• W.-E. CHANNING : LIBERTE SPIRITUELLE ET TRAITES RELIGIEUX; Preuves du christianisme : partie 1

    W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    PREUVES DU CHRISTIANISME. ( partie 1)

     

     

    Ces paroles de Paul sont dignes de cet esprit résolu et désintéressé. En les prononçant il n'était pas l'écho de la foule, il ne répétait pas servilement des doctrines établies. La grande majorité de ceux qui l'entouraient rougissait de Jésus. L'infamie alors s'attachait à la croix. Le nom du Christ était honni comme celui d'un malfaiteur, et, professer la religion du Christ, c'était partager son ignominie. Depuis lors quels changements! La croix est maintenant suspendue comme un ornement au cou de la beauté. Elle brille sur le pavillon des vaisseaux et les étendards des armées. Des millions d'hommes s'inclinent en adoration devant elle, comme si elle était le sanctuaire de la divinité. Aussi la tentation de rougir de Jésus a-t-elle bien diminué, cependant elle n'a pas tout à fait disparu. La plupart des hommages qu'on rend aujourd'hui à la religion sont extérieurs, politiques, mondains, et s'adressent aux corruptions du christianisme bien plus qu'à son noble et pur esprit; des chrétiens consciencieux et intrépides ne doivent donc pas s'étonner de rencontrer de la froideur ou des reproches. Nous pouvons encore être tentés de rougir de notre religion quand nous sommes jetés parmi des sceptiques qui la nient et la raillent. Nous pouvons être tentés de rougir des doctrines simples et raisonnables du Christ, quand nous vivons avec d'aveugles fanatiques, qui font de leurs singularités obscures et peut-être dégradantes, la condition essentielle du salut. Nous pouvons être tentés de rougir de ces préceptes purs, doux et désintéressés, quand nous sommes jetés au milieu d'hommes licencieux, égoïstes et vindicatifs. Il faut être toujours armé contre ces périls. Rester fidèle à la vérité et à la conscience au travers de toutes ces épreuves, c'est une des preuves les plus éclatantes de la vertu. Personne ne mérite le nom de chrétien, sinon celui qui garde ses principes au milieu des incrédules, des intolérants et des pervers. « Je ne rougis pas de l'évangile du Christ. » Voilà ce que disait Paul; voilà ce que je voudrais dire. Plût à Dieu qu'il me fût donné de prendre l'esprit comme les paroles de l'apôtre, et de rendre témoignage au christianisme avec le même héroïsme! Me demande-t-on pourquoi je m'unis à ce témoignage rendu à l'Évangile? Je me propose de vous en donner les raisons ; et en même temps je demande la permission de parler à la première personne, comme l'apôtre l'a fait, de parler en mon nom, de découvrir mon âme dans le langage le plus direct. Il y a des cas où l'expression franche d'un sentiment individuel répond le mieux au but qu'on se propose dans un discours public ; et, dès lors on ne doit pas mettre au compte de l'égoïsme cette façon de parler.

    J'expose les raisons pour lesquelles je ne rougis pas de l'Évangile du Christ; et je commence par une raison si importante qu'elle fera le sujet de ce discours tout entier.

    Je ne rougis pas de l'Évangile parce qu'il est vrai. C'est là ma première raison. La religion est vraie, et il n'y a point d'autre considération qui pourrait me porter à la défendre. Je l'adopte, non parce qu'elle est populaire, car des systèmes faux et funestes ont été populaires; non parce qu'on pense qu'elle soutient l'ordre social, car je crois que rien n'est utile au fonds si ce n'est la vérité. L'Évangile est vrai; et je ne le dis pas à la légère. Je ne répète pas les mots dont on m'a bercé. Je n'affirme pas la vérité du christianisme parce qu'on m'apprit à le faire avant que je fusse en état de juger, ou parce que j'ai été élevé dans une société attachée à cette croyance. Il se peut qu'on attribue à ces motifs mon zèle et ma foi ; mais, l'amour de la vérité m'oblige à repousser ces imputations sans fondement. Ma naissance et mon éducation chrétiennes, loin de m'avoir disposé à une foi implicite, ont été souvent pour moi une occasion de doutes sérieux. A voir combien il est ordinaire aux hommes de tous les pays et de toutes les croyances, Chrétiens, Juifs ou Mahométans, de recevoir la religion de leurs pères, je me suis maintes fois demandé si moi aussi je n'étais pas un esclave, si moi aussi je ne suivais pas en aveugle le sentier de la tradition, si je ne cédais pas aussi passivement que les autres, à une foi héréditaire. Je me défie du nombre, et je crains que l'opinion n'entraîne mon jugement; rien ne m'excite davantage à repousser une doctrine que les efforts même que fait l'intolérance pour me l'imposer. Peut être que mon éducation chrétienne et mes rapports avec des chrétiens m'ont incliné au scepticisme plutôt qu'ils n'ont plié mon esprit devant l'autorité.

    On dira peut-être que l'orgueil, les préjugés et l'intérêt de ma profession comme ministre chrétien rendent suspects mes raisons et mon jugement. Je réponds que je me crois aussi libre de ces travers que la personne la plus indifférente. Je n'ai pas de préoccupations sacerdotales. Je sais et j'avoue que les fonctions du ministère ont été altérées, perverties, dès les premiers temps de l'église. Je réprouve la tyrannie que le ministère exerce souvent sur l'âme humaine. Je ne reconnais pas de sainteté particulière dans ceux qui le remplissent. Je crois donc que je puis examiner le christianisme avec aussi peu de partialité et d'aveuglement que personne. Certes, je ne me prétends pas à l'abri de l'erreur; je ne demande pas qu'on accorde une foi implicite à mes raisonnements; peu m'importe qu'on approfondisse et qu'on examine mes arguments avec un soin jaloux. La seule chose que je demande c'est qu'on ne méjuge pas d'avance comme un partisan servile et intéressé du christianisme. Je demande qu'on m'écoute comme un ami de la vérité, qui désire aider ses frères à décider une question d'un grand et universel intérêt. Si je me présente comme l'avocat du christianisme, c'est qu'il s'offre à ma raison comme une révélation de Dieu, comme la lumière la plus pure et la plus brillante que Dieu ait versée sur l'âme humaine. Je repousse tout autre motif. Nulle politique, nul vasselage de l'opinion, nulle crainte de blâme, même de la part des gens de bien, nul intérêt privé, nul désir de soutenir une superstition utile, rien en un mot, rien que la conviction réfléchie de la vérité du christianisme, ne m'engage à prendre place parmi ses défenseurs. J'en rougirais, si je ne le croyais pas vrai.

    J'exprimerai fortement mes convictions; je parlerai de l'incrédulité comme d'une erreur grossière et dangereuse. Mais qu'on sache bien que je ne condamne pas le caractère des individus. Je montrerai que la religion chrétienne est vraie, qu'elle est de Dieu; mais je n'en conclus pas que tous ceux qui la rejettent soient des ennemis de Dieu, et qu'il faille les couvrir d'infamie. Je veux soutenir la vérité sans manquer à la charité. Le crime, la perversité de l'incrédulité dans toutes les circonstances possibles, est une thèse que je crois insoutenable, et, comme je suis convaincu que cette opinion nuit à la cause du christianisme en créant une antipathie entre ceux qui l'aiment et ceux qui l'attaquent, antipathie qui nuit aux uns et aux autres, et rend les derniers plus hostiles à la vérité, je crois qu'avant d'aller plus loin, il est bon de dire quelques mots à ce sujet.

    Je pose en principe que l'incrédulité, considérée en soi, n'a pas de qualité morale; ce n'est ni une vertu ni un vice; ce qui la qualifie en bien comme en mal, ce sont les motifs qui l'amènent. De simples actes de l'entendement ne sont ni bons ni mauvais. Quand je parle de la foi comme d'un principe saint et vertueux, j'étends ce terme au-delà du sens primitif, et, outre l'assentiment de' l'intelligence, j'y comprends la volonté qui détermine et confirme cet assentiment ; c'est de même, en attachant à l'incrédulité un sens aussi étendu que je la déclare un crime. Le fait est que l'âme humaine, quoique divisée par notre philosophie en plusieurs facultés distinctes, ne les exerce point séparément ; en général elle les réunit dans un même acte. Ainsi, en formant un jugement, l'individu exerce sa volonté et ses affections ou les principes moraux de sa nature, tout autant que sa pensée. Nos passions et nos intérêts se mêlent aux décisions de notre intelligence. Dans les Écritures, qui usent du langage librement, et sans chercher l'exactitude philosophique, la foi et l'incrédulité sont des actes qui ont ce caractère complexe, elles sont le produit de l'esprit et du cœur; et, c'est à cause de cela seulement qu'elles méritent notre approbation ou notre blâme. Je pense que les chrétiens réfléchis de toutes les confessions partagent cette façon de voir.

    On ne peut donc considérer les opinions comme des signes invariables, infaillibles, de vertu et de vice. La même opinion peut être vertueuse chez l'un et vicieuse chez l'autre, si l'on suppose, ce qui est très possible, qu'elle tienne à des motifs différents. Par exemple, si, par envie ou malignité, j'accepte sans réflexion les preuves les plus légères de la faute qu'on impute à mon prochain, le jugement que je porte est mauvais moralement. Mais qu'une autre personne arrive à. la même conclusion après un examen impartial et fait avec l'amour de la vérité, sa décision sera moralement bonne. Bien plus, à considérer ainsi les choses, il est possible que la foi au christianisme soit aussi coupable que l'incrédulité. Certes, l'adoption d'un système aussi pur que l'Évangile est une présomption favorable. Mais si quelqu'un adopte cette religion parce qu'elle sert à ses intérêts et à sa popularité, s'il ferme son esprit aux objections de peur qu'elles n'ébranlent sa foi dans un système qui lui profite, s'il transige avec sa raison, et que, dans une intention basse et égoïste, il s'épuise à défendre la croyance dominante, il est alors tout aussi coupable en croyant au christianisme que celui qui repousserait l'Évangile par des motifs aussi bas. Aujourd'hui des multitudes d'hommes adoptent avec furie notre religion et la détendent avec le même orgueil, le même amour du monde et de la popularité, le même aveugle dévouement aux préjugés héréditaires, qui à l'origine poussèrent les juifs et les païens à rejeter le Christianisme ; la foi des uns manque autant de vertu que l'incrédulité des autres.

    Pour juger du caractère de la foi et de l'incrédulité, il faut examiner les circonstances et les temps. Quand on commença de prêcher l'Évangile, croire au Christ, c'était la marque d'un esprit vertueux ; s'enrôler parmi ses disciples, c'était renoncer au repos, à l'honneur, aux succès du monde ; confesser le Christ, c'était un acte d'insigne fidélité à la vérité, à la vertu, à Dieu. Aujourd'hui croire au Christ n'a pas la même signification. Le confesser ne prouve point de courage. Ce peut même être l'indice d'une âme servile et terrestre. Ces remarques s'appliquent aussi à l'incrédulité. A différentes époques, et dans différentes conditions de la société, l'incrédulité peut exprimer des dispositions très différentes. Avant d'en faire un crime, et de la damner, il faudrait connaître les circonstances qui l'ont produite, et rechercher s'il n'y a pas là un palliatif ou une excuse. Quand Jésus-Christ était sur la terre, quand il faisait ses miracles sous les yeux des hommes, quand sa voix retentissait à leurs oreilles, quand l'ombre d'un doute ne pouvait pas être jetée sur ses œuvres surnaturelles, quand la corruption humaine ne s'était pas encore mêlée à sa doctrine, il y avait les plus fortes présomptions contre la droiture et la sincérité de ceux qui le repoussaient. Jésus connaissait aussi le cœur et la vie de ceux qui l'entouraient ; il voyait clairement la source de leur incrédulité, dans leur envie, leur ambition, leur intérêt, leur sensualité, et, par conséquent, cette incrédulité, il la déclarait un crime. Depuis lors quels changements se sont opérés ! Jésus-Christ a quitté ce monde. Ses miracles sont des événements d'un âge éloigné, et leurs preuves, si nombreuses qu'elles soient, sont tout à fait inconnues pour la plupart des hommes ; ce qui est mille fois plus grave, sa religion a été corrompue, altérée, changée de façon désastreuse; elle ne ressemble plus à son fondateur comme autrefois. La vérité claire et vivifiante qui sortait de la bouche de Jésus, a été changée en un rauque jargon et de vains bavardages. L'onde si pure à sa source a été souillée et empoisonnée dans tout son cours. Ce n'est pas seulement d'absurdités qu'on a surchargé le christianisme, on l'a encombré de doctrines impies, qui font du Père universel, tantôt un faible et vain despote qu'on se rend propice par des cérémonies et des flatteries, et tantôt un bourreau tout-puissant qui par avance condamne au mal la foule de ses créatures, et glorifie sa justice dans leur malheur éternel. Quand je songe à ce que le christianisme est devenu dans la main des politiques et des prêtres ; comment on en a fait un instrument de pouvoir, comme il a écrasé l'âme humaine pendant des siècles, comme il a paralysé l'intelligence et effrayé l'imagination par les fantômes de la superstition, comme il a rompu au joug des nations entières, et flétri toute pensée libre; quand je songe comment, dans toute communion, les ministres se sont constitués les gardiens de la religion, comment ils l'ont taillée puis comprimée en symboles rigides, menaçant de la damnation éternelle quiconque mettrait en doute la divinité de ces ouvrages de leurs mains; quand je considère, en un mot, comment, sous l'empire de pareilles influences, le christianisme a été présenté et l'est encore sous des formes qui choquent la raison, la conscience et le cœur, je sens, avec une douleur profonde, combien nous sommes loin de ce que Jésus enseigna, et je n'ose appliquer à l'incrédulité d'aujourd'hui la condamnation qui atteignait l'infidélité des premiers temps.

    Peut-être devrais-je aller plus loin; peut-être devrais-je dire que rejeter le christianisme dans quelques unes de ses corruptions, c'est plutôt une vertu qu'un crime. Aujourd'hui je le demande, est-ce donc un crime que de mettre en doute la vérité du christianisme tel qu'il se montre en Espagne et en Portugal ? Dans ces pays de ténèbres, quand un patriote, qui ne connaît le christianisme que comme le boulevard du despotisme, comme le promoteur de l'inquisition, comme un geôlier barbare qui enferme de malheureuses femmes dans un couvent, comme un bourreau que souille le sang des amis de la liberté ; je le demande, quand ce patriote, qui voit dans notre religion l'instrument de ces crimes et de ces douleurs, croit et affirme qu'elle ne vient pas de Dieu, avons-nous le droit de mettre son incrédulité sur le compte de l'impureté et de la corruption de son âme, et de le flétrir comme un coupable? N'est-ce pas peut-être l'esprit même du christianisme qui, régnant au fond de son cœur l'enhardit à protester des lèvres contre ce qui porte le nom du Christ? Et s'il proteste par une profonde sympathie pour ceux qui sont opprimés et qui souffrent, n'est-il pas plus près du royaume de Dieu que le prêtre et l'inquisiteur qui s'instituent fièrement chrétiens à l'exclusion des autres ? Jésus-Christ nous a dit : «Ce qui condamne les incrédules, c'est qu'ils préfèrent les ténèbres à la lumière ;» et qui ne voit que ce motif de condamnation disparaît suivant que la lumière se trouve éteinte, ou que la vérité chrétienne est ensevelie dans les ténèbres et dégradée par l'erreur ?

    On dira, je le sais, qu'un homme placé dans les circonstances que nous supposons n'en serait pas moins coupable d'être incrédule, puisque les Écritures sont à sa portée, et qu'elles suffisent pour mener à la véritable doctrine du Christ. Mais, dans les pays dont je parle, les Écritures ne sont pas communes ; et quand bien même elles le seraient, je crains que ce ne fût trop demander de la force humaine, que d'exiger qu'au milieu de tant de difficultés, on puisât la vérité à cette seule source. Qu'un homme né et élevé dans les ténèbres les plus épaisses, et parmi les plus grossières corruptions du christianisme, habitué à entendre déprécier les Écritures, habitué à joindre des idées fausses à leurs principaux termes, et ne possédant pas nos moyens de critique les plus communs, puisse détacher de la masse d'erreurs qui se parent du nom de l'Évangile, les principes simples de la foi primitive, c'est ce qu'il est bien difficile d'espérer. N'exigeons pas trop de nos semblables. Dans notre zèle pour le Christianisme, n'oublions pas son esprit d'équité et de miséricorde.

    Je viens de me placer dans un cas extrême. J'ai supposé un individu dans les circonstances les plus désavantageuses, pour ce qui est de la connaissance du Christianisme. Mais l'incrédule peut trouver son excuse dans des obstacles moins sérieux. Le fait est que personne d'entre nous ne peut tracer la ligne qui dans ce cas sépare l'innocence et le crime. Pour apprécier la responsabilité d'un homme qui (toute du Christianisme ou qui le nie, il faudrait connaître l'histoire de son esprit, la force de son jugement, les premières influences et les premiers préjugés auxquels il a été exposé, les formes sous lesquelles la religion et ses preuves ont d'abord fixé ses pensées, et les occasions qu'il a eues plus tard pour déraciner des erreurs qui s'étaient emparées de sa raison avant qu'il eut la faculté de les examiner. Nous ne sommes pas ses juges. C'est à un autre tribunal qu'il rendra compte, à un tribunal infaillible. De juger par lui-même; c'est en plaçant devant lui le christianisme dans sa simple majesté, dans sa sagesse, dans son merveilleux accord avec les besoins de notre âme ; en exposant les preuves de la religion dans toute leur force mais sans exagérer; et surtout, en montrant par notre caractère et notre vie, qu'il y a dans le christianisme une force qui purifie, élève, console, une force qu'on ne trouve dans aucun enseignement humain. Voilà les vrais moyens de conversion.

    Je ne puis donc m'unir au cri général qui fait de l'incrédulité la marque certaine d'une âme corrompue. Que l'incrédulité ait souvent sa source dans de main aises dispositions, je n'en doute pas. Par son caractère, l'incrédule nous force souvent à reconnaître, que s'il rejette le christianisme, c'est pour en fuir les reproches; la pureté de la religion est ce qui en fait le crime ; on cherche un refuge dans l'incrédulité contre la crainte et les lois que la vertu impose. Mais imputer ces motifs impies à un homme dont la vie est pure, c'est juger avec témérité et peut-être avec injustice. Je ne puis regarder l'incrédulité comme étant par essence et toujours un crime. Mais je la considère comme un des plus grands malheurs. Être incrédule, c'est perdre le principal secours de la vertu, la force qui dompte la tentation, la vue vivifiante de Dieu, la seule lumière qui ne manque pas, la seule espérance qui soit certaine. L'incrédule ferait un bénéfice inexprimable s'il renonçait à tout ce qu'il possède pour acquérir lès vérités qu'il repousse. Mais comment, le gagnerons nous à la foi? Ce ne sera pas par des reproches, par le dédain, par un ton de supériorité, mais en respectant, comme on le doit, sa raison, ses vertus, le droit qu'il a de juger par lui-même ; c'est en plaçant devant lui le Christianisme dans sa simple majesté, dans sa sagesse, dans son merveilleux accord avec les besoins de notre âme ; en exposant les preuves de la religion dans toute leur force mais sans exagérer ; et surtout, en montrant par notre caractère et notre vie, qu'il y a dans le Christianisme une force qui purifie, élève, console, une force qu'on ne trouve dans aucun enseignement humain. Voilà les vrais moyens de conversion.

    Des menaces et des reproches peuvent pousser des ignorants et des superstitieux à adopter une religion : mais l'incrédule qui réfléchit ne peut que se défier d'une cause qui accepte de pareilles armes. Il faut qu'on raisonne avec lui, comme avec un homme, un égal et un frère. Peut-être pourrions-nous lui imposer silence pour quelque temps, en répandant dans la société une excitation fanatique et en poussant à la haine et à la persécution de l'infidélité. Mais comme par de pareils moyens le christianisme prendrait une forme moins aimable et moins raisonnable, ses ennemis secrets augmenteraient en nombre ; ses preuves les plus claires seraient obscurcies, ses fondements minés, sa force affaiblie; et quand viendrait le moment de jeter le masque, et ce moment vient toujours, on apprendrait que, dans les rangs mêmes des disciples, il s'est formé une armée d'ennemis, qui brûle d'abattre une foi intolérante et qui trop longtemps, leur a fermé la bouche en foulant aux pieds les droits et la liberté de l'esprit humain.

    Voilà pourquoi je ne condamne pas l'incrédule, à moins qu'il ne porte témoignage contre lui-même par une vie immorale et irréligieuse. Il ne m'est pas donné de scruter son coeur. Mais cette faculté il la possède et c'est en ami que je l'exhorte à en user. Qu'il examine sincèrement son âme, qu'il interroge sa vie passée, qu'il juge les causes de son incrédulité. Qu'il se demande, s'il a examiné les principes et les preuves du christianisme sérieusement et avec l'amour de la vérité ; qu'il voie si le désir de connaître et de remplir ses devoirs envers Dieu et le prochain a dirigé son examen ; s'il ne s'est pas abandonné à des passions ou à des occupations que la religion et la conscience réprouvent, qui aveuglent l'esprit et qui ferment le cœur à la vérité. Si, après s'être ainsi interrogé, son cœur l'absout, que personne ne le condamne, et qu'il dédaigne toute condamnation humaine. Mais si sa conscience témoigne contre lui, son incrédulité doit lui être un sujet de doute et d'effroi. Il a raison de craindre qu'elle ne soit le fruit d'une âme dépravée, et qu'en mûrissant elle n'achève la corruption d'où elle est sortie.

    Je sais que cette douceur pour l'incrédulité, on l'appellera une trahison envers le christianisme. Il y a des gens qui pensent que les hommes cesseront de s'attacher à l'Évangile si l'on ne met le scepticisme au nombre des crimes les plus horribles, si l'on ne fait de l'incrédule un objet d'horreur et d'effroi. Les amis du Christianisme ne peuvent pas avancer une opinion qui lui soit plus défavorable. C'est supposer que les preuves de notre religion ne peuvent convaincre que sous l'influence de la terreur; que l'Évangile ne peut, comme toute autre vérité, être soumis au jugement calme et impartial de l'humanité. C'est montrer une défiance du Christianisme, pour la quelle je n'ai point de sympathie. Et c'est ici l'occasion de remarquer que les plus grands abus de notre religion sont sortis de cette lâche défiance. Les amis de la religion ont craint qu'elle ne pût se soutenir, sans tous ses appuis artificiels. Ils ont imaginé qu'il fallait tantôt attirer les hommes à la foi en y attachant des privilèges temporels, tantôt les y soumettre par les menaces et les inquisitions, parfois les séduire par des cérémonies pompeuses, et parfois les terrifier par des mystères et des superstitions ; en un mot, qu'il fallait en imposer à la foule sans quoi la religion tomberait. Je ne me défie pas ainsi du Christianisme; j'ai foi dans sa force invincible. Il est fondé sur notre nature. Il répond à nos plus profonds besoins. Ses preuves comme ses principes sont à la portée d'une intelligence ordinaire; et ne demandent pas qu'on les appuie par un appel à la force ou à toute passion qui arrête l'examen et trouble le jugement. Je ne crains rien pour le christianisme, si on lui laisse parler son langage, s'il peut approcher des hommes sans voile, et dans toute la splendeur de sa bonté. Je crains beaucoup les armes de la politique et de l'intimidation qui ont été inventées pour soutenir la faiblesse imaginaire de la vérité chrétienne.

    J'aborde maintenant le grand objet de ce discours, l'exposition des preuves du christianisme; et je commence par un point qui est nécessaire pour préparer quelques personnes, à apprécier ces preuves à leur valeur véritable. Je commence par cette proposition, qu'il n'y a rien dans l'idée générale de révélation qui choque la raison, rien qui soit incompatible avec les vérités établies, ou avec les vues les plus justes sur Dieu et la nature. Ceci répond à un préjugé très commun. Je répète donc que la révélation n'a rien d'incroyable, rien de contradictoire, rien qui renverse les données de la raison ou de l'expérience. Quand on nous dit que Dieu nous instruit par d'autres moyens que ceux de l'ordre fixe de la nature, nous ne devons pas en être surpris et cette idée ne doit pas éveiller de résistance dans notre esprit.

    La révélation n'est pas en guerre avec la nature. Par la nécessité des choses, c'est de cette source que la première instruction a du venir aux hommes. Si notre espèce a eu un commencement, et l'athéisme dans sa folie peut seul en douter, ses premiers membres, créés comme ils l'ont été sans parenté humaine, et n'ayant pas la ressource de l'expérience de leurs pères, avaient donc besoin de l'enseignement immédiat de leur créateur; ils eussent péri sans cela. La révélation a commencé l'histoire humaine, elle est le fondement de toutes les connaissances et de tous les progrès qui ont suivi. C'était une partie essentielle du cours de la Providence, et on ne doit donc pas la regarder comme étant en désaccord avec l'harmonie générale que Dieu a établie.

    La révélation n'est pas en guerre avec la nature. La nature nous fait regarder la révélation comme sortant des rapports mêmes qui existent entre Dieu et l'espèce humaine. Le rapport de Créateur est le plus intime qui puisse exister, et cela nous mène à en attendre un commerce libre et affectueux avec la créature. Que le Père universel soit lié à ses enfants par un amour paternel, qu'il veille sur eux et aide au progrès de ceux qu'il a enrichis des dons divins de la raison et de la conscience, c'est une doctrine si naturelle, si bien d'accord avec le caractère divin, qu'avant comme après le christianisme, plus d'une secte, philosophique ou religieuse, a cru, non seulement qu'il y avait une révélation générale, mais que Dieu se révélait à chaque âme en particulier. Quand je songe à l'esprit humain et à son immense capacité, combien Dieu en est près, et de quel amour infini il l'aime, je m'étonne, non qu'il y ait eu des révélations, mais qu'il n'en ait pas été accordé davantage aux divers besoins de l'humanité.

    Il y a un accord frappant entre la révélation et la règle que Dieu a établie pour le progrès des individus et du genre humain et ainsi la révélation est eu harmonie avec l'action ordinaire de la Divinité. A qui devons-nous nos principales connaissances? Ce n'est pas à l'univers ; ce n'est pas aux lois immuables de la matière; c'est à des intelligences plus avancées que nous. Les enseignements des sages et des vertueux, sont notre principal secours. Si les liens qui nous unissent aux esprits supérieurs étaient brisés, si nous n'avions pour maître (pie la nature avec ses lois fixes, ses révolutions invariables de la nuit et du jour ou des saisons, nous resterions à jamais dans l'ignorance de l'enfance. La nature est un livre où l'on ne peut lire qu'avec l'aide d'un interprète intelligent. La grande loi donnée à l'homme, c'est de recevoir la lumière et l'impulsion d'hommes plus instruits que lui. Or, la révélation n'est qu'une extension de cette règle universelle établie pour le progrès de l'humanité. Ici c'est Dieu qui prend pour lui la fonction à laquelle tous les êtres raisonnables sont appelés. Il se fait l'instituteur immédiat de quelques individus, et leur communique un ordre de vérités plus élevé que celui qu'on avait atteint jusque-là; vérités qu'à leur tour ils communiqueront au genre humain. Il n'y a pas là de nouvel élément introduit dans le système, il y a un agrandissement de cette action d'où dépend le progrès de l'homme.

    Considérez aussi pourquoi Dieu a décrété comme principal moyen du progrès humain, cette communication de lumières faite par des esprits supérieurs aux esprits inférieurs; si la révélation a un résultat semblable, et plus important encore, ce sera une nouvelle preuve de l'accord que Dieu a mis entre la révélation et sa providence ordinaire. Pourquoi Dieu a-t-il voulu que le progrès de l'homme dépendit de l'enseignement de ses semblables? Pourquoi les plus avancés sont-ils chargés d'élever les moins instruits? La fin principale c'est, je crois, d'établir des rapports entre les hommes, de les attacher les uns aux autres par des sentiments généreux, de favoriser un commerce affectueux, d'exciter un amour plus pur que celui qui sort de bienfaits purement matériels. Or, il est raisonnable de croire que le Créateur se propose de s'attacher ses créatures aussi véritablement que de les attacher les unes aux autres, et même qu'il veut faire naître chez elles une confiance en lui, une reconnaissance, et un amour plus forts; car ces sentiments, quand ils s'adressent à Dieu, rendent plus heureux, et anoblissent davantage, que lorsqu'ils ont tout autre objet, et il est clair que la révélation, c'est-à-dire un enseignement divin immédiat, sert autant à établir ces liens entre Dieu et l'homme, qu'un enseignement humain sert à unir les hommes entre eux.

    Nous voyons donc dans la révélation une fin qui répond au dessein que Dieu se propose dans sa providence ordinaire. Que cette fin soit digne de son intervention, qui pourrait en douter ? Dieu ne peut se proposer rien de plus grand que d'élever jusqu'à soi l'âme de ses créatures. Son caractère paternel est une garantie qu'il doit vouloir cet ineffable bonheur pour des enfants qu'il a doués de raison ; et la révélation répond à ce but, non seulement en développant de nouvelles doctrines pour ce qui concerne Dieu, mais par la preuve touchante qu'elle nous donne de l'intérêt particulier que Dieu prend à la famille humaine. Il y a évidemment, dans ce mode d'instruction, une expression d'intérêt plus profond, un caractère d'affection plus grande, que dans un enseignement qui suit l'ordre fixe de la nature. La révélation, c'est Dieu qui nous parle dans notre propre langage, avec le ton d'un ami. Elle montre un amour qui ne tient compte ni de la réserve ni de la distance que nous sentons quand Dieu nous instruit par ses ouvrages seuls. Elle nous attache à Dieu. On peut regarder la nature, sans songer à celui dont elle annonce la gloire; mais l'idée de Dieu est liée à celle de la révélation et elle en fait partie. Combien cette communication directe rapproche Dieu de la masse des hommes! Pour cette raison la révélation me semblerait importante, quand elle ne ferait que répéter les enseignements de la nature. Cette répétition de grandes vérités dans un style moins formel, avec un ton plus bienveillant, plus familier, est faite pour exciter dans l'âme le sentiment de la présence et de la bonté du Père céleste. Je vois donc dans la révélation un dessein qui répond à celui pour lequel l'enseignement humain a été institué. Tous deux ont été destinés à créer une affection pure entre le maître et le disciple.

    Considérez maintenant quelle espèce d'instruction les hommes supérieurs sont appelés à donner aux esprits inférieurs. Vous y verrez une nouvelle harmonie entre la révélation et cet enseignement humain, qui est le grand moyen de perfectionner notre espèce. Quel genre d'instruction, les parents, les vieillards et les hommes d'expérience, sont-ils le plus désireux de donner à la jeunesse? Quel enseignement fait le salut de cette partie de l'humanité ? C'est l'instruction qui a trait à l'avenir, aux années de la maturité, instruction qui prépara la jeunesse à la vie qui s'ouvre devant elle. La volonté de Dieu, en nous faisant naître, c'est que nous soyons avertis des phases futures de notre existence, de la maturité qui approche, des événements, des devoirs, des peines qui nous attendent. C'est pour cela que Dieu nous lie avec des hommes qui ont parcouru les sentiers où nous entrons, et dont le devoir est de nous former pour un âge plus avancé. L'instruction qui a pour objet l'avenir est le grand moyen de progrès. Or, c'est sur ce sujet même que la révélation a pour objet de nous instruire ; elle nous dévoile la vie qui est devant nous et nous y prépare. L'avenir est son perpétuel refrain. Que Dieu nous éclaire sur cet état, s'il nous y destine, c'est ce que nous devons attendre de sa sollicitude à nous instruire sur tout ce qui touche à l'avenir de notre existence terrestre. La nature a soif de connaître quelque chose de la destinée de l'homme, et l'analogie promet en ce point quelque lumière. J'insisterai bientôt là-dessus. En ce moment, je veux seulement vous montrer qu'ici la révélation s'accorde avec la providence ordinaire de Dieu.

    Je passe à un autre ordre de réflexions, qui, suivant moi, répond surtout â l'idée vague, que la révélation est contraire à la nature. Pour juger la nature, il faut regarder les êtres les plus élevés. Il faut étudier l'âme humaine qui, nous le sentons tous, est une existence plus élevée que la matière. Or, je maintiens qu'il y a dans l'âme humaine des besoins, des besoins profonds, que ne satisfont ni l'action ni les enseignements des choses ordinaires. Je sais que c'est là un sujet fait pour provoquer la méfiance, sinon la moquerie, chez les hommes sensuels et les âmes basses; mais je parle de ce que je sais ; et rien ne m'émeut moins que les railleries de ceux qui méprisent leur propre nature. L'un des aspects qui frappent le plus dans la nature humaine, c'est la disproportion entre ce qu'elle conçoit ou ce qu'elle désire, et ce qu'elle trouve ou peut atteindre dans sa condition présente. Elle tend toujours au delà de ses limites actuelles. Il lui vient des idées de perfection et de bonheur qu'elle ne peut réaliser. Elle a en elle un idéal qui lui échappe à chaque jour, à chaque heure. Cette contradiction intérieure est la source de vives souffrances. Il y a chez la plupart des hommes un sentiment confus au moins, d'avoir été créés pour quelque chose de plus haut que ce qu'ils atteignent, un sentiment de discorde intérieure, un manque de quelque bien stable, un désappointement de tous les biens extérieurs; et, à mesure que ces convictions et ces besoins se dessinent, ils se transforment en désirs d'une lumière et d'un secours divin qu'on ne trouve pas dans la nature.

    Je sais que chez la majorité des hommes ces besoins ne se font sentir que faiblement. Habituée à donner toute sa pensée et tout son effort au monde matériel, la foule ne regarde pas dans son âme et ne peut pas la comprendre. C'est à des causes extérieures que le peuple impute les misères qui jaillissent d'une source intérieure. Il n'arrête pas les bonnes pensées, les bons sentiments qui parfois lui traversent l'esprit; à peine en a-t-il conscience. Et cependant il y a peu d'individus qui ne soient parfois mécontents d'eux-mêmes, qui ne sentent le tort qu'ils se sont fait, et qui ne désirent une situation d'esprit plus noble et plus pure. La Soudaineté avec laquelle la foule est remuée par une éloquence brûlante, quand on lui parle du monde spirituel avec le ton de la vérité, nous montre combien sont grands les besoins de la nature humaine, même au milieu de l'ignorance et de la dégradation.

    Mais tous les hommes ne s'abandonnent pas entièrement aux choses extérieures. Il en est, et beaucoup, qui sont plus fidèles à leur nature, et qu'on doit par conséquent regarder comme en étant les meilleurs représentants; et chez ceux-là les besoins dont j'ai parlé se font sentir avec force. Il en est qui supportent avec douleur le poids de leur imperfection, qui sont enflammés à la vue de la grandeur d'âme et du dévouement, qui ne désirent rien tant que de surmonter les tentations, que de s'élever au-dessus de l'égoïsme des passions, et que de conformer leur volonté à la loi du devoir; il en est qui n'aiment rien tant que la paix que donnent la justice et la foi; qui se réjouiraient de sacrifier leur vie pour cette vertu pure, brillante, désintéressée, dont ils possèdent le type ou le germe en eux-mêmes. Des âmes pareilles ne trouvent de ressource qu'en Dieu, et sont prêtes à saluer la révélation de ses miséricordes comme un bienfait inexprimable. Ainsi donc le cœur humain a des besoins que la nature ne peut satisfaire. Et ce ne sont pas là des sentiments accidentels, des caprices inexplicables, ce sont des sentiments profonds, durables et qui, sous une forme ou sous une autre, se reproduisent dans tous les âges. Ils respirent dans les œuvres du génie; ils enflamment les plus nobles esprits. Il y a des principes que Dieu a mis dans le cœur de ses créatures les plus élevées, des principes avec lesquels la révélation s'accorde ; j'ai donc raison de dire que la révélation n'est rien moins que contraire à la nature.

    Je ne présenterai plus qu'une idée pour faire mieux comprendre ce sujet. Je vous prie de considérer quel est l'élément sur lequel agit la Révélation, et puis de rechercher si l'importance particulière de cet élément ne justifie pas une intervention particulière. S'il en est ainsi, la révélation est un besoin de l'âme humaine, et la discordance imaginaire avec la nature disparaît. Pour laquelle de nos facultés a donc été destiné le christianisme? Évidemment ce n'est pas pour enrichir l'intelligence en lui enseignant la philosophie, ni pour perfectionner l'imagination et le goût en leur fournissant de sublimes modèles. Ce n'est pas pour donner l'esprit politique ni le talent et l'invention dans les affaires ordinaires. Certainement la religion est faite pour développer toutes ces facultés, mais c'est de façon secondaire, et en agissant sur un principe plus élevé. Le christianisme s'adresse avant tout à la faculté morale. Il est fait pour l'homme considéré comme être moral, et doué de conscience, c'est-à-dire ayant en lui le principe du devoir, capable de droiture ou de vertu, et exposé à ce mal particulier que nous nommons le crime. Or, la question se présente d'elle-même : Pourquoi Dieu emploie-t-il des moyens si extraordinaires pour propager la vertu plutôt que pour propager la science ? Pourquoi vient-il au secours de la conscience plutôt qu'à celui de l'intelligence et de nos autres facultés? Y a-t-il dans le principe moral une raison qui demande une intervention particulière en sa faveur? Oui; je l'affirme. J'affirme qu'il y a une immense différence entre notre nature morale et nos autres capacités. La conscience est en nous la faculté suprême. Son essence, son caractère, c'est la souveraineté. Elle parle avec une autorité divine. Sa fonction est de commander, de réprimander, de récompenser, et notre bonheur et notre gloire dépendent du respect avec lequel nous l'écoutons. Toutes nos autres facultés sont inutiles, et plus qu'inutiles, quand elles ne sont pas contrôlées par le principe du devoir. La vertu est le bien suprême, la suprême beauté, le plus divin des dons de Dieu, la santé et le développement harmonieux de l'âme, le germe de l'immortalité. Elle vaut tous les sacrifices, et elle change les sacrifices et les souffrances en couronnes de gloire et de joie. Le péché, le vice, est un mal d'une espèce particulière qu'on ne doit confondre avec aucun autre. Qui ne sent l'énorme différence qui existe entre le malheur et le crime, entre la maladie du corps et la dégradation de l'âme? Le péché, le vice, c'est la guerre contre la puissance la plus noble qui se trouve en nous et dans l'univers. Le vice rend l'homme odieux à lui-même, et tourne contre lui le principe de justice qui se trouve en Dieu et chez tous les êtres purs. Le vice empoisonne ou tarit les sources du bonheur, et ajoute un poids indicible aux peines inévitables de la vie. Ce n'est pas un mal étranger, c'est une plaie et un cancer intérieur. Ses compagnes naturelles sont la crainte, la honte, les remords; il ôte au présent toute consolation, il laisse l'avenir sans espérance. Or, je dis que dans cette ruine particulière, qui est l'œuvre du mal moral, et dans cette valeur particulière du bien moral, nous voyons des raisons qui justifient une intervention divine pour aider à la vertu et pour résister au vice. Il est digne du Père infini de montrer un intérêt particulier pour les besoins moraux de ses créatures. Notre corruption, cette corruption prolongée, appelle des secours particuliers ; et une révélation qui nous rend ces secours et qui les perfectionne, a une fin qui justifie, si même elle n'exige pas, cette preuve signalée d'amour paternel.

    Si ces considérations ne suffisent point à démontrer l'existence d'une révélation, elles sont au moins faites pour détruire la notion vague que la révélation est contraire à la nature, et elles montrent que la révélation s'accorde avec l'esprit et les principes du gouvernement divin. Maintenant j'examine les preuves directes et positives du christianisme, en commençant par quelques remarques sur la nature et la suffisance de la preuve principale.

    Le Christianisme est né il y a dix-huit cents ans. Il faut donc en chercher les preuves dans l'histoire. Il faut remonter à l'origine, connaître la condition dans laquelle le christianisme trouva le monde, suivre sa naissance, ses progrès, son établissement. Sur ce point, heureusement, nous avons la lumière nécessaire pour bien juger. Il ne faut donc pas nous imaginer qu'une religion qui porte une date si reculée soit forcément enveloppée d'obscurité. Nous en savons assez sur les premiers temps du Christianisme pour juger de sa vérité. On peut connaître le passé aussi bien que le présent; et je regarde ce point comme si important dans la discussion actuelle que je réclame toute votre attention.

    Je dis qu'on peut connaître le passé, et ce n'est pas tout; c'est du passé que nous tirons nos connaissances les plus importantes. Le passé est notre maître. Nos institutions politiques aussi bien que nos institutions religieuses, nos lois, nos coutumes, nos opinions, nos arts, nous viennent du passé, et la plupart sont inintelligibles sans la lumière que nous empruntons à l'histoire.

    Ce ne sont pas seulement les temps qui nous touchent que nous pouvons connaître, ce sont aussi les siècles reculés. Un homme instruit ne doute pas plus des 3 victoires d'Alexandre ou de César, qui ont vécu avant le Christ, que des conquêtes de Napoléon. Nos moyens de communiquer avec certains siècles de l'antiquité sont si faciles, les monuments qui nous sont restés sont si nombreux, que nous connaissons quelquefois l'antiquité mieux que les temps plus rapprochés ; et une religion qui naquit il y a dix-huit cents ans, peut être plus facile à étudier, et accompagnée de preuves plus décisives qu'une religion qui ne serait séparée de nous que par le quart de cette durée.

    Par la force même des choses, nous pouvons et nous devons connaître une grande partie du passé, car le présent est sorti du passé ; il en est le legs, le fruit, le représentant; il en porte l'empreinte profonde. Les événements ne meurent pas au moment où ils arrivent. Rien n'a lieu sans laisser de traces ; et ces traces sont souvent si visibles et si variées qu'il ne reste pas un doute sur leur cause. Nous savons tous comment, dans le monde matériel, les événements se prouvent d'eux-mêmes aux siècles à venir. Si, en visitant une région inconnue, nous apercevons des masses de lave couvertes d'un sol de différents degrés d'épaisseur, et entourant un cratère noirci, nous sommes aussi sûrs qu'il y a eu d'anciennes éruptions volcaniques que si nous les avions vues. Les crevasses du sol nous disent de quelle façon terrible la terre a été ébranlée; l'horrible puissance d'un feu depuis longtemps éteint est écrite dans cette désolation que les siècles n'ont pas effacée. Or, les conquêtes et les révolutions civiles ou religieuses laissent aussi leur empreinte sur la société; elles laissent des institutions, des mœurs et une variété de monuments qu'on ne peut expliquer sans elles, et qui, réunis, en attestent l'existence. Le passé s'étend dans l'avenir, le présent en est rempli, et on ne peut le comprendre qu'à la lumière de l'histoire.

    Mais, outre ces restes des anciens temps, nous avons d'autres monuments du passé qui sont plus visibles, et qui, joints aux premiers, nous le font connaître clairement. Je veux parler des livres. Un livre est plus qu'un monument d'un âge précédent ; c'est une voix qui nous arrive au travers des siècles. L'écriture nous fait connaître la pensée d'autrui aussi bien que la parole. C'est un commerce personnel. C'est par là que les sages du passé nous communiquent leurs pensées aussi réellement que si, par quelque miracle, ils se levaient d'entre les morts, et causaient avec nous.

    Ces réflexions nous montrent que la date du Christianisme ne le soustrait pas à notre examen, et elles s'appliquent surtout au temps où l'Évangile fut donné au monde. Notre religion n'a pas paru avant l'histoire authentique. Sa naissance ne se perd pas dans l'obscurité des temps fabuleux. Nous avons de nombreux moyens pour approcher de ses origines; et, ce qui est très important, l'intérêt profond et particulier qu'éveille le Christianisme a appelé l'attention des hommes les plus capables et les plus instruits sur l'époque de sa publication, de sorte que nulle partie de l'antiquité n'est mieux connue. Le Christianisme est né dans un temps où la littérature et la philosophie de la Grèce, partout répandues, avaient donné une grande impulsion à l'esprit humain, et alors que Rome, par des conquêtes inouïes, était devenue le centre et le lien du monde civilisé et du monde barbare, et avait établi, entre des pays éloignés, une facilité de communications jusqu'alors inconnue. Nous ne sommes donc pas réduits à chercher notre route à tâtons, sous un jour incertain. Nos moyens d'instruction sont grands et variés. Nous avons des faits incontestables qui concernent l'origine de notre religion, et qui en prouvent aisément la vérité. Je vais mettre sous vos yeux quelques-uns de ces faits qui serviront de point de départ à nos réflexions.

    I. D'abord nous connaissons avec certitude le temps où le Christianisme fut fondé. Sur ce fait, il n'y a et il ne peut y avoir aucun doute. Païens ou chrétiens, les historiens sont unanimes. Le Christianisme a été prêché pour la première fois sous Tibère. Il n'en existe pas de trace avant cette époque, et, plus tard, les marques et les preuves de son existence sont si manifestes, si bien reconnues qu'il n'est pas besoin d'en parler. Voici déjà un fait important mis hors de doute.

    2. En second lieu, nous connaissons la place où est né le Christianisme. Personne ne lui dispute le pays de sa naissance. Son origine juive n'est pas seulement attestée par l'histoire, elle est gravée sur son front, mêlée à tout son être. Le langage dans lequel il est annoncé nous porte de suite en Judée. Son nom vient des prophéties juives. Des Juifs seuls ont pu écrire le Nouveau Testament. Ces écrivains font aux opinions et aux mœurs juives des allusions si naturelles, si involontaires, si répétées ; ils sont si habitués à emprunter à la même source, les métaphores, les comparaisons, les figures qui expliquent leur doctrine, qu'on peut dire que le Christianisme, quant à ses formes extérieures, est en plein judaïsme. Voici donc un nouveau fait d'établi. Nous savons où est né le Christianisme.

    3. Nous savons encore quel est le fondateur du Christianisme. Nous en connaissons l'auteur, et, par la nature même des choses un pareil fait ne peut être ignoré. Le fondateur d'une religion est naturellement et nécessairement l'objet de la curiosité générale. Partout où pénètre la nouvelle foi, la première question, et la plus vive, est celle-ci : « De qui vient-elle? Sur quelle autorité repose-t-elle?» La curiosité n'est jamais plus intense que lorsqu'il s'agit d'un personnage qui s'attribue une mission divine, et qui prêche une nouvelle religion. C'est le dernier homme qu'on dédaigne ou qu'on méconnaisse. Ici surtout, on peut dire que le fondateur s'impose à l'attention publique, car son histoire forme une part essentielle de sa religion. Le Christianisme n'est pas une doctrine abstraite où l'auteur n'est pas en vue. Le fondateur du Christianisme en est l'âme même. Sa religion repose sur lui, et elle trouve sa meilleure explication dans la vie de son auteur. Du reste, on peut épargner ces réflexions. La simple considération que le Christianisme a dû avoir un fondateur, et qu'on a toujours reconnu comme tel Jésus seul, place au-dessus de toute incertitude le grand fait que je veux établir.

    4. J'observe ensuite que nous ne connaissons pas seulement le fondateur du Christianisme, nous connaissons aussi les ministres dont il se servit pour prêcher et répandre sa religion dans le monde. Toute nouvelle religion a des apôtres, des premiers docteurs, et elle tient à eux par des liens intimes. Une société ne peut pus plus ignorer les maîtres qui l'ont convertie que le conquérant qui lui a imposé un nouveau gouvernement ; et là où on emploie l'art d'écrire, ce dernier événement ne sera pas transmis à la postérité d'une façon plus certaine que le premier. Tous les siècles nous attestent que des hommes appelés apôtres furent les premiers propagateurs du Christianisme, et on n'en nomme pas d'autres qui aient rempli cette fonction; il est impossible qu'un pareil témoignage soit faux.

    5. De plus, nous ne savons pas seulement quand et où et par qui le Christianisme a été introduit, nous savons aussi, d'une grande variété de sources, ce qu'était en somme cette religion quand elle sortit des mains de son fondateur. Pour en être sûrs, nous n'avons pas besoin de recourir à des livres sacrés. A compter du siècle qui suivit le Christ et les apôtres, nous avons une suite, une armée innombrable d'écrivains qui se sont occupés du Christianisme; et, si nous y trouvons une grande diversité d'opinions, et des interprétations contraires pour quelques-unes des doctrines du Christ, cependant tous ces auteurs sont si bien d'accord sur les grands faits de l'histoire du Christ, et sur le6 grands principes de sa religion, que nous ne pouvons nous tromper sur le caractère général de son enseignement. Il n'y a pas l'ombre d'une raison pour croire que la doctrine de Jésus ait été perdue, et que, sous le nom du Christ, on ait imaginé et imposé au monde un système qui ne soit pas le sien. Les corruptions du Christianisme n'en ont pas voilé et ne pouvaient en voiler les traits principaux. Les plus grandes altérations ont eu lieu dans le siècle qui suivit la mort des apôtres, lorsque des sectes extravagantes et visionnaires essayèrent de fondre ensemble la nouvelle religion et la fausse philosophie de leur paganisme. Vous jugerez du caractère et des prétentions de ces sectes quand vous saurez, qu'en général, elles s'accordaient à croire que le Dieu qui a fait le monde, et qu'adoraient les Juifs, n'était pas le Dieu suprême, mais une divinité inférieure et imparfaite, et que la matière avait existé de toute éternité, et était mauvaise par essence et toujours. Ces sectes cependant essayaient de s'appuyer sur les écrits que les chrétiens recevaient et honoraient comme étant l'œuvre des apôtres; et, au milieu de leurs illusions, elles reconnaissaient et enseignaient les miracles du Christ, sa résurrection, et les principes les plus importants de sa religion; de telle sorte qu'on peut constater de façon indubitable quelle était la nature du Christianisme au moment où il sortit des mains de son fondateur. Voilà encore un grand point de fixé.

    6. Je viens d'établir devant vous plusieurs faits qui concernent le Christianisme, et qui n'admettent pas de doute; ces faits inattaquables sont d'un grand poids dans une discussion sur les preuves du Christianisme. Reste encore un point important qu'on ne peut éclaircir aussi aisément. J'espère cependant que, sans excéder les bornes d'un discours, on en peut dire assez pour détruire le doute, et j'appelle sur ce point toute votre attention. Je dis donc que ce n'est pas seulement de façon générale que nous savons ce qu'était le Christianisme à son début, mais que nous savons d'une manière précise ce qu'enseignèrent les premiers apôtres, car nous avons leurs écrits. Nous avons leur religion écrite de leur main. Nous avons en particulier quatre récits de la vie, des œuvres et des paroles du Maître, qui nous donnent son enseignement privé aussi bien que son enseignement public. Il est vrai que, sans ces écrits, nous aurions encore de grands arguments en faveur de la vérité du Christianisme; mais nous resterions dans le doute sur quelques-uns de ses principes; et la preuve intérieure de cette vérité, qui fortifie et, suivant certaines personnes, surpasse la preuve extérieure, en serait bien affaiblie. Évidemment les écrits des premiers apôtres nous aideraient beaucoup à juger de l'Évangile. Or nous avons ces écrits, et c'est un point que je vais établir.

    Je sais que cette question n'est traitée d'ordinaire que par les savants de profession. Mais c'est une question que le bon sens peut juger, et sa grande importance appelle l'attention de tout chrétien.

    La question est de savoir, si les quatre Évangiles sont authentiques, c'est-à-dire, s'ils ont été écrits par ceux auxquels on les attribue. Pour y répondre, considérons de quelle manière on détermine l'authenticité d'un livre. Et, d'abord, il est clair que, pour connaître l'auteur d'un ouvrage, il n'est pas nécessaire d'avoir été témoin de la composition. Des innombrables publications de l'époque actuelle, peut-être n'en avons-nous pas vu une seule sous la plume de l'écrivain. Le plus grand nombre nous arrive au travers de l'Océan, et, cependant nous sommes aussi sûrs de leurs auteurs que si nous les avions vu écrire. Quand les gens qui s'intéressent à un ouvrage, et qui possèdent les meilleurs moyens de connaître la vérité, attribuent un livre à un individu, tous les doutes disparaissent. Une conviction de cette espèce, quand elle est profonde et répandue doit avoir une cause, et c'est, sans doute, que l'auteur présumé est le véritable. Rappelez-vous qu'il y a chez les hommes un penchant prononcé à connaître l'auteur d'un ouvrage important. Nous en avons eu de notre temps un exemple remarquable. L'auteur de Waverley jugea à propos de s'entourer de mystère; et qu'en résulta-t-il? Nul sujet de politique ou de science ne fut plus discuté que la question de savoir qui avait écrit cet ouvrage. Ce ne fut pas seulement une question traitée dans tous les journaux, on écrivit un livre exprès pour résoudre le problème. Cet exemple, je le sais, est particulier ; mais cette curiosité est un principe de notre nature, et elle est surtout active, quand le livre en question a une grande autorité.

    J'ai parlé de la confiance où nous sommes en ce qui touche les auteurs des livres publiés de notre temps. Mais notre certitude ne s'arrête pas là. Il n'est pas de lecteur qui ne soit aussi sûr que Hume et Robertson ont écrit les histoires qui portent leurs noms, qu'il est sûr que, de notre temps, Scott a écrit la vie de Bonaparte. Ces hommes illustres sont nés il y a plus d'un siècle, et ils sont morts avant la naissance de la plupart de ceux à qui je parle. Mais les rapports entre leur époque et la nôtre sont si faciles et si variés, que nous connaissons leurs travaux littéraires aussi bien que ceux d'aujourd'hui. Que de gens qui vivent encore ont connu des contemporains de ces historiens ! C'est par ce moyen, en particulier, que nous communiquons avec la génération qui nous a précédés, et que nous savons ce qu'elle pensait des auteurs les plus intéressants aussi bien que si nous eussions vécu de leur temps. Le siècle prochain tiendra au nôtre comme le nôtre tient au siècle passé; et nous transmettrons à nos successeurs immédiats les convictions de nos pères; vous voyez donc quel respect est dû en pareil cas au témoignage de la troisième génération.

    Vous sentez maintenant avec quelle confiance et quelle certitude on détermine quels sont les auteurs des écrits publiés de notre temps ou dans les temps les plus rapprochés du nôtre. Mais ces remarques ne s'appliquent pas moins à l'antiquité. Pour savoir si un livre ancien a été écrit par celui dont il porte le nom, il faut chercher quelle fut l'opinion des contemporains, ou de ceux qui leur ont succédé d'assez près pour avoir eu des rapports intimes avec eux. Nous avons vu que ces derniers étaient juges compétents; et, s'ils nous ont transmis leur avis dans des écrits non contestés, cette opinion est décisive. C'est sur ce témoignage, qu'avec la foi la plus ferme, nous attribuons un grand nombre de livres anciens à leurs auteurs; et, en vérité, nous reconnaissons plus d'un ouvrage de l'antiquité comme authentique, sur des preuves bien moindres. Il y a beaucoup de livres dont on ne trouve pas de mention plusieurs siècles après celui des auteurs qu'on leur donne; et, cependant, cette attribution constante est regardée comme un titre suffisant, à moins de preuve contraire. Cette attribution générale est un effet qui suppose une cause ; et l'explication la plus naturelle et la plus claire de ce qu'on nomme tel écrivain plutôt que tout autre, c'est qu'il est le véritable auteur.

    Appliquons maintenant ces principes aux quatre histoires du Christ, communément appelées Évangiles. Il s'agit de savoir quel témoignage touchant leurs auteurs nous est venu, soit des contemporains, soit d'une époque si voisine, qu'elle nous ait conservé l'opinion des contemporains. C'est par ce témoignage, comme nous l'avons vu, que l'authenticité d'un livre peut être décidée; et je commence par reconnaître qu'on ne peut trouver aucune preuve contemporaine. Nul auteur, vivant à l'époque des premiers propagateurs du Christianisme, n'a nommé les Évangiles. Le fait est qu'on n'a pas conservé d'écrits incontestables des premiers prosélytes. Quelques traités, portant les noms d'hommes liés avec les apôtres nous sont, il est vrai, parvenus; mais leur origine est entourée de tant d'incertitude, que je ne suis pas disposé à m'en appuyer. Après tout il ne faut pas être surpris que les chrétiens des premiers temps ne nous aient pas laissé d'écrits, car ce fut une époque de persécution où l'on fut plutôt appelé à mourir qu'à écrire pour la religion. Je suppose aussi, que du temps des apôtres, on attachait peu d'importance aux livres, hormis ceux qui étaient publiés ou autorisé par ces hommes éminents; et, par conséquent, ce que d'autres écrivirent se répandit peu, et fut bientôt oublié.

    Les écrits authentiques des premiers chrétiens commencent soixante-dix ans après le temps des apôtres. A cette époque il est probable qu'il ne restait plus aucun des premiers prosélytes ou des contemporains des apôtres. Mais beaucoup de ceux qui avaient connu les derniers survivants de cette noble génération vivaient encore. Lorsque les apôtres moururent, ils laissèrent derrière eux une foule d'hommes qui les avaient connus, et, dans cette foule, il y en eut beaucoup, sans doute, qui vieillirent avec la génération qui suivit. C'est à cette génération que commence la suite des auteurs chrétiens. Ainsi donc, quoique nous n'ayons point de productions du siècle apostolique pour rendre témoignage aux Évangiles, nous avons des écrits du temps qui a immédiate ment suivi, c'est-à-dire les témoignages les plus dignes de foi. Qu'enseignent ces écrits? Je réponds que leur témoignage est clair et complet. Nous y apprenons que non seulement les Évangiles existaient alors, mais qu'ils étaient très répandus, qu'on les recevait comme l'œuvre de ceux dont ils portent le nom, et qu'on leur accordait une confiance et un respect que n'ont jamais obtenu d'autres livres. On cite les Évangiles comme des livres donnés à la société chrétienne par leurs respectables auteurs, comme des actes publics et durables de la religion; on nous dit qu'on les lisait dans les assemblées qui se tenaient pour l'enseignement et la propagation de la foi. Je vous prie de peser ce témoignage. Il nous vient d'un temps qui tient à la première époque. Si les Évangiles avaient été inventés et répandus pour la première fois dans la génération qui succéda aux apôtres, cette génération les eût-elles acceptés comme des livres connus et honorés de longtemps, et comme les actes les plus précieux et de l'autorité la plus grande qui lui eussent été transmis par ses pères et ses devanciers? La chose peut sembler trop claire pour avoir besoin d'une explication; mais, comme beaucoup d'entre vous sont étrangers à ce genre de recherches, je prendrai un exemple.

    Vous savez qu'il y a un siècle, à peu près, une grande agitation religieuse se répandit dans ce pays, par le ministère de Whitfield. Supposez que quatre ouvrages parussent aujourd'hui sous le nom de quatre des hommes les plus distingués de cette époque, de Whitfield, par exemple, du vénérable Edwards, et de deux autres associés de leurs travaux religieux ; supposez que ces livres ne nous content pas seulement ce qui se passa alors, mais qu'ils contiennent des principes et des règles imposés avec autorité aux admirateurs de ces chefs religieux. Si l'on n'avait jamais parlé de ces ouvrages, croyez-vous qu'il fut possible de faire croire à leurs disciples d'aujourd'hui et au public, que ces livres ont été publiés par les auteurs auxquels on les attribue, donnés comme un code à la société religieuse, et transmis comme livres sacrés. Ce n'est là qu'un faible exemple; car Whitfield et Edwards sont des noms de peu de poids quand on les compare aux noms des apôtres dans l'église primitive.

    Nous avons donc des raisons fortes et suffisantes pour croire que les histoires qu'on nomme Évangiles furent reçues, au temps des apôtres, comme les œuvres de ceux dont elles portent le nom ; et qu'elles furent transmises avec la même vénération par les contemporains. Dira-t-on que tout cela peut être vrai, mais que du vivant des apôtres, des livres faussement revêtus de leurs noms peuvent s'être répandus. À cette supposition il suffirait de répondre que lorsqu'un ouvrage est généralement attribué à un auteur pendant sa vie, c'est la preuve d'authenticité la moins contestable. Mais j'ajoute qu'ici la preuve est décisive. Les premiers apôtres du Christianisme auxquels on attribue les Évangiles furent des hommes publics par leur mission même. Ils ont beaucoup voyagé. Ils ont été sans doute consultés par les habitants de différentes contrées au sujet de la religion nouvelle. Ils ont été l'objet d'un intérêt profond pour les premiers convertis. Ils ont vécu sous les yeux du monde. Leurs mouvements, leurs visites, leurs actions, leurs paroles, leurs écrits, ont forcément éveillé l'attention. Des livres sortis de leurs mains ont dû produire une grande sensation. Concevez une tâche plus difficile que celle d'imposer des écrits fabriqués sous ces noms, à des chrétiens et à des communautés si intimement liés avec les premiers apôtres, et si occupés de leurs efforts pour la cause commune. Les occasions de découvrir la fausseté étaient nombreuses, et s'imaginer qu'en pareil cas le mensonge puisse réussir, c'est accuser une étrange ignorance de l'histoire littéraire et de la nature humaine.

    Ajoutez que les motifs qu'avaient les premiers chrétiens de s'assurer si les écrits attribués aux apôtres leur appartenaient véritablement, étaient les plus forts qu'on puisse imaginer. J'ai parlé de la sollicitude que le monde témoigna pour découvrir l'auteur de Waverley. Le motif n'était que la simple curiosité, et, cependant, à quelles sérieuses recherches se livrèrent une foule de gens. Le nom de l'auteur n'avait, après tout, qu'une médiocre importance. Qu'il fût connu ou non, le livre était le même, ses portraits aussi pleins de vie, sa peinture du cœur humain aussi vraie et puissante. Il en est ainsi de la plupart des ouvrages. Les livres de science, de philosophie, de morale et de littérature, doivent leur importance et leur autorité à ce qu'ils contiennent plus qu'à leurs auteurs. Mais, pour les quatre Évangiles, il en était autrement. Ce n'était pas la même chose pour les premiers convertis, que ces livres vinssent d'un auteur ou d'un autre. Écrits par les apôtres ou par leurs compagnons, ces livres avaient une autorité et une sainteté qu'ils ne pouvaient tirer d'autre part. C'était un code de lois pour la communauté chrétienne, et de lois qui liaient la conscience et la vie. Supposer que de pareils ouvrages aient été reçus sans examen par tant de gens qui possédaient tous les moyens de s'assurer de la vérité, c'est supposer que les premiers prosélytes étaient des fous ou des idiots, accusation que ne porteraient pas contre eux leurs plus grands ennemis, et à quoi répond l'immense supériorité de leur religion et de leur morale sur toutes les philosophies du temps.

    J'en ai fini avec ce qu'on appelle la preuve historique ou extérieure de l'authenticité des quatre Évangiles, c'est-à-dire la preuve tirée de ce qu'ils ont été reçus et respectés comme les écrits des apôtres dans les premiers temps du Christianisme et dans ceux qui suivirent. Mais, avant de quitter ce chapitre, je toucherai une difficulté qui peut gêner quelques esprits. Beaucoup d'entre vous ont entendu dire que de très bonne heure, probablement vers le commencement du second siècle, on fabriqua des écrits sous le nom des apôtres; pourquoi, dira-t-on, les quatre Évangiles ne seraient-ils pas une de ces fabrications? La réponse est que, dès les premiers temps du Christianisme, les Évangiles, comme nous l'avons vu, furent reçus et respectés par la société chrétienne comme les écrits des apôtres, ou de leurs compagnons. Les apocryphes sont connus comme apocryphes, parce qu'on ne les a pas reçus de la même manière, parce qu'on ne les a nullement vénérés, parce qu'au contraire la communauté chrétienne les a rejetés. Voici la grande ligne de séparation. Il n'y a rien d'étonnant que, dans l'excitation produite par la première prédication et les premiers triomphes du Christianisme, mille idées extravagantes se soient produites, et qu'on ait essayé de fondre la religion nouvelle avec les doctrines régnantes ; le nom des apôtres étant entouré d'un respect particulier, il n'est pas surprenant que les chefs de sectes aient voulu donner une sanction apostolique à leurs opinions, en propageant des récits mêlés de vrai et de faux sur ces hommes éminents. Ces ouvrages ont-ils été publiés comme l'œuvre des apôtres, ou seulement comme des souvenirs conservés par leurs auditeurs, c'est une question sujette à discussion; mais, quant à l'origine de ces écrits, il ne peut y avoir de doute. Nous pouvons expliquer leur existence et le degré de faveur qu'ils obtinrent. On les fit pour autoriser les rêves ou les théories de quelques sectes extravagantes au sein desquelles ils restèrent, et avec lesquelles la plupart disparurent. Il n'y a pas une ombre de raison pour les confondre avec nos Évangiles, répandus dès l'origine par tout le monde chrétien, honorés et transmis comme les ouvrages des hommes vénérés dont ils portent le nom.

    Après avoir donné la preuve historique de l'authenticité des Évangiles, c'est-à-dire après avoir montré que les Évangiles ont été écrits par leurs auteurs reconnus, j'ajoute qu'il y a des présomptions et des preuves intrinsèques de la même vérité, qui, prises seules, sont d'un grand poids, et qui, réunies à la première forment une somme d'évidence à laquelle il est difficile de résister. Je n'ai que le temps d'en indiquer quelques-unes.

    C'est une présomption en faveur d'un auteur que le livre qu'on lui attribue n'ait jamais été attribué à d'autres. Or, je ne sache pas que l'incrédulité ait jamais nommé personne à qui l'on puisse attribuer les Évangiles plutôt qu'à ceux dont ils portent le nom. Nous n'avons pas à choisir entre différents écrivains. D'ordinaire, cette absence de rivalité est considérée comme décisive en faveur de l'auteur reconnu, à moins que le livre même ne fasse soupçonner une autre main. Pourquoi ce principe ne serait-il pas appliqué aux Évangiles?

    Une autre présomption qui dispose à croire que ces histoires furent écrites par les premiers propagateurs du Christianisme, c'est qu'on devait s'attendre à de pareils livres. On ne concevrait pas que les apôtres, que leur zèle porta au loin chez tant de nations, et qui vécurent dans un temps où on lisait et on écrivait, eussent abandonné leurs doctrines à la tradition, eussent négligé la précaution ordinaire de leur donner un corps, de les revêtir d'une forme durable, la seule qui permit de les transmettre, celle qui conservait toutes les autres religions. Il est raisonnable de supposer qu'ils écrivirent ce qu'ils enseignèrent; et, s'il en fut ainsi, il est bien difficile que leurs écrits aient été perdus. On devait recevoir et conserver leurs récits précisément comme on a reçu les Évangiles et, de là, une forte présomption en faveur de l'authenticité de ces livres.

    Les Évangiles, d'ailleurs, portent la marque qu'ils ont été écrits du temps des apôtres. Ils ne contiennent aucune trace de temps moins reculés, rien qui indique que les auteurs aient appartenu à une autre époque. Est-il besoin de faire remarquer à ceux d'entre vous pour qui de pareils sujets sont familiers, combien il est difficile pour un auteur de ne pas trahir le siècle où il vit; et la raison en est simple. Chaque âge a ses idées, ses mœurs, ses événements, ses sentiments, ses expressions qui lui sont propres; et, quiconque a été élevé dans ce milieu tombe si naturellement sous ces influences, en est si pénétré, qu'elles éclatent et se manifestent dans 6es paroles et dans ses écrits, nécessairement et sans qu'il en ait conscience. Le présent fait une impression bien plus vive que le passé, aussi l'œil du critique unit-il toujours par découvrir le siècle de l'auteur, quelque soin qu'on prenne pour imiter le style et le caractère d'un âge précédent. Or, les Évangiles ne gardent aucune trace des sentiments, des mœurs, des querelles, des événement d'un âge plus récent que celui des apôtres, et, si nous considérons qu'à l'exception de celui de saint Luc, ils ont tous l'apparence d'être l'ouvrage d'hommes simples, qui n'étaient pas habitués à la composition, cet argument a une force toute particulière. Ici je pourrais vous démontrer l'authenticité des Évangiles par le langage, le dialecte, l'idiome dans lesquels ils sont écrits. Vous comprenez facilement que, de cette manière, on peut remonter au pays et à l'âge d'un livre; mais c'est un genre de preuves qui appartient aux érudits. Néanmoins, il est satisfaisant d'apprendre que les savants les plus profonds voient dans le dialecte et l'idiome des Évangiles, un accord parfait avec ce qu'on peut attendre de Juifs écrivant au temps des apôtres.

    On peut encore tirer du style et du caractère des récits évangéliques, une autre preuve intrinsèque, et cette preuve est à la portée de tout le monde. Ils sont écrits avec la simplicité, le détail et la facilité, qui sont le ton naturel de la vérité, et qui appartiennent aux auteurs familiers avec leur sujet et écrivant d'après nature. Vous n'y découvrez rien qui sente le travail, la précaution, l'incertitude, toutes choses qu'on n'évite guère quand on prend un caractère étranger, et qu'on cherche à en imposer. Il y a une différence que chacun sent sans pouvoir l'exprimer, entre un témoin honnête et simple, qui raconte ce qu'il a vu, ou ce qu'il connaît bien, et le faux témoin qui affecte la connaissance particulière d'événements et d'individus qu'il a plus ou moins imaginés. La vérité a une franchise naturelle, une simplicité, un style et un air qui lui sont propres, et jamais récits n'ont eu ce caractère au même degré que les Évangiles. Il y a dans ces livres une chose frappante; tandis que la vie et la personne qu'ils représentent sont ce qu'il y a de plus extraordinaire dans l'histoire, le style est sans art. Nul effort pour trouver des épithètes ou une élévation de langage qui réponde à la dignité du sujet. Vous entendez des hommes simples qui vous disent ce qu'ils savent d'une personne qu'ils respectaient trop pour songer à l'embellir ou à l'exalter.

    Il est aussi bien remarquable, que le caractère de Jésus, le plus étrange et le plus élevé dont parle l'histoire, quoique le dernier qu'on pût imaginer et le plus difficile à soutenir, est cependant développé à travers une grande variété de détails et de situations avec une unité et une convenance parfaites. La force de cette preuve ne peut être comprise que par ceux qui connaissent assez l'histoire littéraire, pour apprécier la difficulté de soutenir une fraude perpétuelle. Ici cette unité est une preuve infaillible. Supposons que quatre écrivains, plus modernes que les apôtres, se soient ligués pour jouer leur rôle et fabriquer sous leur nom l'histoire de la vie du Maître. Éloignés de l'original, et n'ayant aucun modèle de son caractère dans leur propre esprit, ces faussaires auraient peint leur héros d'une main tremblante, les traits n'eussent pas été d'accord, leur personnage se serait plus d'une fois abaissé aux vues et aux sentiments ordinaires des hommes; ils auraient été surtout égarés dans le choix et la représentation des événements par la un particulière qui les aurait engagés dans cette singulière collaboration. Que quatre écrivains, dans de semblables circonstances, soutinssent jusqu'au bout un caractère aussi extraordinaire, aussi élevé que l'est celui de Jésus, et qu'ils fussent d'accord dans la peinture qu'ils en feraient, c'est un prodige que nul génie ne saurait accomplir. Je dis donc que les Évangiles portent en eux-mêmes la marque qu'ils ont été faits d'après nature par ceux qui étaient le plus à même de connaître la personne et la vie de Jésus.

    On voit combien de preuves diverses et suffisantes nous attestent que les quatre Évangiles sont l'œuvre de ceux dont ils portent le nom. J'ajoute qu'il est peu de livres anciens dont l'authenticité s'appuie sur des preuves aussi fortes. La plupart des ouvrages que l'antiquité nous a légués, et qu'on attribue avec une confiance inébranlable à ceux qui en sont réputés les auteurs, leur sont attribués sur des titres bien moindres. Sur ce point il ne doit donc rester aucun doute.

    Je m'arrête ici. Les preuves du Christianisme qui résultent des faits qu'on vient d'établir, ou qui sont fondées sur ces mêmes faits, seront le sujet d'une nouvelle discussion.

     

     

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    DidierLe Roux

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