMI.

    Éphésiens 1: 20. «Il l'a levé d'entre les morts et l'a placé à sa droite dans le ciel.»

     

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    Ce jour a été choisi par les chrétiens pour célébrer la résurrection du Christ. Il y a plus d'une leçon dans cet événement ; mais il est surtout propre à confirmer la doctrine d'une autre vie, et à tourner nos pensées, nos désirs et nos espérances vers un autre monde. C'est dans cette direction que j'appelle vos pensées.

    Parmi les preuves dont la résurrection du Christ appuie notre croyance dans une autre vie, il en est une sur laquelle on insiste rarement, et qui me semble digne d'attention. Nos plus grands doutes en ce point viennent des sens et de l'imagination plus que de la raison. L'œil contemple un cadavre, des traits décomposés, des membres glacés ; l'imagination suit ce corps jusque dans la nuit du tombeau, elle se représente les phases de la dissolution et de la destruction, et cette vue accable l'âme de pensées effrayantes. Dans le cadavre, les sens ne voient plus trace de l'esprit qui l'animait. Il semble que la mort ait remporté une victoire complète ; et quand la raison et la révélation parlent d'une vie qui doit se continuer, et d'une vie plus noble, les sens et l'imagination, montrant le corps qui tombe en poussière, obscurcissent, par leurs tristes pressentiments, la lumière que la raison et la révélation cherchent à faire briller dans l'âme abandonnée.

    La résurrection du Christ rencontre les sens et l'imagination sur leur terrain, elle les combat avec leurs propres armes. Elle nous montre le corps même que la mort, sous sa forme la plus humiliante, avait marqué de son sceau ; le corps qui avait été, sans espoir, enfermé dans la tombe, ressuscitant, respirant, animé d'une vie nouvelle, et ressuscitant, non pour revenir sur la terre, mais pour monter bientôt à une région plus pure, et attester ainsi que l'homme est destiné à une vie plus haute. Ces faits, soumis aux sens mêmes, et qui poussent l'imagination à explorer le monde inconnu, me semblent tout à fait propres à détruire les grandes difficultés qu'on trouve dans la croyance chrétienne. On ne laisse pas lutter la raison seule avec les horreurs de la tombe. Jésus Christ mort sur la croix, cadavre mutilé et sanglant qu'on enferme au lieu qui reçoit les morts, Jésus-Christ ressuscitant pour échanger une vie terrestre contre une vie céleste, voilà un exemple qui fait évanouir les tristes augures qui sortent du tombeau comme des spectres ; voilà qui aide notre faiblesse à concevoir que l'homme est destiné à triompher de la mort.

    C'est ainsi que la résurrection confirme la foi dans l'immortalité. Cette foi est néanmoins bien faible chez la plupart des hommes. Le ciel est pour eux un monde imaginaire. Il manque de substance. L'idée d'un monde où des êtres existent sans ces corps grossiers, comme de purs esprits, sous une forme plus pure, leur parait une fiction. Ce qu'on ne peut voir ni toucher leur semble sans réalité. C'est là une chose plus triste qu'étonnante. Comment, en effet, des hommes qui se noient dans leur corps et dans les intérêts de leur corps comprendraient ils une vie plus élevée, une vie spirituelle? La foule déclare visionnaire l'homme qui parle avec bonheur de son existence à venir, du triomphe de l'esprit sur la dissolution du corps.

    Ce scepticisme à l'endroit des choses spirituelles et célestes est aussi peu raisonnable et aussi peu philosophique qu'il est dégradant. Nous avons plus de preuves de l'existence de notre âme que nous n'en avons de l'existence de notre corps. Nous sommes plus sûrs que nous pensons, que nous sentons et que nous voulons, que nous ne sommes sûrs que nous avons  des membres solides et des organes étendus. Les philosophes ont dit beaucoup des choses pour prouver que la matière et le mouvement n'existaient pas, mais ils n'ont pas essayé de prouver qu'il en était de même de la pensée ; car c'est à l'aide de la pensée qu'ils essayent d'écarter la réalité de la nature matérielle.

    D'ailleurs, qu'il est peu raisonnable de s'imaginer qu'il n'y a pas d'autres mondes que celui-ci, et pas d'existence plus élevée que la nôtre! Qui donc, en portant ses regards sur l'immensité de la création, peut douter qu'il n'y ait des êtres supérieurs à nous ? Qui, du moins, peut voir rien de déraisonnable dans la doctrine qui admet un état où l'esprit est moins embarrassé et moins étouffé par la matière; en d'autres termes, un monde spirituel? C'est de la puérilité que de faire de notre vie imparfaite le modèle de l'existence dans toutes les sphères. Le philosophe qui voit la chaîne des êtres et la variété infinie de la vie sur ce globe, qui n'est qu'un point dans la création, le philosophe, surtout, devrait rougir de cet esprit étroit qui, dans l'univers de Dieu, ne peut rien voir de plus noble que notre existence actuelle.

    Maintenant, comment la doctrine d'une vie future et plus élevée, doctrine qui est du ressort de la raison aussi bien que de la révélation, agira-t-elle avec plus de force sur l'esprit, comment deviendra-t-elle plus réelle et plus efficace? Il y a pour cela différents moyens. Je me bornerai à un seul. Ce moyen, c'est de chercher une idée de l'état futur qui soit claire et bien définie. Cet autre monde semble moins réel parce que ses traits sont confus. On y croirait mieux si on le concevait plus vivement. Il paraît sans réalité parce qu'il est vague et obscur. Je crois donc qu'il est juste de nous servir et de l'Écriture et de la raison, afin de nous tracer comme une esquisse de la vie à venir. Il est vrai que les Écritures nous fournissent peu de choses pour ce crayon, mais ce peu qu'elles fournissent est inappréciable, surtout quand nous y ajoutons les lumières que la connaissance de notre âme répand sur l'avenir. Toute nouvelle loi de l'esprit que nous découvrons, nous sert à comprendre notre destinée ; car la vie à venir doit répondre aux lois et aux facultés essentielles de notre esprit.

    Il faut user de ce secours pour nous former une idée nette de l'état spirituel ; et il est surtout utile d'en agir ainsi lorsque des êtres vertueux que nous avons connus et aimés passent de la terre dans ce, monde invisible. La nature nous porte à les suivre dans leur nouveau séjour, à chercher quelle est leur vie nouvelle, à nous représenter leur nouveau bonheur ; et peut-être le monde invisible n'est-il jamais plus près de nous et plus réel que lorsque nous y suivons de chers amis, et que nous sympathisons avec eux dans le progrès et dans la jouissance de cette vie heureuse. Ne dites pas qu'il y a danger de substituer ici l'imagination à la vérité. II n'y a point de danger si nous nous bornons aux notions spirituelles que le Nouveau Testament nous donne du ciel, et si nous les interprétons d'après les principes et les facultés de notre âme. Le sujet est trop précieux et trop saint pour que je me complaise dans des rêves. J'ai besoin de réalité ; j'ai besoin de vérité ; et c'est ce que je trouve dans la parole de Dieu et dans l'âme humaine.

    Quand nos amis quittent ce monde, nous ne savons où ils vont. Nous ne pouvons pas tourner nos regards vers un point de l'univers, et dire : Ils sont là. Mais notre ignorance ne signifie rien. Peu importe quelle région de l'espace ils habitent. Ne sachant pas où ils vont, nous ne savons pas où est le ciel, mais nous connaissons Celui qui l'habite, et cette connaissance ouvre un champ infini à notre méditation et à nos espérances.

    I. Nos amis, à leur mort, vont trouver Jésus. C'est ce que nous apprend le texte : «Dieu l'a ressuscité des morts et l'a élevé au ciel.» Le Nouveau Testament parle toujours de Jésus comme vivant dans ce monde invisible ; et Paul nous dit que le bonheur de ceux qui sont saints, quand ils sont affranchis du corps, c'est de se trouver avec le Seigneur. Voilà un grand fait pour ce qui est de l'autre vie. En nous quittant, les hommes vertueux vont trouver leur Sauveur, et cela seul nous assure de leur inexprimable félicité. Ici-bas ils ont tâché de connaître Jésus dans l'Évangile. Ils l'ont suivi avec vénération et avec amour dans cette vie si pleine d'événements ; ils ont amassé dans leur mémoire ses paroles, ses œuvres et ses promesses vivifiantes ; en recevant son esprit, ils ont appris quelque chose des vertus et du bonheur d'un monde plus élevé. Maintenant ils ont trouvé Jésus, ils le voient. Ce n'est plus un objet qui se présente faiblement à leur esprit, obscurci par la distance et par les nuages des sens et du monde. Il est présent pour eux, plus que nous ne le sommes les uns pour les autres. C'est une chose dont nous sommes certains ; car si nous ne connaissons pas le mode précis de notre existence future, nous savons du moins que des êtres spirituels, dans cet état plus élevé, doivent se rapprocher les uns des autres et communier les uns avec les autres d'une manière de plus en plus intime en proportion de leur progrès. Ceux qui renaissent pour le ciel y trouvent Jésus, et en reçoivent un accueil plein de bonté.

    Nous ne pouvons pas comprendre la joie du Sauveur lorsqu'il admet à une vie plus noble l'homme qu'il a racheté, purifié, celui à qui il a inspiré une vertu immortelle. Concevez ce que vous sentiriez en accueillant au rivage votre meilleur ami échappé des périls de la mer ; le bonheur de cette réunion terrestre n'est rien auprès du bonheur de Jésus lorsqu'il reçoit l'âme pour laquelle il est mort, l'âme qui, sous sa direction, a traversé, avec une vertu toujours croissante, ce monde rempli de cruelles tentations. Sur la terre, quand nous nous retrouvons après nos longues séparations, c'est pour souffrir aussi bien que pour jouir, et, bientôt, pour nous séparer. Jésus accueille ceux qui montent au ciel avec le sentiment que leur épreuve est terminée, que leur course est achevée, que la mort est vaincue. Son regard prophétique les voit entrer dans une carrière de bonheur et de gloire qui ne doit jamais finir. Son salut a une douceur qui n'appartient qu'au langage du ciel, il communique une confiance et une joie qui débordent. Nous rencontrons quelquefois des personnes dont l'aspect, à première vue, détruit en nous toute défiance, et gagne notre cœur comme ferait une vieille amitié. Un sourire nous fait pénétrer dans leurs cœurs, et nous révèle une bonté sur laquelle nous pouvons nous reposer. Le sourire avec lequel Jésus recevra le nouvel habitant du ciel, cet accueil plein de joie, ce rayon d'amour chez celui qui répandit son sang pour nous, cette parole, tout cela, je puis à peine le concevoir, nul langage ne peut l'exprimer. Dans ce seul moment il y aura des siècles de joie. Ce n'est pas une fiction. C'est la vérité fondée sur les lois essentielles de l'âme.

    En entrant dans le ciel nos amis y rencontrent Jésus Christ, et leurs rapports avec lui sont tout ce qu'on peut imaginer de plus affectueux et le plus élevé. Nulle distance qui les sépare. On parle, il est vrai, de Jésus comme régnant dans le monde à venir, et l'imagination le place sur un trône. Il est étrange que de pareilles idées entrent en des esprits chrétiens. Jésus régnera dans le ciel comme il a régné sur la terre. Il régna dans la barque du pêcheur, d'où il enseigna ses préceptes, dans la cabane où il réunissait autour de lui ses disciples qui l'écoutaient avec foi. Son règne ne ressemble pas aux dominations du monde. C'est l'empire qu'un être grand, divin et désintéressé exerce sur des âmes capables de le comprendre et de l'aimer. Dans le ciel, il ne peut exister rien de pareil à ce que nous appelons gouvernement, car, ici bas, le gouvernement est fondé sur la faiblesse et les crimes des hommes. Au milieu des justes, la voix du commandement ne se fait jamais entendre. Sur la terre même, où le gouvernement le plus parfait est celui d'une famille, le père et la mère n'emploient pas d'autre ton que celui d'un conseil affectueux, le fils lit son devoir dans un regard plein de douceur, et trouve sa loi et son mobile dans son cœur. Le Christ ne siégera pas sur un trône au-dessus de ses disciples. Sur la terre il s'asseyait à la même table que le publicain et le pêcheur. S'éloignera-t-il de ceux qu'il a rendus dignes des demeures célestes? Comment les âmes communiqueront-elles dans cet autre monde, nous l'ignorons ; mais nous savons que nos étreintes les plus étroites ne sont que des types du rapprochement spirituel ; et c'est à cette intimité avec Jésus qu'est admis celui qu'une nouvelle naissance fait habitant du ciel.

    Mais nous n'avons pas épuisé cette source de félicité à venir. Les hommes vertueux ne quittent pas seulement la terre pour trouver auprès du Seigneur un accueil plein de joie, et l'assurance d'un éternel amour, il y a quelque chose de plus élevé. Ce nouveau commerce leur donne une nouvelle intelligence, une nouvelle effusion de l'esprit divin.

    Certes, c'est un bonheur de savoir que nous sommes un objet d'intérêt et d'amour pour un personnage illustre ; mais c'est un bonheur plus grand que de connaître le beau et sublime caractère de cette personne, de sympathiser avec elle, de pénétrer la grandeur de ses pensées et la pureté de ses desseins, et de devenir ses associés dans les grandes fins qu'elle poursuit. Même ici-bas, dans notre existence ténébreuse et à peine ébauchée, nous en savons assez de Jésus, de son amour qui triomphe des outrages et de l'agonie pour tressaillir d'une tendre admiration. Mais ceux qui sont au ciel voient au fond de cette âme immense et divine. Ils en approchent comme nous ne saurions approcher de l'âme d'un ami; et ce voisinage de l'âme de Jésus éveille en eux une faculté d'amour et de vertu, qu'ils étaient loin de soupçonner ici-bas. Je parle à des hommes qui, s'ils ont été jamais mis en rapport avec un noble caractère, ont senti sans doute se développer en eux un nouvel esprit, une nouvelle force de vie et de pensée. Nous savons tous comment un homme d'un puissant génie et de sentiments héroïques peut se communiquer aux autres, et leur donner pour un moment quelque chose qui ressemble à sa propre énergie ; nous avons là une faible image de la puissance exercée sur les âmes de ceux qui approchent Jésus après la mort. Comme la nature, au printemps, prend une nouvelle vie sous les rayons du soleil, de même l'âme humaine croîtra et se réchauffera sous l'influence de Jésus-Christ. C'est alors qu'elle aura véritablement le sentiment de sa force immortelle. La grandeur de Jésus n'accablera pas l'âme, elle y éveillera une grandeur pareille.

    Ce sujet n'est pas encore épuisé. En approchant de Jésus, les hommes vertueux ne sympathiseront pas seulement avec lui, ils deviendront ses collaborateurs, des ministres actifs et utiles dans l'accomplissement de sa grande mission, qui est de répandre la vertu et le bonheur. Ne regardons jamais le ciel comme un lieu de contemplation oisive ou d'amour stérile. Même ici-bas on reconnaît l'influence du caractère du Christ dans l'activité et dans l'abnégation des vrais disciples. C'est Jésus qui les pousse aux demeures de ceux qui souffrent. C'est lui qui les rattache à leurs frères par de nouveaux, liens. C'est lui qui leur donne conscience qu'ils ont été créés pour exercer un ministère de bienfaisance. Quand ils approchent du divin ami des hommes, et que, par une nouvelle alliance avec lui, ils voient la plénitude de son amour, peuvent-ils ne pas se consacrer à son œuvre avec une force de volonté inconnue sur la terre ? Notre amour pour le Christ ne serait pas parfait si nous n'agissions de concert avec lui. Rien n'unit tant que de travailler ensemble au succès de la même cause, et cette union avec le Christ, elle existe là-haut pour les êtres vertueux.

    Il y a une autre vue de la vie future, qui me semble la conséquence nécessaire des rapports qu'on y a avec Jésus-Christ. Ceux qui nous quittent pour cette autre vie doivent conserver le plus grand intérêt pour notre monde. Les liens qui les attachaient à ceux qu'ils ont quittés ne sont pas brisés, ils sont épurés. Sur ce point je n'ai pas besoin du témoignage de la révélation; je n'ai besoin d'autre témoignage que des lois et des principes essentiels de l'âme. Si l'autre vie doit être un progrès, si l'entendement doit s'y fortifier et l'amour s'y développer, la mémoire, la faculté fondamentale de l'entendement, doit donc agir avec une nouvelle force, et toutes les affections que nous avons cultivées ici-bas doivent revivre d'une vie plus élevée. Supposer qu'après la mort tout soit oublié, ce serait anéantir le but de la vie, rompre tout lien entre les deux mondes et détruire toute responsabilité ; quelle serait donc la rétribution d'une existence oubliée? Non ; soit que nous entrions dans un monde de bonheur ou de souffrance, il faut que nous emportions le présent avec nous. Les bons, certainement, formeront là-haut de nouveaux liens, plus saints, plus forts ; mais, sous l'influence de ce monde meilleur, le cœur humain sera assez large pour conserver ses anciennes affections tout en en contractant de nouvelles, pour se rappeler avec amour le lieu de sa naissance, tout en jouissant d'une vie plus complète et plus heureuse. Si je pensais que ceux qui sont partis ne vivent plus pour ceux qu'ils ont laissés, je les honorerais et je les aimerais moins. Celui qui oublie sa famille en la quittant nous semble manquer des meilleurs sentiments de notre nature; si les bons devaient, dans leur nouveau séjour, oublier les frères qu'ils ont sur la terre; si, en approchant plus près du Père commun, ils devaient cesser d'intercéder pour eux, pourrions-nous dire qu'ils ont gagné au changement ?

    Toutes ces conclusions me sont imposées par la nature de l'âme humaine. Mais, lorsque j'ajoute que ces nouveaux héritiers du ciel vont à Jésus-Christ, l'ami par excellence de la famille humaine, celui qui habita ici-bas, souffrit ici-bas, qui arrosa notre terre de ses larmes et de son sang, qui nous a quittés, non pour cesser, mais pour continuer et achever ses bienfaits, celui dont la pensée ne se détourne jamais de nous, dont l'intérêt pour le progrès de la vérité et le salut de l'âme, a acquis une force de plus en plus grande depuis qu'il a quitté notre monde, et qui a ainsi rattaché l'humanité à son être même, lorsque je songe à toutes ces choses, je suis sûr que les morts ne peuvent pas nous oublier. Si nous pouvions les entendre, ils nous diraient qu'ils n'avaient jamais aimé leurs frères auparavant, qu'ils n'avaient jamais su ce que c'est que d'être sensibles aux douleurs humaines, de se réjouir de la vertu, de gémir sur les fautes des hommes. Une nouvelle source d'amour s'ouvre en eux. Ils voient maintenant ce qu'ils n'entrevoyaient que d'une manière obscure, les facultés, les mystères de l'âme humaine. Ils comprennent maintenant ce mot : l'immortalité, et quiconque est destiné à l'immortalité acquiert une importance indicible. Ils aiment la nature humaine comme jamais ils ne l'avalent fait auparavant, et ils chérissent leurs amis par-dessus tout.

    On demandera si ceux qu'une nouvelle naissance a faits habitants du ciel ne se souviennent pas seulement de nous, mais s'ils ont une connaissance présente et immédiate de ceux qu'ils ont laissés sur la terre? Sur ce point, ni la Bible, ni la nature ne nous fournissent de lumière, et nous restons dans l'incertitude. Pour moi, je ne vois rien qui s'oppose à une pareille connaissance. Nous sommes habitués, il est vrai, à considérer le ciel comme étant loin de nous; mais de cet éloignement nous n'avons pas de preuve. Le ciel, c'est l'union, la société d'êtres spirituels, d'êtres supérieurs. Ces êtres ne peuvent-ils remplir l'univers de manière à ce que le ciel soit partout? Est-il probable qu'ils soient renfermés comme nous dans les limites matérielles? Milton a dit :

    «Des millions d'esprits parcourent la terre
    pendant notre veille comme pendant notre sommeil.»

    Il est possible que la distance qui nous sépare du ciel n'existe que dans ce voile de chair que notre vue ne peut pénétrer. Un nouveau sens, de nouveaux yeux, pourraient nous montrer un monde spirituel qui nous entoure de tous côtés.

    Mais supposons que le ciel soit éloigné. Nous pouvons néanmoins être visibles à ses habitants ; ils peuvent être présents en un sens important ; car qu'entendons-nous par présence? Ne suis-je pas présent pour ceux d'entre vous qui sont hors de la portée de mon bras, mais que je vois? Avec notre connaissance de la nature, est-il impossible de supposer que ceux qui sont au ciel, quel que soit leur séjour, aient des sens ou des organes spirituels qui distinguent ce qui est loin aussi clairement que nous voyons ce qui est près? Cette petite prunelle de l'œil peut voir les planètes à la distance de plusieurs millions de milles, et, avec le secours de la science, elle peut distinguer les inégalités de leurs surfaces. Il nous est facile de concevoir un organe de vision assez sensible et assez perçant pour que, de notre terre, on puisse distinguer les habitants de ces mondes qui roulent loin de nous. Pourquoi donc ceux qui sont entrés dans une condition plus élevée, et qui sont revêtus d'une forme spirituelle ne pourraient-ils voir notre terre aussi bien que lorsqu'elle était leur séjour.

    Cela peut être vrai ; mais, toutefois, n'en abusons pas. Gardons-nous de croire que ceux qui sont partis nous regardent avec des affections terrestres. Ils nous aiment plus que jamais, mais d'un amour épuré et spirituel. Ils ne forment plus qu'un seul vœu pour nous, c'est que nous nous préparions à les rejoindre dans ces demeures où règnent l'amour et la vertu. Leur vision spirituelle pénètre jusqu'à nos âmes. Si nous pouvions entendre leur voix, ce ne serait pas l'expression d'un attachement personnel, ce serait un appel à de plus grands efforts, à une abnégation plus ferme, à une charité plus large, à une patience plus douce, à une obéissance plus filiale. N'imaginons pas non plus qu'ils s'occupent uniquement de nous. Ils respirent maintenant une atmosphère de bienveillance divine. Ils sont chargés d'une mission plus élevée que celle qu'ils eurent sur la terre. Cette pensée que leur amour s'est agrandi devrait agrandir le nôtre, nous élever au-dessus des considérations égoïstes, nous porter à une bienveillance qui approche de celle dont ils sont inspirés.

    On prétend, je le sais, que l'idée que je viens d'énoncer sur les rapports des habitants du ciel avec ce monde est incompatible avec leur bonheur. On dit que s'ils continuent à nous connaître, ils souffrent du souvenir ou de la vue de nos péchés et de nos douleurs. Pour jouir du ciel il faut qu'ils se détachent de la terre. Il y a dans cette objection quelque chose de pire que son peu de fondement. C'est une injure au ciel et aux bons. C'est supposer que le bonheur de l'autre mondé est fondé sur l'ignorance ; que c'est le bonheur de l'aveugle qui, s'il venait à voir ce qui existe autour de lui, serait rempli d'horreur. C'est faire du ciel un Elysée, dont les habitants perpétuent leurs joies en se renfermant et en se cachant pour ne pas être témoins des souffrances de leurs frères. Mais les bons, par leur nature même, ne peuvent être ainsi confinés. Le ciel serait pour eux une prison s'il les empêchait de compatir à ceux qui souffrent. Leur charité est trop pure, trop divine, pour fuir la vue du mal. J'ajoute que cette objection est une injure faite à Dieu. C'est supposer qu'il y a des régions dans son univers qui doivent lui rester cachées, car leur vue détruirait le bonheur des bons. Mais cela ne peut être vrai. Il n'existe pas de pareilles régions, point de séjour secret où ces purs esprits ne puissent pénétrer. Cette pensée est une impiété. Dans un pareil univers il n'y aurait pas de ciel.

    Dans ce monde de bonheur on souffrira donc ? Je réponds que je considère le ciel comme le règne de l'amour, et qu'il faut le considérer ainsi. Rien, sans doute, n'attire davantage les regards de ses charitables habitants que le malheur dans lequel un de leurs frères est tombé. Je ne puis donc séparer du ciel la souffrance qui a sa source dans une vertueuse sympathie. Mais cette sympathie qui attriste n'est pas du malheur. Même ici-bas, la pitié, quand elle est unie au pouvoir de secourir, et à une sagesse qui en comprend les fins miséricordieuses, est un esprit de paix, et finit souvent par être la plus pure des jouissances. Exempte de nos infirmités, et éclairée par la vue du gouvernement de Dieu, elle donnera du charme et de la grâce aux vertus des bienheureux, et, comme toutes les autres formes d'excellence, elle finira par augmenter la félicité !

    II. Vous voyez tout ce que nous apprenons du ciel dans cette seule vérité : que ceux qui y sont admis y trouvent Jésus-Christ et s'unissent à lui. Il est d'autres idées intéressantes que je ne puis qu'indiquer. Ceux qui meurent ne vont pas seulement trouver Jésus, ils vont trouver la grande et heureuse société qui l'entoure, ceux qui ont été rachetés dans toutes les régions de la terre ; ils vont à la cité du Dieu vivant ; ils se réunissent à l'innombrable compagnie des anges, à l'église du premier né, aux âmes des justes. Quelle glorieuse société ! Et vous pouvez aisément comprendre comment ils sont reçus. On nous apprend qu'il y a de la joie au ciel quand un pécheur se repent ; lorsqu'il montera au séjour de la vertu parfaite, est-ce qu'il n'y portera pas un bonheur plus grand? Nos amis, en quittant cette terre, ne se trouvent pas jetés au milieu d'étrangers. L'idée qu'ils ont changé leur patrie pour un monde étranger ne vient pas les attrister. Les plus tendres accents de l'amitié humaine n'approchèrent jamais de l'accueil qu'ils reçoivent dans leur nouvelle et éternelle demeure. Dans ce monde où les âmes ont des moyens plus sûrs de se révéler qu'ici-bas, celles qui arrivent se voient et se sentent entourées de vertus et de bonté; et cette connaissance profonde des âmes qui leur ressemblent, enfante en un moment une intimité plus forte que celle que des années pourraient cimenter sur la terre.

    Il me semble conforme à tous les principes de la nature humaine de supposer que ceux qui nous quittent trouvent un accueil particulier près des amis qui les ont précédés, et surtout près de ceux qui ont aidé leur vertu ; près de parents qui leur ont donné les premières leçons de l'amour de Dieu et de l'homme ; près de ceux qui, par leurs exemples, les gagnèrent à la vertu, et, par leurs conseils sincères, les détournèrent du péché. Les liens créés par de tels bienfaits doivent être éternels. L'âme reconnaissante doit s'attacher avec une affection particulière à ceux qui la guidèrent vers l'immortalité !

    Quant au bonheur des relations dans l'autre monde, chacun peut s'en former une idée. Si jamais nous avons connu les jouissances de l'amitié et de la confiance, si jamais nous nous sommes associés à ceux que nous aimons pour accomplir heureusement des œuvres honorables, nous pouvons deviner la félicité d'un inonde où les âmes dépouillées de leur égoïsme, pures comme le jour, altérées de vérités, douées de facultés nouvelles pour jouir de la beauté et de la grandeur de l'univers, associées aux plus nobles œuvres de charité, et découvrant à chaque instant de nouveaux mystères dans la puissance et la bonté du Créateur, se communiquent les unes aux autres avec la liberté d'un amour parfait. Nos plus étroits attachements sont froids, réservés, indifférents, si on les compare à cette affection.

    Comment les âmes communiquent-elles? A l'aide de quel langage ou de quels organes, nous l'ignorons. Mais ce que nous savons, c'est qu'en avançant l'âme doit avoir une plus grande faculté de se communiquer. L'éloquence, les accents pénétrants et inspirés, avec lesquels les cœurs vertueux nous parlent quelquefois sur la terre, peuvent nous donner quelque idée de la force d'expression, de l'harmonie, de l'énergie du langage avec lesquels se révéleront les êtres supérieurs.

    Nous pouvons mieux deviner le sujet de leurs entretiens. En entrant dans le monde, nous y trouvons des hommes dont les souvenirs embrassent des siècles ; ils se sont réunis des points les plus divers, ils ont été élevés au milieu d'une variété infinie de conditions ; chacun d'eux a été soumis à une éducation particulière, et s'est perfectionné à sa façon, chacun d'eux est une preuve particulière de la providence du Père universel. Quels trésors de souvenirs, d'observation, d'expérience, d'images, d'exemples, doivent enrichir les entretiens du ciel! L'histoire d'un seul ange renferme plus de vérités que toutes les annales de notre race.

    Après tout, notre expérience nous est d'un bien faible secours quand il s'agit de comprendre les rapports qui existent au ciel, ce commerce que ne trouble aucune passion, que ne refroidit aucune réserve, que n'attriste aucun remords, qui est confiant comme l'enfance, et qui déborde d'une joie innocente, ce commerce où les plus nobles sentiments coulent du cœur, où des êtres purs expriment simplement les aspirations les plus divines, l'admiration éternelle que leur cause cet univers s'ouvrant toujours et toujours mystérieux. Qui dira leurs transports d'adoration et de reconnaissance, et l'excès d'un amour qui n'a point de limites ?

    Mais ne croyons pas que les habitants du ciel ne fassent que converser. Ceux qui entrent au ciel entrent dans un état d'action, de vie, d'efforts. Nous imaginons que l'autre monde est un lieu de bonheur où personne n'a besoin de l'aide d'autrui, où l'effort cesse, où il n'y a rien à faire qu'à jouir. La vérité est, cependant, que toute action sur la terre, même la plus intense, n'est qu'un jeu d'enfant auprès de l'énergie et de l'activité de cette vie plus élevée. Cela doit être. Quels principes sont plus actifs que l'intelligence, la bienveillance, l'amour de la vérité, la soif de la perfection, la sympathie pour ceux qui souffrent, et le dévouement à la volonté de Dieu? et ce sont là les principes qui se développent éternellement dans la vie future. Il est vrai que les travaux que nous impose ici-bas notre nourriture, nos vêtements, nos intérêts matériels, cessent au tombeau. Mais il se développe au ciel des besoins bien plus grands que ceux du corps. C'est là que l'esprit acquiert la pleine conscience de ses facultés, que la vérité nous ouvre son infini; que l'univers offre une sphère sans bornes aux découvertes, à la science, au sentiment de la beauté, à la bienfaisance et à l'adoration. Là paraissent constamment de nouveaux sujets dignes qu'on vive pour eux, et près desquels nos intérêts actuels ne sont que néant. Il ne faut pas regarder le ciel comme une société immobile. C'est un monde qui fait des plans et des efforts prodigieux pour se perfectionner. C'est une société qui passe à travers des phases successives de développement, de vertu, de science et de force, et cela par l'énergie de ses membres. Dans le ciel, ce génie est toujours occupé à rechercher les grandes lois de la création et les principes éternels de l'âme, à dévoiler le beau dans l'univers, et à découvrir les moyens par lesquels toute âme peut se perfectionner. Dans cet autre monde comme dans celui-ci il y a des intelligences diverses, et les esprits les plus élevés trouvent leur bonheur et leur progrès à élever ceux qui sont moins avancés. Là continue sans fin l'œuvre d'éducation qui a commencé ici-bas ; et une philosophie plus divine que celle qu'on enseigne sur la terre révèle l'âme à elle-même, et l'excite à faire pour sa propre perfection des efforts sérieux mais pleins de douceur.

    Et ce ne sont pas seulement ceux qui naissent au ciel qui entrent dans une société pleine de vie et d'action : le ciel tient aux autres mondes ; ses habitants sont les envoyés de Dieu dans toute la création. De grandes missions leur sont confiées. Pendant le cours de leur existence sans fin, le soin d'autres mondes peut leur avoir été donné. Mais je m'arrête ; ceux qui n'ont pas l'habitude de pareilles spéculations trouveraient que je dépasse les bornes d'une calme anticipation. Ce que j'ai dit me semble reposer sur la parole de Dieu, sur les lois de l'esprit, et ces lois sont éternelles.

    Je voulais traiter longuement un autre point, mais il faut m'arrêter. Ceux qui naissent au ciel ne vont pas seulement à Jésus et à l'inombrable compagnie des êtres purs, ils vont à Dieu, ils le voient avec un nouvel éclat dans toutes ses œuvres. Bien plus, ils le voient, comme les écritures l'enseignent, face à face, c'est-à-dire par une communion immédiate. Ces nouveaux rapports de l'âme qui est montée vers le Père universel, qu'ils sont intimes ! qu'ils sont tendres ! qu'ils sont forts ! qu'ils sont nobles ! Mais c'est là un sujet trop grand pour le temps qui nous resté ; et, cependant, c'est le principal élément de la félicité céleste.

    Les considérations qu'on vient de présenter sur notre condition future devraient en faire l'objet d'un intérêt profond, d'une fervente espérance et d'une poursuite constante. Le ciel est une glorieuse réalité. Nous devrions toujours en sentir l'attraction. Cet attrait devrait vaincre la force avec laquelle le monde nous tire à lui. S'il y avait ici-bas un pays qui réunit tout ce qu'il y a de beau dans la nature à tout ce qu'il y a de grand en fait de vertu et de génie, et qui comptât au nombre de ses citoyens les patriotes, les poètes, les philosophes, les philanthropes les plus illustres de notre époque, avec quelle ardeur nous traverserions l'Océan pour visiter cette contrée ! Combien l'attrait du ciel n'est-il pas mille fois plus grand ! Là vivent les aînés de la création, ces fils de l'aurore, qui firent entendre des chants de joie à la création de notre espèce ; là sont les grands et les bons de tous les temps et de tous les climats ; les amis, les bienfaiteurs, les libérateurs, de l'humanité ; le patriarche, le prophète, l'apôtre, le martyr ; les véritables héros de la vie publique et plus encore de la vie privée ; le père, la mère, l'époux, l'épouse, l'enfant, tous inconnus de l'histoire, mais qui ont marché sous les yeux de Dieu dans toute la beauté de l'amour et du sacrifice. Là sont ceux qui ont jeté dans nos cœurs les fondements de la vertu et de la charité, les écrivains qui nous ont inspiré de purs et nobles sentiments, les amis dont le courage a illuminé nos demeures, et donné de la force et du calme à nos cœurs. Ils sont là-haut réunis, à l'abri de tous les orages, vainqueurs du mal ; et ils nous disent : Venez avec nous dans notre éternelle félicité ; unissez vous à nos chants de louange ; partagez notre adoration, notre amitié, nos progrès, notre amour. Ils nous disent : Cultivez maintenant dans votre vie terrestre cet esprit et cette vertu du Christ qui sont le commencement et l'aurore du ciel, et bientôt avec une amitié plus qu'humaine nous vous accueillerons dans notre immortalité. Cette voix nous parlera-t-elle en vain? Est-ce que notre amour du monde, est-ce que la persévérance dans le péché nous sépareront de la société du ciel par un gouffre que nous ne franchirons jamais?

     

     

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    Didier Le Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    L’IMMORTALITÉ DE L'ÂME

     

    "Jésus, qui a détruit la mort et a fait briller la vie et l'immortalité par l’Évangile" 2 Tim 1:10

    "Honorez tous les hommes" 1 Pierre 2: 17

     

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    L'immortalité est la glorieuse découverte du Christianisme. Je dis découverte, non pas qu'une vie à venir fût absolument inconnue avant le Christ, mais parce qu'elle a été révélée par lui de façon à devenir une doctrine nouvelle. Avant le Christ, l'immortalité était une conjecture ou une vague espérance. Jésus, par son enseignement et sa résurrection, en a fait une certitude. D'ailleurs, avant le Christ la vie future aidait peu à la vertu. L'imagination et les passions s'en emparaient et la pervertissaient de façon à servir le vice. Dans le Christianisme, cette doctrine est toute morale ; et l'avenir n'est révélé que pour donner des raisons, du courage et de la force à qui se combat lui-même et veut mener une sainte vie.

    Mon objet, dans ce discours, est de confirmer votre conviction de l'immortalité, en démontrant que cette grande vérité nous est aussi enseignée par la nature ; que la raison, bien qu'impuissante à l'établir, s'accorde cependant avec elle et l'adopte ; qu'enfin elle est également écrite dans la Bible et dans notre âme. Il est raisonnable de penser que si l'homme a été fait pour l'immortalité, on trouvera dans sa constitution même, des marques de cette destinée, et que ces marques se dessineront davantage à mesure que nos facultés se développeront. Je veux montrer que cette attente est juste, et que notre nature confirme l'enseignement de la révélation.

    Ce point est d'autant plus important, que, dans la nature, il y a des choses qui semblent inconciliables avec l'immortalité. Le dépérissement constant de tous les ouvrages de la création, la dissolution de toutes les formes animales et végétales donnent à penser que la destruction est la loi universelle à laquelle nous sommes soumis ainsi que tous les êtres.

    Les sceptiques ont souvent dit que les races sont seules perpétuelles, que tous les individus qui les composent sont destinés à périr. Mais plus nous connaissons l'âme, plus nous voyons de raisons pour la distinguer des animaux et des végétaux qui croissent et périssent autour de nous. Sa nature même, l'exempte de la loi de destruction. J'appelle votre attention sur ce point.

    Quand on regarde sur la terre, on voit, il est vrai, que tout change, tout décroît, tout passe, et nous sommes si enclins à raisonner d'après l'analogie ou la ressemblance, qu'il n'est pas étonnant que la dissolution de tous les corps organisés ne semble nous annoncer notre propre destruction. C'est oublier les distinctions qui existent entre la matière et l'esprit, et ces distinctions sont si grandes qu'elles justifient une conclusion toute contraire. J'indiquerai quelques-unes de ces distinctions.

    I. Quand on considère les corps organisés, on voit qu'il ne leur faut qu'un temps limité, et souvent très court, pour arriver à leur perfection, et remplir leur destinée. Prenons, par exemple, l'arbre, cette noble production. Lorsqu'il a atteint une certaine hauteur, qu'il s'est couvert de feuilles, de fleurs et de fruits, il n'a plus rien à faire. Sa puissance est complètement développée ; il n'a pas de forces cachées dont ses bourgeons et ses fruits ne soient que le commencement et la promesse. Sa destinée est achevée, le principe de vie qu'il contient ne peut rien faire davantage. Il n'en est pas de même de l'esprit. Nous ne pouvons jamais dire de lui comme de l'arbre en automne : Il a rempli la fin qui lui était assignée, il a accompli sa tâche ; sa force est usée. La nature, les facultés, les désirs, les desseins de l'âme sont indéfinis. Quand une grande intelligence s'est élevée à une pensée originale ou à une vaste découverte, nous ne sentons pas qu'elle soit épuisée, qu'elle ait atteint sa limite, et qu'elle ne puisse plus produire d'autres et de plus nobles fruits. Au contraire, l'idée que nous avons de sa puissance grandit ; nous sentons mieux son affinité avec l'inépuisable intelligence de celui qui l'a créée. A chaque pas en avant nous voyons une nouvelle force gagnée, et l'espoir d'une conquête encore plus noble. Qu'une âme vertueuse et résolue fasse quelque grand sacrifice à la vérité et au devoir, qu'elle prouve ainsi son attachement à Dieu et aux hommes, nous ne sentons pas que toute l'énergie de la vertu soit dépensée, que la mesure de l'excellence soit comble, que les fruits les plus mûrs aient été produits, et que, dorénavant, l'âme ne puisse plus que se répéter. Nous sentons au contraire que la vertu, par d'illustres efforts, se fortifie au lieu de s'épuiser; qu'en persévérant dans le bien, l'âme, au lieu de tomber dans une habitude mécanique, devient capable de concevoir des devoirs plus élevés, se trouve armée d'une plus noble audace, d'une charité plus puissante. En avançant, l'âme ne trouve pas devant elle les murs infranchissables d'une prison, elle voit que ses facultés sont sans bornes, comme la route pour laquelle elle a été créée.

    Un autre point de vue nous montrera mieux le contraste de l'esprit et de la matière. On dit que l'arbre a atteint sa fin la plus élevée quand il a produit son fruit. On juge de sa perfection d'après un produit fixe, positif, déterminé. Mais à mesure qu'elle s'améliore, l'âme sent que la perfection ne consiste pas pour elle dans des effets fixes, dans des conquêtes exactes et limitées, c'est une énergie créatrice, que rien ne peut borner, qui produit sans cesse, qui transporte la pensée dans de nouveaux mondes, et pousse à de nouveaux efforts pour la religion et l'humanité. Cette vérité est si claire que le plus ignorant la peut discerner. Vous sentez tous que l'esprit le plus parfait n'est pas celui qui suit un chemin tracé, qui pense et agit suivant des règles prescrites, c'est celui qui a une source d'action en lui-même, qui combine les connaissances qu'il a reçues d'autrui, qui en approfondit les rapports nombreux et cachés, et qui exprime ce qu'il apprend sous des formes neuves et meilleures. La perfection de l'arbre consiste dans un produit déterminé, celle de l'âme consiste dans une énergie sans bornes. La première implique l'idée de limites. Fixer des limites à l'esprit, ce serait détruire l'énergie même qui en fait la perfection. Voilà donc une différence entre la matière et l'esprit. De la destruction de la matière qui achève sa destinée dans un temps limité, on ne peut pas inférer la destruction de l'esprit, qui possède la capacité d'un développement sans fin.

    II. Voici un nouveau contraste. A la différence de l'esprit, la matière a des bornes naturelles. L'arbre accomplit sa fin en s'élevant et en s'étendant dans un court espace. La nature demande qu'il n'aille pas plus loin. S'il poussait toujours, il ferait un mal infini. Une seule plante qui croîtrait toujours finirait par couvrir le monde, exclurait toute autre production, et épuiserait la fertilité de la terre. Il faut donc que toutes les choses matérielles aient d'étroites limites, et leur utilité exige qu'elles soient souvent arrêtées dans leur vie et leur développement avant même qu'elles aient atteint les bornes que la nature leur a fixées. Mais l'expansion illimitée de l'esprit, au lieu de contrarier la création, s'harmonise avec elle et la perfectionne. Un seul arbre, s'il poussait toujours, détruirait les autres végétaux. Un seul esprit qui grandit anime et, jusqu'à un certain point, crée d'autres esprits. Il multiplie, au lieu de l'épuiser, la nourriture dont les autres intelligences ont besoin. Plus un homme a de vie morale et intellectuelle, plus il répand de vie et de puissance autour de lui. C'est une source de pensée et d'amour qui s'élargit sans cesse. Ajoutez que l'esprit, par son développement illimité, ne produit pas seulement une somme de bien plus considérable dont tous les êtres profitent, mais qu'il produit continuellement de nouvelles espèces de bien. C'est encore une différence importante. Si l'arbre s'étendait indéfiniment, il fournirait plus de fruits, mais ces fruits seraient toujours de la même espèce ; et, en étouffant toute autre végétation, il détruirait cette variété de productions qui servent à notre santé et à nos jouissances. Mais l'esprit, dans son progrès, produit sans cesse de nouveaux fruits, de nouvelles formes de pensée, de vertu, de sainteté. Il contient toujours en lui-même des germes d'influences plus élevées que celles qu'il a jamais montrées, les germes de fruits qu'il n'a pas encore portés. C'est ainsi que la raison même ou le bien général, qui exige la limitation des choses matérielles, semble exiger le développement illimité de l'esprit.

    III. Une autre distinction entre la matière et l'esprit, c'est que, pour la matière, la destruction n'est pas un dommage. Les choses matérielles existent pour autrui et nullement pour elles-mêmes; les autres seuls peuvent en regretter la perte. L'homme, au contraire, a un intérêt dans sa propre existence. En ce point il diffère de l'animal autant que du végétal. Pour l'animal, le passé et l'avenir n'existent pas. Le présent est tout. Mais, pour l'âme, le présent n'est rien. Nos grandes sources de bonheur sont la mémoire et l'espérance. L'âme a pouvoir sur le passé, pouvoir de se le rappeler, pouvoir d'en mettre à profit les expériences, les erreurs et les souffrances, aussi bien que les succès. L'âme a pouvoir sur l'avenir, pouvoir de pressentir, pouvoir de faire agir le présent sur cet avenir, et de jeter les semences d'une riche moisson. Pour un esprit capable de se rattacher ainsi à tous les temps, de s'étendre au fond du passé comme de l'avenir, l'existence devient infiniment chère, et, ce qui vaut mieux, l'intérêt qu'il a de vivre augmente comme ses facultés et sa vertu. Un esprit cultivé comprend mieux la grandeur de sa nature et le prix de l'existence. L'idée de la destruction est pour lui celle d'une ruine dont une âme brutale ne peut comprendre l'étendue. Que des facultés comme la raison, la conscience et la volonté s'éteignent, que des forces qui se rapprochent de l'énergie divine soient anéanties par celui qui les créa, que la vérité et la vertu, ces images de Dieu, soient effacées, que le progrès soit arrêté à son origine, c'est là une pensée faite pour accabler une âme en qui le sentiment de sa nature spirituelle s'est développé. En d'autres termes, plus l'âme est fidèle à elle-même et à Dieu, et plus elle s'attache à l'existence, plus elle recule devant le néant comme devant un mal infini. Sa destruction ne serait-elle pas différente de la destruction des êtres matériels, et peut-on conclure de l'une à l'autre? Cette soif d'existence qui grandit d'autant plus qu'on obéit davantage à la volonté du Créateur, est pour moi la preuve irrésistible que l'âme a été faite pour l'immortalité.

    IV. J'ajoute une nouvelle différence de l'esprit et de la matière. Je reviens à l'arbre. Nous disons qu'il est détruit ; nous disons que la destruction est dans l'ordre de la nature, et on prétend que l'homme ne peut pas échapper à la loi universelle. Mais ici les mots nous trompent : il n'y a pas de destruction dans le monde matériel. Il est vrai que l'arbre se résout dans ses éléments ; mais ces éléments survivent, et pour la même fin qu'ils ont déjà remplie. Pas une force de la nature n'est perdue. Les particules de l'arbre détruit vont former de nouvelles combinaisons, peut-être plus belles et plus utiles. Elles peuvent repousser dans un plus riche feuillage, ou entrer dans la structure des plus nobles animaux. Mais, si l'âme périssait, il y aurait alors une destruction absolue, irréparable ; car l'âme est, par sa nature, quelque chose d'individuel, une essence simple qui ne peut ni se résoudre en parties ni entrer dans la composition d'autres âmes. Je suis moi-même, et je ne puis pas devenir un autre. Mon expérience, mon histoire, ne peuvent pas devenir celles de mon voisin. On ne peut transmettre à un autre ma conscience, ma mémoire, l'intérêt qu'a pour moi ma vie passée, mes affections. Si j'ai résisté à la tentation, et si, par cette résistance, j'ai acquis de l'empire sur moi-même et quelque droit à l'approbation de mes semblables, cette résistance, cet empire, ces droits sont à moi; je ne puis faire qu'ils soient à un autre. Je puis donner ma fortune et mon corps ; mais ce qui constitue mon moi, en d'autres termes, ma conscience, mes souvenirs, mes sentiments, mes espérances, tout cela ne peut jamais appartenir à un étranger. Dans l'extinction d'un être pensant et moral, qui a conquis la vérité et la vertu, il y aurait donc une destruction absolue. Cet événement ne serait pas comme le coucher du soleil, qui n'est que le passage de la lumière dans de nouvelles contrées ; ce serait la nuit. Ce serait une ruine comme on n'en voit pas dans la nature, la ruine de ce qui est infiniment plus précieux que l'univers, et par conséquent on ne peut l'inférer d'aucun des changements du monde matériel.

    Je sais que ces considérations, faites pour nous montrer que l'âme porte en soi la marque de son immortalité, n'entraînent pas toujours la conviction, et cela par plusieurs motifs. Aux gens accoutumés à regarder les fautes et les crimes de la société, l'homme ne paraît guère supérieur à la brute; aussi est-ce avec une secrète incrédulité qu'ils entendent parler des caractères et des facultés qui montrent l'immortalité de l'âme.

    C'est une disposition vicieuse que de s'attacher exclusivement aux défauts de la nature humaine ; comme il est criminel de ne songer qu'aux misères de la vie, et de ne voir que du mal dans l'ordre de la création et dans la providence de Dieu. Mais accordons que la nature humaine abonde en crime, cela ne détruit pas ma conviction de sa grandeur et de son immortalité. Dans le crime même, je vois des preuves de la grandeur humaine et d'une nature immortelle. Cette proposition paraît étrange, et, cependant, il est aisé de la soutenir.

    Considérez d'abord ce que le crime implique. Considérez d'où il tire son origine. C'est du principe le plus noble, c'est-à-dire de la liberté morale. Il n'y a pas de crime sans liberté d'action, sans pouvoir moral. Si l'homme était une machine, la créature des sens et de l'instinct comme la brute, il ne pourrait mal faire. C'est parce qu'il a la raison, la conscience et l'empire sur lui-même qu'il peut commettre un crime. Ainsi, un grand crime est un témoignage rendu aux puissantes facultés de l'âme.

    En second lieu, d'où vient que l'homme pèche? c'est parce qu'il est exposé à la tentation. Or, la grande fin de la tentation, c'est que l'âme, en résistant, se fortifie, se développe, et mérite ainsi la récompense céleste. On pèche parce qu'on est exposé à une épreuve qui doit conduire vers la perfection ; la cause du crime indique l'immortalité.

    En troisième lieu, il y a dans le crime une voix particulière qui proclame une vie future. Le crime porte avec lui la menace d'un châtiment; sa compagne naturelle c'est la crainte. Un instinct moral pressent la liaison du malheur et du crime ; et alors même que l'homme sans principes échappe à la souffrance présente, on songe davantage à une condition future, où cette injustice apparente sera redressée, où la prospérité d'aujourd'hui ne sera qu'une aggravation de douleur. Le crime parle quelquefois d'une vie future plus haut et d'une voix plus solennelle que ne fait la vertu même. On l'a vu accabler l'esprit d'horribles présages, et trouver dans ces pressentiments l'enfer qu'il redoutait. Ainsi, loin de détruire les preuves d'immortalité que l'âme renferme, le crime les confirme.

    Une dernière réflexion. Les fautes qui abondent dans le monde et qu'on cite trop souvent, pour refroidir notre foi dans les forces et dans l'avenir de la nature humaine, servent à mieux faire ressortir, à placer sous un jour plus brillant les exemples de piété et de vertu qu'on trouve au milieu des crimes de la foule. Une âme qui, dans un monde pareil, au milieu de tant d'influences corruptrices, s'attache à la vérité, au devoir et à Dieu, est plus noble que celles qui se formeraient en l'absence de la tentation. C'est ainsi que la corruption du monde, ne rend la vertu que plus glorieuse ; et les luttes mêmes que l'homme de bien soutient contre les séductions et les persécutions préparent à une récompense plus haute. Pour moi ces idées sont pleines d'intérêt et de consolation. J'aime à voir le témoignage que le crime lui-même rend à la grandeur et à l'immortalité de l'homme. Sans doute je vois beaucoup de crime sur la terre ; mais je vois aussi que le crime sert à développer la force morale, le dévouement et la vertu des gens de bien ; l'éclat qu'il répand sur l'humanité fait plus que d'en compenser la laideur. Je ne suis pas aveugle. L'histoire nous montre la méchanceté humaine si grande, si implacable, qu'elle poursuit de ses tortures les meilleurs d'entre les hommes, et les condamne à la mort la plus horrible. Mais, lorsque je vois ces victimes, fermes douces, calmes au milieu des supplices, pardonnant au milieu de leurs souffrances, supérieures à la mort, et plus nobles que jamais à leur dernière heure, alors, dans mon admiration pour la vertu, j'oublie le crime qui la persécute. Dans cette constance sublime je vois une preuve du prix et de l'immortalité de la nature humaine et cette preuve l'emporte sur la méchanceté des bourreaux; je sens, avec une certitude que rien ne peut m'enlever, je sens que la vertu, qui est ainsi expulsée de la terre, trouvera une demeure, et une patrie éternelle dans son ciel natal. Le crime lui-même rend donc témoignage à notre immortalité.

    J'ai essayé de montrer que plus on étudie notre nature, plus on y distingue le sceau de l'immortalité. Je ne prétends pas que cette preuve remplace toutes les autres. Par sa nature même elle ne peut être bien comprise que par les esprits purs et cultivés. La preuve de l'immortalité qui est à la portée de toutes les intelligences se trouve dans l'Évangile, scellée du sang du Christ et confirmée par sa résurrection. Mais cette preuve devient plus frappante lorsqu'on démontre qu'elle s'accorde avec les enseignements de la nature. Pour moi la nature et la révélation n'ont qu'une seule voix quand elles parlent de la vie future. Puisse ce témoignage commun être entendu !

    Quelles sont complètes, qu'elles sont brillantes les preuves de cette grande vérité! Qu'ils sont faibles les arguments dont l'incrédulité se sert pour les combattre ! Quant à moi, je ne vois qu'une objection contre l'immortalité, si, toutefois, l'on peut l'appeler de ce nom, c'est la grandeur même de la vérité. Mon âme succombe sous le poids, elle s'abîme devant cette immensité ; j'ai peine à croire qu'un pareil bien soit à ma portée. Penser que j'existerai dans tous les temps à venir, survivant à cette terre et à ce ciel, exempt de toutes les imperfections et de toutes les erreurs de la vie, revêtu de la gloire d'un ange, comprenant par mon intelligence, et embrassant, dans mon amour, une étendue de création auprès de laquelle la terre n'est qu'un point ; penser que je verrai l'univers avec des yeux nouveaux qui me révéleront une beauté, une harmonie et un ordre dont je n'ai pas d'idée, que j'approcherai des hommes sages et vertueux, de façon à ce que leur esprit devienne presque le mien ; penser que je contracterai des liens d'amitié avec des êtres innombrables doués de l'intelligence la plus riche et de la plus noble vertu, penser que je serai admis dans la société du ciel, que je m'y trouverai avec ceux qui sont grands dans l'histoire, que je serai réuni aux justes devenus parfaits dans un ministère de bonté toujours croissant, que je converserai avec Jésus-Christ comme un ami, et surtout que je serai en commerce direct avec Dieu, commerce dont la plus étroite intimité ne peut donner qu'une faible idée ; penser à cet infini me trouble ; j'espère et je crains; le bonheur me semble trop grand; le sentiment de ma faiblesse et de mon indignité surmonte l'espoir. Mais, lorsque je regarde la création et que j'y vois les marques d'une bonté à qui rien n'est impossible, et de qui on peut tout attendre ; lorsque je sens partout la main d'un Père infini qui doit désirer le progrès perpétuel de ses créatures intelligentes ; lorsque je considère ensuite l'esprit humain, que je vois quelles forces s'y développent en peu d'années, et que j'y discerne la capacité d'un progrès éternel ; et surtout lorsque je considère Jésus, le vainqueur de la mort, l'héritier de l'immortalité, celui qui est parti pour les demeures de lumière et de pureté comme précurseur du genre humain, j'admets cette pensée qui m'accable, je crois à la vie, au progrès, à la félicité éternelle de l'âme humaine.

    Mes amis, cette félicité est offerte à chacun de nous ; c'est un bien devant lequel la splendeur de la plus grande fortune perd son éclat et sa grandeur. Je dis qu'elle nous est offerte. Elle ne peut pas nous être imposée; il nous faut la conquérir. Le bonheur immortel n'est pas autre chose que le développement de notre esprit, l'exercice complet de nos plus nobles facultés ; et ces facultés ne se développeront jamais ici ni dans l'autre monde que par notre libre action. Espérer une existence plus élevée, tout en négligeant notre âme, c'est une illusion aussi contraire à la raison qu'à la révélation. Ne rêvez pas un ciel où vous puissiez entrer quelle qu'ait été votre vie ici-bas. A ceux qui perdent leur vie présente, l'avenir n'apportera pas et ne peut pas apporter le bonheur. Il n'y a rien de commun entre eux et ce monde où règne la pureté. Celui qui a vécu sans Dieu, et sans vertu-, ne peut pas plus jouir du ciel qu'un cadavre, tiré de la tombe, et placé au milieu d'un site admirable, ne peut jouir de la lumière par ses yeux détruits, ou sentir l'air embaumé qui dissipe sa poussière. L'immortalité est une glorieuse doctrine ; mais elle ne nous est pas donnée pour rester à l'état de théorie ou pour servir à notre amusement. Le bonheur qu'elle promet ne peut se réaliser qu'en luttant contre nous-mêmes, qu'en acquérant une vertu et une piété nouvelles. Pour être unis au Christ dans le ciel, il faut ici bas nous unir avec lui par l'esprit, par la résistance à la tentation, par la charité, par le bien. L'immortalité commence ici-bas. C'est maintenant qu'il faut jeter la semence qui doit se développer à jamais. «Ne vous fatiguez donc pas de bien faire ; nous moissonnerons au temps convenable si nous ne faiblissons pas.»

     

     

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    DidierLe Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

      LA GRANDE FIN DU CHRISTIANISME.

    DISCOURS

    Pour L'installation Du rév. M. J. Motte. 

    Boston. 1828.

    II Timothée, 1-7 : Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité, mais de force, de charité et de prudence.

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    Pourquoi le Christianisme a-t-il été donné ? Pourquoi le Christ l'a-t-il scellé de son sang? Pourquoi doit-on le prêcher? Quel est le grand bonheur qu'il procure? Quelle est la bénédiction qui en fait le prix ? Quelle en est la plus grande gloire, le premier titre à la reconnaissance du genre humain? Ce sont là de grandes questions. Je désire y répondre clairement, suivant les lumières et le talent que Dieu m'a départis. A toutes ces questions je trouve une réponse dans le texte ci-dessus. Là, j'apprends le grand bien que Dieu nous accorde par l'intermédiaire de Jésus-Christ. «Il nous a donné, non pas un esprit de timidité, mais un esprit de force, de charité et de prudence.» La gloire du Christianisme c'est l'activité pure et élevée qu'il communique à l'âme ; il n'inspire pas un esprit timide et abject. S'il en était autrement le Christianisme ne mériterait nulle louange. Mais à la volonté il donne la puissance, l'énergie, et la constance ; au cœur qu'il agrandit, il donne l'amour, le désintéressement ; au jugement il donne la solidité, la clarté et la vigueur. II délivre celui qui le reçoit de l'empire du péché et des passions, il lui donne l'usage libre et complet de ses meilleures facultés; il lui montre en pleine lumière l'image divine d'après laquelle il a été créé; et, c'est ainsi que non seulement il promet le ciel, mais encore qu'il en fait goûter les premières délices. Telle est l'excellence du Christianisme.

    Voilà le sujet que je me propose de traiter. Permettez-moi une remarque dont je m'abstiendrais volontiers, mais qu'exigent les circonstances où je me trouve. N'oubliez point que c'est en mon nom seul que je parle. Ce ne sont pas les opinions d'une secte que je vous donne, ce sont les miennes ; je suis seul responsable de mes paroles. Que personne ne m'écoute afin d'apprendre la pensée d'autrui. J'appartiens, il est vrai, à cette société de chrétiens dont le caractère distinctif est de croire qu'il y a un Dieu, c'est-à-dire le Père, et que Jésus Christ n'est pas ce seul Dieu, mais son fils, dépendant et soumis. Mais ma conformité d'idées avec ces chrétiens est loin d'être absolue, et je n'éprouve aucun désir de l'étendre. La croyance des autres a pour moi peu d'importance ; j'écoute avec plaisir leurs raisons ; je reste libre d'accepter ou de repousser leurs conclusions : je n'ai nulle envie de porter la livrée d'un parti. Je prends avec joie le nom d'Unitaire, parce qu'on ne se lasse pas de soulever contre lui le cri populaire, et je n'ai pas appris le Christ pour reculer devant le blâme qu'on jette à ce que je crois sa vérité. Si ce nom d'Unitaire était plus honoré, j'y renoncerais sans peine, car je crains les fers qu'imposent les partis. J'aime à me regarder comme appartenant, non point à une secte, mais à la communauté des âmes libres, des amis de la vérité, des disciples du Christ, tant sur la terre que dans le ciel. Je désire échapper aux murailles étroites d'une église particulière, et vivre à ciel ouvert, au grand jour, portant de tous côtés mes regards, voyant avec mes yeux, entendant avec mes oreilles, et suivant la vérité humblement, mais avec résolution, quelque difficile ou solitaire que soit la route où elle conduit. Je ne suis donc pas l'organe d'une secte ; je parle pour moi seul, et je remercie Dieu de vivre dans un temps et dans une condition qui me font un devoir de dire toute ma pensée avec liberté et sincérité.

    J'ai demandé quelles étaient la fin principale et la gloire du Christianisme? Et j'ai répondu que cette fin est de donner, non point un esprit de crainte, mais un esprit de force, de charité et de prudence. Voilà sa gloire. En d'autres termes, c'est l'influence qu'il exerce sur l'âme humaine qui en fait la grandeur et la beauté. Le Christ est un grand Sauveur, car il rachète et affranchit l'âme en la purifiant du mal, en lui inspirant l'amour de la vertu, en éveillant nos facultés et nos affections les plus nobles, en nous douant de force morale, en nous rendant la paix, la santé et la liberté. Tel fut le but que Jésus se proposa. Faire comprendre ces vues du Christ est l'objet de ce discours.

    En lisant le Nouveau Testament je vois partout le but que j'attribue à Jésus-Christ. Il est venu, comme on me l'enseigne, pour être non pas un libérateur extérieur, mais un libérateur intérieur ; non pas pour élever un trône mondain, mais pour établir en nous son royaume. Il est venu, suivant le langage formel et le sens évident des auteurs sacrés, pour nous sauver du péché, pour nous rendre heureux en nous détournant de l'iniquité, pour nous délivrer de la corruption que la tradition avait transmise, pour former une Église glorieuse et sans tache, pour nous créer de nouveau à l'image de Dieu, pour nou6 faire participer à la nature divine, par ses promesses, et pour nous donner le pardon et le ciel en nous appelant au repentir et à la vertu. En lisant le Nouveau Testament, je vois à chaque page que le Christ vécut, enseigna, mourut et ressuscita pour purifier et élever l'âme humaine ; pour nous faire triompher du péché, de nous-mêmes, de la tentation et du mal, pour nous unir à Dieu par l'amour filial, et, surtout, par un rapport de nature, par la participation à l'esprit divin. Voilà ce qui est consigné dans le Nouveau Testament comme étant la fin suprême que le Christ se proposa.

    Peut-on, je le demande, peut-on attribuer un but plus noble à Jésus? J'affirme qu'il ne peut y avoir au monde d'œuvre plus grande que de purifier l'âme du péché, et d'y allumer une lumière nouvelle, la vie, l'énergie, l'amour. La vraie mesure de gloire pour une religion, c'est l'esprit, c'est la force qu'elle communique à ses disciples. La raison nous le dit clairement. Pour une créature Intelligente, le bien suprême, celui auprès duquel tous les autres ne sont rien, c'est l'amélioration de son âme. L'homme est considérable et heureux, non pas par ce qu'il a, mais par ce qu'il est. Il ne peut lui arriver rien de meilleur ni de plus noble que de développer son âme. Ce qu'il y a de plus grand dans l'univers c'est l'esprit; car Dieu est esprit ; et le développement du principe qui nous rend semblables à Dieu doit être notre bien suprême. Nous avons raison de croire que le Créateur tout-puissant ne peut rien accorder de plus grand que l'intelligence, l'amour, la justice, l'énergie de volonté, la bienfaisance, car ce sont là les splendeurs de la nature divine. C'est pour elles que nous l'adorons. En nous les donnant, Dieu se donne lui-même.

    Nous ne sommes que trop enclins à chercher le bien au dehors. Mais le seul vrai bien est en nous. Dans cet univers, tout magnifique qu'il soit, dans le jour brillant et la nuit étoilée, sur la terre et dans les cieux, nous ne découvrons rien d'aussi vaste que la pensée, d'aussi fort que le devoir, d'aussi sublime que le désintéressement et l'abnégation. Un cœur qui, plutôt que de s'écarter de la justice, résiste à toutes les forces de l'univers, à toutes les peines que le fer, le feu et la tempête peuvent infliger, est plus noble que l'univers. Pourquoi ne pas reconnaître la gloire de l'âme? Nous cherchons un bien étranger, quand nous avons en nous ce qui vaut plus que le monde extérieur. Car ce monde est le produit de l'esprit. Toute son harmonie, toute sa beauté, tous ses bienfaits sont le fruit et l'expression de la pensée et de l'amour. Posséder ces facultés qui ont créé l'univers, et auxquelles il doit sa splendeur, n'est-ce donc pas chose plus noble, plus heureuse que de posséder l'univers lui-même? Ce n'est pas ce que nous avons, mais ce que nous sommes qui fait notre gloire et notre félicité. Les seules richesses vraies et durables appartiennent à l'esprit. Une âme étroite et avilie peut étendre ses possessions jusqu'au bout de la terre, et, néanmoins, elle est pauvre et misérable. C'est par la santé intérieure que nous jouissons des choses extérieures. Les philosophes nous enseignent que l'esprit crée la beauté qu'il admire dans la nature, et nous savons tous que lorsque l'âme s'abandonne aux mauvaises passions, elle peut ternir cette beauté, et répandre les ténèbres d'un cachot sur les objets les plus éclatants. Nous savons tous que le vice empoisonne le bonheur social, et du sort le plus heureux fait une malédiction.

    Ceci nous apprend que l'ami et le sauveur véritable n'est pas celui qui agit pour nous au dehors, mais celui qui agit intérieurement, qui affranchit l'âme, ouvre les sources de la pensée et de l'amour, nous unit à Dieu, et, en nous rendant semblables au Créateur, nous met en harmonie avec la création. Le but que nous avons attribué au Christ est donc le plus glorieux et le plus noble qu'aucune puissance puisse atteindre sur la terre comme au ciel.

    Que la fin la plus haute du Christianisme soit celle que nous venons de dire, c'est ce qu'il serait aisé de démontrer par un examen des doctrines et des préceptes de l'Évangile. On verrait que toutes les fonctions dont Jésus-Christ est investi ont été destinées à lui donner action sur le caractère de l'homme, et que ce qui le distingue surtout, c'est la grandeur et la générosité de son influence sur l'âme. Mais une discussion de cette étendue ne saurait trouver place dans un seul discours. Au lieu d'une revue générale du sujet, je me bornerai à un trait principal et important, et je tâcherai de montrer que la grande fin que Jésus s'est proposée, c'est d'exciter l'âme à vivre d'une vie plus élevée, à exercer plus noblement ses facultés et ses affections.

    Le trait dominant du Christianisme c'est la connaissance qu'il nous donne du caractère de Dieu. Jésus Christ est venu pour révéler le Père. Dans les prophéties de l'Ancien Testament, ce qui le désigne le plus souvent, c'est qu'il répandra la connaissance de Dieu. Maintenant, je le demande, en quoi consiste l'importance d'une pareille révélation? Pourquoi le Créateur a-t-il envoyé son fils pour se faire connaître? C'est que Dieu mérite d'être connu avant tout, parce qu'il est l'objet le plus capable de vivifier, de purifier et d'élever l'âme. Son dessein, en se révélant lui-même aux hommes, c'est d'ennoblir et de perfectionner la nature humaine. Dieu, tel qu'il est manifesté par le Christ, c'est, sous un autre nom, l'excellence morale et intellectuelle ; et c'est dans la connaissance de Dieu que notre intelligence et notre cœur, trouvent leur élément, leur nourriture, leur force, leur expansion et leur bonheur. Connaître Dieu, c'est atteindre à la plus sublime de toutes les conceptions. Aimer Dieu, c'est nous attacher à Celui qui peut seul pénétrer et émouvoir notre cœur tout entier ; l'aimer, c'est nous élever ; l'aimer, c'est aimer ce qui est grand, ce qui est bon, ce qui est beau, ce qui est infini. Sous cette influence, l'âme se développe comme la plante aux doux rayons du soleil. Voilà ce qui fait la gloire de la religion ; voilà ce qui ennoblit l'âme. C'est en cela que consiste l'excellence de sa dignité et de ses bienfaits.

    Je crains que dans le monde on ne croie que la religion soit une chose bien différente de ce que je viens d'exposer. Trop de gens la considèrent comme un devoir qui abaisse plutôt qu'il n'élève, qui humilie plutôt qu'il n'ennoblit ; comme une loi qui nous enseigne à plier devant un être tout-puissant ; et j'avoue que la religion, comme on l'a généralement enseignée, est peu faite pour élever l'âme. On s'en est servi pour faire peur à l'enfant et pour épouvanter l'adulte. On a appris aux hommes à glorifier Dieu en le flattant, plutôt qu'en devenant eux-mêmes excellents, et en honorant ainsi leur Créateur. On nous a enseigné notre dépendance de manière à éteindre le sentiment de notre liberté et de notre force morale. La religion, sous une forme ou une autre, a toujours été un engin pour écraser l'âme humaine. Mais telle n'est pas la religion du Christ. Si elle était cela, elle ne mériterait point de respect. Nous ne sommes pas, nous ne pouvons pas être tenus de nous prosterner devant une divinité qui nous avilit et qui nous abaisse. L'élément moral que nous avons en nous, et qui nous appelle à veiller sur nos âmes et à les perfectionner, est une inspiration que nulle prédication ne peut remplacer ni détruire. Non, il m'est impossible de parler du Christianisme comme si Dieu se plaisait à rabaisser et à dégrader l'âme humaine. Le Christ nous a révélé Dieu comme le Père, et comme un père dans la plus noble acception du mot. Il nous l'a révélé comme le créateur et l'ami de toutes les âmes, comme celui qui désire les racheter toutes du péché, et graver dans toutes son image ; comme celui qui offre à toutes le plus précieux de tous les dons, son saint Esprit; comme celui qui a envoyé son Fils bien-aimé pour nous préparer à l'héritage incorruptible et éternel qui nous attend dans les deux. Tel est le Dieu de Jésus Christ; il ne brise pas l'esprit, il inspire la confiance, le courage, la constance, la magnanimité, en un mot tous les sentiments qui forment une âme élevée.

    Que la connaissance de Dieu, telle que le Christ nous la donne, soit noble et importante, parce qu'elle vivifie et élève l'âme, voilà ce qu'il faut expliquer clairement et fortement. La plupart des chrétiens ne comprennent pas ce qui les oblige à être religieux. Demandez-leur pourquoi ils doivent connaître et adorer Dieu? Je crains la réponse. C'est, dira-t-on, que Dieu peut faire de nous ce qu'il veut, et que, par conséquent, notre premier intérêt est de nous assurer sa faveur. La religion est un calcul d'intérêt, un moyen de salut. On adore trop souvent Dieu comme on prodigue aux grands la flatterie ; l'adorateur s'inquiète peu de sa servilité, pourvu qu'il se rende favorable le pouvoir auquel il ne peut résister. C'est avec douleur que je vois cette perversion du plus noble principe de l'âme. Mes amis, on ne doit pas adorer Dieu parce qu'il peut beaucoup donner, car, d'après ce principe, un despote qui serait magnifique pour ses esclaves mériterait qu'on lui rendît hommage. Dieu ne doit pas être adoré à cause de sa seule puissance, car on doit résister à la puissance quand elle est unie à l'égoïsme et au crime, et, plus est grand le pouvoir de la méchanceté, plus est saint et grand celui qui refuse de s'incliner devant elle. La vraie religion est le culte d'un être parfait, qui donne la perfection à ceux qui l'adorent. Voilà le fondement de la religion, et il n'y en a pas d'autre.

    Pourquoi, chers auditeurs, Dieu a-t-il montré tant de souci, si je puis me servir de ce mot, pour se faire connaître de nous et pour obtenir notre culte? Croyez-vous que s'il demande qu'on l'adore, ce soit par amour des hommages et des cérémonies? Est-ce que Dieu a notre ambition, notre soif, d'applaudissements, le même désir que nous d'entendre son nom répété par la foule? Est-ce que les acclamations de l'univers réunies en un seul cri de louange donneraient à notre Créateur un sentiment nouveau ou plus vif de sa majesté et de sa bonté ? Oh I non! Dieu s'est révélé à nous parce que c'est dans la connaissance et l'adoration de ses perfections que se trouve notre perfection intellectuelle et morale. Ce qu'il désire, ce n'est pas notre servitude, mais notre excellence. Dieu n'a point soif de louanges; il veut que nous honorions la vertu chez les autres aussi bien qu'en lui-même, et s'il exige un honneur suprême, c'est parce qu'il surpasse tous les êtres, et qu'à l'esprit qui le reçoit il communique une lumière, une force, une pureté que lui seul peut donner. Dieu n'a pas la passion de l'empire. Quand des millions d'adorateurs useraient de leurs genoux les marches de son trône, il n'en éprouverait aucun plaisir. C'est pour faire de nous ses enfants, dans la plus haute acception du mot, c'est pour nous rapprocher de sa propre nature, et non pas pour multiplier des esclaves, qu'il a envoyé son Fils afin de se faire connaître. Il est dit, il est vrai, que Dieu cherche sa propre gloire; mais la gloire d'un créateur consiste dans la gloire de ses œuvres. Soyons sûrs que Dieu ne désire d'autre témoignage que la perfection de son œuvre la plus noble et la plus élevée : l'âme immortelle.

    N'oubliez pas, mes amis, pourquoi le Christ nous ordonne d'adorer Dieu. Ce n'est pas pour nous mettre dans les bonnes grâces d'un maître tout-puissant, dont le regard donne la mort. C'est pour nous mettre en communion avec une intelligence et une vertu qui surpassent infiniment la nôtre ; c'est pour nous élever au-dessus des créatures imparfaites et finies ; c'est pour nous attacher avec amour et respect à l'Être le meilleur qu'il y ait dans l'univers ; c'est pour que notre respect et notre amour fassent descendre en notre âme la perfection, le désintéressement, la sagesse, la pureté et la puissance que nous adorons. Recevoir ces divins attributs, c'est la fin la plus glorieuse pour laquelle Dieu se révèle. Le louer ne suffit pas. L'hommage qui ne nous rapproche pas de lui n'a point de prix. L'admiration la plus vraie est celle qui nous fait recevoir l'esprit que nous admirons. La véritable louange, c'est l'amour de ce qui est excellent, amour qui se fortifie en s'exprimant. Voilà la louange que Dieu demande. La révélation de Dieu par le Christ n'a donc atteint son but que lorsque, pénétrés de la doctrine d'un Dieu paternel, nous sommes encouragés à «le suivre comme des enfants qui lui sont chers,» que nous sommes «remplis de sa plénitude,» que nous devenons «ses temples,» et que «nous habitons en Dieu et qu'il habite en nous.»

    J'ai tâché de montrer le dessein de la révélation par rapport à Dieu, et ce qui en fait l'importance et la gloire. Si j'en avais le temps, je montrerais que toutes les doctrines de notre religion vont au même but. Je montrerais surtout combien le caractère, l'exemple, la vie, la mort, et la résurrection du Christ, sont faits pour purifier l'âme, pour l'exciter, l'élever, et en faire l'image de la Divinité; et je prouverais que ce sont là les influences que la vraie foi trouve en Jésus-Christ, et par lesquelles il opère notre salut. Mais je ne puis traiter ce vaste sujet.

    Qu'il me soit au moins permis de dire que, dans le Christianisme, je vois partout le dessein d'affranchir et d'élever l'âme. Je n'y vois rien d'étroit ni d'humiliant, rien de la petitesse des moyens que la crainte, la ruse et l'ambition des hommes ont inventés. Point de lois minutieuses, point de détail rigoureux, point d'injonctions arbitraires, point de joug cérémoniel, point de religion extérieure. Tout y respire la liberté et la grandeur. Point de symbole formel et rigide qui enchaîne l'intelligence, point de répétition mécanique et passive des mêmes mots et des mêmes idées pendant tous les siècles ; mais de grandes vérités, des vérités universelles, qui sont données à l'âme pour qu'elle les développe et qu'elle en fasse l'application, qui lui sont données comme la graine au semeur, afin que la pensée, l'amour, l'obéissance les cultivent et en tirent des fruits de sagesse et de vertu de plus en plus beaux. Partout le Christianisme enseigne un large esprit de piété et de charité, laissant chacun de nous libre de manifester cet esprit suivant les avis de sa conscience. Partout il appelle l'âme à la liberté et à la puissance, en la mettant en garde contre les sens, les passions, les appétits qui l'enchaînent, l'affaiblissent et la détruisent. Partout il veut que l'âme domine le monde extérieur, partout il veut la mettre au-dessus des événements, de la souffrance, de là chair, de la persécution, de la mort. Partout il veut que l'âme soit maîtresse d'elle-même, partout il veut l'investir d'une souveraineté intérieure, et exciter en nous un puissant effort pour notre propre élévation.

    Je ne vois dans le Christianisme rien qu'un principe immense, infini, fait pour donner à l'âme de l'énergie et de l'expansion. La doctrine d'un Père universel renverse toutes ces barrières de secte, de parti, de rang et de nation, où les hommes ont emprisonné leur amour. Cette doctrine nous fait membre d'une famille infinie, et établit des sympathies entre l'homme et la création intelligente tout entière. Le personnage du Christ nous présente la perfection morale, le miracle le plus grand et le plus fécond de l'histoire, une pureté sans tache, une excellence infinie, qui ne porte le cachet d'aucune époque ni d'aucune nation, l'image même du Père universel. En nous assurant l'assistance miséricordieuse de Dieu, le Christianisme nous propose cette grande et pure vertu comme le modèle et le bonheur de notre âme. La croix du Christ nous prêche le sacrifice avec une énergie jusque là inconnue, et, en crucifiant l'égoïsme, la religion affranchit l'âme de sa plus triste chaîne. La résurrection du Christ rattache à l'éternité cette vie passagère. Dans le présent qui fuit, le Christ nous montre le germe d'un avenir éternel, l'âme humaine montant vers d'autres mondes, respirant un air plus libre, contractant de plus nobles liens, et il nous appelle à la sainte résolution qui convient à une pareille destinée. Partout et toujours le Christ nous montre Dieu comme une grâce infiniment généreuse et féconde, comme une clémence «que le mal ne peut surmonter, mais qui surmonte le mal à force de bien;» et qui de nous pourrait concevoir une vérité mieux faite pour animer et ennoblir? Je n'ai fait que jeter un coup d'œil sur ce que le Christianisme contient ; mais qui ne voit qu'il a été envoyé du ciel pour réveiller et élever l'âme humaine, et que c'est là sa plus grande gloire?

    Je me suis proposé dans ce discours d'exposer une grande vérité : la vérité centrale du Christianisme, celle qui comprend toutes les autres. Quiconque l'adopte avec intelligence et sincérité a une règle pour juger toutes les autres doctrines, et mesurer l'importance de toutes les autres vérités. Est ce ainsi qu'on la comprend? Je crains que non; je crains que ceux mêmes qui la reconnaissent ne l'entrevoient qu'obscurément. Je vois que dans toutes les communions chrétiennes ce sont d'autres idées qui prévalent, et ces idées me semblent au nombre des pires erreurs de notre époque ; j'en signalerai quelques-unes.

     

    I. Il est des chrétiens qui, au lieu de placer la gloire du Christianisme dans l'énergie puissante et pure qu'il donne à l'âme, semblent croire que la religion est faite pour substituer à notre action une activité étrangère. Le bienfait de la religion serait ainsi de nous donner le secours d'un être puissant qui ferait tout pour nous. Déprécier l'effort humain semble l'essence de la piété. On croit que la gloire du Christ consiste, non point à encourager des êtres libres pour qu'ils agissent sur eux-mêmes, mais à les changer par un coup irrésistible. Ce n'est pas dans les facultés et les affections développées dans notre propre cœur qu'ils placent le bonheur du chrétien, c'est dans une main étrangère qui s'étend sur nous, dans une sagesse étrangère qui remplace notre inintelligence. Cependant la fin du Christianisme n'est pas de procurer à l'âme un ami sur qui elle se repose, mais de rendre l'âme elle-même sage, forte et active. Son but n'est pas qu'une sagesse et qu'une force étrangères fassent tout pour nous, mais que la sagesse et l'énergie se développent continuellement dans notre âme. Suivant le Christianisme nous ne sommes pas un poids inerte emporté par une force étrangère ; c'est Dieu qui, par des moyens appropriés à notre nature morale, nous engage à marcher seuls et nous fortifie. La grande fin du Christianisme est d'édifier dans nos âmes une puissance capable de résister, de souffrir et de triompher. La force intérieure, voilà à quoi il tend : Que nous fassions le plus possible pour nous-mêmes et le plus possible pour les autres, c'est là sa gloire, et c'est le bonheur qu'il procure.

    II. Venons à une autre preuve de l'ignorance où sont les hommes au sujet du vrai bonheur et de la vraie gloire que procure le Christianisme, j'entends la noblesse et la santé qu'il donne à l'âme. C'est le penchant qui porte trop de gens à établir une immense séparation entre la religion et sa récompense. Ils n'imaginent pas que la principale récompense se trouve dans l'esprit même de la religion. On veut être chrétien pour obtenir quelque autre chose que le caractère chrétien, et quelque chose de plus précieux. On croit que le Christ peut encore donner un bien plus grand qu'un généreux amour de Dieu et de l'humanité; on le dédaignerait si on ne voyait en lui que le bienfaiteur de l'âme. C'est cette idée basse qui rapetisse la piété chez des milliers d'individus. La foule sert Dieu pour en obtenir un salaire, et de là vient que la superstition, la servilité et les cérémonies remplacent l'énergie de l'âme et le culte spirituel.

    III. L'ignorance des hommes en ce qui touche la grande vérité que j'établis, se voit dans les idées basses que la foule attache au mot de salut. Demandez de quel mal le Christ est venu nous sauver, et on vous dira : «De l'enfer, de la peine du feu, du châtiment à venir.» Aussi croit-on que l'œuvre du salut est quelque chose qu'un autre peut accomplir pour nous, comme un voisin peut éteindre l'incendie qui menace notre demeure et notre vie. Ce mot d'enfer, si rarement employé dans les livres sacrés, et qui, dans une traduction fidèle, ne se trouverait pas une seule fois dans les écrits de Paul, de Pierre et de Jean ; ce mot qu'on ne rencontre que dans quatre ou cinq discours de Jésus, et que toutes les personnes auxquelles la géographie juive est familière, savent n'être qu'une métaphore, une figure, et non pas une expression à prendre au pied de la lettre ; ce mot, dont on a perverti et exagéré le sens, a fait au Christianisme un mal indicible. Il a rempli et troublé les imaginations de tortures, de cris et de flammes ; il a montré aux hommes une ruine extérieure comme ce qu'ils ont surtout à redouter ; il leur a fait voir dans Jésus un libérateur extérieur, et les a ainsi aveuglés sur la vraie gloire du Christ, la gloire d'affranchir et d'élever les âmes. On fuit un enfer extérieur quand on a en soi l'enfer le plus redoutable. Ce dont l'homme a besoin avant tout, c'est d'être délivré du mal de son âme, et, dans cette délivrance sont toutes les autres. Il y a quelque chose de bien plus terrible que le châtiment extérieur : c'est le péché ; c'est l'état d'une âme qui s'est révoltée contre Dieu, et qui a rompu avec la conscience et la parole divine ; qui renie son père et devient insensible à l'amour infini ; qui, douée de facultés divines, se fait l'esclave de passions animales; qui fait de l'argent son dieu; qui, avec la capacité d'un amour infini, s'emprisonne dans des intérêts particuliers; qui, avec le pouvoir de se diriger elle-même, consent à servir, et se laisse emporter par l'habitude, l'opinion et les événements; qui, vivant sous l’œil de Dieu, craint la colère ou le mépris de l'homme, et préfère les louanges humaines à la conscience de sa vertu ; qui cède lâchement à la tentation, recule avec bassesse devant lés dangers du devoir, et sacrifie sa gloire et sa paix en renonçant à se conduire elle-même. Il n'est pas de ruine qui soit comparable à celle-là. Elle suit au delà du tombeau l'homme impénitent; c'est là qu'il trouve son inévitable rétribution, dans le remords, dans des tortures intérieures, et dans des douleurs inconnues de la terre. Voilà ce que nous ne pouvons trop redouter. Sauver, dans l'acception la plus élevée du mot, c'est tirer l'âme déchue de cet abîme ; c'est guérir l'esprit malade ; c'est lui rendre l'énergie, la liberté de pensée, la conscience et l'amour. Voilà le salut pour lequel le Christ versa son sang. C'est pour celui-là que le Saint-Esprit est donné; c'est là qu'aboutissent toutes les vérités du Christianisme.

    IV. Une autre preuve de cette erreur qui place la gloire et l'importance du Christianisme ailleurs que dans l'influence vivifiante qu'il a sur l'âme, se trouve dans les idées qu'on se fait ordinairement du ciel et des moyens par lesquels on pense l'obtenir. Il en est beaucoup, je le crains, qui s'imaginent que le ciel est un bien étranger. C'est une contrée lointaine où doit nous conduire un secours extérieur. Qu'on a de peine à apprendre que le ciel c'est la perfection de l'âme, et que le Christ nous le donne dès à présent à mesure qu'il élève notre esprit à la vérité et à la vertu célestes ! Ce mot de Ciel, il est vrai, est souvent employé pour exprimer un bonheur futur; mais la félicité de l'autre monde n'est qu'une continuation de celle qui commence ici-bas. Il n'y a qu'un seul bonheur, celui d'une âme qui développe ses plus nobles facultés et s'attache aux grandes choses; et le Christ n'accorde le ciel qu'en donnant cette élévation de caractère. Le désintéressement, la force morale et la piété filiale du chrétien, ne sont pas des moyens pour gagner le ciel, c'est le ciel lui-même, et le ciel dès à présent.

    L'idée la plus élevée que nous puissions nous faire de la vie future, c'est qu'elle nous mène et nous unit à Dieu. Mais le rapprochement n'a-t-il pas commencé sur la terre? Une autre idée du ciel, idée pleine de charme, c'est que là-haut nous serons unis à tous les hommes grands et vertueux, et même à des êtres d'un ordre supérieur. Mais cette union est une union d'esprit, plus que de lieu ; c'est un accord de pensée et de sentiment et non de voisinage ; et cette harmonie ne commence-t-elle pas dès à présent? Une amitié vertueuse sur la terre n'est-ce pas le plaisir même dont nous espérons jouir plus tard? Quel endroit serait plus horrible que les demeures du Christ si l'on n'y sympathisait pas avec les habitants, si l'on ne comprenait pas leur langage, si l'on s'y sentait étranger, si des jouissances qu'on ne pourrait partager n'y faisaient que mieux sentir la solitude et l'abandon? Ces idées, je le sais, sont souvent présentées avec plus ou moins de clarté ; mais il ne me semble pas qu'on ait familiarisé les hommes avec cette vérité que c'est dans nos âmes que se trouve la source du bonheur. Les idées qu'on se fait du ciel sont trop souvent des idées grossières. Pour quelques-uns de vous, peut-être, la principale idée du ciel, c'est une idée de splendeur ; le ciel, c'est la lumière dont le Christ fut entouré sur le mont Thabor. Considérons tous, et c'est une grande vérité, que le ciel n'a pas d'éclat qui surpasse la beauté intellectuelle et morale ; que, quand bien même la splendeur du soleil et des astres environneraient le chrétien, cette splendeur ne serait que ténèbres, comparée aux purs rayons de sagesse, d'amour et d'intelligence qui s'échappent de son âme. Ne croyez donc pas que le Christ soit venu pour donner le ciel comme quelque chose de distinct de la vertu. Le ciel, c'est l'âme affranchie et sanctifiée, qui jouit de Dieu par sa conformité avec lui ; qui multiplie ses rapports et ses sympathies avec les êtres parfaits, qui déploie de nobles facultés, et qui, unie avec ceux qui sont saints et éclairés, sert au bonheur et à la vertu de l'univers.

    Je crains, mes amis, de m'être trop répété ; mais je sens la grandeur de la vérité que je proclame, et je désire vivement la populariser. Les hommes ont besoin qu'on leur enseigne continuellement cette vérité. Ils ont toujours été enclins à attendre du Christ quelque chose qui, dans leur rêve, serait plus précieux que l'élévation de leur âme. Le grand objet du Christianisme, qui est de développer, de fortifier et d'élever l'âme, on l'a toujours perdu de vue. On a fait plus que le négliger, on l'a perverti. Cette religion, qui a été donnée au monde pour ennoblir la nature humaine, on s'en est servi pour l'avilir. Cette religion, donnée pour inspirer une noble espérance, on en a fait un instrument de torture morale et de terreur. Cette religion que, dans sa bonté, Dieu a faite pour agrandir l'âme humaine, on l'a rapetissée aux proportions d'une secte, on en a tiré l'inquisition et le bûcher des martyrs. Cette religion, donnée pour affranchir l'entendement et la conscience, a servi, par une perversion criminelle, à briser les hommes pour en faire les esclaves de prêtres, de ministres et de symboles humains. L'ambition et la ruse se sont emparées des saintes doctrines d'un Dieu tout-puissant et d'un châtiment à venir, et s'en sont fait des armes contre l'enfant, la femme tremblante, l'adulte ignorant. L'incrédule a pu accuser la religion des misères et de la dégradation de la nature humaine. C'est avec une triste et profonde conviction du mal fait au Christianisme et à l'âme humaine, par ces perversions et par ces erreurs, que je répète la grande vérité qui fait le sujet de ce discours. Je voudrais sauver notre sainte foi de ce déshonneur. Le Christianisme ne tend nullement à briser l'âme, ou à faire de l'homme un esclave ; il a un autre but, et, quand la religion est bien comprise, c'est une autre influence qu'elle exerce. Dieu l'a envoyée du ciel, le Christ l'a scellée de son sang pour qu'elle nous donnât la force de penser et de vouloir, pour qu'elle affranchit l'âme humaine de toute autre crainte que de faire le mal, pour qu'elle nous rendît indépendants, pour qu'elle brisât toutes les chaînes du dehors comme du dedans.

    Je finis en vous exhortant à ne jamais oublier ce grand objet de notre religion. Recevez le Christianisme comme vous ayant été donné pour vous élever. N'en attendez d'autre bien que la force et la vertu pour votre cœur. Ne croyez pas que Jésus puisse accorder un don plus grand que la pureté, non pas même le pardon du pécheur. Le Christ apporte le pardon; mais séparez le pardon de la pureté, imaginez que le pardon soit possible pour celui qui ne renonce pas au péché, faites-en l'exemption d'un châtiment extérieur, et non plus l'admission de l'âme reformée à la faveur et à la communion de Dieu, aussitôt la doctrine du pardon devient un danger pour vous, et le système qui l'enseigne est fatal. N'attendez d'autre bien du Christ que d'être élevés par son exemple et ses enseignements. N'attendez rien de sa croix, sinon la vertu qui en sort et qui, grâce à un amour invincible, donne à chacun la force de «porter sa croix,» de «boire son calice.» C'est là sa plus noble influence. Ne cherchez pas au loin les bénédictions du Christ ; son règne et ses bénédictions sont en vous; son royaume, c'est i'âme humaine. C'est là qu'il gagne ses victoires, qu'il élève ses temples, qu'il prodigue ses trésors. Son plus beau monument c'est une âme rachetée de l'iniquité, ramenée et dévouée à Dieu, se modelant sur la perfection du Sauveur, grande par le pouvoir de souffrir pour la vérité, aimable par ses douces et modestes vertus. Le Christ ne demande pas d'autre monument ; car celui-là durera et croîtra en splendeur quand les trônes de la terre seront écroulés, et quand ce monde, ayant rempli sa tâche, aura passé.

     

     

     

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    DidierLe Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    CARACTÈRE DU CHRIST

    «Celui-ci est mon fils bien aimé, en qui je me plais.»

    Matt 17: 5


     

     

    En étudiant le caractère du Christ, on peut se proposer plus d'un objet. Cette étude est faite pour éveiller le cœur, exciter l'amour et l'admiration. C'est un exemple sans pareil. C'est une preuve de la religion qui ne le cède à aucune autre ; peut-être même n'en est-il pas qui ait aussi souvent triomphé de l'incrédulité. C'est surtout à ce dernier point de vue que je crois cette étude digne de votre attention. Le caractère du Christ confirme la vérité de sa religion. C'est sous cet aspect que je voudrais vous le présenter. Ce n'est pas seulement pour vous affermir dans la foi; les explications où j'entrerai montreront encore les droits que Jésus possède à notre respect, à notre obéissance, à notre imitation et à notre amour.

    Plus nous contemplons le caractère du Christ, tel que nous le présente l'Évangile, plus nous sommes frappés de son authenticité et de sa réalité. C'est évidemment un portrait d'après nature. Les récits des évangélistes portent la marque de la vérité plus que toute autre histoire. Ils placent devant nous l'être le plus extraordinaire qui ait jamais paru sur la terre, et cependant ils sont aussi simples que les contes de l'enfance. Les auteurs ne songent pas à eux. Ils n'ont qu'un but : nous montrer leur maître ; et ils manifestent la vénération profonde que ce maître inspirait en le laissant se révéler lui-même, en nous donnant ses actions et ses paroles sans commentaires, sans explications et sans éloges. On n'aperçoit dans ces récits aucun vernis, aucun coloris éclatant, aucun effort pour rendre ses actions frappantes, ou pour faire ressortir les beautés de son caractère. Jamais on ne nous dit que telle circonstance montre la grandeur du Christ. Les Évangélistes écrivent avec une foi calme en Jésus, avec le sentiment qu'il n'a besoin d'aucun secours de leur part, et avec une vénération profonde, comme si des réflexions ou des louanges n'étaient pas dignes d'être mêlées au récit d'une telle vie. C'est un effet de notre familiarité avec l'histoire de Jésus, que nous n'en sommes pas frappés comme nous devrions l'être. Nous la lisons avant d'être capables d'en comprendre l'excellence. Les œuvres étonnantes du Christ nous deviennent aussi familières que les événements de la vie commune, et sa noble mission nous semble chose aussi naturelle que les rapports ordinaires des hommes. Aussi, convient-il aux ministres de la religion de faire ce que les Évangélistes n'ont pas essayé, de commenter le caractère du Christ, d'en faire ressortir les traits, d'en indiquer les beautés, d'exciter le respect en en développant la merveilleuse majesté. Une de nos plus importantes fonctions, c'est de rendre la fraîcheur et la vie à des vérités qui ont été ternies par un long usage. Il nous faut combattre la force de l'habitude. Par suite de l'habitude les hommes considèrent avec indifférence cette glorieuse création, et sont moins touchés par le soleil qui éclaire tout que par le spectacle d'un feu d'artifice. Le devoir d'un maître de morale et de religion, c'est de créer presque un nouveau sens chez les hommes, afin qu'ils apprennent dans quel monde de beauté et de magnificence ils vivent. Il en est ainsi pour le caractère du Christ ; on s'y habitue à tel point qu'on finit par s'imaginer qu'il y a quelque chose de plus admirable dans un grand homme de notre temps, dans un politique ou dans un conquérant, que dans Celui dont les politiques et les conquérants ne sont pas dignes de délier la chaussure.

    Je voudrais vous montrer que le caractère du Christ, pris dans son ensemble, est un caractère auquel l'homme n'a pu penser, qu'on n'a pu ni imaginer ni inventer ; il porte toutes les marques de l'authenticité et de la vérité; on doit, par conséquent, le reconnaître comme étant réel et d'origine divine.

    Si nous voulons comprendre toute la force de cet argument, il est de toute importance, mes amis, de nous transporter au temps où vivait Jésus. Nous sommes disposés à croire qu'il vivait dans une ville comme la nôtre, au milieu d'un peuple dont les idées et les habitudes ressemblaient aux nôtres. Mais le fait est qu'il vivait au milieu d'une société bien différente. De tous les peuples, les Juifs étaient le plus fortement marqué. C'est à peine s'ils croyaient appartenir à la famille humaine. Ils étaient habitués à parler d'eux-mêmes comme d'un peuple choisi de Dieu, d'un peuple saint et pur, tandis que les Gentils étaient des pécheurs, des chiens, une race souillée et impure. L'habillement ordinaire du Juif, le phylactère qu'il portait sur le front ou sur le bras, son vêtement, sa nourriture, sa façon de vivre, aussi bien que son temple, ses sacrifices, ses ablutions, tout lui disait qu'il était le favori de Dieu, et tout le séparait du reste du monde. Il ne pouvait ni manger ni se marier avec les autres nations ; elles étaient indignes de sa communion.

    Malgré toutes ces idées de supériorité, le Juif fut conquis par ceux qu'il méprisait. Il fut obligé de porter les fers de Rome, de souffrir des légions romaines sur son territoire; une garde romaine s'installa aux portes du temple, et un publicain romain enleva au Juif ce qu'il regardait comme dû à Dieu seul, pour en entretenir un gouvernement idolâtre, un culte idolâtre. La haine qui brûlait dans le cœur du Juif contre l'oppresseur étranger ne fut jamais plus violente chez des vaincus. Le Juif avait cependant une consolation secrète : le temps arrivait, l'époque prédite par les prophètes approchait où la Judée allait briser ses chaînes et sortir de la poussière. Son roi et son libérateur, longtemps promis, était proche, et il venait prendre la couronne de l'empire universel. Sa loi devait sortir de Jérusalem, et toutes les nations allaient servir le peuple de Dieu. A ce conquérant, il est vrai, les Juifs attribuaient la mission de propager la religion; mais la religion de Moïse, corrompue en un service extérieur, était pour eux la perfection de la nature humaine. Ils s'attachaient à ces formes avec toute l'énergie de leur âme. C'était aux institutions de Moïse qu'ils attribuaient leur séparation d'avec les autres nations. C'est là-dessus qu'ils appuyaient leurs espérances de domination. Je crois que jamais préjugé n'égala l'attachement du Juif pour sa religion nationale. Vous en pouvez juger la force puisque cet attachement a traversé tant de siècles, au milieu de persécutions et de souffrances qui auraient dompté tout autre qu'un Juif. Il faut vous placer au milieu de ce peuple singulier.

    C'est au sein de ce peuple étrange et impatient que parut Jésus de Nazareth. Ses premières paroles furent : «Repentez- vous, car le royaume du ciel est proche.» Ces mots nous les entendons sans en être émus ; mais pour les Juifs, qui, pendant des siècles, avaient espéré ce royaume, et qui en attendaient la manifestation immédiate, c'était l'éclat de la foudre. Aussi voyons-nous Jésus entouré d'une foule que nul édifice ne pouvait contenir. Il va à la montagne pour pouvoir lui parler. Je le vois entouré dé ce peuple aux regards ardents, et prêt à s'abreuver des paroles qui tombent de ses lèvres. Et qu'entends-je? Pas un mot ni de la Judée, ni de Rome, ni de la liberté, ni des conquêtes, ni des gloires du peuple de Dieu, ni de toutes les nations se pressant dans le temple, sur la montagne de Sion. Chaque mot est un coup mortel porté aux espérances et aux sentiments qui animent ce peuple, et que consacre sa religion. Jésus parle de ce royaume du ciel si longtemps attendu ; mais il en parle comme d'un bonheur promis seulement aux cœurs humbles et purs. La justice des pharisiens, qui était regardée comme la perfection de la religion, et que le Messie, disait-on, devait propager au loin, Jésus la déclare sans valeur, et annonce que le royaume du ciel ou du Messie sera fermé à tous ceux qui ne cultivent pas une vertu nouvelle, spirituelle et désintéressée. Au lieu de parler dé guerre et de victoire, il commande à ses auditeurs impatients d'aimer et de bénir leurs ennemis ; il leur montre cet esprit de bonté, de miséricorde et de paix comme le signe qui caractérise le peuple du vrai Messie. Au lieu d'intérêts nationaux et de gloires nationales, il leur commande de chercher d'abord cet esprit de charité et d'amour universel, que n'arrêtent pas les limites de tribu ou de nation, et il leur annonce que c'est là le bonheur et la gloire du règne qu'ils espèrent. Au lieu des richesses qu'ils s'attendaient à voir affluer de tous les pays dans le leur, il leur commande d'amasser des trésors dans le ciel, et il leur montre une vie incorruptible, immortelle, comme étant leur vraie fin.

    Et ce n'est pas tout. Jésus ne se présente pas seulement comme un libérateur spirituel, comme le fondateur d'un nouveau règne de piété intérieure et de charité universelle, il termine par un langage qui annonce une fonction plus mystérieuse. «Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en ton nom? et n'avons-nous pas fait en ton nom bien des prodiges ? Et alors je leur dirai : Je ne vous ai jamais connus; éloignez-vous de moi, vous qui faites des œuvres d'iniquité.» Là je trouve l'annonce d'un caractère aussi auguste qu'étonnant. J'entends Jésus prédire une domination qui sera exercée dans le monde à venir. Il commence à annoncer, ce qu'il répétera souvent : c'est que sa puissance n'est pas limitée à cette terre. Ces mots, je les comprends mieux lorsque plus tard je l'entends déclarer qu'après une mort pénible, il ressuscitera et montera au ciel, et que là, avec une puissance et une gloire souveraines, il sera l'avocat et le juge de tous les hommes.

    Voilà quelques-unes des idées que Jésus donne de son rôle et de son règne dans le sermon de la montagne. Aussitôt après, je l'entends donner une autre leçon qui fait ressortir plus fortement quelques-unes de ces vérités. Un centurion romain s'adresse à lui pour la guérison d'un serviteur qu'il aime, et, comme il exprime énergiquement la conviction où il est que Jésus a le pouvoir de guérir de loin, Jésus, suivant l'historien, en fut étonné, et dit à ceux qui le suivaient : «En vérité, je vous le dis, je n'ai pas trouvé une foi aussi grande dans Israël; et, je vous le dis, beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident, et s'assiéront avec Abraham, et Isaac, et Jacob, dans le royaume du ciel; mais les enfants du royaume (c'est-à-dire les Juifs) en seront bannis.» Par là se trouvaient détruites toutes les espérances dont les Juifs s'étaient bercés, en attendant la possession exclusive du royaume du Messie; l'admission des Gentils, jusque-là méprisés, est proclamée; en d'autres mots, Jésus annonce que sa pure religion embrasse les confins de la terre qu'il est uni à Dieu et au genre humain par un lien particulier, et que, dans ce monde et dans l'autre, il est revêtu de pouvoirs tels que l'esprit humain n'en a jamais imaginés. Or, je le demande, d'où est venue la conception de ce caractère ?

    Je m'arrête ici, et je vous demande si le caractère de Jésus n'est pas le plus extraordinaire que présente l'histoire, et s'il n'est pas inexplicable suivant les idées humaines. Regardons le terrain que nous avons parcouru ; rappelons-nous que Jésus était né Juif, et qu'il avait grandi au milieu des Juifs, c'est-à-dire d'un peuple qui n'avait qu'une seule passion, et qui mettait toute son âme dans l'attente d'un libérateur national et terrestre. Il grandit au milieu d'eux dans la pauvreté, dans l'isolement, occupé de travaux faits pour rétrécir ses pensées, ses desseins et ses espérances; et, cependant, il échappe à toutes les influences de l'éducation et de la société. Les sentiments qui prévalaient autour de lui, que la religion et le patriotisme concouraient à consacrer, que la mère répétait à l'oreille de l'enfant, et que le prêtre de la synagogue confirmait chez l'adulte, ces sentiments ne le touchent pas plus que s'il avait été élevé dans un autre monde. Il a un dessein sublime, tel que jamais le sage ou le héros n'en ont conçu l'idée; il sait qu'il est uni à Dieu et au genre humain par un lien particulier, et que, dans ce monde et dans l'autre, il est revêtu de pouvoirs tels que l'esprit humain n'en a jamais imaginés. Or, je le demande, d'où est venue la conception de ce caractère ?

    Dira-t-on qu'il a eu son origine dans l'imposture, que ce fut l'invention d'un fourbe? Le caractère auquel prétend le Christ exclut par sa nature même une pareille supposition. Ce personnage était si loin de toutes les idées et de toutes les espérances de l'époque, si peu fait pour exciter la sympathie, si peu séduisant pour les païens, si irritant pour les Juifs, qu'il eût été le dernier auquel eût songé un imposteur. Le fourbe Je moins habile aurait prévu que ce caractère l'exposerait au mépris, à la haine et à la persécution, et qu'on le laisserait seul accomplir son œuvre, comme on laissa Jésus, qui ne trouva personne pour partager sa pensée et son dessein. Quel attrait un égoïste sans principes aurait-il pu trouver dans une pareille entreprise?

    J'affirme, en outre, que la sublimité du personnage qu'a pris le Christ nous empêche d'y voir une imposture. Qu'un égoïste, un fourbe, un dépravé, eût pu concevoir l'idée et le projet d'une œuvre sans pareille, en bienfaisance, en puissance et en grandeur morale, ce serait une étrange dérogation aux lois de l'esprit humain. J'ajoute que si un imposteur eût conçu une œuvre aussi sublime et aussi surprenante, il n'aurait pas pu, je le répète, il n'aurait pas pu donner à son personnage un air de vérité. Le rôle eût été trop fort pour lui. Il l'eût exagéré, ou il serait resté au-dessous. Son véritable caractère se serait révolté contre celui qu'il aurait pris. Nous aurions vu quelque chose d'outré, de forcé, d'artificiel, de gauche, qui aurait montré que l'acteur n'était pas dans sa véritable sphère. Soutenir un rôle si singulier et si grand, un caractère sans exemple, me semble tout à fait impossible pour qui n'aurait pas eu le véritable esprit du personnage, ou qui s'en fût servi comme d'un masque.

    Maintenant que fait Jésus? Élevé comme un charpentier juif, il sort de l'obscurité, il s'attribue une mission divine, une dignité surhumaine qu'on n'avait jamais imaginée, et, pourtant, il n'est jamais au-dessous de son rôle. L'homme du peuple et le juif disparaissent. Nous sentons qu'un esprit d'un nouvel ordre prend part aux affaires humaines. Il y a dans son enseignement un ton naturel de grandeur et d'autorité. Il parle comme une personne qui est liée à l'humanité tout entière. Jamais son génie ne se resserre dans les limites ordinaires de l'action humaine; c'est toujours le monde entier qu'embrasse sa pensée. C'est avec un langage naturel qu'il parle d'accomplir, dans l'univers, le changement le plus difficile et le plus important. Cette simplicité mérite une attention particulière. Vous n'entendez jamais chez Jésus ce langage enflé, pompeux, plein d'ostentation, qui trahit l'effort que nous faisons pour soutenir un rôle au dessus de nos forces. Jésus parle de sa gloire comme de chose familière ; il parle de son intimité et de son unité avec Dieu aussi simplement que l'enfant parle de ses rapports avec ses parents. Il parle de sauver et de juger le monde, de tirer tous les hommes à lui, et de donner la vie éternelle, comme nous parlons de nos actes ordinaires. Il ne fait pas de discours d'apparat sur la grandeur de sa fonction et de son caractère. La conscience qu'il en a se reflète dans tout son langage; elle se manifeste par des expressions indirectes, involontaires, qui montrent qu'elle était la plus familière et la plus profonde de ses convictions. Cette preuve ne peut être bien comprise qu'en lisant les Évangiles avec un esprit et un cœur vigilants. Ce n'est pas à la surface qu'on la trouve, mais elle n'en est que plus forte parce qu'elle est au fond, Quand je lis ces livres avec soin, quand j'étudie cette majesté vraie dont toute la vie de Jésus est imprégnée, et quand, au milieu de la pauvreté, du mépris et jusque dans les dernières souffrances, je ne le vois jamais tomber au-dessous de ses sublimes prétentions, j'ai un sentiment inexprimable de la vérité de son caractère. Je sens qu'il eût été aussi impossible au charpentier juif de concevoir et de soutenir son personnage par imposture qu'il est impossible au bras d'un enfant de répéter les travaux d'Hercule, qu'il est impossible à l'intelligence d'un enfant de comprendre et d'égaler les chefs-d'œuvre du génie.

    Dira-t-on que les prétentions de Jésus eurent leur origine, sinon dans l'imposture au moins dans l'enthousiasme; qu'une imagination enflammée domina le jugement de Jésus, au point de lui persuader qu'il était né pour une œuvre étrange et sans pareille? Je sais que l'enthousiasme, qu'une imagination exaltée ont une grande force, et c'est ce qu'il ne faut jamais perdre de vue quand on juge les prétentions des fondateurs de religions. Mai» je dirai d'abord, qu'à moins de toucher à la folie, l'enthousiasme est toujours dominé par les idées antérieure» du fanatique. En Judée, où l'on attendait le Messie avec une impatience fiévreuse, je comprends facilement un Juif qui s'imagine qu'en lui doit se réaliser cette ardente 'conception, cet idéal de gloire. Je le vois s'asseyant, en pensée, sur le trône de David, et méditant en secret le moyen de triompher. Mais un Juif qui s'imagine qu'il est le Messie, et qui, en même temps, dépouille le personnage de tous les attributs qui avaient enflammé sa jeune imagination et son jeune cœur, un Juif qui met de côté tous les sentiments et toutes les espérances de son époque, et qui se sent destiné à une carrière toute nouvelle, aussi illimitée qu'elle est nouvelle, c'est ce qui est tout à fait improbable. Une imagination aussi déréglée, un esprit capable d'enfanter une telle conception, et de se croire destiné à une œuvre aussi disproportionnée avec la faiblesse humaine, aurait touché à la folie. Comment supposer qu'un individu, maîtrisé par une imagination si vive et si emportée, eût soutenu la dignité à laquelle a prétendu le Christ, et qu'il eût rempli dignement le rôle le plus grand qu'on ait jamais pris sur la terre? Cet enthousiasme n'aurait-il pas percé au milieu des agitations particulières de la vie de Jésus, et n'aurait-il pas laissé une teinte de folie sur son enseignement et sa conduite? Est-ce d'un tel homme que nous attendrons l'enseignement d'une vertu nouvelle, et le plus beau modèle de l'humanité?

    Un enthousiasme extravagant et qui se trompe lui-même est la dernière chose dont on puisse accuser Jésus. Où en trouver des traces dans son histoire ? Est-ce dans l'autorité et le calme de ses préceptes? Est-ce dans la douceur, est-ce dans l'esprit pratique et charitable de sa religion? Est-ce dans la simplicité avec laquelle il expose sa mission et les vérités sublimes de la religion? Est-ce dans le bon sens, dans la connaissance de la nature humaine qu'on retrouve toujours dans sa manière d'apprécier et de traiter les hommes? Découvrons-nous cet enthousiasme dans ce fait étrange que Jésus, qui prétend à la puissance dans un autre monde, et qui tourne toujours les esprits vers le ciel, ne se laisse jamais dominer par son imagination, et n'excite jamais celle de ses disciples par le brillant tableau du monde invisible? Ce qui distingue par-dessus tout le caractère de Jésus, c'est le calme et l'empire de soi-même. Ce trait domine toutes ses autres perfections. Combien sa piété était tranquille ! Montrez-moi une seule expression de ses sentiments religieux qui soit passionnée et véhémente ? Est-ce que l'oraison dominicale respire la fièvre? Si le style ordinaire de Jésus, quand il parle de religion, était introduit dans la plupart des églises modernes, on le trouverait froid. Le calme et la sagesse de sa piété sont surtout visibles dans la doctrine qu'il prêche avec tant d'ardeur : c'est qu'un amour désintéressé, que l'oubli de soi-même pour servir le prochain, sont le culte le plus agréable qu'on puisse rendre au Créateur. Sa bienveillance, si ardente et si profonde, était cependant douce et sereine. Toujours maître de lui-même dans son amour pour les autres, jamais il ne se laisse entraîner dans les entreprises impatientes et téméraires d'une philanthropie fanatique; il fait le bien avec cette tranquillité et cette constance qui sont la marque de la divine Providence.

    On comprendra mieux toute la profondeur de ce calme en considérant l'opposition que Jésus rencontra. Partout ses efforts étaient surveillés avec jalousie, habilement traversés par des ennemis vindicatifs, qui voulaient ruiner sa cause, fallût-il le tuer. Or, un fanatique qui s'imagine avoir une mission divine est singulièrement exposé à l'impatience et à l'indignation quand il rencontre une opposition furieuse et méchante. Les obstacles augmentent sa violence, il devient plus pressé, plus ardent en proportion de la résistance qu'il rencontre. Qu'on se rappelle donc que la méchanceté des ennemis du Christ, sans égale et triomphante, ne lui ôta jamais la possession de lui-même, n'excita en lui aucune colère, et ne lui fit apporter nulle véhémence, nulle précipitation dans ses travaux. Il ne se dissimulait pas, il ne cachait pas à ses disciples l'impression faite par ses adversaires sur la foule. Il voyait clairement la mort violente vers laquelle il marchait à grands pas. Mais, plein de confiance en Dieu et dans le progrès silencieux de la vérité, il possédait son âme en paix. Son calme s'élève jusqu'au sublime, quand nous considérons les tempêtes qui rugissaient autour de lui, et l'immensité des vues où son esprit trouvait le repos. Je dis donc que la sérénité et l'empire de soi-même étaient les qualités principales de Jésus. J'affirme que le caractère étrange et sublime auquel prétendait Jésus ne peut être attribué ni à l'imposture, ni à une imagination folle et déréglée. Il ne peut s'expliquer que par la vérité, par la réalité.

    J'ai remarqué en commençant combien une longue familiarité avec Jésus émoussait en nous le sentiment de sa perfection. Souvent, peut-être, nous avons lu ce qu'il disait, sans penser à ce qu'il y avait d'extraordinaire dans ce personnage. Je ne connais rien d'aussi sublime. Les plans et les travaux des hommes d'État sont des jeux d'enfants auprès de l'œuvre que Jésus annonçait, et à laquelle il consacra sa vie et sa mort. Changer l'aspect moral de l'univers, ramener toutes les nations au culte pur et intérieur d'un seul Dieu, à l'amour de Dieu et des hommes, c'était une pensée dont nous ne trouvons aucune trace chez les philosophes ou les législateurs qui ont vécu avant le Christ. L'esprit humain n'avait jamais eu d'idée si large. La conception de cette entreprise, et l'attente calme et inébranlable du succès chez une personne qui n'avait ni position, ni richesse, qui repoussait l'épée avec horreur, et qui défendait à ses disciples de se servir d'autres armes que de l'amour, montre une confiance merveilleuse dans la puissance de Dieu et dans la force de l'amour. Ajoutez que Jésus ne songeait pas seulement au triomphe de sa foi dans la vie présente, mais à un pouvoir étendu et bienfaisant qu'il posséderait dans le ciel, et vous verrez une immensité de dessein, une grandeur de pensée et de sentiment, si originale, si supérieure aux idées ordinaires qu'il faut l'endurcissement de l'habitude pour ne pas les contempler avec étonnement et respect. Quand je pénètre le sens complet de passages comme ceux qui suivent : — «Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui êtes pesamment chargés, je vous donnerai le repos.» — «Je suis venu pour chercher et pour sauver ce qui était perdu.» — «Celui qui me confessera devant les hommes, celui - là je le confesserai devant mon Père qui est aux cieux.» — «Quiconque rougira de moi devant les hommes, le Fils de Dieu rougira de lui lorsqu'il entrera dans la gloire du Père avec les saints anges.» — «Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures ; je vais y préparer une place pour vous.» — Je dis que lorsque je réussis à comprendre la portée de ces mots, il me semble que j'entends un langage que les hommes n'ont jamais parlé, ni avant, ni après Jésus. Il y a dans la simplicité de ces paroles une grandeur qui m'étonne, et, lorsque je rapproche cette grandeur des preuves que, dans un discours précédent, je vous ai données des miracles du Christ, je suis forcé de dire avec le centurion : «En vérité, c'était le Fils de Dieu.»

    Mes amis, je vous ai montré Jésus-Christ comme l'être le plus extraordinaire qui ait jamais vécu. Considérons le maintenant sous un aspect encore plus frappant. Vous avez vu combien Jésus avait la conscience de sa grandeur, voyez cependant de quelle façon il vécut au milieu des hommes. Pour me faire mieux comprendre, permettez-moi une supposition. Vous n'avez jamais connu en détail l'histoire du Christ ; on vous a dit seulement qu'il y a des siècles, un homme extraordinaire apparut dans le monde; il était possédé de l'idée qu'il était l'envoyé de Dieu, il se regardait comme investi d'une puissance divine, et chargé de la tâche la plus sublime qui pût s'accomplir ici-bas ; il sentait qu'une autorité et qu'une générosité sans exemple l'attachaient non seulement à une nation ou à une époque, mais à toutes les nations et à tous les temps, et il voyait d'avance un royaume spirituel et un pouvoir éternel au-delà du tombeau. On ajoute qu'à son entrée dans le monde, cet homme ne trouva personne pour le comprendre ; dans ses pensées comme dans ses desseins, il se sentit infiniment élevé au-dessus de ceux qui l'entouraient ; et on vous demande alors quel extérieur, quel genre de vie, quel ton, quel air, quelle conduite, quels rapports avec la foule vous semblent convenir à un tel personnage? Comment vous le figurez vous?

    Ne supposez-vous pas qu'il adopta un genre de vie particulier, qui indiquât sa supériorité? N'attendez-vous pas quelque chose de distinctif dans son apparence? Il prendra sans doute quelque signe extérieur; il exigera des hommages? Cet esprit qui roule de si vastes pensées, qui est si au-dessus de la terre, regardera froidement les plaisirs des hommes? Ce génie qui embrasse le monde et qui médite de le soumettre à la vérité, ne montrera que peu d'intérêt pour de simples individus. Comme il possède l'idéal d'une vertu sublime, il attachera peu d'importance aux humbles connaissances des ignorants et des superstitieux qui l'entourent? N'en ferez vous pas un personnage public, qui travaille à établir son ascendant sur les hommes publics? Ses affections naturelles ne seront-elles pas absorbées dans une philanthropie universelle : des attachements particuliers ne vous paraîtront-ils pas inconciliables avec cette énorme supériorité, avec l'immensité de ces desseins? Ne comptez-vous pas qu'il profitera des avantages que le monde procure ? Ce grand instituteur choisira sans doute pour son enseignement les endroits les plus saints, et le Seigneur de toutes choses s'élèvera un siége d'où partiront les lois qui doivent atteindre les confins de la terre? En un mot, ne comptez-vous pas que ce personnage extraordinaire s'entourera de circonstances extraordinaires, et maintiendra une ligne de séparation entre lui et la foule dégradée qui l'entoure ?

    Ce serait là, je crois, notre attente à tous ; voyons maintenant ce que fait Jésus? Lisez son histoire. Il vient avec le sentiment d'une grandeur plus qu'humaine pour accomplir une œuvre infinie ; où le trouvez-vous? Quel est son extérieur? quelles sont ses manières? Comment cause-t-il ? comment vit-il avec les hommes ? Son aspect, son genre de vie, son commerce, sont tout le contraire de ce que nous avions supposé. Il garde l'habillement de la classe dans laquelle il a grandi. Il ne se retire pas comme Jean dans la solitude, pour imposer le respect ; il ne cherche aucun des endroits que l'histoire juive a consacrés. Voulez-vous le trouver? allez chez Pierre, le pêcheur. Allez au puits de Samarie, où il se repose après les fatigues de la route. Voulez-vous l'entendre? peut-être le trouverez-vous dans le temple, car c'est un endroit de réunion générale ; mais, d'ordinaire, il enseigne en plein air, tantôt dans une barque sur le lac de Galilée, tantôt sur une montagne, et tantôt dans les rues encombrées de la cité. Il n'a pas un endroit où poser sa tête, et il n'en veut pas avoir. Un riche se jette à ses pieds, il lui dit : «Vends ce que tu possèdes, et suis-moi.» Et ce n'est pas tout, il y a quelque chose de plus frappant. Il ne vit pas simplement dans la rue et avec des pêcheurs; là, s'il l'eût voulu, il aurait pu faire le vide autour de lui, et élever une barrière entre lui et les autres ; mais, là comme partout, il vit avec les hommes comme un homme, un frère, un ami, parfois comme un serviteur ; il entre, avec un amour sans égal dans les sentiments, les intérêts, les besoins, les douleurs de chacun, s'agit-il des plus malheureux, des plus méprisés, des plus abandonnés. C'est ce qu'il y a de plus frappant dans la vie de Jésus. Cette union de la bonté sous la forme la plus humble et la plus tendre avec le sentiment d'une gloire divine, c'est un des traits les plus étonnants de ce caractère merveilleux. Ceci nous dit pourquoi il choisit la pauvreté, et repoussa toute singularité de manières et d'aspect ; c'est qu'il voulait se rapprocher de la foule, se rendre accessible à tous, répandre sur tous la plénitude de son amour, connaître et plaindre tous les chagrins et toutes les fautes, partager toutes les affections et toutes les joies.

    Je ne puis citer qu'un petit nombre d'exemples de cet amour du Christ pour tous les hommes, quels que fussent leur caractère et leur condition. Mais qu'ils sont beaux! Dès l'ouverture de son ministère, nous le voyons assister à un mariage auquel il a été invité avec ses disciples. Chez les Juifs c'était une occasion de gaieté et de réjouissance ; mais ce ne fut pas pour Jésus une raison de refuser l'invitation. Il savait ce qu'il y a d'amour, de plaisir, de douleur et d'influence morale dans le mariage, et il se rendait à ces noces, non comme un ascétique pour décourager ces brillantes espérances et ces ardentes félicitations, mais pour sanctionner le mariage par sa présence et pour en augmenter la joie. Que cette conduite répond mal à la dignité solitaire que nous lui aurions attribuée, et quel esprit d'humanité ne respire-t-elle pas ! Mais cet événement est unique dans son histoire. Son penchant n'était pas pour les heureux, mais pour les ignorants, les pécheurs, les affligés ; ce sont là ses amis habituels. Si sublimes que soient ses pensées et ses desseins, il choisit des hommes sans éducation pour ses principaux disciples, et il ne vit pas avec eux comme un supérieur toujours prêt à donner un enseignement solennel, il se fait leur compagnon ; il voyage à pied avec eux, couche dans leur demeure, s'assoit à leur table, partage leur grossière nourriture, leur communique sa vérité sous la forme la plus simple, et quoiqu'ils le comprissent mal, et ne pénétrassent point dans toute sa pensée, il ne se lasse jamais de les instruire. Son commerce avec eux est si familier, que, quand il annonce que sa mort approche, Pierre lui adresse des reproches avec un tendre zèle, et que Jean se repose sur son sein. Est-il besoin de vous rappeler son dernier discours à ses disciples ? C'est un mélange unique de tendresse et de majesté. Il oublie ses propres douleurs pour calmer et consoler ses humbles sectateurs.

    La grandeur de son amour parut de façon touchante quand on lui amena des enfants. Ses disciples, jugeant comme eussent fait tous les hommes, pensèrent que celui qui avait été envoyé pour porter la couronne de l'empire universel avait devant lai une œuvre trop grande pour, donner son temps et son attention à des enfants, et ils rebutèrent les parents qui les amenaient; mais Jésus, blâmant ses disciples, appela à lui ces enfants. Jamais, je crois, l'enfance n'excita un amour si profond. Il les prit dans ses bras et les bénit, et ne dit pas seulement que le royaume du ciel se composait de leurs pareils, mais il ajouta : «Celui qui reçoit un petit enfant en mon nom me reçoit,» tant il s'identifiait avec cette première innocence et cette première beauté de la nature humaine.

    Il n'y avait personne d'assez déchu pour être indigne de sa sympathie. Il ne se contentait pas d'instruire le publicain et le pécheur, mais, lui si pur, il s'asseyait et mangeait avec eux, et lorsque le méchant pharisien lui reprochait cette société, il répondait par les touchantes paraboles de la brebis égarée et de l'enfant prodigue, et disait : «Je suis venu pour chercher et sauver ce qui était perdu.»

    Nulle souffrance ne put tarir dans son cœur cette source d'amour. Sur la route du Calvaire, il entendit des femmes de Jérusalem qui pleuraient sur lui, et, au bruit de ces sanglots, il se tourna vers elles, et dit : «Femmes de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants.» Sur la croix, pendant que son âme était partagée entre de vives souffrances et la contemplation du bonheur infini où aboutiraient ses douleurs, ses yeux s'arrêtèrent sur sa mère et sur Jean, et la sensibilité d'un fils et d'un ami se mêla au sentiment sublime du Seigneur et du Sauveur universel. Jamais l'affection naturelle ne s'était exprimée d'une manière si tendre et si admirable. Il dit à sa mère, en lui montrant Jean : Voilà ton fils; je laisse mon disciple bien-aimé pour me remplacer, pour remplir mes devoirs de fils, et pour jouir d'une part dans cet amour avec lequel tu m'as suivi dans la vie ; et il dit à Jean : «Voilà ta mère ; je te lègue le bonheur de servir ce que j'ai le plus aimé sur la terre.» Et ce n'est pas tout. L'amour eut encore un plus noble triomphe. Tandis que ses ennemis l'entouraient avec une méchanceté que ne pouvait adoucir son agonie, tandis que, pour rendre l'insulte plus poignante, ils lui rappelaient en raillant sa mission et son rôle, Jésus ne s'occupa d'eux que pour faire à Dieu cette prière : «Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font.»

    Ce fut ainsi que Jésus vécut avec les hommes. Au sentiment d'une majesté inexprimable il joignait une humilité, une douceur, une humanité et une tendresse sans exemple dans l'histoire. Réfléchissez à cet accord merveilleux. Autant Jésus était supérieur à ceux qui l'entouraient, autant était grand l'amour fraternel qui l'unissait à eux. C'est là un caractère étranger à toute conception humaine. S'imaginer qu'il est le produit de l'imposture ou du fanatisme, dénote une étrange faiblesse d'esprit. Je contemple Jésus avec une vénération qui ne le cède qu'à la crainte profonde avec laquelle je regarde Dieu. Ce caractère ne porte aucune marque d'invention humaine. Il est vrai. Il appartient au Fils bien aimé de Dieu ; il en est la manifestation.

    Mais je n'ai pas fini, et je réclame votre attention pour quelques instants. Nous n'avons pas encore atteint le fond du caractère du Christ ; nous n'avons pas touché le grand principe sur lequel reposait cette merveilleuse tendresse, et qui lui rendait chère sa mission de sauveur universel. Ce principe, c'était sa conviction de la grandeur de l'âme humaine. En chaque homme il voyait l'empreinte et l'image de la Divinité ; aussi brûlait-il de racheter le moindre individu, et lui portait-il l'amour le plus tendre, quel qu'en fût le rang, le caractère ou la condition. Cette idée est ce qui remplit et ce qui distingue l'enseignement du Christ. Jésus voyait les hommes avec des yeux qui pénétraient sous l'enveloppe matérielle : le corps disparaissait ; les ornements du riche, les haillons du pauvre n'étaient rien pour lui. C'est l'âme qu'il voyait ; au milieu des nuages de l'ignorance et des taches du péché, il reconnaissait une nature spirituelle et immortelle, le germe d'une puissance et d'une perfection capable d'un développement infini. Dans l'individu le plus déchu, le plus dépravé, il voyait un être qui pouvait devenir un ange de lumière. Bien plus, Jésus sentait qu'il n'y avait rien en lui à quoi les hommes ne pussent atteindre. La noble conscience qu'il avait de lui-même ne le séparait pas de la foule, car, dans sa propre grandeur, il voyait le modèle de ce que chacun pouvait devenir. Il était tellement imbu de ce sentiment, qu'à chaque instant, en parlant de sa gloire à venir, il annonçait que ses fidèles la partageraient avec lui. Ils devaient s'asseoir avec lui sur son trône, et avoir leur part de sa puissance bienfaisante.

    Ici je m'arrête, et, en vérité, je ne sais pas ce qu'on pourrait ajouter pour augmenter l'admiration, le respect et l'amour qu'on doit à Jésus. Lorsque je le considère, non seulement comme ayant la conscience d'une majesté infinie, mais comme reconnaissant dans tous les hommes une nature semblable à la sienne, et comme vivant et mourant pour les élever à la participation de sa gloire divine ; et lorsque je le vois s'unir aux hommes par les plus tendres liens, les embrasser avec une tendresse que ni l'insulte, ni l'injustice, ni la souffrance ne peuvent vaincre un seul moment, je suis rempli d'étonnement aussi bien que de respect et d'amour. Je sens que ce caractère n'est point d'invention humaine, que la ruse n'a pu le prendre ni le fanatisme l'inventer. Le caractère de Jésus, joint aux autres preuves de sa religion, donne une force nouvelle et énorme à ce qui déjà semblait si fort; je sens que je ne puis m'être trompé. Les Évangiles doivent être vrais ; ils sont faits d'après nature ; ils sont fondés sur la réalité. Le caractère de Jésus n'est pas une fiction ; Jésus fut ce qu'il prétendait être, et ce que ses disciples ont attesté. Et ce n'est pas tout. Non seulement Jésus a été, mais il est encore le Fils de Dieu, le Sauveur du monde. Il existe, il est dans le ciel, et ses regards sont toujours tournés vers la terre. C'est là qu'il vit et qu'il règne. Avec une foi claire et calme, je le vois dans cet état de gloire ; plein de confiance, je m'attends à le contempler face à face dans un temps peu éloigné. Nous n'avons pas d'ami absent que nous soyons aussi assurés de revoir. En imitant ses vertus, en obéissant à sa parole, préparons-nous donc, mes chers auditeurs, à le rejoindre dans ces demeures pures, où il s'entoure des bons et des vertueux, et où il leur fera partager à jamais son esprit, sa puissance et sa joie.

     

     
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    DidierLe Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

    PREUVES DU CHRISTIANISME. ( partie 2)

     

     

    J'ai exposé quelques-uns des grands faits qui touchent à l'origine du Christianisme, faits dont nous avons la preuve claire et complète. Nous savons quand et où cette religion prit naissance. Nous en connaissons l'auteur, et les premiers apôtres. Nous connaissons les grands traits de la religion telle qu'elle fut d'abord enseignée ; et bien plus, nous avons les écrits de ces premiers disciples, qui placent hors de doute le caractère précis de la religion. Je vais maintenant exposer quelques-unes des preuves du Christianisme qui sont comprises dans ces faits, ou qui s'en appuient. Je me bornerai à un petit nombre, et je choisirai celles qu'on peut traiter convenablement dans les limites d'un discours.

    I. Je crois que le Christianisme est vrai, ou qu'il vient de Dieu, parce qu'il me semble impossible de lui donner une autre origine. Il a eu une cause, et l'on ne peut lui en assigner une autre qui soit à sa hauteur. Le contraste de cette religion avec le milieu où elle grandit est si remarquable, que nous sommes forcés d'en chercher l'explication au-delà et au-dessus de ce monde. Quand je remonte à l'origine du Christianisme, et que je me place à l'époque et au pays de sa naissance, je ne trouve ni dans les idées ni dans l'état de la société rien qui m'en explique la venue ou la propagation. Il n'y avait pas de puissance sur la terre qui pût créer ou maintenir un pareil système. Il n'y avait rien qui y ressemblât, ni dans le judaïsme, ni dans le paganisme, ni dans l'état des peuples les plus civilisés. Si vous étudiez les religions, les gouvernements et les philosophies de cette époque, vous n'y découvrirez pas même un penchant vers le Christianisme. Il parut tout d'un coup, en opposition avec tout cela, sans transiger avec les passions et les préjugés humains; et, dès sa naissance, il fut non seulement supérieur à tout ce qui existait, mais il posséda, dès lors, une perfection qui a fait l'admiration des siècles et qui, au lieu de s'effacer avec le temps, a brillé davantage, à mesure que l'esprit humain s'est développé.

    Je sais qu'à l'origine de notre religion, le vieux culte païen était tombé en discrédit chez les classes éclairées dans le monde romain, et qu'il perdait son empire sur la foule. Aussi a-t-on prétendu que le Christianisme était sorti des ruines de l'ancienne croyance. Mais cela n'est pas, car le déclin du paganisme fut amené par des causes contraires à l'établissement d'une religion comme le Christianisme. Une de ces causes, ce fut la dépravation monstrueuse qui conduisait des milliers d'hommes à un profond mépris de la religion sous toutes ses formes et dans toutes ses lois, et qui préparait le peuple à échanger son vieux culte contre des superstitions encore plus grossières et plus licencieuses, surtout contre les arts magiques de l'Egypte. Sans doute, cette corruption, cette peste morale qui ravageait le monde, ne sera considérée par personne comme le germe de la religion chrétienne.

    Un autre agent qui mina les fondements du paganisme, ce fut la philosophie; noble effort, il est vrai, de l'intelligence humaine, mais qui ne fit rien pour préparer les voies du Christianisme. Les philosophie les plus populaires à la naissance du Christ, c'étaient le scepticisme et l’épicurisme ; le premier tournait la religion en raillerie, niait la possibilité de parvenir à la vérité, et jetait l'esprit dans un océan de doute; le second mettait le bonheur dans le plaisir, enseignait l'indifférence pour tout ce qui touche ce monde ou l'autre, et aurait regardé, comme une folie la doctrine chrétienne de l'abnégation et les souffrances endurées pour la vérité et le devoir. Maintenant, je le demande, quel rapport y a-t-il entre le Christianisme et ces systèmes, et comment auraient-ils pu contribuer à son invention? Il y avait, il est vrai, une autre secte d'un caractère plus noble; celle des stoïciens. Elle soutenait que la vertu était le souverain bien, et, malgré le despotisme qui écrasait tout dans la poussière, elle nourrissait dans son sein quelques esprits fermes et élevés. Mais, la confiance en soi-même, la dureté, l'insensibilité et l'orgueil du stoïque, sa défiance et son mépris du genre humain, son défaut de sympathie pour la souffrance humaine, et les exagérations extravagantes de sa propre vertu, mettaient cette secte en opposition avec le Christianisme; de sorte que notre religion eût pu tout aussi bien sortir du scepticisme ou de la doctrine d'Épicure, que du stoïcisme.

    Il y avait encore un système, s'il mérite ce nom, qui dominait en Asie, et qui n'était pas inconnu des Juifs, c'est ce qu'on a nommé la philosophie de l'Orient. Mais ce système, quoique en progrès sur le paganisme ordinaire, était visionnaire et mystique, et plaçait le bonheur dans une intuition ou une perception immédiate de Dieu, à laquelle on devait parvenir par la contemplation et l'extase, par la torture du corps et l'abandon du monde. Je n'ai pas besoin de vous dire combien l'esprit pratique et bienveillant du Christianisme était loin de cette fausse sainteté et de ce fanatisme inutile. Je répète donc que les différentes causes qui minaient secrètement le paganisme au temps du Christ, ne tendaient nullement à inspirer et à répandre une religion comme la religion chrétienne, elles lui étaient aussi véritablement contraires que les pires formes de l'idolâtrie.

    Nous ne trouvons pas l'origine du Christianisme dans le monde païen. La chercherons-nous chez les juifs ? Ce point est trop connu pour avoir besoin d'une longue explication. Vous savez quels étaient le caractère, les sentiments, les espérances des descendants d'Abraham à l'apparition de Jésus ; on ne peut imaginer une religion plus opposée à l'esprit juif que celle du Christ. Il n'y avait rien qui lui fût favorable ni sur le sol, ni sous le climat de la Judée. Il serait tout aussi facile aux arbres touffus de nos forêts de pousser dans les sables d'Arabie. Jamais il n'y eut, peut-être, de caractère national plus fortement trempé que celui des Juifs. Des siècles de souffrances sans pareilles n'en ont pas effacé les traits indélébiles. Du temps de Jésus, toute l'influence de l'éducation et de la religion était employée à donner ce caractère à chaque individu. Ce fut au sein de cette société, parmi les classes les plus humbles, que naquit le Christianisme, religion aussi dégagée des préjugés juifs, aussi pure des vues terrestres et étroites de l'époque, que si elle fut venue d'un autre monde. Le judaïsme l'entourait partout, mais il ne la souilla pas d'une seule de ses taches, ni n'en ternit l'éclat d'un seul de ses souffles. Comment donc trouver la cause du Christianisme dans le monde juif à défaut du monde païen?

    Le Christianisme, je le soutiens, ne fut pas le développement des circonstances, des principes, ou des sentiments du siècle ou il apparut. De fait, un des grands caractères de l'Évangile, c'est que ce ne fut pas un développement. L'idée qui remplit l'âme de Jésus, l'idée d'une religion plus spirituelle, plus généreuse, plus compréhensive et moins terrestre que le judaïsme, cette idée ne fut pas de formation graduelle. On n'en découvre aucun signe, on ne voit aucun effort pour la réaliser avant le moment où elle éclôt, et il n'y a même pas d'apparence qu'elle ait été mûrie peu à peu par Jésus lui-même. Le Christianisme est d'un seul jet, et se montre tout entier dès le premier jour avec une liberté et une hardiesse singulière. Cette soudaineté avec laquelle la religion éclate, cette maturité du système au moment même de sa naissance, cette absence de développement graduel, me semblent de fortes marques d'une origine divine. Si le Christianisme est une invention humaine, on doit me montrer dans le siècle où il vint le motif qui poussa son auteur à le produire ; j'en trouverais quelque germe, quelque ébauche dans le milieu où il parut. Comment s'est-il fait que du fonds d'épaisses ténèbres soit sorti tout à coup la lumière du midi? Si l'on me disait que les sciences du monde civilisé ont paru soudain et avec toute leur perfection au milieu d'une horde barbare, je déclarerais la chose incroyable. Je ne puis croire davantage que le Christianisme, la religion de l'amour infini, la religion qui a renversé la barrière entre les juifs et les gentils, et les barrières entre les nations, qui a proclamé un Père universel, qui a aboli les cérémonies pour y substituer le culte spirituel, qui a condamné également la fausse grandeur du Romain et la fausse sainteté du Juif, et qui a enseigné une vertu si haute que le progrès des siècles n'a fait que rendre cette grandeur plus admirable; je dis que je ne puis croire qu'une telle religion ait été soudainement, immédiatement produite par une invention humaine, au milieu d'un peuple remarquable par son bigotisme et son esprit étroit, par sa confiance superstitieuse dans un culte extérieur, par sa haine et son mépris des autres nations, et par l'espoir arrogant de plier bientôt tout les peuples à son joug.

    Le Christianisme, je le répète, n'est pas le produit du siècle où il parut. Il n'y avait pas sympathie entre lui et cette époque. Il ne fut l'écho d'aucune secte, d'aucun peuple. Il était isolé au moment de sa naissance. Il ne se servit pas d'une parole de conciliation. Il ne s'abaissa pas devant l'erreur ou la passion. Il avait un ton qui lui était propre, un ton d'autorité, de supériorité sur le monde. Il frappait à la racine ce que partout on nommait gloire, il cassait les jugements de tous les siècles passés, il condamnait les idoles que ce monde admire, et présentait, comme la perfection de la nature humaine, un esprit d'amour si pur et si divin, si libre et si riche, si doux et si miséricordieux, si invincible dans sa force, et cependant si tendre dans ses sympathies, que peu de personnes, même aujourd'hui, en comprennent l'étendue et l'élévation. Une pareille religion n'a pas eu son origine dans ce monde.

    Je viens d'exposer une des preuves du Christianisme. Son contraste avec l'époque de sa naissance, sa pureté de tout mélange terrestre, sa grandeur originaire, propre, unique, et la soudaineté avec laquelle il parut au milieu des ténèbres générales, ce sont là pour moi de fortes marques de sa divine origine. Je ne puis les concilier avec une invention humaine.

    II. Après cet argument tiré de l'impossibilité où l'on est d'expliquer le Christianisme par l'état du monde au moment de sa naissance, je remarque qu'on ne peut l'expliquer davantage par aucun des motifs qui poussent les hommes à fabriquer des religions. Son but et son objet ne peuvent se concilier avec l'imposture. Ils sont purs, élevés, et dignes du plus noble envoyé du ciel. Cet argument demande quelque détail.

    Les hommes agissent suivant des motifs. Les inventeurs de religions ont un but. Quelques systèmes ont été établis par le législateur pour faire respecter ses lois, pour plier l'esprit du peuple à une fin politique; d'autres ont été inventés par des prêtres, pour établir leur empire sur la foule, pour former une caste dominante, et arracher aux travailleurs leurs richesses. Or, j'affirme qu'on ne peut attribuer au Christianisme aucun motif égoïste, ambitieux, terrestre. Il ne sert à aucune fin particulière. La fin qu'il se propose est noble et élevée, et rend ainsi témoignage à son origine céleste.

    Le grand objet qui a engagé certains hommes à se prétendre inspirés et à propager de fausses religions, a été le pouvoir, sous une forme ou une autre, quelquefois le pouvoir politique, quelquefois le pouvoir spirituel, quelquefois tous les deux. Le Christianisme peut-il s'expliquer par ce désir égoïste? Je disque non. J'affirme que l'amour du pouvoir est le dernier motif dont on puisse accuser le fondateur de notre religion. Rien ne distingue mieux le Christianisme que l'ardeur avec laquelle il recommande la douceur et l'humilité de l'esprit, que la réprobation absolue dont il frappe cette passion de dominer, qui, dans tous les temps, avait fait de la foule, la proie de quelques hommes, et qu'on honorait comme l'attribut et le mobile des plus grands esprits. Le ton que, dès l'origine, il prit à ce sujet n'appartient qu'à lui. Jésus sentait, comme personne ne l'avait senti auparavant, et comme peu d'individus le sentent aujourd'hui, quelle est la bassesse d'une ambition égoïste, et quelle est la grandeur de la bonté qui écarte toutes les marques de supériorité pour mieux servir les hommes. Non seulement il enseignait cette leçon dans le langage le plus hardi, mais, empruntant à l'Orient son mode d'enseignement religieux par des emblèmes, il plaçait devant ses disciples un petit enfant comme leur modèle, et leur lavait lui-même les pieds. Toute sa vie fut un commentaire de son enseignement. Dans le récit sans art de ses historiens, on ne découvre rien qui trahisse l'amour de la distinction et du pouvoir. Jésus ne portait aucun insigne de supériorité, n'exigeait aucun hommage, ne recherchait pas les attentions, et ne se plaignait point d'être négligé. Il repoussait l'homme puissant qui se prosternait devant lui pour le flatter, mais il recevait avec affection, la pécheresse qui lui baignait les pieds de ses larmes. Il vivait comme un ami avec ses obscurs disciples, et se mêlait à tous les rangs de la société. Il bravait le mépris, et allait au devant d'une mort faite plus que tout le reste pour attacher l'infamie à son nom. On ne peut concevoir de signes plus grands d'une supériorité infinie sur ce que le monde appelle gloire, que ceux que nous trouvons dans l'histoire de Jésus.

    J'ai nommé deux espèces de pouvoir, le pouvoir politique et le pouvoir spirituel, comme étant les objets ordinaires des fausses religions. Je voudrais vous montrer combien le Christianisme est au-dessus de cela. Que l'Évangile n'ait pas été donné dans une intention politique c'est chose trop évidente ; mais on n'a pas assez considéré ce qui lui est particulier en ce point. Dans l'antiquité, la religion était partout un intérêt national. En Judée, l'union de la religion et du gouvernement était des plus étroites; et la souveraineté politique était une des splendeurs dont l'imagination juive entourait le Messie attendu. Qu'à une pareille époque et dans un semblable pays, il se produisit une religion qui semble ignorer s'il y a des gouvernements; qui n'y fait aucune allusion, si ce n'est dans quelques préceptes d'obéissance aux pouvoirs politiques; qui ne dit pas un mot, qui ne fait pas naître la moindre idée d'une alliance possible avec l'État; qui ne s'attribue aucun contrôle sur les affaires politiques, et ne se môle d'aucun intérêt public; qui n'a aucun penchant, même indirect, à concentrer le pouvoir dans des mains particulières; qui n'établit aucune forme de culte national pour remplacer celles qu'il vient détruire ; et qui traite les distinctions de rang et d'emplois comme choses sans valeur auprès de l'action morale et d'une humble charité ; qu'une pareille religion paraisse dans un semblable état du monde, c'est un fait inouï. Nous voyons là une ligne tranchée qui sépare le christianisme des autres religions et une preuve frappante de son originalité et de son élévation. Les autres religions ont été inventées pour des sociétés, le Christianisme s'adresse à l'individu. Il ne se propose pas la gloire de l'État, mais la perfection de l'âme. Loin de servir à édifier le pouvoir politique, le Christianisme tend à le réduire et à le supplanter par degrés, en enseignant aux hommes à substituer l'empire de la vérité et de l'amour à la menace et à la force, en répandant dans tous les rangs un sentiment de fraternité tout à fait opposé à l'esprit de domination, en établissant des principes qui entretiennent le respect de soi-même en chaque cœur et qui apprennent à l'individu le plus obscur à regarder les plus puissants sans en être ébloui.

    Le Christianisme ne porte aucune marque d'une main politique. Une de ses fins principales, c'est d'éteindre l'esprit même que les politiques ambitieux favorisent, et sur lequel ils fondent leur succès. Il proscrit un patriotisme étroit, il traite sans pitié l'amour des conquêtes, il exige de ses disciples qu'ils aiment les autres pays autant que le leur, et il recommande l'esprit de paix et de douceur dans un langage si clair et si pressant, que plus d'un chrétien considère comme un crime la guerre sous toutes ses formes et dans toutes les occasions. Aujourd'hui il est difficile de comprendre quelle opposition il y avait entre le Christianisme naissant et toutes les maximes politiques du temps. Nulle doctrine n'était plus enracinée que celle qui de la conquête faisait le principal intérêt d'une nation, et qui regardait un patriotisme exclusif comme la première et la plus noble des vertus sociales. Le Christianisme, en relâchant le lien qui attachait l'homme à l'État, afin de l'attacher à ses frères, renversait ce qui était considéré comme le principe de la sûreté et de la grandeur nationales ; il commençait une révolution politique aussi extraordinaire et aussi radicale que la réforme religieuse et morale qu'il se proposait.

    Le Christianisme n'a donc pas été établi dans une intention politique. Mais est-il également à l'abri d'une autre accusation qu'on a portée contre lui ? a-t-il été destiné à obtenir le pouvoir spirituel? Son fondateur n'était-il pas poussé par l'ambition religieuse? N'avait-il pas pour but de subjuguer les âmes, de dicter la foi du monde, de se faire le chef d'une secte immense, d'inscrire son nom dans l'histoire comme prophète, et de s'assurer ainsi la soumission de la foule, soumission plus abjecte et plus entière que celle que les rois et les conquérants peuvent imposer ?

    Je pourrais répondre par ce que j'ai déjà dit du caractère de Jésus et de l'esprit de sa religion. Il est évident que le fondateur du Christianisme avait une idée toute particulière de la beauté et de la grandeur morales qui distinguent l'esprit de désintéressement, de douceur et de sacrifice, et il est peu probable qu'une telle personne méditât de soumettre le monde à sa domination. Mais laissant ceci de côté, je ferai remarquer que, dans le Christianisme on ne voit aucun des traits d'une religion faite pour la domination spirituelle. Un des signes infaillibles de ces religions c'est qu'elles font des concessions aux passions et aux préjugés. Elles ne provoquent pas et ne peuvent provoquer et liguer contre elles toutes les puissances du monde, politiques ou religieuses. Au contraire, le Christianisme ne faisait aucun compromis, bravait tout et se jetait au devant de la haine et du mépris. Ce n'est pas là un plan pour conquérir l'empire spirituel du monde.

    Il y a un autre caractère qui indique une religion ambitieuse. Cette religion inspire un esprit servile. Son auteur, désireux d'imprimer son nom et son image sur ses sectateurs, a intérêt à courber leur âme; il leur impose des doctrines arbitraires, leur attache des marques qui les séparent d'autrui, et les entoure de règles, de formes et d'observances qui leur rappellent constamment leur dépendance d'un chef. Or, je ne vois rien|dans le Christianisme qui ressemble à cet asservissement. Le Christianisme n'a qu'un but, ce n'est pas d'élever le maître, c'est d'améliorer le disciple; ce n'est pas d'imprimer le nom du Christ sur le genre humain, c'est d'inspirer aux hommes son esprit d'amour universel. Le Christianisme n'est pas une religion de formes. Il n'a que deux cérémonies aussi simples qu'elles sont expressives; et elles tiennent si peu de place dans le Nouveau Testament que quelques-uns des meilleurs chrétiens révoquent en doute ou nient qu'elles soient d'obligation. Ce n'est pas non plus un symbole étroit, un amas de doctrines sans appui dans notre raison. On peut le résumer dans un petit nombre de principes immuables et universels, que la raison et la conscience adoptent avec joie, comme leur loi éternelle, et qui ouvrent à l'esprit des perspectives immenses et toujours nouvelles.

    Comme chrétien, je suis libre. Ma religion ne m'impose pas de chaîne. Elle ne prescrit pas un certain parcours à mon esprit, en dehors duquel il ne peut rien apprendre. Elle parle de Dieu comme du Père universel, et me renvoie à toutes ses œuvres pour m'instruire. Elle ne m'emprisonne pas dans un rituel mécanique, ne m'enjoint pas des formes, des attitudes et des heures de prière, ne descend pas à des détails de vêtement et de nourriture, ne me marque pas d'un signe extérieur. Elle enseigne l'amour de Dieu, mais elle ne prescrit aucune expression précise de ce sentiment. Elle commande la prière; mais elle donne le prix à la prière du cabinet, et n'estime que le culte qui vient de l'esprit et du cœur. Elle nous enseigne à faire le bien, mais nous laisse chercher nous-mêmes les moyens de servir l'humanité. En un mot, toute la religion du Christ se résume dans l'amour de Dieu et des hommes, et elle laisse à chaque individu la liberté d'entretenir et d'exprimer cet esprit par les moyens les plus en harmonie avec sa condition et son intelligence. Le Christianisme est par excellence la religion de la liberté. Les vues qu'il nous donne de la bonté de Dieu, bonté paternelle, impartiale, universelle, le droit égal qu'il accorde à chacun de rechercher la volonté divine ; ses préceptes de franchise, de patience et de respect réciproque, contribuent également à affranchir la pensée, et à agrandir le cœur. Je le répète, le Christianisme ne m'impose point de chaîne. Ce n'est rien moins qu'un instrument de domination.

    On dira que si l'on juge le Christianisme par son histoire, il n'a aucun droit à ce titre de religion de la liberté. On dira que jamais le paganisme ne pesa de façon plus oppressive sur l'âme de l'homme; que le ministère chrétien a dressé des tyrans qui ont torturé le corps par le feu matériel, et l'âme par la crainte de flammes plus terribles, qui ont proscrit et puni la liberté de la pensée et de la parole comme le plus grand de tous les crimes. Je ne nie pas l'oppression des prêtres; mais je dis que le Christianisme n'en est pas responsable. Le Christianisme ne donne pas un pareil pouvoir à ses ministres. Ils l'ont usurpé malgré les défenses les plus sévères, et en opposition à l'esprit de leur maître. Le Christianisme n'institue pas de prêtrise dans le sens propre et primitif du mot. Il n'a pas le nom de prêtre parmi ceux de ses ministres, et il ne confère pas l'ombre d'un pouvoir sacerdotal. Il n'investit aucune classe d'homme d'une sainteté particulière en attribuant à leur intercession une influence spéciale, en attachant le salut du fidèle à des cérémonies que les prêtres seuls peuvent accomplir. Jésus, il est vrai, choisit douze de ses disciples pour être les principaux instruments de la propagation de sa religion, mais rien de plus simple que leurs fonctions. Ils partirent pour annoncer à toutes les nations, la vie, la mort, la résurrection et les enseignements de Jésus-Christ; cette vérité ils la répandirent et sans réserve. Ils ne la confièrent pas comme un mystère, à quelques privilégiés qui devaient leur succéder, et instruire les autres comme ils le jugeraient convenable. Ils la communiquèrent au corps entier des convertis comme une propriété égale et commune, assurant ainsi à chacun les droits inappréciables de l'esprit. Il est vrai qu'ils nommèrent des ministres ou des maîtres dans les congrégations qu'ils formèrent; et, où cette époque où la religion était nouvelle et inconnue, où l'enseignement oral était la seule manière de la communiquer, il semble qu'il n'y avait pas d'autre moyen de la propager qu'en désignant ainsi les plus éclairés d'entre les disciples pour l'œuvre de l'enseignement. Mais nulle part le Nouveau Testament ne leur donne le monopole de l'étude, ni de l'enseignement de la religion. Personne, dans le Christianisme, ne peut prétendre au droit d'interpréter exclusivement l'Évangile, ou d'imposer son interprétation à ses frères. Le ministre chrétien ne jouit pas d'un accès plus grand auprès de Dieu, et n'a pas reçu de promesse d'une lumière plus immédiate. L'histoire chrétienne ne lui a pas été confiée de préférence aux autres, et, d'après cette histoire, c'est le droit et le devoir de tous que d'examiner son enseignement. Je viens d'indiquer une des nobles distinctions du Christianisme. C'est la religion de la liberté. Elle n'est point souillée par l'ambition spirituelle. «N'appelez aucun homme maître, car vous êtes tous frères,» tel est son noble et généreux précepte; elle est l'amie et la protectrice de la liberté sous toutes ses formes.

    Nous avons vu qu'on ne peut attribuer la prédication du Christianisme à l'amour du pouvoir, cette maîtresse passion des fondateurs de fausses religions. J'ajoute que nul autre motif égoïste ne pouvait l'inventer. L'Évangile n'est pas de ce monde. Au temps de son origine, rien n'eût pu le mêler à un intérêt privé ou terrestre. Son esprit, c'est l'abnégation. Fortune, jouissances, honneurs, il range tout cela parmi les dangers de la vie, et il n'insiste sur aucun devoir avec plus de force que sur celui de mettre ces biens au hasard et de les jeter loin de nous, si la cause de la vérité et de l'humanité l'exige. Et ces maximes n'étaient pas de simples théories ou des lieux communs de rhétorique au temps du Christ et des apôtres. Les premiers propagateurs du Christianisme étaient appelés à pratiquer ce qu'ils enseignaient, à sacrifier tout intérêt à leur foi. Comment n'auraient-ils pas prévu qu'une religion si pure, qui faisait si peu de concessions, soulèverait contre eux le monde? Ils ne couraient pas seulement la chance de souffrir, ils étaient sûrs que tout le poids du mépris, des douleurs et des persécutions du monde tomberait sur leur tête. Comment donc expliquer le Christianisme par un objet égoïste ou un but méprisable?

    L'Évangile n'a qu'un objet, et il est trop visible pour qu'on s'y trompe. En lisant le Nouveau Testament nous voyons la plus grande simplicité de but. Il n'y a point d'intention cachée, point d'intérêt particulier qui se trahisse par les efforts mêmes qu'il fait pour se déguiser. Une unité de dessein parfaite se fait remarquer d'un bout à l'autre des Évangiles, et ce n'est pas une faible preuve de leur vérité. Ce but du Christianisme, c'est la perfection morale de l'âme humaine. Dans toutes ses doctrines, dans tous ses préceptes et dans toutes ses promesses, il cherche à délivrer les hommes du mal moral, à les unir à Dieu par l'amour filial, les uns aux autres par les liens de la fraternité; à leur inspirer une charité aussi douce et aussi inébranlable que celle du Christ; à exciter en eux l'ardent désir, l'espérance et la poursuite de la vertu céleste et immortelle.

    Et maintenant, je le demande, quelle est la conséquence de tout ceci? Si le Christianisme ne peut être attribué à des motifs égoïstes ou terrestres, s'il n'a pas été fait pour la domination, pour atteindre à un but particulier, mais pour élever les hommes au-dessus d'eux-mêmes, et les rendre conformes à Dieu, pouvons-nous ne pas déclarer qu'il est digne de Dieu? Et à qui, si ce n'est à Dieu, pouvons-nous en rapporter l'origine? Ne faut-il pas reconnaître dans les premiers apôtres d'une pareille foi les plus saints des hommes, les amis de l'humanité, et les messagers du ciel? Le Christianisme, par sa nature même, repousse l'accusation d'imposture. Il porte en soi la preuve d'une intention pure. Des méchants n'auraient pu le concevoir, encore moins l'adopter comme l'objet de leur vie. Supposer que des égoïstes renoncent à tout intérêt privé pour répandre un système qui les condamne, et qui ne va qu'à purifier le genre humain, c'est une absurdité qu'on ne trouverait pas dans la religion la moins raisonnable. Le Christianisme donc, quand on l'examine dans ses motifs, montre qu'il vient de Dieu.

    III. Je passe à une autre raison très importante de la foi que j'ai dans l'origine divine du Christianisme. Des miracles en ont attesté la vérité. Les premiers apôtres ont prouvé par des œuvres surnaturelles qu'ils étaient les ministres de Dieu. Ils ont fait ce que les hommes ne peuvent faire, ce qui portait l'empreinte d'une puissance divine, ce qui scellait la divinité de leur mission. Une religion qui a de pareils témoignages doit être vraie. C'est là un sujet qui réclame toute votre attention.

    Je sais que dans quelques esprits il y a un grand préjugé contre ce genre de preuve. Un miracle leur paraît porter sa réfutation avec lui. La présomption contraire semble absolue. En ce point nous différons de nos ancêtres. Il fut un temps où l'on croyait tout; et plus une histoire était extraordinaire, plus la crédulité l'acceptait avec empressement. Avec les progrès de la science on a vu que la plupart des prodiges auxquels croyaient nos aïeux n'étaient que les fictions de l'imagination, de la crainte ou de l'imposture. Les lumières de la science ont mis en fuite les revenants et les sorciers, qui furent autrefois des objets de terreur. Nous savons maintenant qu'un grand nombre de signes célestes, qui effrayaient les nations, et qu'on regardait comme des précurseurs de la vengeance divine, n'étaient que des phénomènes naturels. Nous avons appris aussi qu'une imagination fortement excitée peut opérer des cures autrefois attribuées à la magie, et la leçon que nous donnent ces miracles apparents, c'est qu'on doit examiner les événements surnaturels avec une précaution particulière.

    Mais cette nouvelle lumière répandue sur la nature et sur l'histoire amène quelques personnes à repousser tous les miracles indistinctement. Il s'est trouvé tant de prodiges qui n'avaient pas de fondement, qu'on les condamne tous. Par une réaction naturelle, l'esprit humain a passé d'une crédulité extrême à l'excès de l'incrédulité. Il est même des gens assez hardis pour tourner en ridicule l'idée même d'un miracle. On déclare que l'ordre de la nature est quelque chose de fixe et d'immuable, et que toute suspension de cet ordre est incroyable. Ce préjugé, car c'en est un, mérite notre attention; tant qu'il ne sera pas détruit, les preuves des miracles chrétiens auront peu de poids. Examinons-le avec soin et impartialité.

    Le sceptique me dit que l'ordre de la nature est fixe. Je lui demande par qui ou par quoi il a été fixé? Par un destin de fer? Par une inflexible nécessité? Est-ce que la nature ne porte pas le cachet d'une cause intelligente? Est-ce que son ordre même n'implique pas un esprit qui l'a réglé et disposé? L'univers, plus on l'examine, ne rend-il pas témoignage à un Être qui lui est supérieur? L'ordre de la nature a donc été fixé par une volonté qui peut le changer. Il y a donc un pouvoir qui peut opérer des miracles. Les miracles ne sont donc pas incroyables?

    On répondra que certainement Dieu peut faire des miracles, mais qu'il ne le veut pas. Il ne le veut pas? Et comment le sceptique le sait-il ? Dieu le lui a-t-il dit? Ce langage ne convient pas à un être de facultés aussi bornées que les nôtres ; et la présomption qui fait ainsi des lois pour le Créateur, et restreint son action à des modes particuliers, est aussi peu dans l'esprit de la vraie philosophie que dans celui de la religion.

    Dans les miracles, le sceptique ne voit rien qui ne le choque. Pour moi, les miracles contiennent une vérité si grande, si vitale, que non seulement je les accepte, mais que je reçois avec plaisir les preuves qui les attestent. Pour le sceptique, il n'y a pas de principe plus important que l'uniformité de la nature, la constance de ses lois. Pour moi, il y a une vérité bien plus haute à laquelle les miracles rendent témoignage, et c'est pourquoi j'accepte avec bonheur leur secours. Ce que je désire surtout savoir, c'est que l'Esprit est la puissance suprême de l'univers; que la matière n'en est que l'instrument et l'esclave; qu'il y a une volonté à laquelle la nature ne peut opposer d'obstacle ; que Dieu n'est pas enchaîné par les lois de l'univers, et qu'il les règle comme il veut.

    Cette souveraineté de l'Esprit divin est le seul fondement sur quoi repose notre espoir dans le triomphe de l'âme sur la matière, sur les influences physiques, sur l'imperfection et la mort. Or, il est clair que les vives impressions que nous donnent les sens, en ce qui touche la matière, jointes à notre expérience de la régularité de la nature et à notre confiance instinctive dans sa constance, obscurcissent cette souveraineté de Dieu; elles nous poussent à attribuer une espèce d'omnipotence aux lois de la nature, et à borner nos espérances aux biens que ces lois nous promettent. Il y a dans le cœur humain un penchant à attacher l'idée de nécessité à la régularité d'une action qui ne change pas, et à imaginer des bornes à un être qui suit toujours la même route ou qui se répète continuellement. Voilà pourquoi je me réjouis des miracles. Ils montrent et affirment la suprématie de l'Esprit dans l'univers. Ils sont la manifestation d'un pouvoir spirituel, qui n'est point enchaîné par les lois de la matière. Je me réjouis de ces témoignages rendus à une si grande vérité. Je me réjouis de tout ce qui prouve que cet ordre de la nature, qui si souvent pèse sur moi comme une chaîne, et qui ne contient pour moi aucune promesse de perfection, n'est pas un ordre suprême et immuable, et que le Créateur n'est pas restreint aux modes d'action qui me sont familiers.

    La forme ordinaire de l'objection qu'on fait aux miracles est celle - ci : «Il est dérogatoire à la sagesse de Dieu, dit le sceptique, qu'il interrompe l'ordre de ses propres ouvrages. Il n'y a que l'ouvrier inhabile qui soit obligé de mettre la main à la machine pour en corriger les défauts, ou pour lui donner une nouvelle impulsion par une action immédiate.» A cette objection je réponds qu'elle procède d'idées fausses sur Dieu et sur la création. Dieu n'est pas un ouvrier, mais un père et un gouverneur; et la création n'est pas une machine. Autrement on pourrait soutenir avec apparence que les miracles ne sont ni nécessaires ni utiles. Mais ce qu'il y a de plus frappant dans la création, c'est le contraste ou l'opposition des éléments dont elle se compose. Ce qu'elle comprend, ce n'est pas seulement la matière, mais l'esprit, ce n'est pas seulement des masses inanimées et sans conscience, mais des êtres raisonnables, des agents libres ; et ces derniers forment la partie la plus noble et l'objet souverain de la création. C'est pour eux que l'univers matériel a été créé. Ce n'est pas pour lui-même que l'ordre du monde a été fixé ; il a été établi pour instruire et améliorer des êtres plus élevés, des intelligences, des enfants de Dieu ; et, toutes les fois qu'un écart de cet ordre, c'est-à-dire, toutes les fois qu'une action miraculeuse peut contribuer au progrès et à la perfection des créatures intelligentes, cet écart est demandé par la sagesse et la bonté divines. Si l'Être suprême ne s'était proposé que ce que le mécanisme peut produire, sans doute il aurait fabriqué une machine si parfaite et si sûre qu'il n'eût jamais fallu en suspendre les mouvements ordinaires. Mais Dieu s'est proposé un but plus noble. Le grand objet qu'il s'est proposé, c'est d'instruire, de délivrer du mal, de porter toujours en avant l'âme libre et raisonnable ; et qui donc, après avoir compris ce que c'est qu'un esprit libre, et quelle variété d'enseignement et d'éducation il lui faut, qui donc aura la hardiesse d'affirmer que, pour le développer, il n'y a pas besoin d'autres lumières ni d'autres secours que ceux qu'on trouve dans l'ordre invariable de la nature?

    La plupart de ces difficultés disparaîtraient si nous considérions que la principale distinction des êtres intelligents, c'est la liberté morale, la faculté de se déterminer au mal comme au bien, et par conséquent le pouvoir de se plonger dans de grandes misères. Lorsque Dieu créa l'homme, il ne fit pas une machine, mais un être libre qui devait s'élever ou tomber, suivant le bon usage ou l'abus qu'il ferait de ses facultés. Ce pouvoir, à la fois le plus glorieux et le plus effrayant qu'on puisse imaginer, nous montre comment l'espèce humaine peut se trouver dans un état où l'enseignement de la nature ne soit pas suffisant. En fait, plus on considère la liberté des êtres intelligents, plus on révoque en doute la possibilité d'établir un ordre immuable qui réponde à tous leurs besoins ; car des êtres qui ont une sphère d'action aussi grande se trouvent dans mille conditions diverses, et, par conséquent, ils peuvent avoir besoin d'un secours qui n'est pas dans les ressources de la nature. L'histoire de l'humanité prouve ces vérités. A l'origine du christianisme, la famille humaine était plongée dans une erreur grossière et dégradante, et, depuis tant de siècles, la lumière de la nature ne l'avait pas ramenée à la vérité. La philosophie avait fait de son mieux, et elle avait échoué. Il semble que, pour le progrès de l'humanité, il y eut besoin d'un nouvel élément, d'une nouvelle puissance. Que dans cette nécessité un secours miraculeux ait été donné, cela s'accorde avec nos meilleures idées sur Dieu. Je le répète, si les hommes étaient des machines, l'ordre immuable, de la nature pourrait répondre à tous leurs besoins. Mais ce sont des êtres libres qui tiennent à Dieu par un lien moral, et, à ce titre, ils peuvent avoir besoin d'un soin plus varié et plus spécial que celui qui s'étend au reste de la création.

    Quand j'étudie la nature, je vois des raisons qui me font croire que Dieu n'en a pas fait l'unique moyen d'instruction et de progrès pour le genre humain. Je vois des raisons qui justifient la suspension de son cours régulier, et qui demandent que la révélation se joigne à la nature pour aider au progrès de l'humanité. Je ne puis présenter que quelques réflexions sur ce point, mais elles méritent une sérieuse attention.

    La première, c'est qu'un ordre de la nature, un ordre fixe et invariable, ne nous donne pas de Dieu certaines idées qui sont d'un grand intérêt et d'une grande importance, ou du moins il ne les donne pas avec la clarté que nous désirons tous. Cet ordre révèle Dieu comme le souverain universel qui pourvoit au bien général, mais il ne nous le présente pas assez comme un tendre père qui s'intéresse à l'individu. Dans cette fixité je vois le soin que Dieu prend des hommes, mais je n'y vois pas l'intérêt constant, infini qu'il me porte. La nature parle d'une divinité générale, mais non pas de l'ami et du bienfaiteur de chaque âme vivante. C'est là un défaut nécessaire qui tient à une administration inflexible agissant par des lois générales ; aussi semble-t-il que, pour faire avancer l'humanité, Dieu doive se révéler autrement que par des lois générales. Pour le progrès de l'humanité, il n'y a rien de meilleur que de croire que Dieu prend un intérêt paternel à chacun de nous ; et comment ferait-il naître cette persuasion d'une manière plus efficace qu'en suspendant l'ordre de la nature, pour nous enseigner son amour paternel par un messager inspiré?

    Ma seconde remarque c'est que, tout en donnant d'importantes leçons, la nature ne les donne pas de façon directe et pressante. Les vérités qu'elle enseigne ne ressortent pas, et, par conséquent, on peut les négliger, et échapper à leur influence. Par exemple, la nature annonce un seul Dieu, mais elle ne force pas notre attention sur ce point. Le nom de Dieu n'est pas écrit sur le firmament en lettres de lumière que toutes les nations puissent lire ; il n'est pas répété avec une voix profonde et terrible comme celle du tonnerre, de façon à ce que tous l'entendent. La nature est une maîtresse douce et timide, qui demande au disciple patience et réflexion, et, par conséquent, on peut ne pas l'écouter. On peut aisément fermer ses oreilles et endurcir son cœur au témoignage qu'elle rend à Dieu. Aussi voyons nous qu'à la venue du Christ presque tous les peuples avaient perdu la connaissance de la véritable gloire du Créateur, et s'étaient abandonnés à de grossières superstitions. L'enseignement indirect et peu imposant de la nature n'est pas fait pour une pareille condition du monde, et cela justifie un enseignement plus immédiat et plus frappant. Dans ces ténèbres morales, n'était-il pas digne de Dieu de faire luire un rayon plus vif? Lorsque le langage répété et presque monotone de la création n'était pas entendu, était-il indigne de Dieu de parler avec une voix nouvelle et plus sonore ? Pour réveiller ceux que ne pouvait instruire la régularité paisible de la nature, quelle méthode valait mieux que d'en interrompre le cours ordinaire?

    Une autre raison nous dit encore pourquoi la révélation devait se joindre aux lumières de la nature. La nature, ai-je dit, ne donne pas ses leçons d'une manière directe ni pressante; on peut se tenir hors de la portée de sa voix. J'ajoute qu'il y a un point que nous avons grand intérêt à connaître, et qui, cependant, est enseigné si obscurément par la nature qu'on ne peut parvenir à une conviction complète.

    Quelle est la question qui nous touche le plus? C'est celle-ci : Devons-nous revivre, ou cette vie est-elle tout? Le principe de la pensée périt-il avec le corps, ou lui survit-il? Et, s'il survit, où survit-il? comment? dans quelle condition? sous quelle loi? Il y a une voix intérieure qui parle d'un jugement à venir. Ce jugement viendra-t-il, et, s'il en est ainsi, que devons nous craindre ou espérer? L'état futur de l'homme, c'est la grande question que ramènent sans cesse les vicissitudes de la vie et l'approche de la mort. Je ne dis pas que la nature ne jette aucune lumière sur ce point. Je crois, au contraire, que cette lumière devient de plus en plus brillante pour ceux dont la révélation a éclairci et fortifié la vue. Mais la nature seule ne répond pas à nos besoins. Je pourrais le prouver en vous renvoyant aux temps qui précédèrent le Christ, lorsque l'inquiétude humaine cherchait sans cesse à pénétrer l'obscurité qui règne au delà du tombeau, lorsque l'imagination et la philosophie plongeaient également dans l'avenir, mais sans y trouver une place où se reposer. Qui ne sent qu'avec la nature seule pour guide, on s'égare dans le doute? D'où saurai-je ma destinée sinon de Dieu lui-même? Je demande à la tombe ce que font ceux qui sont partis, et la tombe ne répond pas. J'interroge la nature, mais je ne vois pas comment peut se rétablir le corps tombé en poussière, et je ne trouve nulle trace de l'ascension de l'âme vers une autre sphère. Je sens le besoin d'un pouvoir supérieur à la nature pour rendre ou perpétuer la vie après la mort; et si Dieu a voulu nous donner l'assurance de cette vie, je ne vois pas comment il pouvait le faire sinon par un enseignement surnaturel, une révélation. Des miracles sont le vrai et peut-être le seul moyen de placer au-dessus du doute l'immortalité de l'homme; et l'on ne peut concevoir de miracles mieux calculés pour cet effet que ceux mêmes qui tiennent la première place dans le Christianisme, je veux dire la résurrection de Lazare, et plus encore la résurrection de Jésus. Personne ne niera que, de toutes les vérités, la plus encourageante pour la vertu et la plus consolante pour l'humanité, c'est la certitude de la vie à venir. Est-il donc au-dessous de Dieu d'employer des miracles pour éveiller cette espérance ou pour la confirmer? Ne doit-on pas même s'y attendre, alors que la nature ne répand qu'une faible lumière sur la plus intéressante de toutes les vérités?

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    J'ajoute une dernière considération pour montrer que la nature n'a pas été le seul moyen par quoi Dieu se soit proposé d'instruire les hommes. En examinant l'esprit humain, nous y découvrons un principe qui le dispose singulièrement à tirer profit des miracles et à en recevoir l'action ; un principe qui nous porte à compter sur une pareille intervention. Je veux parler de ce principe de notre nature qui nous rend insensibles et indifférents à ce qui nous est familier, tandis que ce qui est singulier, étrange, surnaturel, excite en nous une attention et un intérêt profonds. Cet étonnement est une part de notre constitution. Que Dieu l'emploie dans l'œuvre de notre éducation, c'est chose à quoi la raison peut s'attendre. Je vois donc dans notre intelligence un fondement pour les miracles ; et lorsque je considère que l'intelligence est le plus noble ouvrage de Dieu, je dois la regarder comme l'interprète de ses desseins. Il est clair que nous sommes constitués de telle façon que plus l'ordre de la nature est fixe, et moins il nous excite. Notre intérêt est émoussé par cette constante uniformité ; au contraire, de brusques changements agissent fortement sur l'âme, la tirent de son sommeil et de ses habitudes, la tournent avec une nouvelle sollicitude vers le Tout Puissant médiateur, et la préparent à recevoir avec respect les communications de sa volonté. Etait-il indigne de Dieu, qui nous donna le goût du merveilleux, d'en appeler à ce sentiment pour ramener à lui ses créatures?

    Je termine ici mes remarques sur la grande objection du scepticisme, que les miracles sont incompatibles avec les perfections divines; que l'Être suprême, ayant établi un ordre régulier, on ne peut admettre qu'il s'en écarte. Pour moi, ce raisonnement n'est d'aucun poids. Je vois le rapport paternel et moral de Dieu avec l'humanité, et l'intérêt que Dieu prend à nos progrès; je vois combien il est conforme au caractère de Dieu de se faire connaître aux hommes par les moyens les plus propres à éveiller le sentiment de sa bonté dans notre esprit et dans notre cœur; je sens le besoin que nous avons de lumières plus claires et plus complètes que celles que nous fournit la création sur la vie future ; et lorsque je considère la constitution et la condition de l'homme, sa liberté, et la corruption où il était tombé ; lorsque je sens combien peu de profit un être si dépravé eût pu tirer d'un ordre de la nature qui lui était devenu familier, et combien l'esprit est fait pour être excité par une intervention miraculeuse; je dis que lorsque j'examine toutes ces choses, j'y vois un fondement naturel pour une lumière et un secours surnaturels, et je vois dans la révélation miraculeuse du Christianisme une mesure qui répond à la constitution et aux besoins de l'âme humaine, ainsi qu'aux perfections de son Créateur.

    Il y a d'autres objections aux miracles, qui pour être moins avouées n'en ont pas moins d'influence, et qui agissent quelquefois sur l'esprit si secrètement qu'elles ne sont pas aperçues. J'examine rapidement deux de ces objections.

    Bien des gens doutent des miracles parce qu'ils n'en voient pas maintenant. Si leur scepticisme parlait, il dirait : «Montrez-nous des miracles et nous y croirons. Ils nous sont suspects parce qu'il n'y en a que dans le passé.» Cette objection est puérile. Elle aboutit à ce principe qu'il n'y a de croyable dans le passé que ce qui se répète aujourd'hui. Admettez cela, où s'arrêtera l'incrédulité? Combien de formes et d'institutions sociales dont nous parle l'histoire et qui ont disparu ! L'histoire ne mérite t-elle donc aucun respect? Si l'humanité restait immobile, si un siècle n'était que la copie des siècles précédents, si les besoins étaient toujours les mêmes, alors les miracles nécessaires à une époque se seraient reproduits dans toutes. Mais qui ne sait qu'il y a un progrès dans les choses humaines? qu'autrefois l'humanité était dans une condition différente de celle que nous traversons aujourd'hui? que, par conséquent, son éducation doit varier? et que des miracles, jadis importants, peuvent être à présent superflus? Enchaînerons-nous le Créateur à des modes invariables d'éducation pour une race dont les facultés et les besoins subissent un changement perpétuel? Parce qu'à une époque de ténèbres Dieu a introduit une nouvelle religion au moyen d'œuvres surnaturelles, nous attendrons-nous à voir répéter ces mêmes œuvres lorsque les ténèbres sont dissipées et que le but a été atteint ? Qui ne voit que les miracles, d'après leur nature même, doivent être rares, accidentels, limités? La multiplicité n'en affaiblirait-elle pas la puissance? et l'effet et n'en serait-il pas entièrement détruit s'ils étaient multipliés au point de sembler une partie de l'ordre naturel?

    Cette objection nous montre le vrai caractère du scepticisme. Le scepticisme est une étroitesse d'esprit, qui, du moment présent fait la mesure du passé et de l'avenir. C'est la création des sens. Au milieu d'un univers sans bornes, il ne peut concevoir d'autre mode d'action que celui qui tombe sous l'observation immédiate. Ce qui est visible, ce qui est présent est tout pour l'incrédule. Qu'il élève ses vues ; qu'il porte ses regards sur l'immensité de l'univers qui l'entoure ; qu'il considère l'infini de ressources que comprend la toute-puissance ; qu'il se représente les degrés divers par où l'humanité doit passer; qu'il se rappelle que l'éducation d'un esprit qui grandit toujours doit exiger une grande variété d'enseignement, et, surtout, qu'il admette une pensée sublime dont le germe se trouve dans la nature, c'est que l'homme a été créé pour une existence plus haute : que le sceptique fasse cela, et alors il sentira combien il est puéril de faire de son expérience rétrécie la mesure des choses passées et à venir.

    Il est étrange que des savants tombent dans cette erreur. Le progrès de la science leur montre que notre globe, qui semble si peu sujet au changement, n'est pas ce qu'il était il y a quelques milliers d'années. En creusant la terre, on trouve la preuve que ce globe était habité avant l'homme, par des races d'animaux qui ont péri, que l'océan était peuplé par des espèces maintenant inconnues, et que nous occupons un monde établi sur des ruines. Les savants devraient s'affranchir de cet esprit étroit et vulgaire qui, dans le passé, ne voit que le présent, et ils devraient aussi reconnaître la variété infinie et étonnante des dispensations de Dieu.

    Il y a une autre objection qu'on oppose aux miracles, la dernière à examiner en ce moment ; elle est tirée du fait bien connu que les pages de l'histoire ancienne sont remplies de prétendus miracles. Il n'y a pas eu, dit-on, de mensonges plus communs que les récits de prodiges, et, par conséquent, le caractère miraculeux du christianisme est une présomption contre la vérité. Cet argument a de la valeur, et j'avoue que si je ne savais rien du christianisme, sinon que ce fut une religion pleine de miracles ; si je ne savais rien de ses doctrines, de ses fins, de ses influences, de toute son histoire, je douterais comme l'incrédule. Il y a une forte présomption contre les miracles, quand on les considère seuls, ou abstraction faite de leur objet et de toutes les circonstances qui les expliquent et les appuient. Il y a une semblable présomption contre les événements qui, sans être miraculeux, ont un caractère extraordinaire. Mais ce n'est là qu'une raison pour examiner de plus près et pour ne croire que des preuves fortes et multipliées, ce n'est pas une raison pour tout rejeter. Je ne blâme pas celui qui doute des miracles quand il en entend parler pour la première fois. L'ignorance et le fanatisme ont inventé des milliers de prodiges absurdes, et l'imposture en a créé bien davantage. Je vous engage donc à étudier avec soin les miracles du Christianisme ; et s'ils portent la marque des légendes superstitieuses et des fausses religions, traitez-les sans ménagement. Je demande seulement que vous en écoutiez le récit sans prévention et que vous les examiniez avec calme.

    Il est clair que ce n'est pas une raison suffisante pour rejeter tous les miracles que de dire qu'on en a cru beaucoup qui étaient faux. Si vous remontez aux temps où les histoires miraculeuses étaient acceptées avec le plus de facilité, et si vous lisez les livres qu'on écrivait alors sur l'histoire, la géographie et les sciences, vous les trouverez tous remplis d'erreurs ; mais, pour cela, ne contiennent-ils rien qui soit digne de foi? Est-ce qu'il n'y a pas une veine de vérité au milieu de cet amas de faussetés? Et un esprit pénétrant ne peut-il pas souvent détacher la réalité de la fiction, expliquer l'origine de plus d'une méprise, distinguer le narrateur sincère et judicieux du narrateur crédule ou intéressé, et, en comparant les témoignages, découvrir la vérité cachée? Où s'arrêter si l'on commence par ne rien croire des points sur lesquels se sont trompés les siècles qui nous ont précédés? Il faut déclarer que toute religion et toute morale sont une illusion, car on a grossièrement erré sur ces deux sujets. Rien n'est moins digne d'un philosophe que d'établir une censure universelle sur un petit nombre de faits déplorables. C'est ressembler au misanthrope, qui, parce qu'il voit beaucoup de vices, en conclut qu'il n'y a pas de vertu, et qui, parce qu'il a été quelquefois trompé, déclare que tous les hommes sont des hypocrites.

    Je soutiens que la multiplicité des faux miracles, loin de réfuter ceux sur lesquels s'appuie le Christianisme, vient, au contraire, les confirmer ; car, d'abord, la fausseté a d'ordinaire quelque fondement, surtout lorsqu'elle obtient une croyance générale. L'amour de la vérité est un principe essentiel de la nature humaine; en général, on accepte l'erreur parce que quelque vérité précieuse s'y trouve mêlée, et qu'on ne sait pas l'en séparer. La croyance universelle que les siècles passés accordaient aux interventions miraculeuses, est pour moi une présomption qu'il y a eu des miracles. Le sceptique dira-t-il que cela ne montre que la soif insatiable de l'esprit humain pour le surnaturel? Je réponds que ce raisonnement donne une arme contre lui, car un principe qui est aussi fort dans l'âme humaine, et qui pousse les hommes à chercher une intervention miraculeuse et à s'y attacher, est une présomption que notre Créateur, en nous donnant ce goût pour le surnaturel, avait l'intention de l'occuper, et de lui assigner une place dans l'éducation de l'humanité.

    Observons ensuite, et c'est une observation qui a une grande importance, que les miracles des anciens temps, miracles qu'on méprise, non seulement fournissent une présomption en faveur de miracles vrais, mais sont une forte preuve de la vérité de ceux sur lesquels repose le Christianisme. Je réponds au sceptique : Vous dites vrai en déclarant que l'histoire est remplie de faux miracles ; je suis d'accord avec vous pour rejeter ces événements surnaturels dont les anciennes religions se font gloire. Mais comment savons-nous qu'ils sont faux? Ce n'est pas sans preuves. Nous y découvrons des marques de tromperie. Or, je vous prie d'examiner ces marques, et de me répondre franchement si vous les trouvez dans les miracles du Christianisme. N'y a-t-il pas un abîme entre les œuvres du Christ et celles que nous repoussons d'un commun accord? Je maintiens que cette différence existe, et que l'ignorance seule peut confondre les miracles chrétiens avec les prodiges du paganisme. Le contraste est si fort que nous ne pouvons les rapporter à une commune origine.

    Les miracles de la superstition portent le cachet du mensonge, et sont réfutés par les circonstances au milieu desquelles ils furent imposés à la multitude. Les causes qu'on leur donne n'exigent ni ne justifient une intervention divine. Il y en a d'absurdes, de puérils, d'extravagants, qui trahissent une intelligence faible ou une imagination malade. II y en a qui s'expliquent par des causes naturelles. Il y en a qui sont attestés par dès personnes qui vécurent dans d'autres pays et à d'autres époques, et ne purent avoir occasion de rechercher la vérité. Il en est dont nous pouvons voir l'origine dans l'intérêt personnel de ceux qui les inventèrent, et nous pouvons en expliquer l'acceptation par la condition du monde. En d'autres termes, ces faux miracles furent le résultat naturel de l'ignorance, des passions, des préjugés et de la corruption du temps, et ne tendaient qu'à fortifier ces vices. Or, ce n'est pas assez de dire que ces différentes marques de fausseté, on ne peut pas les trouver dans les miracles du Christianisme. Nous y voyons des caractères tout opposés. Ces miracles ont été faits à une époque de lumières ; ils portent la marque d'une majesté, d'une bienfaisance, d'une simplicité et d'une sagesse qui les séparent des rêves d'une imagination déréglée ou des inventions de l'imposture. On ne les explique ni par des intérêts, ni par des passions, ni par des préjugés. Ils forment partie d'une religion qui était en contradiction avec les idées et les espérances de l'époque, qui respire la pureté et la bienveillance, qui était supérieure au siècle, et, par conséquent, portait avec elle la présomption d'une origine divine. D'où vient cet abîme entre les deux classes de miracles ? Les attribuerez-vous toutes deux à une seule source, et à une source impure? Attribuerez-vous à un seul esprit des œuvres aussi différentes que la lumière et les ténèbres, le ciel et la terre î Ma foi n'est donc pas ébranlée par les faux miracles des autres religions. Je ne désire nullement les laisser dans l'ombre; je les prends à témoin. Ils me montrent comment l'imposture et la superstition laissent leur empreinte sur leurs fictions. Ils montrent comment l'homme trahit son impuissance et sa folie quand il aspire à contrefaire l'action de Dieu. Lorsque je mets en regard les œuvres de Jésus et les prodiges du paganisme, je vois qu'on ne peut pas plus les comparer qu'on ne peut comparer les machines et le tonnerre d'un théâtre aux forces terribles et bienfaisantes de l'univers.

    Dans ces remarques, j'ai voulu surtout répondre à ces objections générales qui préviennent souvent contre les interventions surnaturelles, et qui empêchent d'examiner les preuves dont on les appuie. J'ai prouvé que ce scepticisme peu solide n'est fondé ni sur la nature ni sur la raison ; montrons maintenant comment les miracles attribués à Jésus et aux premiers apôtres ont été faits pour attester la vérité du Christianisme.

    Pour les faits il y a deux espèces de preuves : les présomptions et les preuves directes, toutes deux appuient les miracles du Christianisme. D'abord, il y a de fortes présomptions en sa faveur. A ce genre de preuves appartient ce que nous avons dit sur l'accord de la révélation et des miracles avec les besoins et les principes de la nature humaine, avec les perfections de Dieu, avec son amour pour les créatures, et avec sa providence ordinaire. Je n'ai pas besoin de me répéter. Je ferai seulement remarquer que l'importance de notre religion fournit une grande présomption en faveur des miracles. Si l'on me parlait de faits surnaturels accomplis pour prouver que trois sont plus qu'un, ou que la nourriture est nécessaire à la vie de l'homme, la présomption contre ces prétendus miracles serait irrésistible. L'auteur de la nature ne peut pas en interrompre l'ordre sage et merveilleux pour enseigner ce qui tombe sous l'intelligence d'un enfant. Une intervention extraordinaire suppose qu'il s'agit de vérités extraordinaires par leur grandeur et par leur utilité. Or, dans le Christianisme, je trouve des vérités d'un ordre transcendant, devant lesquelles pâlissent toutes les découvertes de la science, et qui donnent à notre existence un nouveau caractère, un nouveau but et un nouvel intérêt. Voilà une raison fondée pour une intervention surnaturelle. Il existe une présomption en faveur des miracles sur lesquels s'appuie une religion si digne de Dieu.

    Mais une présomption en faveur des faits ne suffit pas. Elle ajoute, il est vrai, beaucoup de force aux preuves directes; mais, néanmoins, ces dernières sont nécessaires, et le Christianisme n'en manque pas. Les preuves directes des faits sont de deux espèces : elles consistent dans le témoignage oral ou écrit, et dans les effets, les traces et les monuments que ces faits ont laissés derrière eux. Ces deux espèces de preuves appuient les miracles du Christianisme.

    Nous avons d'abord le moins contestable de tous les témoignages, celui des contemporains et des témoins oculaires, celui des compagnons de Jésus et des premiers propagateurs de sa religion. Nous avons le témoignage d'hommes qui n'ont pas pu être trompés sur les faits qu'ils rapportent, qui les ont attestés au milieu des dangers et des persécutions ; qui les ont attestés sur le lieu même où avait vécu et où était mort leur maître; qui n'avaient rien à gagner et qui avaient tout à perdre si leur témoignage était faux ; ces hommes dont les écrits respirent l'amour le plus vrai de la vertu et de l'humanité, ont fini par sceller de leur sang leurs attestations. On ne peut ni produire ni imaginer de témoins plus irrécusables.

    Dira-t-on : «Il y a des siècles que ces témoins ont vécu ; si nous pouvions entendre ces récits de leur bouche, nous serions convaincus?» A cela je réponds que vous avez quelque chose de mieux que leur parole, vous avez leurs écrits. Il est possible que vous soyez surpris d'entendre dire qu'un livre peut être un meilleur témoin que son auteur; il n'y a rien cependant de plus vrai, et je le démontrerai par une supposition de notre temps.

    Supposons qu'un homme, qui se prétend témoin oculaire, me raconte les événements des trois mémorables journées de Juillet, pendant lesquelles s'accomplit la dernière révolution française ; supposons ensuite qu'un livre, une histoire de cette révolution, publiée et reconnue comme vraie en France, me fût envoyée de ce pays. Où sera la meilleure preuve des faits? Je dis qu'elle sera dans le livre. Un seul témoin peut en imposer ; mais qu'un auteur publie en France l'histoire d'une nouvelle révolution qui n'y a pas eu lieu, ou qu'il s'éloigne essentiellement de la vérité, c'est chose improbable au plus haut point ; et il est impossible qu'une pareille histoire ne soit pas à l'instant signalée comme un mensonge. Une histoire qu'un peuple reçoit comme vraie ne nous donne pas seulement le témoignage de l'auteur, il y joint celui de la nation chez qui cette histoire obtient crédit. C'est la concentration de milliers de voix, de milliers de témoins. Je dis donc que les écrits des premiers apôtres ayant été reçus par la masse des chrétiens de leur temps et des temps qui suivirent immédiatement, sont le témoignage de cette foule aussi bien que celui des apôtres. Des milliers d'individus, contemporains des événements, s'unissent pour attester les miracles du Christianisme.

    Mais il y a une autre espèce de preuves, quelquefois plus puissante que les témoins directs, et cette espèce appartient au Christianisme. Les faits sont souvent mis hors de doute par les traces qu'ils laissent après eux. C'est le cas pour les miracles du Christ. Expliquons ce genre de preuves. Pendant que je suis absent et éloigné de votre cité, on me raconte qu'à un certain jour, une marée telle qu'on n'en avait jamais vue a monté dans votre port, a inondé vos quais et s'est précipitée dans vos rues; je doute du fait; mais, à mon arrivée, je vois ce qui autrefois fut des rues couvert d'herbes marines et de coquillages, et les maisons écroulées ; je cesse de douter. Un témoin peut tromper, mais les choses ne peuvent mentir. Tous les grands événements laissent des effets, et ces effets parlent directement de leur cause. Quelles sont, demanderai-je, les preuves de la révolution américaine? N'avons-nous que des témoignages oraux ou écrits? Notre constitution, notre état social, l'esprit et le langage de nos lois, tout atteste notre origine anglaise, et la lutte victorieuse par laquelle nous avons conquis notre indépendance. Les miracles du Christianisme ont laissé des effets qui en attestent également l'existence, et qu'on ne saurait expliquer sans eux.

    Je remonte à Jésus-Christ, et, aussitôt, j'admire le commencement et la rapidité de la révolution la plus remarquable dont fassent mention les annales du monde.

    Je vois une nouvelle religion qui a un caractère tout à elle, qui n'a de ressemblance avec aucune autre, se propager en quelques années chez toutes les nations civilisées, et commencer une nouvelle ère, un nouvel état social, une révolution dans l'esprit humain qui distingue tous les siècles suivants. Voici un fait évident que le sceptique ne saurait contester, de quelque façon qu'il l'explique. Cette religion sort du sein d'un peuple obscur, méprisé, détesté. Son fondateur est mort sur la croix, supplice aussi ignominieux que le sont aujourd'hui le pilori pu la potence. Les prédicateurs de cette religion sont de pauvres gens qui n'ont ni rang, ni fonctions, ni éducation, qu'on a pris à leur bateau ou à d'autres métiers qui n'ont jamais fourni d'instituteurs à l'humanité! Ces hommes se mettent à l'œuvre à l'endroit même où le sang de leur maître a été répandu comme celui d'un malfaiteur vulgaire; et je les entends qui appellent d'abord ses meurtriers , et puis toutes les nations et tous les hommes, le souverain sur son trône, le prêtre dans son temple, les grands et les savants, aussi bien que les pauvres et les ignorants, à renoncer à la foi et au culte que la vénération de tous les siècles avait consacrés, et à prendre le joug du Crucifié. La passion et le préjugé, le glaive du magistrat, la malédiction du prêtre, le dédain du philosophe, la furie de la populace, tout s'unit pour écraser l'ennemi commun; et, cependant, sans une seule des armes dont se servent les hommes, et malgré tous les pouvoirs humains, je vois les humbles apôtres de Jésus gagner du terrain, vaincre le préjugé, disperser les rangs de leurs adversaires, changer leurs ennemis en amis, inspirer à la foule l'esprit calme du martyre, et porter jusqu'aux bornes de la civilisation, et même dans les contrées barbares, une religion qui a contribué plus que tout le reste au progrès de la société. Voilà l'effet. Voilà un monument plus durable que des colonnes ou des arcs de triomphe. Je demande qu'on m'explique ces effets. Si Jésus-Christ et ses apôtres ont été vraiment les envoyés de Dieu, s'ils ont fait des miracles pour attester leur mission, l'établissement du Christianisme est expliqué. Mais supposons qu'ils aient été des fanatiques insensés ou des imposteurs égoïstes, placés seuls en face de toute la force de l'opposition humaine, n'ayant pour eux que leur puissance ou plutôt leur faiblesse, l'effet étonnant que j'ai décrit n'a plus de cause. De pareils hommes n'auraient pas pu renouveler la face du monde, pas plus qu'ils n'auraient pu faire remonter les fleuves vers leur source, changer les montagnes en vallées, ou élever les vallées jusqu'aux cieux. Le Christianisme n'a donc pas seulement pour lui des témoins dont les paroles sont irrécusables, il a encore le témoignage des faits ; preuve qui prendra une force nouvelle si on le compare aux autres religions, telles que le mahométisme, qui, sorties des passions humaines, ont dû leur succès à la force.

    IV. Après avoir exposé mes idées sur les miracles du Christianisme, j'aborde le dernier point de ce discours. Son étendue et son importance m'engageront à le traiter plus tard dans un autre discours; mais il manquerait quelque chose à une discussion sur les preuves du Christianisme s'il ne trouvait pas ici sa place. Je veux parler de la preuve du Christianisme tirée du caractère de son fondateur.

    Le caractère de Jésus fut unique. Il ouvre une ère nouvelle dans l'histoire morale de l'humanité. Sa vertu ne fut pas celle de son époque, ni une copie de cette grandeur qui avait longtemps absorbé l'admiration du monde. Jésus n'était point comme les autres hommes. Il n'empruntait rien à personne et ne s'appuyait sur personne. Entouré d'hommes à pensées basses, il s'éleva jusqu'à la conception d'une vertu plus noble que celle qu'on avait jamais imaginée, et cette idée il se consacra tout entier à la répandre ; ce fut l'objet souverain de sa vie et de sa mort. Avec la conscience qu'il était né pour ce grand œuvre, il parlait avec une dignité calme, une élévation vraie, qui le distinguèrent de tous les autres prédicateurs. Sans appui, il ne chancela jamais ; il se suffit à lui-même; il refusa de s'allier à la richesse ou au pouvoir. Cependant, avec cette existence toute tirée de lui-même, et cette énergie inébranlable, son caractère fut le plus doux, le plus indulgent, le plus séduisant qu'aient jamais vu les hommes. Ce n'est pas là une fiction ; qui donc aurait imaginé cette vie, ces actions, ces paroles, ces manières si naturelles et si peu étudiées, si vraies, si dignes du Fils de Dieu ?

    Ce qui distingue Jésus, c'est une charité infinie et sans mélange; une charité où la grandeur s'unit de façon admirable à la douceur ; une charité aussi sage qu'elle était ardente, qui comprenait les vrais besoins et le vrai bien de l'homme, qui avait dé la compassion pour les souffrances qui nous viennent du dehors, mais qui voyait dans l'âme la source profonde de nos malheurs, et travaillait, en régénérant cette âme, à lui créer un bonheur pur et durable. La bonté de Jésus était tellement particulière, tellement unique, que le monde en a gardé l'empreinte. De lui sont sorties une vertu, une influence bienfaisante qui agissent encore aujourd'hui. Depuis la mort du Christ, un esprit d'humanité, jusqu'alors inconnu, s'est insensiblement répandu sur la terre. Un nouveau type de vertu s'est, par degrés, emparé du respect des hommes. Une nouvelle force a agi sur la société, et elle a plus fait que tout le reste pour désarmer les passions égoïstes, et pour unir fortement l'homme à Dieu. Quelle preuve de la vertu de Jésus ! Si le Christianisme a eu un pareil fondateur, il est venu du ciel.

    Il y a d'autres preuves remarquables de la puissance et de l'élévation morale du Christ. Son caractère a touché et lui a concilié plus d'un adversaire de sa religion. L'incrédulité, tout en portant sans merci la main sur le système, en a épargné l'auteur. Souvent même les incrédules ont rendu témoignage aux célestes et douces vertus de Jésus; et je me plais à le rappeler, non seulement comme une chose qui fait honneur au Christianisme, mais parce que cela prouve que l'incrédulité ne dessèche pas toujours le sentiment moral, et ne respire pas toujours la haine du bien. Ce n'est pas tout. Le caractère du Christ a résisté au plus mortel et au plus irrésistible ennemi de l'erreur, je veux dire au temps. Il n'a rien perdu de son élévation par le progrès des siècles. Depuis son apparition, la société a marché, les idées de l'homme ont grandi, et la philosophie s'est élevée à la conception de vertus plus pures que celles dont se glorifiait l'antiquité. Mais, quelque progrès qu'ait fait l'esprit humain, il faut encore qu'il porte ses regards en haut s'il veut voir et comprendre le Christ. Le Christ est encore au dessus de lui. Rien de plus pur, de plus noble, n'éclaire encore la pensée de l'homme. Le Christianisme est donc vrai. Le portrait de Jésus dans les Évangiles, si vivant, si beau, si grand, a demandé l'existence d'un original. Supposer que ce caractère fut inventé par des hommes sans principes, au milieu des ténèbres du Judaïsme et du Paganisme, et fut ensuite imposé comme une vérité à l'époque même du fondateur du Christianisme, cela indique un excès de crédulité et une étrange ignorance de la nature humaine. Le caractère de Jésus est vrai ; Jésus a dû être ce qu'il déclarait être, le Fils de Dieu, celui qui révélait à l'humanité la miséricorde et la volonté divines. J'ai terminé ce que je m'étais proposé dans ce discours. Je vous ai présenté quelques-unes des preuves principales du Christianisme. J'ai cherché à les exposer sans exagération. Qu'un esprit sincère, qui les comprend à fond, puisse en nier la force, cela ne me semble pas possible. On peut certainement concevoir des preuves plus fortes, mais il est douteux que ces preuves s'accordent avec notre nature morale, et avec le gouvernement moral de Dieu. Ce gouvernement exige que la vérité ne soit pas imposée à l'esprit, mais que nous restions libres d'y atteindre par le droit usage de notre intelligence, et en nous conformant à ce que nous avons déjà appris. Dieu pourrait certainement nous jeter une lumière irrésistible, de manière à ce qu'il nous fût impossible de nous égarer; mais, en agissant ainsi, il anéantirait une grande partie de l'épreuve à laquelle nous sommes maintenant soumis. Ce n'est donc pas une objection contre le Christianisme que de dire que ses preuves ne sont pas les plus fortes possibles, et qu'elles ne commandent pas un assentiment universel. Sous ce rapport, il ressemble aux autres vérités, elles ne sont pas imposées à notre croyance. Qui le veut, peut fermer les yeux, lorsqu'on lui en présente les preuves, et leur opposer des objections. Dans la mesure des preuves dont le Christianisme est accompagné, je vois un juste respect pour la liberté de l'esprit, et un rapport plein de sagesse avec notre nature morale, que cette religion se propose avant tout de perfectionner.

    Je finis comme j'ai commencé. Je ne rougis pas de l'Évangile du Christ; car il est vrai. Il est vrai, et sa vérité brillera d'un éclat de plus en plus grand. C'est une chose dont je ne doute pas. Je sais que notre religion a été mise en doute même par des hommes intelligents et vertueux ; mais ma foi dans sa divine origine et dans son triomphe final n'en est pas ébranlée. De pareils hommes en ont douté parce qu'ils n'en ont vu que les corruptions. Quand sa simplicité primitive lui sera rendue, ces doutes s'évanouiront. Je ne crains rien de l'incrédulité; surtout de cette forme d'incrédulité, que quelques individus s'efforcent en ce moment de répandre dans notre pays ; je veux parler de cette incrédulité insensée, audacieuse, qui cherche à éteindre la lumière de la nature aussi bien que celle de la révélation, et à nous laisser, non seulement sans Christ, mais sans Dieu. Je ne redoute pas plus cette incrédulité que je ne craindrais les efforts qu'on ferait pour arracher le soleil de sa sphère, ou pour prendre d'assaut les cieux avec l'artillerie de la terre. Nous avons été faits pour la religion; et, à moins que les ennemis de notre foi ne changent notre nature, le fondement de la religion est inébranlable. L'âme humaine a été créée pour voir plus loin que la terre. Elle a besoin d'un Dieu pour son amour et sa foi, d'une immortalité pour son espérance. Elle a besoin de consolations que la philosophie ne donne pas dans la tentation, dans la douleur et dans la mort ; elle a besoin d'une force que la sagesse humaine ne peut fournir. Sachant, comme je le sais, que le Christianisme répond à ces profonds besoins de l'humanité, je suis sans crainte sur son triomphe. Les hommes ne peuvent vivre longtemps sans religion. En France l'esprit sceptique de la génération passée excite de plus en plus un sentiment de répugnance. Dans ce pays un philosophe rougirait aujourd'hui de citer Voltaire comme une autorité en matière de religion. Déjà l'athéisme se tait là où jadis il semblait régner en maître. Les plus grands esprits, en France, s'efforcent de revenir à la lumière de la vérité. Il en est, il est vrai, beaucoup qu'on ne peut pas encore appeler des chrétiens ; mais la route qu'ils suivent, comme celle des sages qui vinrent jadis de l'Orient guidés par l'étoile, les conduit au Christ. Je ne rougis pas de l'Évangile du Christ. Il a une vie immortelle et se fortifiera par la violence même de ses ennemis. Il répond à tous les besoins de l'humanité. Les plus grands esprits y ont trouvé la lumière; les âmes les plus affligées, les plus brisées, y ont trouvé un baume salutaire pour leurs douleurs. Il a inspiré les plus sublimes vertus et les plus nobles espérances. Les corruptions d'une pareille religion, je les déplore, et je rougirais de m'en faire le défenseur; mais de l'Évangile lui-même je ne rougirai jamais.

     

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    DidierLe Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    PREUVES DU CHRISTIANISME. ( partie 1)

     

     

    Ces paroles de Paul sont dignes de cet esprit résolu et désintéressé. En les prononçant il n'était pas l'écho de la foule, il ne répétait pas servilement des doctrines établies. La grande majorité de ceux qui l'entouraient rougissait de Jésus. L'infamie alors s'attachait à la croix. Le nom du Christ était honni comme celui d'un malfaiteur, et, professer la religion du Christ, c'était partager son ignominie. Depuis lors quels changements! La croix est maintenant suspendue comme un ornement au cou de la beauté. Elle brille sur le pavillon des vaisseaux et les étendards des armées. Des millions d'hommes s'inclinent en adoration devant elle, comme si elle était le sanctuaire de la divinité. Aussi la tentation de rougir de Jésus a-t-elle bien diminué, cependant elle n'a pas tout à fait disparu. La plupart des hommages qu'on rend aujourd'hui à la religion sont extérieurs, politiques, mondains, et s'adressent aux corruptions du christianisme bien plus qu'à son noble et pur esprit; des chrétiens consciencieux et intrépides ne doivent donc pas s'étonner de rencontrer de la froideur ou des reproches. Nous pouvons encore être tentés de rougir de notre religion quand nous sommes jetés parmi des sceptiques qui la nient et la raillent. Nous pouvons être tentés de rougir des doctrines simples et raisonnables du Christ, quand nous vivons avec d'aveugles fanatiques, qui font de leurs singularités obscures et peut-être dégradantes, la condition essentielle du salut. Nous pouvons être tentés de rougir de ces préceptes purs, doux et désintéressés, quand nous sommes jetés au milieu d'hommes licencieux, égoïstes et vindicatifs. Il faut être toujours armé contre ces périls. Rester fidèle à la vérité et à la conscience au travers de toutes ces épreuves, c'est une des preuves les plus éclatantes de la vertu. Personne ne mérite le nom de chrétien, sinon celui qui garde ses principes au milieu des incrédules, des intolérants et des pervers. « Je ne rougis pas de l'évangile du Christ. » Voilà ce que disait Paul; voilà ce que je voudrais dire. Plût à Dieu qu'il me fût donné de prendre l'esprit comme les paroles de l'apôtre, et de rendre témoignage au christianisme avec le même héroïsme! Me demande-t-on pourquoi je m'unis à ce témoignage rendu à l'Évangile? Je me propose de vous en donner les raisons ; et en même temps je demande la permission de parler à la première personne, comme l'apôtre l'a fait, de parler en mon nom, de découvrir mon âme dans le langage le plus direct. Il y a des cas où l'expression franche d'un sentiment individuel répond le mieux au but qu'on se propose dans un discours public ; et, dès lors on ne doit pas mettre au compte de l'égoïsme cette façon de parler.

    J'expose les raisons pour lesquelles je ne rougis pas de l'Évangile du Christ; et je commence par une raison si importante qu'elle fera le sujet de ce discours tout entier.

    Je ne rougis pas de l'Évangile parce qu'il est vrai. C'est là ma première raison. La religion est vraie, et il n'y a point d'autre considération qui pourrait me porter à la défendre. Je l'adopte, non parce qu'elle est populaire, car des systèmes faux et funestes ont été populaires; non parce qu'on pense qu'elle soutient l'ordre social, car je crois que rien n'est utile au fonds si ce n'est la vérité. L'Évangile est vrai; et je ne le dis pas à la légère. Je ne répète pas les mots dont on m'a bercé. Je n'affirme pas la vérité du christianisme parce qu'on m'apprit à le faire avant que je fusse en état de juger, ou parce que j'ai été élevé dans une société attachée à cette croyance. Il se peut qu'on attribue à ces motifs mon zèle et ma foi ; mais, l'amour de la vérité m'oblige à repousser ces imputations sans fondement. Ma naissance et mon éducation chrétiennes, loin de m'avoir disposé à une foi implicite, ont été souvent pour moi une occasion de doutes sérieux. A voir combien il est ordinaire aux hommes de tous les pays et de toutes les croyances, Chrétiens, Juifs ou Mahométans, de recevoir la religion de leurs pères, je me suis maintes fois demandé si moi aussi je n'étais pas un esclave, si moi aussi je ne suivais pas en aveugle le sentier de la tradition, si je ne cédais pas aussi passivement que les autres, à une foi héréditaire. Je me défie du nombre, et je crains que l'opinion n'entraîne mon jugement; rien ne m'excite davantage à repousser une doctrine que les efforts même que fait l'intolérance pour me l'imposer. Peut être que mon éducation chrétienne et mes rapports avec des chrétiens m'ont incliné au scepticisme plutôt qu'ils n'ont plié mon esprit devant l'autorité.

    On dira peut-être que l'orgueil, les préjugés et l'intérêt de ma profession comme ministre chrétien rendent suspects mes raisons et mon jugement. Je réponds que je me crois aussi libre de ces travers que la personne la plus indifférente. Je n'ai pas de préoccupations sacerdotales. Je sais et j'avoue que les fonctions du ministère ont été altérées, perverties, dès les premiers temps de l'église. Je réprouve la tyrannie que le ministère exerce souvent sur l'âme humaine. Je ne reconnais pas de sainteté particulière dans ceux qui le remplissent. Je crois donc que je puis examiner le christianisme avec aussi peu de partialité et d'aveuglement que personne. Certes, je ne me prétends pas à l'abri de l'erreur; je ne demande pas qu'on accorde une foi implicite à mes raisonnements; peu m'importe qu'on approfondisse et qu'on examine mes arguments avec un soin jaloux. La seule chose que je demande c'est qu'on ne méjuge pas d'avance comme un partisan servile et intéressé du christianisme. Je demande qu'on m'écoute comme un ami de la vérité, qui désire aider ses frères à décider une question d'un grand et universel intérêt. Si je me présente comme l'avocat du christianisme, c'est qu'il s'offre à ma raison comme une révélation de Dieu, comme la lumière la plus pure et la plus brillante que Dieu ait versée sur l'âme humaine. Je repousse tout autre motif. Nulle politique, nul vasselage de l'opinion, nulle crainte de blâme, même de la part des gens de bien, nul intérêt privé, nul désir de soutenir une superstition utile, rien en un mot, rien que la conviction réfléchie de la vérité du christianisme, ne m'engage à prendre place parmi ses défenseurs. J'en rougirais, si je ne le croyais pas vrai.

    J'exprimerai fortement mes convictions; je parlerai de l'incrédulité comme d'une erreur grossière et dangereuse. Mais qu'on sache bien que je ne condamne pas le caractère des individus. Je montrerai que la religion chrétienne est vraie, qu'elle est de Dieu; mais je n'en conclus pas que tous ceux qui la rejettent soient des ennemis de Dieu, et qu'il faille les couvrir d'infamie. Je veux soutenir la vérité sans manquer à la charité. Le crime, la perversité de l'incrédulité dans toutes les circonstances possibles, est une thèse que je crois insoutenable, et, comme je suis convaincu que cette opinion nuit à la cause du christianisme en créant une antipathie entre ceux qui l'aiment et ceux qui l'attaquent, antipathie qui nuit aux uns et aux autres, et rend les derniers plus hostiles à la vérité, je crois qu'avant d'aller plus loin, il est bon de dire quelques mots à ce sujet.

    Je pose en principe que l'incrédulité, considérée en soi, n'a pas de qualité morale; ce n'est ni une vertu ni un vice; ce qui la qualifie en bien comme en mal, ce sont les motifs qui l'amènent. De simples actes de l'entendement ne sont ni bons ni mauvais. Quand je parle de la foi comme d'un principe saint et vertueux, j'étends ce terme au-delà du sens primitif, et, outre l'assentiment de' l'intelligence, j'y comprends la volonté qui détermine et confirme cet assentiment ; c'est de même, en attachant à l'incrédulité un sens aussi étendu que je la déclare un crime. Le fait est que l'âme humaine, quoique divisée par notre philosophie en plusieurs facultés distinctes, ne les exerce point séparément ; en général elle les réunit dans un même acte. Ainsi, en formant un jugement, l'individu exerce sa volonté et ses affections ou les principes moraux de sa nature, tout autant que sa pensée. Nos passions et nos intérêts se mêlent aux décisions de notre intelligence. Dans les Écritures, qui usent du langage librement, et sans chercher l'exactitude philosophique, la foi et l'incrédulité sont des actes qui ont ce caractère complexe, elles sont le produit de l'esprit et du cœur; et, c'est à cause de cela seulement qu'elles méritent notre approbation ou notre blâme. Je pense que les chrétiens réfléchis de toutes les confessions partagent cette façon de voir.

    On ne peut donc considérer les opinions comme des signes invariables, infaillibles, de vertu et de vice. La même opinion peut être vertueuse chez l'un et vicieuse chez l'autre, si l'on suppose, ce qui est très possible, qu'elle tienne à des motifs différents. Par exemple, si, par envie ou malignité, j'accepte sans réflexion les preuves les plus légères de la faute qu'on impute à mon prochain, le jugement que je porte est mauvais moralement. Mais qu'une autre personne arrive à. la même conclusion après un examen impartial et fait avec l'amour de la vérité, sa décision sera moralement bonne. Bien plus, à considérer ainsi les choses, il est possible que la foi au christianisme soit aussi coupable que l'incrédulité. Certes, l'adoption d'un système aussi pur que l'Évangile est une présomption favorable. Mais si quelqu'un adopte cette religion parce qu'elle sert à ses intérêts et à sa popularité, s'il ferme son esprit aux objections de peur qu'elles n'ébranlent sa foi dans un système qui lui profite, s'il transige avec sa raison, et que, dans une intention basse et égoïste, il s'épuise à défendre la croyance dominante, il est alors tout aussi coupable en croyant au christianisme que celui qui repousserait l'Évangile par des motifs aussi bas. Aujourd'hui des multitudes d'hommes adoptent avec furie notre religion et la détendent avec le même orgueil, le même amour du monde et de la popularité, le même aveugle dévouement aux préjugés héréditaires, qui à l'origine poussèrent les juifs et les païens à rejeter le Christianisme ; la foi des uns manque autant de vertu que l'incrédulité des autres.

    Pour juger du caractère de la foi et de l'incrédulité, il faut examiner les circonstances et les temps. Quand on commença de prêcher l'Évangile, croire au Christ, c'était la marque d'un esprit vertueux ; s'enrôler parmi ses disciples, c'était renoncer au repos, à l'honneur, aux succès du monde ; confesser le Christ, c'était un acte d'insigne fidélité à la vérité, à la vertu, à Dieu. Aujourd'hui croire au Christ n'a pas la même signification. Le confesser ne prouve point de courage. Ce peut même être l'indice d'une âme servile et terrestre. Ces remarques s'appliquent aussi à l'incrédulité. A différentes époques, et dans différentes conditions de la société, l'incrédulité peut exprimer des dispositions très différentes. Avant d'en faire un crime, et de la damner, il faudrait connaître les circonstances qui l'ont produite, et rechercher s'il n'y a pas là un palliatif ou une excuse. Quand Jésus-Christ était sur la terre, quand il faisait ses miracles sous les yeux des hommes, quand sa voix retentissait à leurs oreilles, quand l'ombre d'un doute ne pouvait pas être jetée sur ses œuvres surnaturelles, quand la corruption humaine ne s'était pas encore mêlée à sa doctrine, il y avait les plus fortes présomptions contre la droiture et la sincérité de ceux qui le repoussaient. Jésus connaissait aussi le cœur et la vie de ceux qui l'entouraient ; il voyait clairement la source de leur incrédulité, dans leur envie, leur ambition, leur intérêt, leur sensualité, et, par conséquent, cette incrédulité, il la déclarait un crime. Depuis lors quels changements se sont opérés ! Jésus-Christ a quitté ce monde. Ses miracles sont des événements d'un âge éloigné, et leurs preuves, si nombreuses qu'elles soient, sont tout à fait inconnues pour la plupart des hommes ; ce qui est mille fois plus grave, sa religion a été corrompue, altérée, changée de façon désastreuse; elle ne ressemble plus à son fondateur comme autrefois. La vérité claire et vivifiante qui sortait de la bouche de Jésus, a été changée en un rauque jargon et de vains bavardages. L'onde si pure à sa source a été souillée et empoisonnée dans tout son cours. Ce n'est pas seulement d'absurdités qu'on a surchargé le christianisme, on l'a encombré de doctrines impies, qui font du Père universel, tantôt un faible et vain despote qu'on se rend propice par des cérémonies et des flatteries, et tantôt un bourreau tout-puissant qui par avance condamne au mal la foule de ses créatures, et glorifie sa justice dans leur malheur éternel. Quand je songe à ce que le christianisme est devenu dans la main des politiques et des prêtres ; comment on en a fait un instrument de pouvoir, comme il a écrasé l'âme humaine pendant des siècles, comme il a paralysé l'intelligence et effrayé l'imagination par les fantômes de la superstition, comme il a rompu au joug des nations entières, et flétri toute pensée libre; quand je songe comment, dans toute communion, les ministres se sont constitués les gardiens de la religion, comment ils l'ont taillée puis comprimée en symboles rigides, menaçant de la damnation éternelle quiconque mettrait en doute la divinité de ces ouvrages de leurs mains; quand je considère, en un mot, comment, sous l'empire de pareilles influences, le christianisme a été présenté et l'est encore sous des formes qui choquent la raison, la conscience et le cœur, je sens, avec une douleur profonde, combien nous sommes loin de ce que Jésus enseigna, et je n'ose appliquer à l'incrédulité d'aujourd'hui la condamnation qui atteignait l'infidélité des premiers temps.

    Peut-être devrais-je aller plus loin; peut-être devrais-je dire que rejeter le christianisme dans quelques unes de ses corruptions, c'est plutôt une vertu qu'un crime. Aujourd'hui je le demande, est-ce donc un crime que de mettre en doute la vérité du christianisme tel qu'il se montre en Espagne et en Portugal ? Dans ces pays de ténèbres, quand un patriote, qui ne connaît le christianisme que comme le boulevard du despotisme, comme le promoteur de l'inquisition, comme un geôlier barbare qui enferme de malheureuses femmes dans un couvent, comme un bourreau que souille le sang des amis de la liberté ; je le demande, quand ce patriote, qui voit dans notre religion l'instrument de ces crimes et de ces douleurs, croit et affirme qu'elle ne vient pas de Dieu, avons-nous le droit de mettre son incrédulité sur le compte de l'impureté et de la corruption de son âme, et de le flétrir comme un coupable? N'est-ce pas peut-être l'esprit même du christianisme qui, régnant au fond de son cœur l'enhardit à protester des lèvres contre ce qui porte le nom du Christ? Et s'il proteste par une profonde sympathie pour ceux qui sont opprimés et qui souffrent, n'est-il pas plus près du royaume de Dieu que le prêtre et l'inquisiteur qui s'instituent fièrement chrétiens à l'exclusion des autres ? Jésus-Christ nous a dit : «Ce qui condamne les incrédules, c'est qu'ils préfèrent les ténèbres à la lumière ;» et qui ne voit que ce motif de condamnation disparaît suivant que la lumière se trouve éteinte, ou que la vérité chrétienne est ensevelie dans les ténèbres et dégradée par l'erreur ?

    On dira, je le sais, qu'un homme placé dans les circonstances que nous supposons n'en serait pas moins coupable d'être incrédule, puisque les Écritures sont à sa portée, et qu'elles suffisent pour mener à la véritable doctrine du Christ. Mais, dans les pays dont je parle, les Écritures ne sont pas communes ; et quand bien même elles le seraient, je crains que ce ne fût trop demander de la force humaine, que d'exiger qu'au milieu de tant de difficultés, on puisât la vérité à cette seule source. Qu'un homme né et élevé dans les ténèbres les plus épaisses, et parmi les plus grossières corruptions du christianisme, habitué à entendre déprécier les Écritures, habitué à joindre des idées fausses à leurs principaux termes, et ne possédant pas nos moyens de critique les plus communs, puisse détacher de la masse d'erreurs qui se parent du nom de l'Évangile, les principes simples de la foi primitive, c'est ce qu'il est bien difficile d'espérer. N'exigeons pas trop de nos semblables. Dans notre zèle pour le Christianisme, n'oublions pas son esprit d'équité et de miséricorde.

    Je viens de me placer dans un cas extrême. J'ai supposé un individu dans les circonstances les plus désavantageuses, pour ce qui est de la connaissance du Christianisme. Mais l'incrédule peut trouver son excuse dans des obstacles moins sérieux. Le fait est que personne d'entre nous ne peut tracer la ligne qui dans ce cas sépare l'innocence et le crime. Pour apprécier la responsabilité d'un homme qui (toute du Christianisme ou qui le nie, il faudrait connaître l'histoire de son esprit, la force de son jugement, les premières influences et les premiers préjugés auxquels il a été exposé, les formes sous lesquelles la religion et ses preuves ont d'abord fixé ses pensées, et les occasions qu'il a eues plus tard pour déraciner des erreurs qui s'étaient emparées de sa raison avant qu'il eut la faculté de les examiner. Nous ne sommes pas ses juges. C'est à un autre tribunal qu'il rendra compte, à un tribunal infaillible. De juger par lui-même; c'est en plaçant devant lui le christianisme dans sa simple majesté, dans sa sagesse, dans son merveilleux accord avec les besoins de notre âme ; en exposant les preuves de la religion dans toute leur force mais sans exagérer; et surtout, en montrant par notre caractère et notre vie, qu'il y a dans le christianisme une force qui purifie, élève, console, une force qu'on ne trouve dans aucun enseignement humain. Voilà les vrais moyens de conversion.

    Je ne puis donc m'unir au cri général qui fait de l'incrédulité la marque certaine d'une âme corrompue. Que l'incrédulité ait souvent sa source dans de main aises dispositions, je n'en doute pas. Par son caractère, l'incrédule nous force souvent à reconnaître, que s'il rejette le christianisme, c'est pour en fuir les reproches; la pureté de la religion est ce qui en fait le crime ; on cherche un refuge dans l'incrédulité contre la crainte et les lois que la vertu impose. Mais imputer ces motifs impies à un homme dont la vie est pure, c'est juger avec témérité et peut-être avec injustice. Je ne puis regarder l'incrédulité comme étant par essence et toujours un crime. Mais je la considère comme un des plus grands malheurs. Être incrédule, c'est perdre le principal secours de la vertu, la force qui dompte la tentation, la vue vivifiante de Dieu, la seule lumière qui ne manque pas, la seule espérance qui soit certaine. L'incrédule ferait un bénéfice inexprimable s'il renonçait à tout ce qu'il possède pour acquérir lès vérités qu'il repousse. Mais comment, le gagnerons nous à la foi? Ce ne sera pas par des reproches, par le dédain, par un ton de supériorité, mais en respectant, comme on le doit, sa raison, ses vertus, le droit qu'il a de juger par lui-même ; c'est en plaçant devant lui le Christianisme dans sa simple majesté, dans sa sagesse, dans son merveilleux accord avec les besoins de notre âme ; en exposant les preuves de la religion dans toute leur force mais sans exagérer ; et surtout, en montrant par notre caractère et notre vie, qu'il y a dans le Christianisme une force qui purifie, élève, console, une force qu'on ne trouve dans aucun enseignement humain. Voilà les vrais moyens de conversion.

    Des menaces et des reproches peuvent pousser des ignorants et des superstitieux à adopter une religion : mais l'incrédule qui réfléchit ne peut que se défier d'une cause qui accepte de pareilles armes. Il faut qu'on raisonne avec lui, comme avec un homme, un égal et un frère. Peut-être pourrions-nous lui imposer silence pour quelque temps, en répandant dans la société une excitation fanatique et en poussant à la haine et à la persécution de l'infidélité. Mais comme par de pareils moyens le christianisme prendrait une forme moins aimable et moins raisonnable, ses ennemis secrets augmenteraient en nombre ; ses preuves les plus claires seraient obscurcies, ses fondements minés, sa force affaiblie; et quand viendrait le moment de jeter le masque, et ce moment vient toujours, on apprendrait que, dans les rangs mêmes des disciples, il s'est formé une armée d'ennemis, qui brûle d'abattre une foi intolérante et qui trop longtemps, leur a fermé la bouche en foulant aux pieds les droits et la liberté de l'esprit humain.

    Voilà pourquoi je ne condamne pas l'incrédule, à moins qu'il ne porte témoignage contre lui-même par une vie immorale et irréligieuse. Il ne m'est pas donné de scruter son coeur. Mais cette faculté il la possède et c'est en ami que je l'exhorte à en user. Qu'il examine sincèrement son âme, qu'il interroge sa vie passée, qu'il juge les causes de son incrédulité. Qu'il se demande, s'il a examiné les principes et les preuves du christianisme sérieusement et avec l'amour de la vérité ; qu'il voie si le désir de connaître et de remplir ses devoirs envers Dieu et le prochain a dirigé son examen ; s'il ne s'est pas abandonné à des passions ou à des occupations que la religion et la conscience réprouvent, qui aveuglent l'esprit et qui ferment le cœur à la vérité. Si, après s'être ainsi interrogé, son cœur l'absout, que personne ne le condamne, et qu'il dédaigne toute condamnation humaine. Mais si sa conscience témoigne contre lui, son incrédulité doit lui être un sujet de doute et d'effroi. Il a raison de craindre qu'elle ne soit le fruit d'une âme dépravée, et qu'en mûrissant elle n'achève la corruption d'où elle est sortie.

    Je sais que cette douceur pour l'incrédulité, on l'appellera une trahison envers le christianisme. Il y a des gens qui pensent que les hommes cesseront de s'attacher à l'Évangile si l'on ne met le scepticisme au nombre des crimes les plus horribles, si l'on ne fait de l'incrédule un objet d'horreur et d'effroi. Les amis du Christianisme ne peuvent pas avancer une opinion qui lui soit plus défavorable. C'est supposer que les preuves de notre religion ne peuvent convaincre que sous l'influence de la terreur; que l'Évangile ne peut, comme toute autre vérité, être soumis au jugement calme et impartial de l'humanité. C'est montrer une défiance du Christianisme, pour la quelle je n'ai point de sympathie. Et c'est ici l'occasion de remarquer que les plus grands abus de notre religion sont sortis de cette lâche défiance. Les amis de la religion ont craint qu'elle ne pût se soutenir, sans tous ses appuis artificiels. Ils ont imaginé qu'il fallait tantôt attirer les hommes à la foi en y attachant des privilèges temporels, tantôt les y soumettre par les menaces et les inquisitions, parfois les séduire par des cérémonies pompeuses, et parfois les terrifier par des mystères et des superstitions ; en un mot, qu'il fallait en imposer à la foule sans quoi la religion tomberait. Je ne me défie pas ainsi du Christianisme; j'ai foi dans sa force invincible. Il est fondé sur notre nature. Il répond à nos plus profonds besoins. Ses preuves comme ses principes sont à la portée d'une intelligence ordinaire; et ne demandent pas qu'on les appuie par un appel à la force ou à toute passion qui arrête l'examen et trouble le jugement. Je ne crains rien pour le christianisme, si on lui laisse parler son langage, s'il peut approcher des hommes sans voile, et dans toute la splendeur de sa bonté. Je crains beaucoup les armes de la politique et de l'intimidation qui ont été inventées pour soutenir la faiblesse imaginaire de la vérité chrétienne.

    J'aborde maintenant le grand objet de ce discours, l'exposition des preuves du christianisme; et je commence par un point qui est nécessaire pour préparer quelques personnes, à apprécier ces preuves à leur valeur véritable. Je commence par cette proposition, qu'il n'y a rien dans l'idée générale de révélation qui choque la raison, rien qui soit incompatible avec les vérités établies, ou avec les vues les plus justes sur Dieu et la nature. Ceci répond à un préjugé très commun. Je répète donc que la révélation n'a rien d'incroyable, rien de contradictoire, rien qui renverse les données de la raison ou de l'expérience. Quand on nous dit que Dieu nous instruit par d'autres moyens que ceux de l'ordre fixe de la nature, nous ne devons pas en être surpris et cette idée ne doit pas éveiller de résistance dans notre esprit.

    La révélation n'est pas en guerre avec la nature. Par la nécessité des choses, c'est de cette source que la première instruction a du venir aux hommes. Si notre espèce a eu un commencement, et l'athéisme dans sa folie peut seul en douter, ses premiers membres, créés comme ils l'ont été sans parenté humaine, et n'ayant pas la ressource de l'expérience de leurs pères, avaient donc besoin de l'enseignement immédiat de leur créateur; ils eussent péri sans cela. La révélation a commencé l'histoire humaine, elle est le fondement de toutes les connaissances et de tous les progrès qui ont suivi. C'était une partie essentielle du cours de la Providence, et on ne doit donc pas la regarder comme étant en désaccord avec l'harmonie générale que Dieu a établie.

    La révélation n'est pas en guerre avec la nature. La nature nous fait regarder la révélation comme sortant des rapports mêmes qui existent entre Dieu et l'espèce humaine. Le rapport de Créateur est le plus intime qui puisse exister, et cela nous mène à en attendre un commerce libre et affectueux avec la créature. Que le Père universel soit lié à ses enfants par un amour paternel, qu'il veille sur eux et aide au progrès de ceux qu'il a enrichis des dons divins de la raison et de la conscience, c'est une doctrine si naturelle, si bien d'accord avec le caractère divin, qu'avant comme après le christianisme, plus d'une secte, philosophique ou religieuse, a cru, non seulement qu'il y avait une révélation générale, mais que Dieu se révélait à chaque âme en particulier. Quand je songe à l'esprit humain et à son immense capacité, combien Dieu en est près, et de quel amour infini il l'aime, je m'étonne, non qu'il y ait eu des révélations, mais qu'il n'en ait pas été accordé davantage aux divers besoins de l'humanité.

    Il y a un accord frappant entre la révélation et la règle que Dieu a établie pour le progrès des individus et du genre humain et ainsi la révélation est eu harmonie avec l'action ordinaire de la Divinité. A qui devons-nous nos principales connaissances? Ce n'est pas à l'univers ; ce n'est pas aux lois immuables de la matière; c'est à des intelligences plus avancées que nous. Les enseignements des sages et des vertueux, sont notre principal secours. Si les liens qui nous unissent aux esprits supérieurs étaient brisés, si nous n'avions pour maître (pie la nature avec ses lois fixes, ses révolutions invariables de la nuit et du jour ou des saisons, nous resterions à jamais dans l'ignorance de l'enfance. La nature est un livre où l'on ne peut lire qu'avec l'aide d'un interprète intelligent. La grande loi donnée à l'homme, c'est de recevoir la lumière et l'impulsion d'hommes plus instruits que lui. Or, la révélation n'est qu'une extension de cette règle universelle établie pour le progrès de l'humanité. Ici c'est Dieu qui prend pour lui la fonction à laquelle tous les êtres raisonnables sont appelés. Il se fait l'instituteur immédiat de quelques individus, et leur communique un ordre de vérités plus élevé que celui qu'on avait atteint jusque-là; vérités qu'à leur tour ils communiqueront au genre humain. Il n'y a pas là de nouvel élément introduit dans le système, il y a un agrandissement de cette action d'où dépend le progrès de l'homme.

    Considérez aussi pourquoi Dieu a décrété comme principal moyen du progrès humain, cette communication de lumières faite par des esprits supérieurs aux esprits inférieurs; si la révélation a un résultat semblable, et plus important encore, ce sera une nouvelle preuve de l'accord que Dieu a mis entre la révélation et sa providence ordinaire. Pourquoi Dieu a-t-il voulu que le progrès de l'homme dépendit de l'enseignement de ses semblables? Pourquoi les plus avancés sont-ils chargés d'élever les moins instruits? La fin principale c'est, je crois, d'établir des rapports entre les hommes, de les attacher les uns aux autres par des sentiments généreux, de favoriser un commerce affectueux, d'exciter un amour plus pur que celui qui sort de bienfaits purement matériels. Or, il est raisonnable de croire que le Créateur se propose de s'attacher ses créatures aussi véritablement que de les attacher les unes aux autres, et même qu'il veut faire naître chez elles une confiance en lui, une reconnaissance, et un amour plus forts; car ces sentiments, quand ils s'adressent à Dieu, rendent plus heureux, et anoblissent davantage, que lorsqu'ils ont tout autre objet, et il est clair que la révélation, c'est-à-dire un enseignement divin immédiat, sert autant à établir ces liens entre Dieu et l'homme, qu'un enseignement humain sert à unir les hommes entre eux.

    Nous voyons donc dans la révélation une fin qui répond au dessein que Dieu se propose dans sa providence ordinaire. Que cette fin soit digne de son intervention, qui pourrait en douter ? Dieu ne peut se proposer rien de plus grand que d'élever jusqu'à soi l'âme de ses créatures. Son caractère paternel est une garantie qu'il doit vouloir cet ineffable bonheur pour des enfants qu'il a doués de raison ; et la révélation répond à ce but, non seulement en développant de nouvelles doctrines pour ce qui concerne Dieu, mais par la preuve touchante qu'elle nous donne de l'intérêt particulier que Dieu prend à la famille humaine. Il y a évidemment, dans ce mode d'instruction, une expression d'intérêt plus profond, un caractère d'affection plus grande, que dans un enseignement qui suit l'ordre fixe de la nature. La révélation, c'est Dieu qui nous parle dans notre propre langage, avec le ton d'un ami. Elle montre un amour qui ne tient compte ni de la réserve ni de la distance que nous sentons quand Dieu nous instruit par ses ouvrages seuls. Elle nous attache à Dieu. On peut regarder la nature, sans songer à celui dont elle annonce la gloire; mais l'idée de Dieu est liée à celle de la révélation et elle en fait partie. Combien cette communication directe rapproche Dieu de la masse des hommes! Pour cette raison la révélation me semblerait importante, quand elle ne ferait que répéter les enseignements de la nature. Cette répétition de grandes vérités dans un style moins formel, avec un ton plus bienveillant, plus familier, est faite pour exciter dans l'âme le sentiment de la présence et de la bonté du Père céleste. Je vois donc dans la révélation un dessein qui répond à celui pour lequel l'enseignement humain a été institué. Tous deux ont été destinés à créer une affection pure entre le maître et le disciple.

    Considérez maintenant quelle espèce d'instruction les hommes supérieurs sont appelés à donner aux esprits inférieurs. Vous y verrez une nouvelle harmonie entre la révélation et cet enseignement humain, qui est le grand moyen de perfectionner notre espèce. Quel genre d'instruction, les parents, les vieillards et les hommes d'expérience, sont-ils le plus désireux de donner à la jeunesse? Quel enseignement fait le salut de cette partie de l'humanité ? C'est l'instruction qui a trait à l'avenir, aux années de la maturité, instruction qui prépara la jeunesse à la vie qui s'ouvre devant elle. La volonté de Dieu, en nous faisant naître, c'est que nous soyons avertis des phases futures de notre existence, de la maturité qui approche, des événements, des devoirs, des peines qui nous attendent. C'est pour cela que Dieu nous lie avec des hommes qui ont parcouru les sentiers où nous entrons, et dont le devoir est de nous former pour un âge plus avancé. L'instruction qui a pour objet l'avenir est le grand moyen de progrès. Or, c'est sur ce sujet même que la révélation a pour objet de nous instruire ; elle nous dévoile la vie qui est devant nous et nous y prépare. L'avenir est son perpétuel refrain. Que Dieu nous éclaire sur cet état, s'il nous y destine, c'est ce que nous devons attendre de sa sollicitude à nous instruire sur tout ce qui touche à l'avenir de notre existence terrestre. La nature a soif de connaître quelque chose de la destinée de l'homme, et l'analogie promet en ce point quelque lumière. J'insisterai bientôt là-dessus. En ce moment, je veux seulement vous montrer qu'ici la révélation s'accorde avec la providence ordinaire de Dieu.

    Je passe à un autre ordre de réflexions, qui, suivant moi, répond surtout â l'idée vague, que la révélation est contraire à la nature. Pour juger la nature, il faut regarder les êtres les plus élevés. Il faut étudier l'âme humaine qui, nous le sentons tous, est une existence plus élevée que la matière. Or, je maintiens qu'il y a dans l'âme humaine des besoins, des besoins profonds, que ne satisfont ni l'action ni les enseignements des choses ordinaires. Je sais que c'est là un sujet fait pour provoquer la méfiance, sinon la moquerie, chez les hommes sensuels et les âmes basses; mais je parle de ce que je sais ; et rien ne m'émeut moins que les railleries de ceux qui méprisent leur propre nature. L'un des aspects qui frappent le plus dans la nature humaine, c'est la disproportion entre ce qu'elle conçoit ou ce qu'elle désire, et ce qu'elle trouve ou peut atteindre dans sa condition présente. Elle tend toujours au delà de ses limites actuelles. Il lui vient des idées de perfection et de bonheur qu'elle ne peut réaliser. Elle a en elle un idéal qui lui échappe à chaque jour, à chaque heure. Cette contradiction intérieure est la source de vives souffrances. Il y a chez la plupart des hommes un sentiment confus au moins, d'avoir été créés pour quelque chose de plus haut que ce qu'ils atteignent, un sentiment de discorde intérieure, un manque de quelque bien stable, un désappointement de tous les biens extérieurs; et, à mesure que ces convictions et ces besoins se dessinent, ils se transforment en désirs d'une lumière et d'un secours divin qu'on ne trouve pas dans la nature.

    Je sais que chez la majorité des hommes ces besoins ne se font sentir que faiblement. Habituée à donner toute sa pensée et tout son effort au monde matériel, la foule ne regarde pas dans son âme et ne peut pas la comprendre. C'est à des causes extérieures que le peuple impute les misères qui jaillissent d'une source intérieure. Il n'arrête pas les bonnes pensées, les bons sentiments qui parfois lui traversent l'esprit; à peine en a-t-il conscience. Et cependant il y a peu d'individus qui ne soient parfois mécontents d'eux-mêmes, qui ne sentent le tort qu'ils se sont fait, et qui ne désirent une situation d'esprit plus noble et plus pure. La Soudaineté avec laquelle la foule est remuée par une éloquence brûlante, quand on lui parle du monde spirituel avec le ton de la vérité, nous montre combien sont grands les besoins de la nature humaine, même au milieu de l'ignorance et de la dégradation.

    Mais tous les hommes ne s'abandonnent pas entièrement aux choses extérieures. Il en est, et beaucoup, qui sont plus fidèles à leur nature, et qu'on doit par conséquent regarder comme en étant les meilleurs représentants; et chez ceux-là les besoins dont j'ai parlé se font sentir avec force. Il en est qui supportent avec douleur le poids de leur imperfection, qui sont enflammés à la vue de la grandeur d'âme et du dévouement, qui ne désirent rien tant que de surmonter les tentations, que de s'élever au-dessus de l'égoïsme des passions, et que de conformer leur volonté à la loi du devoir; il en est qui n'aiment rien tant que la paix que donnent la justice et la foi; qui se réjouiraient de sacrifier leur vie pour cette vertu pure, brillante, désintéressée, dont ils possèdent le type ou le germe en eux-mêmes. Des âmes pareilles ne trouvent de ressource qu'en Dieu, et sont prêtes à saluer la révélation de ses miséricordes comme un bienfait inexprimable. Ainsi donc le cœur humain a des besoins que la nature ne peut satisfaire. Et ce ne sont pas là des sentiments accidentels, des caprices inexplicables, ce sont des sentiments profonds, durables et qui, sous une forme ou sous une autre, se reproduisent dans tous les âges. Ils respirent dans les œuvres du génie; ils enflamment les plus nobles esprits. Il y a des principes que Dieu a mis dans le cœur de ses créatures les plus élevées, des principes avec lesquels la révélation s'accorde ; j'ai donc raison de dire que la révélation n'est rien moins que contraire à la nature.

    Je ne présenterai plus qu'une idée pour faire mieux comprendre ce sujet. Je vous prie de considérer quel est l'élément sur lequel agit la Révélation, et puis de rechercher si l'importance particulière de cet élément ne justifie pas une intervention particulière. S'il en est ainsi, la révélation est un besoin de l'âme humaine, et la discordance imaginaire avec la nature disparaît. Pour laquelle de nos facultés a donc été destiné le christianisme? Évidemment ce n'est pas pour enrichir l'intelligence en lui enseignant la philosophie, ni pour perfectionner l'imagination et le goût en leur fournissant de sublimes modèles. Ce n'est pas pour donner l'esprit politique ni le talent et l'invention dans les affaires ordinaires. Certainement la religion est faite pour développer toutes ces facultés, mais c'est de façon secondaire, et en agissant sur un principe plus élevé. Le christianisme s'adresse avant tout à la faculté morale. Il est fait pour l'homme considéré comme être moral, et doué de conscience, c'est-à-dire ayant en lui le principe du devoir, capable de droiture ou de vertu, et exposé à ce mal particulier que nous nommons le crime. Or, la question se présente d'elle-même : Pourquoi Dieu emploie-t-il des moyens si extraordinaires pour propager la vertu plutôt que pour propager la science ? Pourquoi vient-il au secours de la conscience plutôt qu'à celui de l'intelligence et de nos autres facultés? Y a-t-il dans le principe moral une raison qui demande une intervention particulière en sa faveur? Oui; je l'affirme. J'affirme qu'il y a une immense différence entre notre nature morale et nos autres capacités. La conscience est en nous la faculté suprême. Son essence, son caractère, c'est la souveraineté. Elle parle avec une autorité divine. Sa fonction est de commander, de réprimander, de récompenser, et notre bonheur et notre gloire dépendent du respect avec lequel nous l'écoutons. Toutes nos autres facultés sont inutiles, et plus qu'inutiles, quand elles ne sont pas contrôlées par le principe du devoir. La vertu est le bien suprême, la suprême beauté, le plus divin des dons de Dieu, la santé et le développement harmonieux de l'âme, le germe de l'immortalité. Elle vaut tous les sacrifices, et elle change les sacrifices et les souffrances en couronnes de gloire et de joie. Le péché, le vice, est un mal d'une espèce particulière qu'on ne doit confondre avec aucun autre. Qui ne sent l'énorme différence qui existe entre le malheur et le crime, entre la maladie du corps et la dégradation de l'âme? Le péché, le vice, c'est la guerre contre la puissance la plus noble qui se trouve en nous et dans l'univers. Le vice rend l'homme odieux à lui-même, et tourne contre lui le principe de justice qui se trouve en Dieu et chez tous les êtres purs. Le vice empoisonne ou tarit les sources du bonheur, et ajoute un poids indicible aux peines inévitables de la vie. Ce n'est pas un mal étranger, c'est une plaie et un cancer intérieur. Ses compagnes naturelles sont la crainte, la honte, les remords; il ôte au présent toute consolation, il laisse l'avenir sans espérance. Or, je dis que dans cette ruine particulière, qui est l'œuvre du mal moral, et dans cette valeur particulière du bien moral, nous voyons des raisons qui justifient une intervention divine pour aider à la vertu et pour résister au vice. Il est digne du Père infini de montrer un intérêt particulier pour les besoins moraux de ses créatures. Notre corruption, cette corruption prolongée, appelle des secours particuliers ; et une révélation qui nous rend ces secours et qui les perfectionne, a une fin qui justifie, si même elle n'exige pas, cette preuve signalée d'amour paternel.

    Si ces considérations ne suffisent point à démontrer l'existence d'une révélation, elles sont au moins faites pour détruire la notion vague que la révélation est contraire à la nature, et elles montrent que la révélation s'accorde avec l'esprit et les principes du gouvernement divin. Maintenant j'examine les preuves directes et positives du christianisme, en commençant par quelques remarques sur la nature et la suffisance de la preuve principale.

    Le Christianisme est né il y a dix-huit cents ans. Il faut donc en chercher les preuves dans l'histoire. Il faut remonter à l'origine, connaître la condition dans laquelle le christianisme trouva le monde, suivre sa naissance, ses progrès, son établissement. Sur ce point, heureusement, nous avons la lumière nécessaire pour bien juger. Il ne faut donc pas nous imaginer qu'une religion qui porte une date si reculée soit forcément enveloppée d'obscurité. Nous en savons assez sur les premiers temps du Christianisme pour juger de sa vérité. On peut connaître le passé aussi bien que le présent; et je regarde ce point comme si important dans la discussion actuelle que je réclame toute votre attention.

    Je dis qu'on peut connaître le passé, et ce n'est pas tout; c'est du passé que nous tirons nos connaissances les plus importantes. Le passé est notre maître. Nos institutions politiques aussi bien que nos institutions religieuses, nos lois, nos coutumes, nos opinions, nos arts, nous viennent du passé, et la plupart sont inintelligibles sans la lumière que nous empruntons à l'histoire.

    Ce ne sont pas seulement les temps qui nous touchent que nous pouvons connaître, ce sont aussi les siècles reculés. Un homme instruit ne doute pas plus des 3 victoires d'Alexandre ou de César, qui ont vécu avant le Christ, que des conquêtes de Napoléon. Nos moyens de communiquer avec certains siècles de l'antiquité sont si faciles, les monuments qui nous sont restés sont si nombreux, que nous connaissons quelquefois l'antiquité mieux que les temps plus rapprochés ; et une religion qui naquit il y a dix-huit cents ans, peut être plus facile à étudier, et accompagnée de preuves plus décisives qu'une religion qui ne serait séparée de nous que par le quart de cette durée.

    Par la force même des choses, nous pouvons et nous devons connaître une grande partie du passé, car le présent est sorti du passé ; il en est le legs, le fruit, le représentant; il en porte l'empreinte profonde. Les événements ne meurent pas au moment où ils arrivent. Rien n'a lieu sans laisser de traces ; et ces traces sont souvent si visibles et si variées qu'il ne reste pas un doute sur leur cause. Nous savons tous comment, dans le monde matériel, les événements se prouvent d'eux-mêmes aux siècles à venir. Si, en visitant une région inconnue, nous apercevons des masses de lave couvertes d'un sol de différents degrés d'épaisseur, et entourant un cratère noirci, nous sommes aussi sûrs qu'il y a eu d'anciennes éruptions volcaniques que si nous les avions vues. Les crevasses du sol nous disent de quelle façon terrible la terre a été ébranlée; l'horrible puissance d'un feu depuis longtemps éteint est écrite dans cette désolation que les siècles n'ont pas effacée. Or, les conquêtes et les révolutions civiles ou religieuses laissent aussi leur empreinte sur la société; elles laissent des institutions, des mœurs et une variété de monuments qu'on ne peut expliquer sans elles, et qui, réunis, en attestent l'existence. Le passé s'étend dans l'avenir, le présent en est rempli, et on ne peut le comprendre qu'à la lumière de l'histoire.

    Mais, outre ces restes des anciens temps, nous avons d'autres monuments du passé qui sont plus visibles, et qui, joints aux premiers, nous le font connaître clairement. Je veux parler des livres. Un livre est plus qu'un monument d'un âge précédent ; c'est une voix qui nous arrive au travers des siècles. L'écriture nous fait connaître la pensée d'autrui aussi bien que la parole. C'est un commerce personnel. C'est par là que les sages du passé nous communiquent leurs pensées aussi réellement que si, par quelque miracle, ils se levaient d'entre les morts, et causaient avec nous.

    Ces réflexions nous montrent que la date du Christianisme ne le soustrait pas à notre examen, et elles s'appliquent surtout au temps où l'Évangile fut donné au monde. Notre religion n'a pas paru avant l'histoire authentique. Sa naissance ne se perd pas dans l'obscurité des temps fabuleux. Nous avons de nombreux moyens pour approcher de ses origines; et, ce qui est très important, l'intérêt profond et particulier qu'éveille le Christianisme a appelé l'attention des hommes les plus capables et les plus instruits sur l'époque de sa publication, de sorte que nulle partie de l'antiquité n'est mieux connue. Le Christianisme est né dans un temps où la littérature et la philosophie de la Grèce, partout répandues, avaient donné une grande impulsion à l'esprit humain, et alors que Rome, par des conquêtes inouïes, était devenue le centre et le lien du monde civilisé et du monde barbare, et avait établi, entre des pays éloignés, une facilité de communications jusqu'alors inconnue. Nous ne sommes donc pas réduits à chercher notre route à tâtons, sous un jour incertain. Nos moyens d'instruction sont grands et variés. Nous avons des faits incontestables qui concernent l'origine de notre religion, et qui en prouvent aisément la vérité. Je vais mettre sous vos yeux quelques-uns de ces faits qui serviront de point de départ à nos réflexions.

    I. D'abord nous connaissons avec certitude le temps où le Christianisme fut fondé. Sur ce fait, il n'y a et il ne peut y avoir aucun doute. Païens ou chrétiens, les historiens sont unanimes. Le Christianisme a été prêché pour la première fois sous Tibère. Il n'en existe pas de trace avant cette époque, et, plus tard, les marques et les preuves de son existence sont si manifestes, si bien reconnues qu'il n'est pas besoin d'en parler. Voici déjà un fait important mis hors de doute.

    2. En second lieu, nous connaissons la place où est né le Christianisme. Personne ne lui dispute le pays de sa naissance. Son origine juive n'est pas seulement attestée par l'histoire, elle est gravée sur son front, mêlée à tout son être. Le langage dans lequel il est annoncé nous porte de suite en Judée. Son nom vient des prophéties juives. Des Juifs seuls ont pu écrire le Nouveau Testament. Ces écrivains font aux opinions et aux mœurs juives des allusions si naturelles, si involontaires, si répétées ; ils sont si habitués à emprunter à la même source, les métaphores, les comparaisons, les figures qui expliquent leur doctrine, qu'on peut dire que le Christianisme, quant à ses formes extérieures, est en plein judaïsme. Voici donc un nouveau fait d'établi. Nous savons où est né le Christianisme.

    3. Nous savons encore quel est le fondateur du Christianisme. Nous en connaissons l'auteur, et, par la nature même des choses un pareil fait ne peut être ignoré. Le fondateur d'une religion est naturellement et nécessairement l'objet de la curiosité générale. Partout où pénètre la nouvelle foi, la première question, et la plus vive, est celle-ci : « De qui vient-elle? Sur quelle autorité repose-t-elle?» La curiosité n'est jamais plus intense que lorsqu'il s'agit d'un personnage qui s'attribue une mission divine, et qui prêche une nouvelle religion. C'est le dernier homme qu'on dédaigne ou qu'on méconnaisse. Ici surtout, on peut dire que le fondateur s'impose à l'attention publique, car son histoire forme une part essentielle de sa religion. Le Christianisme n'est pas une doctrine abstraite où l'auteur n'est pas en vue. Le fondateur du Christianisme en est l'âme même. Sa religion repose sur lui, et elle trouve sa meilleure explication dans la vie de son auteur. Du reste, on peut épargner ces réflexions. La simple considération que le Christianisme a dû avoir un fondateur, et qu'on a toujours reconnu comme tel Jésus seul, place au-dessus de toute incertitude le grand fait que je veux établir.

    4. J'observe ensuite que nous ne connaissons pas seulement le fondateur du Christianisme, nous connaissons aussi les ministres dont il se servit pour prêcher et répandre sa religion dans le monde. Toute nouvelle religion a des apôtres, des premiers docteurs, et elle tient à eux par des liens intimes. Une société ne peut pus plus ignorer les maîtres qui l'ont convertie que le conquérant qui lui a imposé un nouveau gouvernement ; et là où on emploie l'art d'écrire, ce dernier événement ne sera pas transmis à la postérité d'une façon plus certaine que le premier. Tous les siècles nous attestent que des hommes appelés apôtres furent les premiers propagateurs du Christianisme, et on n'en nomme pas d'autres qui aient rempli cette fonction; il est impossible qu'un pareil témoignage soit faux.

    5. De plus, nous ne savons pas seulement quand et où et par qui le Christianisme a été introduit, nous savons aussi, d'une grande variété de sources, ce qu'était en somme cette religion quand elle sortit des mains de son fondateur. Pour en être sûrs, nous n'avons pas besoin de recourir à des livres sacrés. A compter du siècle qui suivit le Christ et les apôtres, nous avons une suite, une armée innombrable d'écrivains qui se sont occupés du Christianisme; et, si nous y trouvons une grande diversité d'opinions, et des interprétations contraires pour quelques-unes des doctrines du Christ, cependant tous ces auteurs sont si bien d'accord sur les grands faits de l'histoire du Christ, et sur le6 grands principes de sa religion, que nous ne pouvons nous tromper sur le caractère général de son enseignement. Il n'y a pas l'ombre d'une raison pour croire que la doctrine de Jésus ait été perdue, et que, sous le nom du Christ, on ait imaginé et imposé au monde un système qui ne soit pas le sien. Les corruptions du Christianisme n'en ont pas voilé et ne pouvaient en voiler les traits principaux. Les plus grandes altérations ont eu lieu dans le siècle qui suivit la mort des apôtres, lorsque des sectes extravagantes et visionnaires essayèrent de fondre ensemble la nouvelle religion et la fausse philosophie de leur paganisme. Vous jugerez du caractère et des prétentions de ces sectes quand vous saurez, qu'en général, elles s'accordaient à croire que le Dieu qui a fait le monde, et qu'adoraient les Juifs, n'était pas le Dieu suprême, mais une divinité inférieure et imparfaite, et que la matière avait existé de toute éternité, et était mauvaise par essence et toujours. Ces sectes cependant essayaient de s'appuyer sur les écrits que les chrétiens recevaient et honoraient comme étant l'œuvre des apôtres; et, au milieu de leurs illusions, elles reconnaissaient et enseignaient les miracles du Christ, sa résurrection, et les principes les plus importants de sa religion; de telle sorte qu'on peut constater de façon indubitable quelle était la nature du Christianisme au moment où il sortit des mains de son fondateur. Voilà encore un grand point de fixé.

    6. Je viens d'établir devant vous plusieurs faits qui concernent le Christianisme, et qui n'admettent pas de doute; ces faits inattaquables sont d'un grand poids dans une discussion sur les preuves du Christianisme. Reste encore un point important qu'on ne peut éclaircir aussi aisément. J'espère cependant que, sans excéder les bornes d'un discours, on en peut dire assez pour détruire le doute, et j'appelle sur ce point toute votre attention. Je dis donc que ce n'est pas seulement de façon générale que nous savons ce qu'était le Christianisme à son début, mais que nous savons d'une manière précise ce qu'enseignèrent les premiers apôtres, car nous avons leurs écrits. Nous avons leur religion écrite de leur main. Nous avons en particulier quatre récits de la vie, des œuvres et des paroles du Maître, qui nous donnent son enseignement privé aussi bien que son enseignement public. Il est vrai que, sans ces écrits, nous aurions encore de grands arguments en faveur de la vérité du Christianisme; mais nous resterions dans le doute sur quelques-uns de ses principes; et la preuve intérieure de cette vérité, qui fortifie et, suivant certaines personnes, surpasse la preuve extérieure, en serait bien affaiblie. Évidemment les écrits des premiers apôtres nous aideraient beaucoup à juger de l'Évangile. Or nous avons ces écrits, et c'est un point que je vais établir.

    Je sais que cette question n'est traitée d'ordinaire que par les savants de profession. Mais c'est une question que le bon sens peut juger, et sa grande importance appelle l'attention de tout chrétien.

    La question est de savoir, si les quatre Évangiles sont authentiques, c'est-à-dire, s'ils ont été écrits par ceux auxquels on les attribue. Pour y répondre, considérons de quelle manière on détermine l'authenticité d'un livre. Et, d'abord, il est clair que, pour connaître l'auteur d'un ouvrage, il n'est pas nécessaire d'avoir été témoin de la composition. Des innombrables publications de l'époque actuelle, peut-être n'en avons-nous pas vu une seule sous la plume de l'écrivain. Le plus grand nombre nous arrive au travers de l'Océan, et, cependant nous sommes aussi sûrs de leurs auteurs que si nous les avions vu écrire. Quand les gens qui s'intéressent à un ouvrage, et qui possèdent les meilleurs moyens de connaître la vérité, attribuent un livre à un individu, tous les doutes disparaissent. Une conviction de cette espèce, quand elle est profonde et répandue doit avoir une cause, et c'est, sans doute, que l'auteur présumé est le véritable. Rappelez-vous qu'il y a chez les hommes un penchant prononcé à connaître l'auteur d'un ouvrage important. Nous en avons eu de notre temps un exemple remarquable. L'auteur de Waverley jugea à propos de s'entourer de mystère; et qu'en résulta-t-il? Nul sujet de politique ou de science ne fut plus discuté que la question de savoir qui avait écrit cet ouvrage. Ce ne fut pas seulement une question traitée dans tous les journaux, on écrivit un livre exprès pour résoudre le problème. Cet exemple, je le sais, est particulier ; mais cette curiosité est un principe de notre nature, et elle est surtout active, quand le livre en question a une grande autorité.

    J'ai parlé de la confiance où nous sommes en ce qui touche les auteurs des livres publiés de notre temps. Mais notre certitude ne s'arrête pas là. Il n'est pas de lecteur qui ne soit aussi sûr que Hume et Robertson ont écrit les histoires qui portent leurs noms, qu'il est sûr que, de notre temps, Scott a écrit la vie de Bonaparte. Ces hommes illustres sont nés il y a plus d'un siècle, et ils sont morts avant la naissance de la plupart de ceux à qui je parle. Mais les rapports entre leur époque et la nôtre sont si faciles et si variés, que nous connaissons leurs travaux littéraires aussi bien que ceux d'aujourd'hui. Que de gens qui vivent encore ont connu des contemporains de ces historiens ! C'est par ce moyen, en particulier, que nous communiquons avec la génération qui nous a précédés, et que nous savons ce qu'elle pensait des auteurs les plus intéressants aussi bien que si nous eussions vécu de leur temps. Le siècle prochain tiendra au nôtre comme le nôtre tient au siècle passé; et nous transmettrons à nos successeurs immédiats les convictions de nos pères; vous voyez donc quel respect est dû en pareil cas au témoignage de la troisième génération.

    Vous sentez maintenant avec quelle confiance et quelle certitude on détermine quels sont les auteurs des écrits publiés de notre temps ou dans les temps les plus rapprochés du nôtre. Mais ces remarques ne s'appliquent pas moins à l'antiquité. Pour savoir si un livre ancien a été écrit par celui dont il porte le nom, il faut chercher quelle fut l'opinion des contemporains, ou de ceux qui leur ont succédé d'assez près pour avoir eu des rapports intimes avec eux. Nous avons vu que ces derniers étaient juges compétents; et, s'ils nous ont transmis leur avis dans des écrits non contestés, cette opinion est décisive. C'est sur ce témoignage, qu'avec la foi la plus ferme, nous attribuons un grand nombre de livres anciens à leurs auteurs; et, en vérité, nous reconnaissons plus d'un ouvrage de l'antiquité comme authentique, sur des preuves bien moindres. Il y a beaucoup de livres dont on ne trouve pas de mention plusieurs siècles après celui des auteurs qu'on leur donne; et, cependant, cette attribution constante est regardée comme un titre suffisant, à moins de preuve contraire. Cette attribution générale est un effet qui suppose une cause ; et l'explication la plus naturelle et la plus claire de ce qu'on nomme tel écrivain plutôt que tout autre, c'est qu'il est le véritable auteur.

    Appliquons maintenant ces principes aux quatre histoires du Christ, communément appelées Évangiles. Il s'agit de savoir quel témoignage touchant leurs auteurs nous est venu, soit des contemporains, soit d'une époque si voisine, qu'elle nous ait conservé l'opinion des contemporains. C'est par ce témoignage, comme nous l'avons vu, que l'authenticité d'un livre peut être décidée; et je commence par reconnaître qu'on ne peut trouver aucune preuve contemporaine. Nul auteur, vivant à l'époque des premiers propagateurs du Christianisme, n'a nommé les Évangiles. Le fait est qu'on n'a pas conservé d'écrits incontestables des premiers prosélytes. Quelques traités, portant les noms d'hommes liés avec les apôtres nous sont, il est vrai, parvenus; mais leur origine est entourée de tant d'incertitude, que je ne suis pas disposé à m'en appuyer. Après tout il ne faut pas être surpris que les chrétiens des premiers temps ne nous aient pas laissé d'écrits, car ce fut une époque de persécution où l'on fut plutôt appelé à mourir qu'à écrire pour la religion. Je suppose aussi, que du temps des apôtres, on attachait peu d'importance aux livres, hormis ceux qui étaient publiés ou autorisé par ces hommes éminents; et, par conséquent, ce que d'autres écrivirent se répandit peu, et fut bientôt oublié.

    Les écrits authentiques des premiers chrétiens commencent soixante-dix ans après le temps des apôtres. A cette époque il est probable qu'il ne restait plus aucun des premiers prosélytes ou des contemporains des apôtres. Mais beaucoup de ceux qui avaient connu les derniers survivants de cette noble génération vivaient encore. Lorsque les apôtres moururent, ils laissèrent derrière eux une foule d'hommes qui les avaient connus, et, dans cette foule, il y en eut beaucoup, sans doute, qui vieillirent avec la génération qui suivit. C'est à cette génération que commence la suite des auteurs chrétiens. Ainsi donc, quoique nous n'ayons point de productions du siècle apostolique pour rendre témoignage aux Évangiles, nous avons des écrits du temps qui a immédiate ment suivi, c'est-à-dire les témoignages les plus dignes de foi. Qu'enseignent ces écrits? Je réponds que leur témoignage est clair et complet. Nous y apprenons que non seulement les Évangiles existaient alors, mais qu'ils étaient très répandus, qu'on les recevait comme l'œuvre de ceux dont ils portent le nom, et qu'on leur accordait une confiance et un respect que n'ont jamais obtenu d'autres livres. On cite les Évangiles comme des livres donnés à la société chrétienne par leurs respectables auteurs, comme des actes publics et durables de la religion; on nous dit qu'on les lisait dans les assemblées qui se tenaient pour l'enseignement et la propagation de la foi. Je vous prie de peser ce témoignage. Il nous vient d'un temps qui tient à la première époque. Si les Évangiles avaient été inventés et répandus pour la première fois dans la génération qui succéda aux apôtres, cette génération les eût-elles acceptés comme des livres connus et honorés de longtemps, et comme les actes les plus précieux et de l'autorité la plus grande qui lui eussent été transmis par ses pères et ses devanciers? La chose peut sembler trop claire pour avoir besoin d'une explication; mais, comme beaucoup d'entre vous sont étrangers à ce genre de recherches, je prendrai un exemple.

    Vous savez qu'il y a un siècle, à peu près, une grande agitation religieuse se répandit dans ce pays, par le ministère de Whitfield. Supposez que quatre ouvrages parussent aujourd'hui sous le nom de quatre des hommes les plus distingués de cette époque, de Whitfield, par exemple, du vénérable Edwards, et de deux autres associés de leurs travaux religieux ; supposez que ces livres ne nous content pas seulement ce qui se passa alors, mais qu'ils contiennent des principes et des règles imposés avec autorité aux admirateurs de ces chefs religieux. Si l'on n'avait jamais parlé de ces ouvrages, croyez-vous qu'il fut possible de faire croire à leurs disciples d'aujourd'hui et au public, que ces livres ont été publiés par les auteurs auxquels on les attribue, donnés comme un code à la société religieuse, et transmis comme livres sacrés. Ce n'est là qu'un faible exemple; car Whitfield et Edwards sont des noms de peu de poids quand on les compare aux noms des apôtres dans l'église primitive.

    Nous avons donc des raisons fortes et suffisantes pour croire que les histoires qu'on nomme Évangiles furent reçues, au temps des apôtres, comme les œuvres de ceux dont elles portent le nom ; et qu'elles furent transmises avec la même vénération par les contemporains. Dira-t-on que tout cela peut être vrai, mais que du vivant des apôtres, des livres faussement revêtus de leurs noms peuvent s'être répandus. À cette supposition il suffirait de répondre que lorsqu'un ouvrage est généralement attribué à un auteur pendant sa vie, c'est la preuve d'authenticité la moins contestable. Mais j'ajoute qu'ici la preuve est décisive. Les premiers apôtres du Christianisme auxquels on attribue les Évangiles furent des hommes publics par leur mission même. Ils ont beaucoup voyagé. Ils ont été sans doute consultés par les habitants de différentes contrées au sujet de la religion nouvelle. Ils ont été l'objet d'un intérêt profond pour les premiers convertis. Ils ont vécu sous les yeux du monde. Leurs mouvements, leurs visites, leurs actions, leurs paroles, leurs écrits, ont forcément éveillé l'attention. Des livres sortis de leurs mains ont dû produire une grande sensation. Concevez une tâche plus difficile que celle d'imposer des écrits fabriqués sous ces noms, à des chrétiens et à des communautés si intimement liés avec les premiers apôtres, et si occupés de leurs efforts pour la cause commune. Les occasions de découvrir la fausseté étaient nombreuses, et s'imaginer qu'en pareil cas le mensonge puisse réussir, c'est accuser une étrange ignorance de l'histoire littéraire et de la nature humaine.

    Ajoutez que les motifs qu'avaient les premiers chrétiens de s'assurer si les écrits attribués aux apôtres leur appartenaient véritablement, étaient les plus forts qu'on puisse imaginer. J'ai parlé de la sollicitude que le monde témoigna pour découvrir l'auteur de Waverley. Le motif n'était que la simple curiosité, et, cependant, à quelles sérieuses recherches se livrèrent une foule de gens. Le nom de l'auteur n'avait, après tout, qu'une médiocre importance. Qu'il fût connu ou non, le livre était le même, ses portraits aussi pleins de vie, sa peinture du cœur humain aussi vraie et puissante. Il en est ainsi de la plupart des ouvrages. Les livres de science, de philosophie, de morale et de littérature, doivent leur importance et leur autorité à ce qu'ils contiennent plus qu'à leurs auteurs. Mais, pour les quatre Évangiles, il en était autrement. Ce n'était pas la même chose pour les premiers convertis, que ces livres vinssent d'un auteur ou d'un autre. Écrits par les apôtres ou par leurs compagnons, ces livres avaient une autorité et une sainteté qu'ils ne pouvaient tirer d'autre part. C'était un code de lois pour la communauté chrétienne, et de lois qui liaient la conscience et la vie. Supposer que de pareils ouvrages aient été reçus sans examen par tant de gens qui possédaient tous les moyens de s'assurer de la vérité, c'est supposer que les premiers prosélytes étaient des fous ou des idiots, accusation que ne porteraient pas contre eux leurs plus grands ennemis, et à quoi répond l'immense supériorité de leur religion et de leur morale sur toutes les philosophies du temps.

    J'en ai fini avec ce qu'on appelle la preuve historique ou extérieure de l'authenticité des quatre Évangiles, c'est-à-dire la preuve tirée de ce qu'ils ont été reçus et respectés comme les écrits des apôtres dans les premiers temps du Christianisme et dans ceux qui suivirent. Mais, avant de quitter ce chapitre, je toucherai une difficulté qui peut gêner quelques esprits. Beaucoup d'entre vous ont entendu dire que de très bonne heure, probablement vers le commencement du second siècle, on fabriqua des écrits sous le nom des apôtres; pourquoi, dira-t-on, les quatre Évangiles ne seraient-ils pas une de ces fabrications? La réponse est que, dès les premiers temps du Christianisme, les Évangiles, comme nous l'avons vu, furent reçus et respectés par la société chrétienne comme les écrits des apôtres, ou de leurs compagnons. Les apocryphes sont connus comme apocryphes, parce qu'on ne les a pas reçus de la même manière, parce qu'on ne les a nullement vénérés, parce qu'au contraire la communauté chrétienne les a rejetés. Voici la grande ligne de séparation. Il n'y a rien d'étonnant que, dans l'excitation produite par la première prédication et les premiers triomphes du Christianisme, mille idées extravagantes se soient produites, et qu'on ait essayé de fondre la religion nouvelle avec les doctrines régnantes ; le nom des apôtres étant entouré d'un respect particulier, il n'est pas surprenant que les chefs de sectes aient voulu donner une sanction apostolique à leurs opinions, en propageant des récits mêlés de vrai et de faux sur ces hommes éminents. Ces ouvrages ont-ils été publiés comme l'œuvre des apôtres, ou seulement comme des souvenirs conservés par leurs auditeurs, c'est une question sujette à discussion; mais, quant à l'origine de ces écrits, il ne peut y avoir de doute. Nous pouvons expliquer leur existence et le degré de faveur qu'ils obtinrent. On les fit pour autoriser les rêves ou les théories de quelques sectes extravagantes au sein desquelles ils restèrent, et avec lesquelles la plupart disparurent. Il n'y a pas une ombre de raison pour les confondre avec nos Évangiles, répandus dès l'origine par tout le monde chrétien, honorés et transmis comme les ouvrages des hommes vénérés dont ils portent le nom.

    Après avoir donné la preuve historique de l'authenticité des Évangiles, c'est-à-dire après avoir montré que les Évangiles ont été écrits par leurs auteurs reconnus, j'ajoute qu'il y a des présomptions et des preuves intrinsèques de la même vérité, qui, prises seules, sont d'un grand poids, et qui, réunies à la première forment une somme d'évidence à laquelle il est difficile de résister. Je n'ai que le temps d'en indiquer quelques-unes.

    C'est une présomption en faveur d'un auteur que le livre qu'on lui attribue n'ait jamais été attribué à d'autres. Or, je ne sache pas que l'incrédulité ait jamais nommé personne à qui l'on puisse attribuer les Évangiles plutôt qu'à ceux dont ils portent le nom. Nous n'avons pas à choisir entre différents écrivains. D'ordinaire, cette absence de rivalité est considérée comme décisive en faveur de l'auteur reconnu, à moins que le livre même ne fasse soupçonner une autre main. Pourquoi ce principe ne serait-il pas appliqué aux Évangiles?

    Une autre présomption qui dispose à croire que ces histoires furent écrites par les premiers propagateurs du Christianisme, c'est qu'on devait s'attendre à de pareils livres. On ne concevrait pas que les apôtres, que leur zèle porta au loin chez tant de nations, et qui vécurent dans un temps où on lisait et on écrivait, eussent abandonné leurs doctrines à la tradition, eussent négligé la précaution ordinaire de leur donner un corps, de les revêtir d'une forme durable, la seule qui permit de les transmettre, celle qui conservait toutes les autres religions. Il est raisonnable de supposer qu'ils écrivirent ce qu'ils enseignèrent; et, s'il en fut ainsi, il est bien difficile que leurs écrits aient été perdus. On devait recevoir et conserver leurs récits précisément comme on a reçu les Évangiles et, de là, une forte présomption en faveur de l'authenticité de ces livres.

    Les Évangiles, d'ailleurs, portent la marque qu'ils ont été écrits du temps des apôtres. Ils ne contiennent aucune trace de temps moins reculés, rien qui indique que les auteurs aient appartenu à une autre époque. Est-il besoin de faire remarquer à ceux d'entre vous pour qui de pareils sujets sont familiers, combien il est difficile pour un auteur de ne pas trahir le siècle où il vit; et la raison en est simple. Chaque âge a ses idées, ses mœurs, ses événements, ses sentiments, ses expressions qui lui sont propres; et, quiconque a été élevé dans ce milieu tombe si naturellement sous ces influences, en est si pénétré, qu'elles éclatent et se manifestent dans 6es paroles et dans ses écrits, nécessairement et sans qu'il en ait conscience. Le présent fait une impression bien plus vive que le passé, aussi l'œil du critique unit-il toujours par découvrir le siècle de l'auteur, quelque soin qu'on prenne pour imiter le style et le caractère d'un âge précédent. Or, les Évangiles ne gardent aucune trace des sentiments, des mœurs, des querelles, des événement d'un âge plus récent que celui des apôtres, et, si nous considérons qu'à l'exception de celui de saint Luc, ils ont tous l'apparence d'être l'ouvrage d'hommes simples, qui n'étaient pas habitués à la composition, cet argument a une force toute particulière. Ici je pourrais vous démontrer l'authenticité des Évangiles par le langage, le dialecte, l'idiome dans lesquels ils sont écrits. Vous comprenez facilement que, de cette manière, on peut remonter au pays et à l'âge d'un livre; mais c'est un genre de preuves qui appartient aux érudits. Néanmoins, il est satisfaisant d'apprendre que les savants les plus profonds voient dans le dialecte et l'idiome des Évangiles, un accord parfait avec ce qu'on peut attendre de Juifs écrivant au temps des apôtres.

    On peut encore tirer du style et du caractère des récits évangéliques, une autre preuve intrinsèque, et cette preuve est à la portée de tout le monde. Ils sont écrits avec la simplicité, le détail et la facilité, qui sont le ton naturel de la vérité, et qui appartiennent aux auteurs familiers avec leur sujet et écrivant d'après nature. Vous n'y découvrez rien qui sente le travail, la précaution, l'incertitude, toutes choses qu'on n'évite guère quand on prend un caractère étranger, et qu'on cherche à en imposer. Il y a une différence que chacun sent sans pouvoir l'exprimer, entre un témoin honnête et simple, qui raconte ce qu'il a vu, ou ce qu'il connaît bien, et le faux témoin qui affecte la connaissance particulière d'événements et d'individus qu'il a plus ou moins imaginés. La vérité a une franchise naturelle, une simplicité, un style et un air qui lui sont propres, et jamais récits n'ont eu ce caractère au même degré que les Évangiles. Il y a dans ces livres une chose frappante; tandis que la vie et la personne qu'ils représentent sont ce qu'il y a de plus extraordinaire dans l'histoire, le style est sans art. Nul effort pour trouver des épithètes ou une élévation de langage qui réponde à la dignité du sujet. Vous entendez des hommes simples qui vous disent ce qu'ils savent d'une personne qu'ils respectaient trop pour songer à l'embellir ou à l'exalter.

    Il est aussi bien remarquable, que le caractère de Jésus, le plus étrange et le plus élevé dont parle l'histoire, quoique le dernier qu'on pût imaginer et le plus difficile à soutenir, est cependant développé à travers une grande variété de détails et de situations avec une unité et une convenance parfaites. La force de cette preuve ne peut être comprise que par ceux qui connaissent assez l'histoire littéraire, pour apprécier la difficulté de soutenir une fraude perpétuelle. Ici cette unité est une preuve infaillible. Supposons que quatre écrivains, plus modernes que les apôtres, se soient ligués pour jouer leur rôle et fabriquer sous leur nom l'histoire de la vie du Maître. Éloignés de l'original, et n'ayant aucun modèle de son caractère dans leur propre esprit, ces faussaires auraient peint leur héros d'une main tremblante, les traits n'eussent pas été d'accord, leur personnage se serait plus d'une fois abaissé aux vues et aux sentiments ordinaires des hommes; ils auraient été surtout égarés dans le choix et la représentation des événements par la un particulière qui les aurait engagés dans cette singulière collaboration. Que quatre écrivains, dans de semblables circonstances, soutinssent jusqu'au bout un caractère aussi extraordinaire, aussi élevé que l'est celui de Jésus, et qu'ils fussent d'accord dans la peinture qu'ils en feraient, c'est un prodige que nul génie ne saurait accomplir. Je dis donc que les Évangiles portent en eux-mêmes la marque qu'ils ont été faits d'après nature par ceux qui étaient le plus à même de connaître la personne et la vie de Jésus.

    On voit combien de preuves diverses et suffisantes nous attestent que les quatre Évangiles sont l'œuvre de ceux dont ils portent le nom. J'ajoute qu'il est peu de livres anciens dont l'authenticité s'appuie sur des preuves aussi fortes. La plupart des ouvrages que l'antiquité nous a légués, et qu'on attribue avec une confiance inébranlable à ceux qui en sont réputés les auteurs, leur sont attribués sur des titres bien moindres. Sur ce point il ne doit donc rester aucun doute.

    Je m'arrête ici. Les preuves du Christianisme qui résultent des faits qu'on vient d'établir, ou qui sont fondées sur ces mêmes faits, seront le sujet d'une nouvelle discussion.

     

     

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    DidierLe Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    L'ÉGLISE. (  partie 2)

    DISCOURS PRONONCE DANS LA PREMIÈRE ÉGLISE
    CONGRÉGATIONNELLE, À PHILADELPHIE,

    Le Dimanche 30 mai 1841.

     

     

    J'ai parlé de l'Église romaine. Ma grande objection contre elle, c'est qu'elle est surtout tombée dans Terreur que je combats; elle attache une valeur idolâtre à l'institution de l'Église, elle l'exalte virtuellement au-dessus de l'esprit du Christ, au-dessus de la sainteté intérieure. Ses autres erreurs ont moins d'importance. Je ne suis point blessé quand un catholique soutient qu'un morceau de pain sur lequel un prêtre a prononcé quelques paroles magiques, est la chair et le sang de Jésus-Christ. Je vois, il est vrai, dans cette erreur un exemple de la crédulité humaine et de la faiblesse de la raison qui m'apprennent à m'humilier; mais je n'y vois rien qui attaque les principes essentiels de la religion. Mais, quand le catholique me dit que Dieu a horreur de tous ceux qui ne voient pas la chair et le sang du Christ dans l'hostie consacrée; quand il n'ouvre le bercail du Christ qu'à celui qui reçoit l'hostie de la main d'un prêtre, alors je suis choqué de ce déshonneur fait à Dieu et à la vertu, je repousse ces basses idées de notre nature morale et de la nature divine, cette cruauté avec laquelle on brise les liens de la fraternité humaine et chrétienne. Chose triste et étrange qu'un homme, élevé dans le christianisme, place la religion dans une église et dans un rite, qu'il exile de la famille de Dieu les plus sages et les plus vertueux d'entre les hommes, parce que leur conscience les force à s'abstenir de certaines règles extérieures. Est-ce que la sainteté du cœur et de la vie n'est pas chère à Dieu par elle-même, sans les manipulations d'un prêtre, sans l'action d'un pain consacré? La grande erreur du catholicisme c'est cet esprit étroit, cet aveuglement sectaire, cette exclusion qui refuse la faveur divine à des hommes pieux et vertueux, parce qu'ils ne peuvent pas manger, boire ou prier suivant certains rites. Il faut apprendre que la seule chose qui soit belle et grande aux yeux de Celui qui sait tout, c'est la vie intérieure, et que tous ceux qui vivent de cette vie sont membres du corps du Christ. Le romanisme n'est rien moins que ce qu'il se glorifie d'être, l'Église universelle. Je suis trop catholique pour m'enrôler sous sa bannière. 

    J'appartiens à l'Église universelle; rien ne m'en séparera. En disant cela, cependant, je ne suis pas l'ennemi des églises particulières. Aujourd'hui, ce qu'il y a de mieux peut-être, c'est que ceux qui ont les mêmes opinions théologiques prient ensemble, et je ne blâme point l'union de pareilles églises sous une seule dénomination, pourvu qu'on résiste avec conscience et scrupule à tout esprit sectaire, à tout sentiment étroit. Je n'éprouve pour les différentes églises de la chrétienté aucun sentiment hostile. J'ai exprimé toute la répugnance que m'inspirait l'esprit sectaire de Rome ; mais, dans cette église comme dans toutes les autres, les individus valent mieux que leur symbole, et, au milieu d'erreurs grossières et d'un enseignement étroit, on y voit naître de nobles vertus et se former d'illustres chrétiens. Un des signes qui prouvent que la nature humaine incline vers le bien, c'est qu'elle devient bonne au travers de mille influences mauvaises. De grands noms ont illustré l'église romaine. Dans ses sombres couvents a souvent brillé un ardent amour de Dieu et de l'humanité. Son saint Louis, son Fénelon, son Massillon et son Cheverus; ses missionnaires qui ont prêché le christianisme aux bouts du monde, ses sœurs de charité qui portent le soulagement et la consolation à des misères et à des souffrances sans espoir, tout cela ne nous enseigne-t-il pas que l'esprit de Dieu a trouvé une demeure dans l'église romaine?

    Mais quels mérites aussi les autres églises ne peuvent-elles pas alléguer? Dans l'église anglicane, nous trouvons les noms de Latimer, d'Hooker, de Barrow, de Leighton, de Berkeley et de Heber; chez les dissidents calvinistes, Baxter, Howe, Watts, Doddridge et Robert Hall ; parmi les quakers, George Fox, William Penn, Robert Barclay, et notre Antoine Benezet, et notre John Woolman ; dans l'église anti-trinitaire, John Milton, John Locke, Samuel Clarke, Price et Priestley. Bépéter ces noms fait du bien au cœur. Ils parfument l'air épais que nous respirons. Ils élèvent le genre humain tout entier. J'aime les églises dont ils furent les colonnes et la gloire ; et je ne blâme pas qu'on s'unisse avec elles quand on en approuve les doctrines, pourvu que cette union ne nous sépare pas de l'Église universelle. On ne peut trop insister sur ce point. Il faut fuir l'esprit de secte, comme venant de l'enfer.I1 faut frémir à la pensée d'emprisonner Dieu dans une église particulière. Nous ne devons pas croire qu'on soit meilleur parce qu'on appartient à notre communion, qu'on soit pire parce qu'on appartient à une autre. Il faut que la joie qu'excite en nous la vertu soit toujours la même, quand bien même cette vertu brillerait dans la secte qui nous est le plus opposée. L'esprit du Christ doit être également cher et honoré quelque part qu'il se manifeste. Renfermer l'amour ou la bonté de Dieu dan un parti, dans une secte, dans un nom, c'est pécher contre la loi fondamentale du royaume de Dieu; c'est briser ce lien vivant qui nous unit à l'Église universelle du Christ, et qui est l'un de nos grands moyens de perfection. J'ai indiqué les vues qui me semblent les plus importantes pour ce qui touche l'Église, et, en le faisant, j'ai peu cité l'Écriture, parce que les limites d'un discours ne permettent point de faire des citations complètes sur un point de controverse. Je me suis appuyé sur ce qui a une importance bien plus grande, je veux dire sur l'ensemble et le ton général de l'Écriture, sur l'esprit de la religion chrétienne, sur la substance des enseignements du Christ, qui disent clairement que la chose essentielle c'est la sainteté intérieure, c'est la vertu, c'est l'amour pur. Je n'ai pas non plus le temps d'examiner en détail les arguments qu'emploie chaque église pour démontrer qu'elle seule est vraie, et qu'il faut entrer dans son sein ; je ferai cependant quelques remarques sur ce point.

    Les principaux arguments sur lesquelles les églises exclusives fondent leurs prétentions, sont tirés de l'histoire et de la littérature du christianisme, des premières annales de notre foi, et des écrits des anciens pères. Une seule réflexion, je crois, fera justice de ces arguments, c'est qu'ils ne peuvent être compris ni pesés par la majorité des chrétiens. Qu'il y a peu de gens en état de se livrer à l'étude critique de l'histoire ecclésiastique, et de remuer les in-folios dès pères grecs et latins I Or, s'il était nécessaire de s'attacher à une église particulière pour recevoir les bienfaits du christianisme, est-il croyable que la découverte de cette église exigeât un savoir refusé à la masse des hommes ? Cette église ne serait-elle pas visible et brillante comme le soleil? Serait-elle cachée dans les annales imparfaites des temps lointains, ou dans les écrits volumineux d'anciens auteurs, plus remarquables par leur rhétorique que parleur jugement. Les savants ne peuvent s'accorder sur ces autorités; comment la foule des fidèles pourrait-elle les interpréter! Les Écritures ne nous guideraient-elles pas vers la seule véritable Église par des règles simples et sûres, si ne pas la trouver était la mort? Pour moi cet argument a la force d'un axiome.

    Passons à une autre méthode qu'emploient les églises pour soutenir chacune leur prétention d'être seule agréable à Dieu. C'est une interprétation forcée du langage figuré de l'Écriture. Parce qu'on y parle de l'église comme d'un corps, d'une vigne ou d'un temple, les théologiens en ont conclu que c'est une organisation extérieure qui doit réunir tous les hommes. Mais une doctrine qui est fondée sur une métaphore a peu de prix. Il n'est point d'absurdité qui ne trouve une sanction dans des figures de langage interprétées par des commentateurs timides, froids et prosaïques. Ces belles formes de langage expriment l'union étroite et tendre qui subsiste nécessairement entre les disciples éclairés et sincères d'une religion comme celle du Christ, religion dont l'âme, l'essence, la vie est l'amour; religion qui nous montre en Jésus la perfection de la charité, et qui nous appelle à boire spirituellement le sang du sacrifice, le sang répandu pour tout le genre humain. Combien l'union des cœurs et des âmes que forme une telle religion n'est-elle pas au-dessus de tous les liens extérieurs qu'établissent des rites et des cérémonies 1 Et, cependant, ce sont ces choses que des esprits grossiers ont pris pour la fin de l'Écriture, et c'est à elles qu'ils ont attribué une importance suprême. Paul ne nous a-t-il pas enseigné qu'il n'y a qu'un lien parfait, l'amour (1). Le Christ ne nous a-t-il pas dit que la marque à laquelle chacun doit reconnaître ses disciples, c'était l'amour? N'est-ce pas le sceau distinctif de la véritable Église, la vie du véritable corps du Christ? Et tout disciple, quel que soit son nom, quelle que soit la règle qu'il suive, n'est-il pas compris dans l'union chrétienne s'il est inspiré de cet amour.

    Ceux qui maintiennent la nécessité de l'union avec ce qu'ils appellent la véritable église, prétendent quelquefois que Dieu a droit de dispenser ses bénédictions de la manière et aux conditions qui lui plaisent; que s'il juge à propos de communiquer son saint esprit par l'intermédiaire d'un certain sacerdoce ou de certaines cérémonies, nous sommes tenus de chercher ce bienfait d'après les règles que Dieu a établies; et qu'ayant en effet choisi cette manière de le communiquer, il peut avec justice le refuser à ceux qui ne se soumettent pas à ses lois. Je réponds que, quant au droit qu'a le Père infini d'accorder ses bienfaits de la manière qui parait le plus convenable à sa sagesse et à son amour infinis, personne ne saurait avoir assez peu de respect pour le contester. Mais n'est-il pas raisonnable de croire que Dieu adopte des moyens ou des conditions qui paraissent d'accord avec sa perfection? Et ne faut-il pas nous mêler de ce qui paraît contraire à sa gloire? Supposez, par exemple, qu'on me dise que le Père infini a décidé de donner son saint esprit à ceux qui se baigneront dans la mer. Avant d'obéir ne devrais-je pas exiger les preuves les plus claires et les plus incontestables d'une décision en apparence si indigne de la majesté et de la bonté suprêmes? N'y a-t-il pas une présomption des plus fortes qui s'élève contre ce qu'on me dit. Que le Père infini, qui est toujours présent dans l'âme humaine, qui l'aime d'un amour indicible, qui l'a créée pour être en communion avec lui, qui se plait à lui communiquer sa grâce, fasse d'un bain la condition, le moyen de communication spirituelle, c'est chose si improbable, que j'ai droit d'exiger les preuves les plus fortes. Or, je trouve autant de difficulté dans la doctrine qui affirme que Dieu accorde son saint Esprit à ceux qui reçoivent des mains ou des lèvres d'un prêtre privilégié le pain et le vin, ou la chair et le sang, ou une forme de bénédiction, ou le baptême, ou toute autre assistance extérieure. L'acte le plus glorieux, la plus éclatante manifestation du pouvoir et de l'amour de Dieu, c'est d'éclairer, de vivifier et de purifier l'âme immortelle. S'imaginer que cette action tienne à des paroles, à des signes, à des rites extérieurs, administrés par un de nos semblables. fragile comme nous, supposer qu'elle soit empêchée ou affaiblie par l'absence de ces rites, c'est, ce me semble, une insulte à la sagesse et à la bonté divine ; c'est abaisser le trône pur et infini; c'est poser des limites à l'influence de Dieu; c'est assimiler le culte suprême à celui des idoles.

    Les Écritures nous enseignent « que Dieu accorde sa grâce aux humbles; qu'il donne son saint Esprit à ceux qui le demandent. » Voici la grande loi des communications divines; et nous en sentons la sagesse; l'âme qui a soif du secours divin est la mieux préparée à en faire un bon usage. Et pouvons-nous croire que les prières et les aspirations d'une âme repentante et altérée, aient besoin d'être aidées par le service extérieur d'un ministre ou d'un prêtre? ou que faute de cela elles parviennent moins facilement aux oreilles du Père qui est présent partout et qui aime tous les hommes? Mon cœur repousse cette doctrine comme étant contraire à la gloire de Dieu, et je ne l'admettrai jamais sans preuves évidentes. Il me faut autre chose que des métaphores, des analogies et des syllogismes. Il me faut un témoignage divin et exprès. Où est-il? Ne savons nous pas que des milliers et des millions de chrétiens qui ont témoigné de leur foi par leur vie et leur mort, n'ont pu trouver ce témoignage ni dans les Écritures, ni ailleurs? Et croirons-nous que la communion de ces saints avec Dieu a été affaiblie ou rompue parce qu'ils se sont abstenus de cérémonies, où leur conscience ne pouvait reconnaître un établissement divin. Qu'une doctrine si déraisonnable et si extravagante entre dans l'esprit d'un homme qui peut lire le Nouveau - Testament, c'est ce qui paraîtrait impossible, si l'histoire ne nous montrait pas que non seulement on l'a crue, mais qu'on en a fait le fondement de l'intolérance la plus cruelle et des persécutions les plus sanglantes.

    Croire que, par un décret de sa volonté souveraine, Dieu communique sa grâce ou son esprit au moyen de certains rites à ceux qui sont unis à une certaine église, et que ce bienfait n'est promis qu'à ces privilégiés, c'est une idée qui n'est fondée ni sur l'Écriture ni sur la raison. L'Église n'est pas un établissement arbitraire; elle ne repose pas sur le caprice; elle a été ordonnée pour accomplir le progrès spirituel qui est la fin du Christianisme. Elle répond à notre nature. C'est une union de moyens, d'actions et de services nécessaire à des créatures morales et raisonnables. Elle n'a rien de commun avec les opérations magiques si communes dans les fausses religions. Son action est simple et à la portée d'un esprit ordinaire. Ses deux grands rites, le baptême et la communion, ne sont pas faits pour agir comme des charmes. Débarrassés des erreurs et des superstitions qui s'y sont attachés pendant des siècles, et administrés comme ils doivent l'être, avec amour et solennité, ce sont de puissants moyens pour rappeler à l'esprit de grandes vérités, et pour toucher le cœur ; c'est pour cela qu'ils sont établis. L'excellence de l'église, c'est qu'elle seconde la sainteté ; là où elle atteint ce but, sa tâche est remplie, et l'on ne peut en concevoir de plus grande ni sur la terre ni au ciel. Mais, aussitôt que nous fermons les yeux à cette vérité, et que nous imaginons que l'église nous sert par des cérémonies qui n'ont d'efficacité que dans la main des prêtres, nous nous plongeons dans la religion des ombres et des superstitions. Nous n'avons plus de terrain où marcher, plus de lumière qui nous guide. Cette force mystérieuse, placée dans la main de nos semblables, tend à donner un esprit servile à la masse des chrétiens, tend à diminuer l'énergie et le respect personnels, et à abaisser l'intelligence jusqu'à lui faire recevoir les dogmes les plus absurdes. La religion perd sa simplicité et sa grandeur, elle dégénère en un mécanisme. La conscience est apaisée par quelque chose qui n'est plus le vrai repentir; il est un autre moyen de gagner le ciel que la pureté du cœur et de la vie. Le plus sûr moyen de rendre l'âme lâche et servile, c'est une église qui s'étend au loin et qui se tient étroitement unie, dont les pouvoirs sont concentrés dans les mains - d'un ordre sacré, et qui s'arroge par ses rites ou par ses ministres, une action sur le monde à venir, sur le bonheur ou le malheur éternel. L'influence inévitable et dégradante d'une pareille église, est un argument évident contre la divinité de son origine.

    On a écrit volumes sur volumes pour défendre chacune des églises, qui se déclare la seule vraie, et prétend que seule elle est agréable à Dieu. Mais le chrétien illettré a une réponse toute prête. Il n'a pas besoin de la chercher dans les bibliothèques. Il la trouve, presque sans la chercher, dans des passages évidents du Nouveau Testament et dans son propre cœur. Il lit et il sent que la religion est une vie intérieure. Cela, ce n'est pas par ouï-dire qu'il le sait; ce qui l'instruit, c'est sa conscience, c'est l'abattement de son âme dans le repentir, c'est l'abandon de sa volonté à la volonté divine, c'est sa reconnaissance qui déborde, c'est sa foi, c'est un nouvel amour de ses semblables. Dites à cet homme que les promesses du christianisme n'ont pas été faites pour lui, qu'il ne peut approcher de Dieu parce qu'il n'est pas membre de telle église? Est-ce que cet accès auprès de Dieu ne lui a pas déjà été accordé ? N'a-t-il pas prié dans ses douleurs, et n'a-t-il pas été consolé? N'a-t-il pas prié dans ses tentations, et n'a-t-il pas été fortifié? N'a-t-il pas trouvé Dieu près de lui dans la solitude comme au milieu de la foule? A-t-il soif d'autre chose que de se rapprocher de la divine pureté ? Et peut-il douter que Dieu veuille le secourir, parce qu'il ne trouve pas dans l'Écriture un commandement qui l'oblige de s'attacher à telle ou telle église? Avec quelle facilité l'expérience du vrai chrétien fait disparaître ces toiles d'araignées de la théologie ! Il aime et il respecte Dieu, et trouve dans cet amour un avant goût du ciel ; est-ce que le ciel peut lui être fermé par des censures ecclésiastiques? Il a senti le pouvoir de la croix, de la résurrection et des promesses de Jésus-Christ; l'exclusion et le bigotisme des hommes, est-ce là « une montagne ou un abîme » qui puisse le séparer de son Seigneur? Cet homme peut mourir pour la vérité et l'humanité, qui donc est assez orgueilleux de son union avec la véritable église pour se lever et fui dire : « Je suis plus saint que toi? » Lorsque, par la lecture ou la conversation, vous pénétrez dans les cœurs des chrétiens de toute secte, et que vous y découvrez le travail profond, les luttes et les aspirations de la piété, n'y voyez-vous pas les marques de la présence et de l'action divine, marques plus vraies et plus frappantes que toutes les harmonies et tous les bienfaits du monde matériel ? Qui donc emprisonnera l'esprit de Dieu dans une secte ou un lieu quelconque? Qui ne le reconnaîtra dans ses fruits de bonté, de justice, de pureté et de piété, partout où il les trouvera ? Qui ne le saluera comme le signe infaillible du fidèle accepté de Dieu?

    Un mot encore sur les arguments qu'on fait valoir en faveur du droit exclusif de telle ou telle église. Ils perdent chaque jour et nécessairement de leur force. L'effet des arguments dépend surtout de l'intelligence de ceux auxquels ils s'adressent. Ce qui est une preuve pour moi ne l'est pas pour un autre. Une preuve sans réplique autrefois peut être aujourd'hui sans valeur. Nos raisonnements sur les choses de la vie ne se font pas d'après les procédés d'une froide logique, ils n'ont pas une place à part dans l'esprit; ils tiennent à nos sentiments dominants, à notre manière dépenser. En général, il n'y a de vérité pour nous que celle qui s'accorde avec le ton ordinaire de notre âme, avec l'ensemble de nos impressions, avec les résultats de notre expérience, avec le degré de notre développement intellectuel, et surtout avec ces convictions profondes et ces penchants qui constituent ce que nous appelons le caractère. Or, le progrès de la civilisation ainsi que l'expansion de l'esprit, donnent à la pensée et au sentiment un ton qui ne répond plus à l'esprit d'église, à la confiance dans des cérémonies qu'on prétend essentielles au salut. A mesure que le monde avance, il laisse derrière lui les formalités. Plus on va au cœur des choses, moins on s'occupe de l'extérieur. A mesure que la religion devient une vérité, les apparences nous fatiguent. Avec la marche des siècles on voit paraître en plus grand nombre des hommes dont la pensée est mûre et l'esprit indépendant, qui savent se respecter eux-mêmes en respectant Dieu, et qui ne peuvent, sans un sentiment voisin de la honte, sans se sentir dégradés, se soumettre à une église qui entasse des observances extérieures, rigides et matérielles dans le culte dû au Père infini. Une voix intérieure proteste contre la répétition perpétuelle des mêmes signes, des mêmes gestes, des mêmes paroles, comme choses indignes de notre intelligence, indignes de Celui qui a droit à l'hommage le plus élevé de la raison et du cœur. L'esprit filial proteste contre cet abus. Dans la vie ordinaire une âme noble et cultivée s'exprime de façon naturelle, simple et libre, il en est de même pour la religion. Le progrès du christianisme, progrès qui continuera, n'est sous un autre nom que la progrès de la connaissance et de la pratique de ce culte spirituel du Père, que le Christ u proclamé comme étant le but de sa mission; devant cette adoration, l'idolâtrie des formes et des organisations ecclésiastiques ne pourra pas tenir. Les églises exclusives ont donc à lutter contre un courant qui grossit sans cesse, et qui, tôt ou tard, emportera leurs prétentions orgueilleuses. Qu'importe que telle ou telle église appelle à son aide les pères, la tradition, des usages vénérés ? Le génie du christianisme est plus fort que tout cela. Les grandes idées de la religion triompheront d'interprétations étroites et fausses. Aussi, je ne m'alarme pas au récit des victoires de l'église catholique. L'esprit du christianisme est plus fort que les papes et les conciles. Sa vénérable et divine beauté fait honte aux dignités et aux pompes de la hiérarchie ; et on reconnaîtra de plus en plus que cet esprit seul est essentiel au salut. De toute cette discussion, il vous est aisé de conclure comment je comprends l'Église, et quelle est l'importance que j'y attache. Envisagée dans sa véritable idée où regardée comme l'union de ceux qui ont part à l'esprit de Jésus-Christ, je la révère comme la plus noble de toutes les unions. Nos associations ordinaires ne sont rien en comparaison. Dans le monde nous formons des liens d'intérêt, de plaisir, d'ambition. Créatures du temps et des sens, nous nous réunissons pour un amusement passager ou par ostentation; mais, à l'église nous nous réunissons comme enfants de Dieu ; nous reconnaissons en nous quelque chose de plus noble que cette vie mondaine. Nous allons au temple pour que la piété gagne d'un cœur à l'autre. L'Église, c'est un refuge contre le monde. On y entre, afin de s'unir avec les saints, et de gagner la force nécessaire pour résister à la société des impies. On y entre pour adorer Dieu, pour ouvrir son âme à l'esprit divin, pour reconnaître un Père commun, pour oublier toutes les distinctions, pour embrasser tous les hommes comme des frères. Cette union spirituelle avec les saints qui ne sont plus et avec ceux qui vivent encore, c'est le commencement de cette fraternité parfaite qui constitue le ciel. Elle survivra à tous les liens. Les liens de mari et d'épouse, de père et d'enfant sont brisés par la mort; l'union des vertueux amis de Dieu et de l'humanité est éternelle comme la vertu, et cette union est l'essence de la véritable église.

    Entendue de cette façon large et spirituelle l'église est un lien d'une dignité et d'une importance suprêmes. Mais quant à l'union avec une secte particulière pour avoir une instruction commune et un culte public, quelque importante qu'elle soit, je ne la regarde pas comme le principal moyen d'obtenir la grâce. Pour chercher du secours pour nous-mêmes, et pour aider les autres, il nous faut sans doute maintenir des institutions religieuses, « en nous rassemblant au nom du Christ. » L'influence du christianisme se perpétue et s'étend par les devoirs de piété remplis en public, par la « communion visible des saints. » Mais il n'en est pas moins vrai que ces secours publics ne viennent qu'au second rang. La piété particulière est quelque chose de plus efficace. Le grand œuvre de la religion doit s'accomplir, non pas en société mais en secret, dans l'âme solitaire, dans le silence du cabinet. La communion avec Dieu est le moyen par excellence, c'est la nourriture et la vie de l'âme, et nous communiquons avec Dieu dans la solitude mieux que partout ailleurs. C'est là que la présence divine se fait le mieux sentir. C'est par le soupir d'une âme que rien ne gêne, c'est par l'ouverture du cœur tout entier à « Celui qui voit ce qui est caché ; » c'est en passant en revue l'histoire de notre âme, c'est en rentrant en nous - même, c'est par la réflexion, c'est en nous consacrant à une nouvelle vertu, de nous-même et par le propre effort de notre esprit, c'est par là que nous avançons dans la vie religieuse bien plus qu'avec des réunions publiques.

    C'est chose ordinaire que de parler du temple comme d'un lieu saint; mais il n'y a pas là une sainteté exclusive. L'endroit le plus saint sur la terre est celui où l'âme exhale ses vœux les plus purs et conçoit ou exécute ses plus nobles résolutions; ainsi donc, s'il me fallait chercher l'endroit le plus saint de votre ville, je n'irais pas à vos splendides sanctuaires, mais à quelque réduit où l'on prie en secret. Peut-être que le « Saint des saints » au milieu de vous est quelque chambre étroite et sombre, que la plupart d'entre nous auraient horreur d'habiter ; mais Dieu séjourne là. Il entend là une harmonie qui lui est plus agréable que celle de vos orgues, il voit là une beauté telle que la nature n'en déploie jamais dans ses robes de printemps, car là il trouve, il voit, il entend le plus humble, le plus reconnaissant, le plus fidèle de ses adorateurs; il voit les plus dures épreuves soutenues avec calme, les injures les plus cruelles pardonnées ; il voit des fatigues et des sacrifices supportés avec joie, et la mort abordée avec une foi triomphante au travers de la pauvreté, de la maladie et de l'abandon. La consécration que de pareilles vertus donnent à l'endroit le plus obscur, n'est pas et ne peut pas être communiquée par ces rites extérieurs qui consacrent à Dieu nos splendides édifices.

    Vous voyez le rang qui appartient à l'Église, qu'elle soit réunie en un seul endroit ou répandue sur toute la terre. C'est une union sainte et bénie: mais il ne faut pas la placer au-dessus des autres secours religieux. Les grands secours de la piété sont secrets et non publics. Le chrétien ne peut pas vivre sans prier; il peut vivre et avancer sans une église particulière. La Providence peut nous placer loin de nos frères dans la foi, là où l'on n'entend pas le son de la cloche du Dimanche, loin de tout office; et nous pouvons trouver des Dimanches et des offices dans notre cœur. La maladie peut nous séparer de l'église extérieure aussi bien que du monde des vivants, et cependant l'âme peut être saine et prospérer. Il y a eu des hommes d'une piété éminente qui, par conscience, se sont tenus à l'écart de toute communion et de tout culte extérieur. Dans les dernières années de sa vie, Milton, cette grande âme, avait renoncé à tous les temples élevés par la main des hommes, et n'adorait plus que dans le sanctuaire intérieur. Ainsi fit William Law, l'auteur d'un livre remarquable : l'Appel sérieux à une sainte vie. Son excès de dévotion (car chez lui la dévotion fut excessive) lui faisait dédaigner tous les actes de piété à heure fixe. Il vécut dans la solitude afin de faire de sa vie une prière perpétuelle. Je ne cite pas ces hommes comme des modèles en ce point. Ils se sont mépris sur les besoins de l'âme, ils ont mal compris les Écritures. Malgré toute leur spiritualité, ils eussent trouvé de la force morale et de saintes impulsions dans l'association religieuse. Mais ces exemples nous apprennent à n'exclure personne de la grâce de Dieu, parce qu'on s'est séparé de l'Église extérieure.

    La morale de ce discours est claire. La sainteté intérieure, l'amour pur, un attachement désintéressé à Dieu et à l'homme, la simplicité du cœur et de la vie, la vraie grandeur du caractère, voici la seule chose nécessaire, voici l'essentiel en religion ; tout le reste : ministres, églises, offices, lieux consacrés au culte, ne sont que des moyens, des secours, des influences secondaires sans aucune valeur quand ils sont séparés de cet essentiel. S'imaginer que Dieu regarde autre chose que cela, qu'il considère autre chose que le cœur, c'est lui faire injure, c'est montrer une triste ignorance du caractère divin. La bonté, la pureté, la vertu, voilà quelle est la seule distinction devant Dieu. Voilà ce qui, en soi, par essence, est et sera éternellement aimable, beau, glorieux, divin. Voilà qui ne doit rien au temps, aux événements, aux choses extérieures. Voilà qui brille de son propre éclat. C'est le soleil de l'univers spirituel. C'est Dieu lui-même habitant l'âme humaine. Peut-on en parler légèrement, parce que tout cela n'a pas grandi dans une certaine église? Peut-on exalter une église au-dessus de cela? Mes amis, l'une des plus grandes vérités de la religion, c'est l'importance suprême du caractère, de la vertu, de l'esprit divin qui a brillé dans le Christ. La grande hérésie c'est d'y rien substituer: symbole, forme, église, peu importe. Un des plus grands outrages qu'on puisse faire au Christ, c'est de mépriser son caractère et sa vertu dans un disciple qui, par hasard, porte un nom différend du nôtre.

    Quand je me représente la véritable vertu ou la véritable bonté, non pas celle qui se compose de qualités extérieures et de calculs prudents, mais celle qui choisit le devoir pour lui-même, et comme le premier intérêt ; qui respecte les droits de tout être humain, qui travaille et souffre avec courage et patience pour la vérité et pour le bien-être d'autrui; qui joint l'énergie à la douceur, et une humilité profonde au respect de soi-même ; qui met toute sa foi en Dieu, qui communie intimement avec lui, qui s'efforce de soumettre à la sainte volonté toutes ses pensées, ses rêves, ses désirs; qui s'attache à la promesse de la vie éternelle, et, forte de cet espoir, endure avec calme et fermeté les maux les plus cruels de la vie; alors, devant un tel spectacle disparaissent pour moi toutes les distinctions dont les hommes s'enorgueillissent. La richesse est misérable, l'honneur du monde est mesquin, sa pompe est d'un mendiant. Condition, pays, église, tout perd son importance. Devant cette grandeur simple, je m'incline et j'admire. Le prêtre sous ses ornements, l'autel étincelant, la foule, l'orgue retentissant, tout l'extérieur de la religion s'efface à mes yeux quand je vois l'homme grand et vertueux, l'âme sainte et désintéressée. Moi-même, avec une vue si faible, un cœur si froid, je vois, je sens la divinité, la grandeur de la véritable vertu. Comment Dieu doit-il donc la regarder! Qu'elle doit être belle à ses yeux si purs I Est-il possible que personne s'en détourne parce que de l'eau n'a pas été versée sur le front de l'homme vertueux, ou du pain mis entre ses lèvres par un ministre, ou parce qu'on ne lui a pas appris à répéter quelque symbole mystérieux ordonné par une église ou un concile.

    Mes amis, révérez la vertu, la sainteté. la volonté droite qui sans jamais fléchir s'attache au devoir et à la pure loi de Dieu. Ne révérez rien en comparaison de cette vertu. Regardez-la comme la fin. et toutes les cérémonies comme des moyens. Par elle jugez les hommes. Que l'église à laquelle appartient un individu ne vous donne de lui ni une meilleure, ni une plus mauvaise opinion. Jugez-le d'après ses fruits. Chassez de vos cœurs le démon de secte, d'étroitesse, île bigotisme, d'intolérance. Ce n'est pas un péché léger, comme nous sommes portés à le croire. C'est la négation de la souveraineté de la vertu. C'est mettre quelque chose : une forme, un dogme, au-dessus de la pureté du cœur et de la vie. Le sectaire se mure dans son église comme dans un donjon, et là il perd l'air pur, la lumière brillante, la vue fortifiante, la céleste beauté de l'église universelle.

    Mes amis, je sais que je parle à des gens qui différant d'opinion sur plus d'un point de théologie et de controverse. Nous avons grandi sous des influences diverses. Nous portons des noms différents. Mais, si nous nous proposons solennellement de faire la volonté de Dieu, et si nous suivons les préceptes et l'exemple du Christ, nous sommes une même église ; que rien donc ne nous sépare. Des diversités d'opinion, de goût ou d'habitude, peuvent nous empêcher d'adorer Dieu sous le même toit, avec les mêmes formes; mais ces variétés ne sont pas des schismes; elles ne brisent pas l'unité de l'église du Christ. Nous pouvons toujours nous respecter, nous aimer les uns les autres, nous réjouir de notre vie et de notre progrès spirituels, tout aussi bien que si nous avions été jetés dans un seul et même moule. Dieu aime la variété dans la nature et dans l'âme humaine, et il ne la rejette pas dans le culte chrétien. Nous sommes, je l'espère, tous d'accord sur beaucoup de grandes vérités, sur celles qui vivifient, qui purifient et consolent le mieux. Il y a aussi un terrain commun, la pratique, un terrain placé en dehors de toute controverse, sur lequel nous pouvons tous nous rencontrer. Nous pouvons tous unir nos cœurs et nos mains afin de faire le bien, afin de répondre à l'amour que Dieu a pour les hommes. Travailler et souffrir pour la cause de l'humanité, propager l'intelligence, la liberté et la vertu, faire connaître Dieu, le faire respecter, aimer, imiter par ses créatures, résister aux abus et à la corruption des siècles passés, rechercher et tarir les sources de la misère, sauver de l'intempérance ceux qui sont tombés, secourir la veuve et l'orphelin, éclairer et élever les malheureux, briser le joug des opprimés et des esclaves, combattre l'esprit et les horreurs de la guerre, envoyer la parole de Dieu aux bouts de la terre, racheter le monde du péché et de la souffrance; voici notre œuvre commune. Les anges et les purs esprits qui visitent la terre n'y viennent pas pour se joindre à une secte, mais pour faire du bien à tous. Puisse cette charité universelle descendre sur nous et posséder nos cœurs, puisse notre étroitesse, notre esprit d'exclusion et de bigotisme fondre sous la douceur de ce feu céleste ! C'est ainsi que nous nous unirons non seulement à l'église universelle du Christ sur la terre, mais encore à l'Église invisible, à l'innombrable compagnie des justes devenus parfaits, dans les demeures de la pureté et de la paix éternelles.

     

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    Didier Le Roux

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  • W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    L'ÉGLISE. (1ère  partie)

    DISCOURS PRONONCE DANS LA PREMIÈRE ÉGLISE
    CONGRÉGATIONNELLE, À PHILADELPHIE,

    Le Dimanche 30 mai 1841.

     

     

    "Tous ceux qui me diront : Seigneur! Seigneur! n'entreront pas dans le royaume des cieux, mais celui-là qui fera la volonté de mon père qui est au ciel. Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en ton nom, et en ton nom chassé les démons, et en ton nom fait des miracles? Et alors je leur dirai ouvertement : Je ne vous ai jamais connus; éloignez-vous de moi, vous qui faites le métier d'iniquité.

    Quiconque entend donc mes paroles et les met en pratique, je le compare à l'homme sage qui a bâti sa maison sur le roc; et la pluie est tombée, et les torrents sont venus, et les vents ont soufflé et ont battu cette maison, et elle n'est pas tombée, car elle était fondée sur le roc.

    Mais quiconque entend mes paroles et ne les met pas en pratique sera comparé à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable; et la pluie est tombée, et les torrents sont venus, et les vents ont soufflé et ont battu cette maison, et elle est tombée, et sa ruine a été grande." (mattnteu, VII, 21-27.)

    Ces paroles, qui servent de conclusion au discours de Jésus sur la montagne, nous enseignent une grande vérité, c'est que, dans la religion, il n'y a qu'une chose essentielle, et cette chose c'est de faire la volonté de Dieu, c'est de pratiquer les préceptes qui constituent la substance de ce mémorable discours. Nous apprenons qu'il ne nous servira de rien d'appeler Jésus-Christ : Seigneur! de nous intituler ses disciples, d'écouter ses paroles, d'enseigner en son nom, de prendre place dans son Église, ou même de faire des miracles en témoignage de sa vérité, si nous négligeons d'entretenir en nous l'esprit et les vertus de sa religion. Dieu ne s'occupe pas de ce que nous disons, mais de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. La soumission de notre volonté à la volonté divine, la mortification des penchants sensuels et égoïstes, l'amour de Dieu par dessus toutes choses, la justice et la charité envers notre prochain, telle est la véritable essence de la religion ; cela seul nous place sur le roc ; c'est la seule fin, c'est le bien suprême qu'on doit estimer et chercher avant tout.

    C'est là une vérité aussi simple qu'elle est grande; l'enfant peut la comprendre, et cependant, dans tous les âges, les hommes l'ont dédaignée ; ils ont essayé de remplacer par autre chose la pureté du cœur et de la vie ; ils ont espéré se recommander à Dieu et entrer dans le royaume des cieux par quelque autre moyen. Les cérémonies, les symboles, les églises, le sacerdoce, les sacrements, ces choses et d'autres encore ont été proclamées l'essentiel. Le seul titre pour gagner le ciel, celui qui en soi-même est le ciel, je veux dire la vertu et l'esprit de Jésus-Christ, on l'a obscurci et déprécié, tandis qu'on a regardé la croyance à certains mystères ou l'union avec une certaine église comme le chemin étroit qui conduit à la vie. Dans un seul discours je n'ai pas le temps de faire connaître toutes les erreurs qu'on a répandues sur ce sujet ; je n'en toucherai qu'une, qu'on ne trouve pas seulement dans le passé, mais qui n'est que trop générale au temps où nous vivons.

    Il a toujours existé et il existe encore un penchant à attacher une importance exagérée à « l'église » à laquelle on appartient. Être membre de la « véritable église » c'est, on l'affirme, chose essentielle au salut. Des millions d'hommes ont cherché leur consolation et souvent trouvé leur perte dans l'idée que la « véritable église » les enlaçait de ses bras maternels, car ils se sont contentés de cette idée. Des chrétiens ont combattu à propos de « l'église » comme si c'était une question de vie ou de mort. Le catholique romain vous ferme la porte du ciel parce que vous ne voulez pas entrer dans son église. Parmi les protestants, il en est qui vous disent que les promesses du christianisme n'ont pas été faites pour vous, quel que soit votre caractère, à moins que vous ne receviez les préceptes chrétiens des ministres de leur église. La source d'où découle le salut, c'est un certain sacerdoce, un ordre héréditaire, des rites particuliers accomplis par des fonctionnaires consacrés. Même chez des sectes qui n'élèvent pas ces prétentions exclusives, vous trouverez encore l'idée qu'un homme est plus en sûreté dans leur église qu'ailleurs; ainsi on fait un moyen de salut de quelque chose qui n'est pas la pureté chrétienne du cœur et de la vie.

    C'est cette erreur que je veux combattre. Je veux prouver que l'esprit du Christ, que la vertu du Christ, ou la mise en pratique du sermon sur la montagne, est la grande fin de notre religion, la seule chose essentielle, et que toutes les autres n'ont d'importance qu'autant qu'elles servent à cela. Je sais bien qu'un très grand nombre de personnes adoptent cette doctrine, mais trop souvent leur conviction n'est ni profonde ni vive, et elle est affaiblie par des idées superstitieuses sur la mystérieuse influence que l'Église, ou quelque autre agence étrangère exerce sur notre salut. Pour combattre ces tendances erronées je n'entreprendrai pas de prouver d'une manière méthodique, par des procédés logiques, tout ce qu'il y a d'importance, de bonheur et de gloire, dans la justice, la sainteté, l'amour de Dieu et de l'homme; je ne démontrerai pas que cela seul est indispensable : cette vérité brille assez de son propre éclat. On la trouve partout dans le Nouveau Testament, et c'est un évangile qu'une main divine a écrit dans nos âmes. Pour la défendre contre les prétentions qu'on élève au nom de l'Église, il suffira de présenter quelques simples remarques dans l'ordre où elles s'offrent à mon esprit.

    Je vois d'abord que, dans le sermon sur la montagne, Jésus n'a rien dit de l'Église, et on ne voit nulle part que ni lui ni ses disciples aient tracé un plan déterminé pour l'organisation de l'Église, ni qu'ils aient donné un rituel pour le culte. Ceci ne doit pas nous surprendre; car c'est ce qu'on devait attendre d'une religion telle que le christianisme. Le judaïsme avait été destiné à l'éducation d'une nation particulière, à demi civilisée et entourée de l'idolâtrie la plus grossière ; aussi l'enfermait-il dans un cercle de formes multipliées et rigides. Mais le christianisme, au contraire, se propose comme fin suprême de répandre le culte intérieur et spirituel de Dieu parmi toutes les nations, à tous les degrés de la civilisation, sous chaque climat, dans chaque gouvernement et chaque condition ; une pareille religion ne peut s'emprisonner dans une forme particulière. A considérer, surtout, qu'elle est faite pour durer pendant tous les siècles, pour agir sur tous les temps, pour s'allier à de nouvelles formes sociales et aux plus nobles progrès de l'humanité, on ne peut s'attendre à ce qu'elle ordonne un mode d'administration immuable; il faut que chez elle les formes de culte et de communion s'adaptent par degrés et sans bruit aux besoins et à la marche de l'humanité. Les rites et les arrangements qui conviennent à une époque perdent leur raison d'être ou leur efficacité dans une autre. Les formes qui aujourd'hui sont un secours pour l'esprit pourront l'enchaîner plus tard, et doivent céder devant son libre développement. Une religion qui n'a pas cette liberté et cette flexibilité porte en soi-même la preuve manifeste qu'elle n'a pas été destinée à régner partout et toujours. La preuve que le Christ est venu pour laisser son héritage à toutes les nations, c'est qu'il n'a pas institué pour toutes les nations et tous les temps un mécanisme précis de formes et de règles extérieures, c'est qu'il n'est pas entré dans le détail du culte et du gouvernement de son Église, mais qu'au contraire il a laissé l'esprit et le progrès des siècles décider de ces choses extérieures. Par conséquent, nulle forme d'église particulière ne peut être essentielle au salut. Nulle église ne peut prétendre que sa constitution soit déterminée et ordonnée dans les Écritures de façon si claire que, ne pas s'y soumettre, ce soit visiblement désobéir à Dieu. Dans toutes les églises on trouve le même respect chez les fidèles, et c'est une preuve que dans toutes nous pouvons obtenir également la faveur de Dieu.

    C'est un point digne de remarque que, par la nécessité des choses, l'Église prit d'abord une forme qu'elle ne pouvait longtemps conserver. Elle fut gouvernée par les apôtres qui l'avaient fondée, c'est-à-dire par des hommes qui avaient connu le Christ en personne et reçu la vérité de sa bouche, qui avaient été témoins de sa résurrection, et avaient été enrichis entre tous par les lumières et les secours de son esprit. Les apôtres présidaient l'Église avec une autorité qui leur était propre, et à laquelle personne après eux ne pouvait prétendre. Ils comprenaient l'esprit du Christ comme personne ne pouvait le faire, excepté ceux qui avaient joui d'une intimité étroite avec Jésus ; et ils n'étaient pas seulement envoyés avec le don des miracles, mais encore, par l'imposition des mains, ils conféraient aux autres ces dons de l'Esprit. Cette présence d'apôtres inspirés et cette puissance surnaturelle donnèrent à la primitive église un caractère qui la distingue profondément de la forme qu'elle devait prendre plus tard.

    Nous en avons une preuve remarquable dans un passage où Paul place sous nos yeux les fonctions exercées dans la première église. « Dieu a établi dans l'Église des apôtres, des prophètes, des docteurs, les miracles, les dons de guérison, les secours, les gouvernements, les diversités de langage '. » Or, de tous ces dons ou offices il ne nous en reste qu'un seul aujourd'hui, celui de docteur. Les apôtres, les fondateurs et les héros de la primitive église ont disparu avec la puissance qui leur était propre, laissant pour les représenter leurs écrits que nous devons tous étudier. Les docteurs restent, non point parce qu'ils ont existé dans les premiers temps, mais parce que leur fonction est toujours nécessaire par sa nature même et par la condition de l'humanité. Et, néanmoins, cette fonction a subi un changement considérable. A l'origine le docteur chrétien fut en communication directe avec les apôtres, il en reçut des secours miraculeux; il eut ainsi des moyens de s'instruire qu'aucun de ses successeurs n'a possédé. Aujourd'hui le ministre chrétien ne peut approcher des apôtres que comme le font les autres hommes, c'est-à-dire en lisant les évangiles et les épîtres, et, pour interpréter les Écritures, il ne reçoit pas d'en haut plus d'aide que le simple fidèle. La promesse du Saint-Esprit, la plus grande de toutes, est faite sans distinction de fonction ou de rang à quiconque implore avec persévérance le secours divin; et ceci établit entre tous une égalité essentielle. Une prédiction frappante sur le temps du Messie, nous permet de douter qu'il y ait encore des docteurs dans les siècles plus brillants qu'annoncent les prophéties. « En ces jours-là, dit l'Éternel, je mettrai ma loi dans leurs entrailles et je l'écrirai dans leur cœur; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Et chacun d'eux n'enseignera plus son prochain ni son frère en disant : Connaissez le Seigneur; car ils me connaîtront tous, depuis le plus petit d'entre eux jusqu'au plus grand.» Pour qui sait ce qu'il y avait de particulier dans la primitive église, est-il possible de regarder cette première organisation comme immuable, de considérer la forme d'une église quelconque comme essentielle au salut, d'attribuer à des règlements extérieurs et nécessairement changeants une importance comparable à celle qui appartient aux caractères immuables et éternels de la sainteté et de la vertu ?

    L'Église, dans sa première constitution, nous offre un intéressant et noble spectacle. Ce n'était pas une union forcée et arbitraire, mais une association libre et spontanée. Elle sortait des principes et du fonds même de la nature humaine. Notre nature est faite pour la société. Nous ne pouvons vivre seuls ; nous ne pouvons renfermer un grand sentiment dans nos cœurs ; nous cherchons les autres pour le leur faire partager. Une âme pleine trouve tout à la fois du soulagement et de la force dans la sympathie. Cela est surtout vrai de la religion, le plus social de tous nos sentiments, le seul lien universel qui existe sur la terre. C'est dans cette loi de notre nature que l'église chrétienne a pris son origine : le Christ ne l'établit pas d'une manière positive. Consultez le Nouveau Testament, et vous n'y trouverez pas que Jésus ni ses apôtres se soient occupés de donner une organisation artificielle aux premiers disciples. Lisez dans le livre des Actes le récit simple et touchant de l'union des premiers prosélytes. Ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme. Rien ne pouvait les diviser. La vérité nouvelle les fondait en une seule masse, en faisait un seul corps. Dans leur amour mutuel, ils ne pouvaient séparer leurs biens : ils possédaient tout en commun. Sainte union ! type de cette unité et de cette harmonie qu'un christianisme plus pur répandra chez toutes les nations ! Parmi ces premiers prosélytes on choisissait les plus capables et les plus éclairés pour enseigner dans les assemblées publiques. Les frères venaient avec empressement pour entendre l'exposition de la foi nouvelle, pour se fortifier mutuellement dans leur fidélité envers le Christ, pour lui rendre témoignage à la face du monde. Dans leurs réunions on les laissait suivre les usages de la synagogue où ils avaient été élevés, tant le christianisme s'inquiétait peu des formes. Comme cette association était simple et naturelle ! Ce n'est pas un mystère; elle sortit des premiers besoins du cœur humain. Le sentiment religieux, l'amour de Dieu et de l'homme, réveillés par le Christ, demandaient une nouvelle union pour se produire et se retremper. Et cette union de l'Église, fruit de l'esprit chrétien, et qui ne peut venir qu'après lui, en usurperait la place, ou lui enlèverait quelque chose de sa toute puissance, de sa gloire suprême et sans égale?

    L'Église, considérée dans sa véritable idée et dans son but, est une association des vrais disciples du Christ; et, à l'origine, cette idée fut en grande partie réalisée. Les premiers fidèles furent attirés vers le Christ par la conviction. Ils se réunirent et le confessèrent non par habitude, mode ou éducation, mais en opposition à toutes ces choses. Alors, la profession de foi et la pratique, la forme et l'esprit, la réalité et les signes extérieurs de la religion marchaient de front. Mais, en grandissant, l'Église perdit de sa vie ; son principe s'obscurcit; le nom resta, mais quelquefois il ne resta guère que le nom. C'est un fait remarquable que l'esprit même auquel le christianisme est le plus contraire, l'amour du pouvoir, de la domination, de la pompe, de la prééminence, ait jeté dans l'Église ses racines les plus profondes. L'Église est devenue le siége des passions et des vices que le christianisme a le plus en horreur; aussi son histoire est-elle un des monuments les plus tristes du passé. Il n'est déjà que trop pénible de lire les annales sanglantes des empires de la terre ; mais quand on voit le royaume spirituel du Christ devenu, pendant des siècles, la proie de papes usurpateurs, de prélats ou de sectaires qu'enflamment le fanatisme, la haine théologique et la convoitise du pouvoir; quand on voit comment ces feux de l'enfer les poussent à se saisir du glaive temporel pour persécuter, torturer, emprisonner, massacrer leurs frères, les font se mêler aux guerres nationales qu'ils rendent plus cruelles, et bouleverser le monde chrétien tout entier, on éprouve une tristesse profonde, et on est tenté de désespérer de l'humanité. L'histoire n'a pas de page plus sombre que celle qui raconte les persécutions des Albigeois ou les horreurs de l'Inquisition. Et quand on arrive à des temps plus rapprochés, l'Église porte au front toute autre marque que la sainteté. Qu'elle est triste pour un chrétien l'histoire que Ranke nous a donnée de la réaction du catholicisme contre le protestantisme ! Partout nous voyons la puissance ecclésiastique recourir à la force comme au grand instrument de conversion ; prouvant ainsi qu'elle a fait alliance, non pas avec le ciel, mais avec la terre et l'enfer.

    Si, d'un point de vue élevé, nous considérons l'Église dans un temps ou un pays donné, qu'il est rare d'y voir régner la véritable sainteté! Combien de ministres qui prêchent par intérêt ou par vanité, qui prêchent ce qu'ils ne croient pas, ou contredisent leur doctrine par leur vie ! Combien de communions composées de mondains, qui vont à la maison de Dieu par usage, par convenance, ou par une idée vague d'être sauvés, et non point par soif de l'esprit divin, non point par cette plénitude d'un cœur qui a besoin de s'exhaler en prières et en louanges ! Telle est l'Église cependant. Nous sommes portés, il est vrai, à en faire une abstraction, ou à la séparer dans notre pensée des individus qui la composent; et c'est ainsi qu'elle devient pour nous une chose sainte, et que nous lui attribuons des vertus étranges. Les théologiens en parlent comme d'une unité, comme d'un tout immense, toujours un et toujours le même dans tous les siècles; et, de cette façon, l'imagination se laisse prendre à l'idée d'une sainteté et d'une grandeur merveilleuses. Mais il faut distinguer entre la théorie ou le but de l'Église et son état réel. Quand nous en venons au fait, nous voyons que l'Église n'est pas une unité mystérieuse, immuable, mais bien une réunion d'individus changeants, divisés, en guerre les uns avec les autres, et dont trop souvent les cœurs et les mains ne sont rien moins que purs. Si tristes que soient les choses, il faut les voir telles qu'elles sont, et alors on est frappé de l'absurdité infinie qu'il y aurait à attribuer à une pareille église des vertus mystérieuses, à supposer qu'elle pût conférer la sainteté à ses membres, ou que la circonstance d'en faire partie ait la moindre valeur auprès de la pureté du cœur et de la vie.

    La pureté du cœur et de la vie, l'esprit du Christ, esprit d'amour pour Dieu et pour l'humanité, tout est là ; voilà la seule chose essentielle. L'Église n'a d'importance qu'autant qu'elle y sert; et toute église qui y sert est bonne, n'importe le lieu, le temps, la manière dont elle est née. Qu'on prie à genoux ou debout, que les ministres aient été ordonnés par un pape, un évoque, un ancien ou le peuple; ce sont là des choses secondaires. L'église qui ouvre la porte du ciel est celle-là seule où réside l'esprit du ciel. L'église dont les prières montent à l'oreille de Dieu est celle-là seule où l'âme s'élève. Qu'importe qu'elle soit réunie dans une cathédrale ou dans une grange ; qu'elle reste assise en silence ou qu'elle chante une hymne; que le ministre parle d'après des notes soigneusement préparées ou s'abandonne à une inspiration immédiate, ardente, irrésistible ? Si Dieu est aimé, si Jésus-Christ est le bienvenu de notre âme, si ses leçons sont écoutées avec humilité et sagesse, et si l'on prend la ferme résolution de remplir tous ses devoirs, au travers de toutes les luttes, de tous les sacrifices, de toutes les tentations, alors le véritable but de l'Église est atteint. « Ce n'est pas autre chose que la maison de Dieu, la porte du ciel. »

    En disant ceci, je ne prétends pas que toutes les églises soient de même valeur. Il y en a sans doute qui répondent mieux que d'autres à l'esprit du christianisme, aux usages simples des premiers disciples, et aux principes de la nature humaine. Toutes ont leurs superstitions et leurs corruptions, mais quelques-unes sont plus pures que les autres; et nous sommes tenus de chercher la plus pure, celle qui répond le mieux à la volonté divine. Autant que nous pouvons choisir, il nous faut préférer l'église qui nous servira le mieux à devenir pieux, désintéressés et forts. Cependant notre salut n'est pas attaché à la découverte de la meilleure église du monde, car cette église peut être éloignée ou nous rester inconnue. Sous la diversité des cultes il y a un même esprit. Dans toutes les sociétés religieuses qui reconnaissent le Christ comme leur Seigneur, on enseigne les vérités les plus grandes et les plus simples de la religion, et on y peut trouver des âmes touchées et éclairées d'en haut. C'est là un fait évident et incontestable. Dans toutes les communions, si diverses qu'elles soient, on trouvera des hommes saints et vertueux ; et nous ne pouvons dire quelle est celle qui a produit les plus saints. L'Église répond donc partout à sa fin; car, sa seule fin c'est d'aider à la vertu. On est heureux de lire dans l'histoire de toutes les communions les vies des chrétiens éminents qui ont tout sacrifié pour leur religion, qui ont été fidèles jusqu'à la mort, qui ont répandu autour d'eux la douce lumière et le parfum de l'espérance et de la charité chrétienne. Nous ne pouvons donc nous égarer en choisissant l'église qui nous représente le mieux les grandes idées du Christ, et qui parle avec le plus de force à notre conscience et à notre cœur. Mais cette église nous ne devons pas la choisir pour notre frère ; car il est probable qu'il diffère de nous par le tempérament, par l'intelligence, par les impressions que l'éducation et l'habitude lui ont données. Le culte qui nous anime le plus, vous et moi, laisse peut être notre voisin endormi. C'est par le cœur et l'imagination qu'il faut le prendre, tandis qu'on arrive à nous par la raison. Ce qui pour lui est de la ferveur ne nous semble que du bruit ; ce qui lui semble une forme imposante n'est pour nous qu'une vaine parade. Ne le condamnez pas. Si dans une atmosphère plus chaude sa foi en Dieu devient plus forte, s'il est plus constant que nous dans le bien, son église vaut mieux pour lui que la nôtre pour nous.

    Une grande erreur en ce qui touche les églises nous fait exagérer leur importance dans la grande affaire du salut. Nous imaginons que l'église, le ministre, le culte peuvent nous servir matériellement; qu'il y a dans ce que nous appelons un lieu saint, des influences mystérieuses qui agissent sur nous sans notre participation. Il n'en est pas ainsi. L'église et le ministre ne peuvent rien pour nous en comparaison de ce que nous devons faire pour nous-mêmes; sans nous ils ne peuvent rien pour nous. C'est quand nous agissons qu'ils nous servent. Il faut que chacun soit à lui-même son prêtre. C'est sa propre action et non celle du ministre; c'est la prière de son cœur, et non la prière des lèvres d'autrui qui l'aide dans l'église. L'église ne lui fait de bien qu'autant que les rites, les prières, les hymnes, les sermons excitent son esprit à penser, à sentir, à prier, à louer et à se résoudre. L'église est un secours et non une force; elle agit sur nous par des moyens rationnels et moraux et non par une opération mystique ; son influence, est de même nature que celle qui s'exerce au dehors ; son efficacité dépend surtout de la clarté, de la simplicité, de la sincérité, de l'amour et du zèle avec lesquels le ministre parle à notre esprit, à notre conscience et à notre cœur ; comme dans la vie ordinaire nous faisons notre profit de la clarté et de la force avec lesquelles nos amis nous font voir ce qui est bon et pur. L'église convient à notre nature morale et libre; elle agit sur nous comme sur des êtres raisonnables et responsables, et ne nous sert que par notre action propre. Ceci nous apprend que la gloire de l'église ne réside pas dans une forme ou un gouvernement particulier, mais dans la sagesse avec laquelle elle combine les influences qui éveillent et purifient l'âme.

    Me demande-t-on d'exposer quelles sont ces influences; je réponds qu'elles sont de celles qu'on trouve dans toutes les églises et toutes les communions. La première, c'est le caractère du ministre. Ce caractère a une action manifeste, immédiate et puissante sur la grande fin spirituelle que se propose l'église. Je dis le caractère et non l'ordination. L'ordination n'a d'autre but que d'introduire dans les fonctions sacrées des hommes qualifiés pour ce devoir, et de donner une idée de leur importance. C'est par ses qualités personnelles, par sa valeur intellectuelle, morale et religieuse, par sa fidélité et son zèle, et non par l'effet d'une cérémonie ou d'un pouvoir mystérieux que le ministre éclaire et édifie l'église. Qu'importe comment on l'a ordonné ou choisi, s'il accomplit sa tâche avec la crainte de Dieu? Qu'importe la personne qui lui a imposé les mains? Qu'importe qu'il soit revêtu d'un surplis ou d'un habit de gros drap? Je ne vais pas à l'église pour tirer profit des mains ou des habits, mais bien pour qu'un prédicateur saint et éclairé agisse sur mon esprit et sur mon cœur; et non par un entraînement irrésistible, mais par l'effet même de ma pensée et de ma volonté. J'y vais pour être convaincu de la vérité, pour être animé de l'amour du bien; et celui qui m'aide en cela est un vrai ministre. Quels que soient l'école, le consistoire, le corps ecclésiastique auxquels il appartient : il porte son brevet dans son âme. Ne dites pas que son ministère n'a pas de validité parce que Rome, ou Genève, Lambeth, Andover, ou Princeton ne lui a pas imposé les mains. Quoi ! n'a-t-il pas ouvert mes yeux à la lumière, n'a-t-il pas décidé ma conscience à condamner ? En l'entendant, mon cœur ne s'est-il pas enflammé, et ne me suis-je pas donné en silence à Dieu avec une nouvelle humilité et un nouvel amour? N'ai-je pas été frappé de ses avertissements et touché par ses regards et son langage plein d'amour. Ne m'a-t-il pas appris et aidé à m'humilier, à vaincre le monde, à faire du bien à mon ennemi? Quoi ! il a fait cela et son ministère n'a point de validité? Quelle autre validité peut-il y avoir que celle-là? Si un ami généreux me donne de l'eau quand la soif me dévore et que je boive et que je sois rafraîchi, me dira-t-on que parce qu'il n'a pas acheté le vase à une boutique autorisée, ou pris de l'eau dans une vieille citerne, cet acte de bonté est sans effet et que je suis aussi altéré et aussi faible qu'auparavant? Qu'est-ce qu'un ministre, en mitre ou en tiare, peut faire de plus que de m'aider à devenir meilleur et plus saint, en me faisant mieux connaître la vérité divine. Si mon âme est vivifiée, qu'importe qui la vivifie ; si elle ne l'est pas, les règlements de l'église, qu'elle soit haute ou basse, orthodoxe ou hérétique ne signifient rien pour moi. Le malade qui est rendu à la santé s'inquiète peu si son médecin porte une perruque ou un capuchon, s'il a obtenu son diplôme à Paris ou à Londres; il en est de même de l'homme régénéré. Peu importe où et par quel moyen il est devenu un temple du Saint-Esprit.

    Comprenez maintenant qu'un ministre qui tire son autorité de sa valeur morale, intellectuelle et religieuse, est un des principaux éléments d'une église véritable et vivifiante. Un pareil homme rassemblera autour de lui une véritable église ; et ceci nous apprend qu'une société chrétienne est obligée de faire tout ce qui peut augmenter la vertu, la noblesse, l'énergie spirituelle de son ministre, et qu'elle doit s'abstenir de tout ce qui peut les affaiblir. On doit surtout le laisser libre, et ne lui imposer d'autre loi que le devoir. Sa fonction est d'exposer la vérité divine suivant l'idée qu'il s'en fait, et on doit l'encourager à l'exposer avec franchise et simplicité. Il doit obéir à sa conscience et non à celle d'autrui. Comment attaquera-t-il l'erreur générale si son esprit n'est pas sans crainte? Mieux vaudrait qu'il se tût que de ne pas parler suivant sa pensée : mieux vaudrait que la chaire fût renversée plutôt que d'être sans liberté. La doctrine des mandats en politique offre des avantages très incertains ; mais qu'une église donne un mandat au ministre, nous n'avons tous qu'une voix pour déclarer que c'est un mal. Le maître religieux qu'on force à étouffer ses convictions devient inutile à son peuple; il est dépouillé de sa force, il perd le respect de lui-même, il tremble devant sa propre conscience ; en pareil cas, il se doit à lui-même de s'abstenir de l'enseignement. S'il est honnête, juste et pur, digne de confiance, digne d'être ministre, il a droit à la liberté ; et quand il en fait un usage consciencieux, il a droit au respect, alors même qu'il se tromperait et qu'il affligerait ses auditeurs. Peu de sociétés religieuses, il est vrai, feraient sciemment de leur ministre un esclave. Il en est beaucoup qui errent par trop de soumission, et qui acceptent la doctrine avec une foi aveugle et qui ne raisonne pas. Mais, cependant, les fidèles qui tiennent entre leurs mains les moyens d'existence de leur ministre, sont portés à en attendre le ménagement de leurs préjugés ou de leurs opinions, et ces égards, bien qu'ils ne passent pas pour de la servilité, sont très contraires au langage ferme et hardi de la vérité, et c'est de là surtout que dépend le succès du ministère.

    J'ai dit quelle était la première condition de l'église la plus utile : c'est le caractère élevé du ministre. La seconde condition se trouve dans le caractère spirituel de ses membres. D'après les principes mêmes de la nature humaine, c'est là ce qui purifie et ce qui sauve. Le Christ a voulu qu'une action vivifiante fût exercée dans l'Église, non seulement par le ministre, mais aussi par chacun des membres qui la composent. Aussi nous lisons que « chaque partie, chaque membre agit » dans le corps spirituel. Si nous nous réunissons dans un temple, c'est afin que le cœur agisse sur le cœur; afin qu'au milieu d'hommes pieux, la flamme d'une piété plus ardente s'allume dans nos âmes; afin d'écouter avec plus de ferveur la parole de Dieu, en sentant tout autour de nous que des esprits altérés s'en abreuvent ; afin que notre obéissance soit confirmée par la sainte énergie de volonté que nous voyons se développer chez nos voisins. C'est à éveiller cette sympathie que l'Église est destinée, et c'est là quelquefois qu'elle trouve sa plus grande influence.

    Pour moi, l'église la meilleure est celle où je vois les marques de la charité dans ceux qui m'entourent, où battent des cœurs fervents, où un profond silence annonce que l'âme est absorbée, où je reconnais ceux de mes frères dont la piété m'a frappé dans le monde. Un seul regard d'un visage rayonnant, qui révèle une âme profondément émue, m'est plus utile peut-être que le sermon. Au milieu même du silence, je sens qu'il est bon pour moi d'être parmi des cœurs pieux ; et je ne m'étonne pas que les quakers, prétendent que c'est dans leurs assemblées muettes, qu'ils sont le plus intimement unis, non seulement avec Dieu, mais les uns avec les autres. Ce n'est pas par la voix seule que l'homme communique avec l'homme : il n'y a rien de plus éloquent que le profond silence d'une foule. Un soupir épanche dans notre âme celle de notre prochain mieux que ne le ferait un volume de mots. Entre ceux qui sentent de même, il y a une communication plus subtile que celle de la franc-maçonnerie. Le sentiment religieux est si contagieux ! D'un autre côté, qu'elle est glaciale et morte la foule qui ne sent rien, qui vient à la maison de Dieu sans respect et sans amour, où l'on se regarde les uns les autres comme si on était à un spectacle ; où l'agitation continuelle produit le bruit et le trouble ; où l'attitude ne révèle ni recueillement, ni ferveur, mais, au contraire, indique un esprit frivole ou absent! La sainteté du lieu ne fait que rendre cette indifférence plus glaciale. L'endroit le plus froid de la terre, c'est une église sans dévotion. Que m'importe qu'un temple magnifique soit consacré au service de Dieu avec tous les rites du monde, que des prêtres, qui font remonter leur origine jusqu'aux apôtres l'aient béni, si je le trouve rempli d'hommes mondains et sans foi. Pour moi ce n'est pas là une église. Ce que je cherche, ce ne sont pas des corps, mais des âmes ; et si je les trouve dans une chambre au dernier étage, comme celle où se réunissaient les premiers disciples, ou dans un hangar, ou dans la rue, c'est là que je trouve une église. C'est là qu'est le véritable autel, le doux encens, le prêtre élu. Toutes ces choses, je les trouve dans les âmes sanctifiées.

    De vrais chrétiens voilà ce qui fait la sainteté et la splendeur du temple. En eux le Christ est présent et se manifeste dans un sens bien plus élevé que s'il se révélait aux yeux. Nous sommes portés, il est vrai, à penser autrement. S'il y avait un édifice où brillât une lumière semblable à celle qui revêtit Jésus-Christ sur la montagne de la Transfiguration, on y courrait en foule comme à un lieu choisi sur la terre ! on le vénérerait comme étant par excellence l'église du Christ ! Mais il y a une présence du Christ plus éclatante que celle-là. C'est le Christ présent dans l'âme de ses disciples. La présence corporelle du Christ ne fait pas une église. Le Christ était au milieu de la foule qui remplissait les rues de Jérusalem, il était présent dans les synagogues et les temples; cependant ces lieux n'étaient pas des églises. C'est la présence de son esprit, de sa vérité, de son amour divin dans l'âme des hommes, qui les rapproche et les unit en un corps vivant. Réunissons-nous dans un endroit consacré, et supposez que l'esprit du Christ n'habite point en nous. Malgré toutes les cérémonies, ce ne sera qu'une synagogue de Satan, ce ne sera pas l'Église de Jésus. Le Christ dans le cœur des hommes, je le répète, est le seul lien qui forme une église. Les catholiques, pour se donner le sentiment de la présence du Sauveur, ornent leurs temples de peintures qui représentent les scènes les plus touchantes de sa vie et de sa mort; et si, de ces images, on n'eût jamais fait l'objet d'un culte, je ne blâmerais pas cette coutume. Mais il y a une image du Christ bien plus parfaite que celle qu'ait jamais obtenue le pinceau ou le ciseau de l'artiste ; elle existe dans le cœur du vrai disciple : le vrai disciple surpasse Raphaël et Michel-Ange. Ces derniers nous ont fait un Christ à leur idée, et le portrait qu'ils nous en donnent, après tout, ressemble peu à la douce beauté, à la figure majestueuse que vit la Judée. Mais le disciple qui imite le désintéressement, la pureté, le culte filial, l'amour et les sacrifices du Christ, celui-là ne nous donne pas un portrait de fantaisie, mais les véritables traits, les traits divins de cette âme, le véritable esprit qui rayonnait sur sa figure, qui parlait par sa voix, qui attestait sa gloire comme Fils de Dieu. L'église la plus vraie est celle qui jouit au plus haut degré de cette présence spirituelle de Notre-Seigneur, de cette révélation de Jésus dans ses disciples. Voilà l'église où nous trouverons pour notre vertu le plus grand secours que puisse offrir une institution extérieure.

    J'ai parlé des deux éléments principaux d'une église vivante et efficace : un ministre à l'âme noble et pure et de fidèles disciples du Christ. Dans les remarques qui précèdent, j'ai eu surtout en vue les églises particulières, organisées d'après certaines formes particulières; et j'ai soutenu qu'elles n'avaient d'importance qu'autant qu'elles servaient à la sainteté ou à la vertu chrétienne. Il y a cependant une église plus grande, sur laquelle j'appelle maintenant votre attention; et les considérations dont elle sera l'objet confirmeront la vérité sur laquelle j'insiste, savoir qu'il n'y a qu'une chose essentielle, la véritable sainteté, ou l'amour désintéressé de Dieu et des hommes.

    Il y a une église plus grande que toutes les églises particulières, quelque grandes qu'elles soient : c'est l'Église universelle qui s'étend sur toute la terre et ne fait qu'un avec l'Église qui est dans le ciel. Tous ceux qui suivent le Christ ne forment qu'un seul corps, un seul troupeau, c'est ce que nous enseignent différents passages du Nouveau Testament. Vous vous rappelez la ferveur de sa dernière prière : « Que tous ne fassent qu'Un, comme Lui et son Père ne font qu'Un. » Dans cette Église sont admis tous ceux qui participent à l'esprit du Christ. Elle ne demande pas qui nous a baptisés; de qui nous tenons notre passeport; quel signe nous portons. Si nous avons été baptisés par le Saint-Esprit ses larges portes nous sont ouvertes. Là sont réunis ceux que des noms différents ont séparés ou séparent encore. Là, il n'est pas question d'églises grecque, romaine ou anglicane, mais seulement de l'Église du Christ. Mes amis, ce n'est pas là une union imaginaire. Quand l'Écriture parle ainsi, ce n'est pas une vaine rhétorique, c'est la vérité pure. Tous ceux qui participent sincèrement à la vertu chrétienne sont essentiellement unis. Dans l'esprit qui les anime, il y a une force d'union qu'on ne trouvera dans aucun autre lien. Séparés par les mers, il y a entre eux des sympathies fortes et indissolubles. La voix nette et puissante d'un chrétien inspiré, vole par toute la terre, et dans un autre hémisphère touche des cordes qui lui répondent. La parole d'un Fénelon, par exemple, arrive à des millions d'âmes dispersées dans le monde. Ne sont-elles pas toutes de la même église? Je tressaille de joie au nom des saints qui ont vécu il y a des siècles : le temps ne nous sépare pas; leur ancienneté ne me les rend que plus vénérables. Ne sommes-nous pas du même corps ? Est-ce que cette union n'est pas quelque chose de réel? Se réunir dans un même édifice n'est pas ce qui fait une église. Me voici dans un temple; je suis assez près d'un de mes semblables pour le toucher, mais entre nous il n'y a pas un sentiment commun ; la vérité qui me remue intérieurement, cet homme s'en rit comme d'un rêve et d'une chimère ; le désintéressement que j'honore, il l'appelle faiblesse ou folie ; que nous sommes loin l'un de l'autre, quoique en apparence si voisins ! Nous appartenons chacun à des mondes différents. Que je suis plus près de quelque âme pure, généreuse qui vit dans un autre continent, mais dont la parole a pénétré mon cœur, dont les vertus m'ont enflammé d'émulation, dont les pieuses pensées s'offrent à mon esprit lorsque je suis dans la maison de prière ! Lequel de ces deux hommes est de mon église?

    Ne me dites pas que je m'abandonne à un rêve de l'imagination quand je dis que des chrétiens éloignés, que tous les chrétiens et moi-même nous ne formons qu'un corps et qu'une église, aussi longtemps qu'une même piété et qu'un même amour nous possèdent. Rien de plus réel que cette union spirituelle. Il y a une grande église qui embrasse tout; chrétien, j'en fais partie, et personne ne peut m'en faire sortir. Vous pouvez bien m'exclure de votre église romaine, de votre église épiscopale, de votre église calviniste pour quelques défauts supposés dans mon symbole ou ma secte, et je suis content d'en être exclu; mais je ne veux pas qu'on me détache du grand corps du Christ. Qui me séparera d'hommes tels que Fénelon, Pascal et Boromée, de l'archevêque Leighton, de Jérémie Taylor et de John Howard ? Qui rompra le lien spirituel qui m'unit à ces hommes? Ne me sont-ils pas chers? L'esprit qui déborde dans leurs écrits et leurs vies ne pénètre-t-il pas mon âme ? Ne sont-ils pas une partie de mon être ? Ne suis-je pas un autre homme que ce que j'aurais été si ces grands esprits n'avaient agi sur moi? Et est-il au pouvoir d'un synode, d'un conclave ou de toutes les assemblées ecclésiastiques du monde de m'en séparer ? Je tiens à ces grands esprits par la pensée et l'affection : est-ce qu'on supprime la pensée et l'affection par la bulle d'un pape ou l'excommunication d'un concile? L'âme brise dédaigneusement ces barrières, déchire ces toiles d'araignée pour s'unir aux grands et aux bons, et si elle possède leur esprit, est-ce que, vivants ou morts, les grands et les bons la repousseront, parce qu'elle ne s'est pas enrôlée dans telle secte ou dans telle autre? Une âme pure a droit de cité dans l'univers entier. Elle appartient à l'église, à la famille de ceux qui sont purs dans tous les mondes. La vertu n'est pas chose locale; elle n'est pas respectable parce qu'elle a pris naissance dans telle ou telle société, mais à cause de sa beauté indépendante et éternelle. Voilà le lien de l'Église universelle ; nul homme n'en peut être excommunié que par lui-même, en tuant la vertu dans son âme. Toutes sentences d'exclusion sont vaines, si nous ne brisons le lien de vertu qui nous unit à toutes les âmes saintes.

    J'honore en un point l'église catholique : c'est qu'elle s'attache à l'idée d'une église universelle, quoiqu'elle l'ait mutilée et affaiblie : le mot catholique signifie universel. Plût à Dieu que l'église qui a pris le nom eût compris la chose ! Cependant la religion romaine a fait quelque chose pour donner à ses membres l'idée de leur union avec cette grande société spirituelle qui a existé dans tous les temps et s'est répandue sur toute la terre. Elle garde la mémoire des hommes grands et saints qui, dans tous les siècles, ont travaillé et souffert pour la religion, elle glorifie les héros de la foi, leur donne une place au ciel comme à des saints canonisés, transforme leurs légendes en littérature populaire, fixe des jours pour célébrer leurs vertus, et les fait revivre aux yeux par des tableaux où le génie a immortalisé leurs actions. En agissant ainsi Rome, il est vrai, est tombée dans l'erreur. Elle a fabriqué des exploits pour ces personnages spirituels et en a fait les objets d'un culte. Mais elle a fait aussi du bien. Elle a donné à ses membres le sentiment d'un rapport intime avec les hommes les plus nobles et les plus saints de tous les âges. Un lien touchant, et qui, souvent, sanctifie, unit le catholique d'aujourd'hui aux martyrs, aux confesseurs, à tous ceux qui par la piété, le génie et le savoir, ont acquis une gloire immortelle. Ce n'est pas un faible service que d'élargir ainsi les idées et les affections des hommes, d'exciter leur vénération par une grandeur qui n'est plus, de leur montrer les liens qui les unissent aux grandes âmes de tous les temps.

    C'est là le trait du catholicisme qui m'intéressa le plus lorsque je visitai les pays catholiques. Le service à l'autel ne me toucha pas, il m'affligea plutôt. Mais, en jetant les yeux sur les tableaux qui plaçaient devant moi les saints des âges passés, et me les montraient tantôt absorbés dans la dévotion et perdus dans l'extase, tantôt supportant avec un doux courage et un espoir céleste l'agonie d'une mort pénible, d'une mort endurée pour la défense de la vérité, je fus touché et, j'espère, rendu meilleur. La voix du prêtre officiant, je ne l'entendais pas; mais ces saints morts parlaient à mon cœur, et par fois j'étais tenté de croire qu'une heure passée dans cette communion le dimanche, me serait aussi utile que si je l'avais passée dans une église protestante. Ces saints ne se présentaient point à ma pensée comme catholiques romains; je ne les rattachais pas à une église particulière. Ils étaient pour moi les vénérables et vivants témoins du Christ, de la puissance de la religion, de la grandeur de l'âme humaine. Je voyais ce qu'on peut souffrir pour la vérité, comment l'homme peut s'élever au-dessus de lui-même, combien les idées de Dieu et d'une vie plus noble peuvent devenir des réalités. Ce respect pour les saints d'un autre âge me faisait mieux sentir que j'étais membre de l'église universelle. Je n'avais besoin ni de pape ni de prêtre pour m'unir à ces vertueux personnages ; mon cœur me disait assez que je faisais partie de leur société spirituelle.

    Ne serait-il pas à désirer que toutes nos églises eussent des offices pour nous apprendre notre union avec le corps entier du Christ? Cela ne briserait-il pas nos chaînes de sectes, et n'exciterait-il pas notre respect pour l'esprit du Christ, pour la vraie vertu, quel qu'en soit le nom et la forme ? Ce n'est pas assez de nous sentir membres de quelque étroite communion. Le christianisme, c'est la sympathie et l'amour universels. Je ne recommande pas de décorer nos églises de portraits de saints. Cet usage, s'il s'introduit jamais, ne se fera que par le changement insensible de nos goûts et de nos idées. Mais pourquoi la chaire ne nous ferait-elle pas connaître la vie et les vertus de quelques chrétiens illustres des siècles écoulés? C'est l'habitude de prendre pour sujet de sermon l'histoire de Pierre, de Jean, de Paul, ou celle d'Abraham, d'Elisée, et d'autres personnages de l'Ancien Testament ; et cela parce que ces noms sont écrits dans la Bible. Mais la vertu ne doit pas son prix au livre sacré qui l'expose, comme elle ne perd pas son droit à notre respect parce qu'elle n'y a pas été célébrée. La grandeur morale n'est pas morte avec les apôtres. Le récit de leurs vies a eu jour objet de propager leurs vertus dans l'avenir, et de former des hommes dignes aussi d'être canonisés. Ce que je voudrais, c'est qu'au lieu de se murer dans une église particulière, chacun apprit à se considérer comme membre d'une grande société spirituelle, comme le cohéritier, comme le frère de tous ces héros chrétiens qui nous ont précédés. Notre âme se plaît à ce sentiment d'une immense union. On voit ce penchant dans le patriotisme, et dans la passion avec laquelle les hommes s'attachent à une grande communion. La vraie et plus noble satisfaction de ce penchant, c'est de se sentir uni d'une union vitale, éternelle, avec l'Église universelle, avec l'innombrable foule des saints sur la terre et dans le ciel. Mais jamais, pour nous, cette église ne remplacera la vertu.

     

     

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    DidierLe Roux

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