• William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; L'Unitarisme après Channing. Conclusion

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; L'Unitarisme après Channing. Conclusion
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; L'Unitarisme après Channing. ConclusionWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     
    § 10. L'Unitarisme après Channing. Conclusion.

    Une crise était imminente au sein de l'Unitarisme, depuis la Révolution qui s'était opérée dans la Théologie moderne ; elle éclata aussitôt après la mort de Channing. Tant qu'il avait vécu, il lui avait été possible de la prévenir par sa modération et ses lumières et d'élever une voix conciliante et écoutée au milieu du soulèvement des passions religieuses. Comme Vinet, comme Arnold, comme Schleiermacher, il mourut juste à temps pour n'être pas obligé de se prononcer forcément dans le schisme qui sépara d'une manière irrévocable ses disciples.

    C'était en 1843, à l'époque où l'Amérique commençait à ressentir le contrecoup du mouvement littéraire et philosophique qui dans la première moitié du dix-neuvième siècle avait agité l'Ancien Monde. Les vieilles croyances furent discutées de la manière la plus franche et la plus hardie, tous les systèmes, les plus nobles et les plus profonds comme les plus bizarres et les plus absurdes, reçurent un accueil favorable et trouvèrent de chaleureux défenseurs. Pour répandre leurs idées, les novateurs fondèrent une Revue « The Dial » dans laquelle ils exposèrent les résultats de la critique contemporaine et développèrent à la fois les idées les plus sages et les plus élevées et les fantaisies les plus étranges. Une révolution aussi soudaine et aussi radicale ne pouvait manquer de troubler et d'irriter plusieurs personnes : une réaction était imminente, et les Orthodoxes essayèrent de combattre violemment la marche des esprits qu'ils ne pouvaient comprendre. Malheureusement, plusieurs ministres Unitaires se joignirent dans cette œuvre de compression à leurs anciens persécuteurs, et abandonnèrent les principes qui avaient fait leur force et leur gloire. Effrayés des découvertes de la Théologie allemande et des doutes qui se manifestaient dans le jeune clergé, froissés de voir nier l'inspiration absolue de la Bible, la composition surnaturelle des Livres Saints, la valeur Messianique des prophéties, la réalité de certains miracles de l'Ancien Testament, ils jetèrent le cri d'alarme, et au lieu de se demander : «Ces jeunes gens ont-ils tort ou raison ? » ils se dirent : «Où allons-nous et qu'épargnera-t-on si l'on procède de la sorte? » Les professeurs de l'Université d'Harvard, qui auraient dû réagir contre cette explosion de Podium theologicum et servir la cause de la tolérance et de la science indépendante, changèrent le système de leur enseignement et voulurent limiter les droits du libre examen. Un écrivain distingué, M. Norton, proclama que la masse des hommes doit accepter les opinions religieuses des théologiens comme elle accepte les affirmations scientifiques des astronomes, que les miracles de Jésus-Christ sont la seule preuve de la divinité de sa doctrine, et que la critique et la philosophie conduisent fatalement l'humanité à sa perte. La peur fit adopter, à des Chrétiens qui se disaient libéraux, les plus repoussantes maximes du Catholicisme !

    Au reste, les Orthodoxes et les Vieux Unitaires ne furent pas les seuls dans cette croisade contre les partisans de la Théologie moderne. Ils rencontrèrent de puissants auxiliaires dans la magistrature, le haut commerce, la presse périodique, dans tous ceux qui flattaient les passions populaires ou qui étaient dominés par le respect humain, l'ambition, la soif de réussir. Un Attorney général accusa de blasphème un ministre de la campagne, parce qu'il avait prouvé publiquement que Jésus de Nazareth n'avait accompli aucune des prophéties Messianiques. Un journaliste fut emprisonné pour avoir écrit contre la notion vulgaire de Dieu. Le gouverneur du Massachusetts proposa même à cet État de restreindre la liberté de la parole. Plus tard, ce furent les mêmes hommes qui accusèrent Emerson d'incrédulité et d'athéisme, et qui ne répondirent à ses hardies investigations et à ses brillantes recherches, que par les lieux communs d'une dogmatique surannée ou de puériles spéculations Apocalyptiques. Ce furent eux qui traitèrent Théodore Parker comme un lépreux de l'Église et de la société, et qui le poursuivirent pendant toute sa vie de leurs basses insultes et de leurs viles intrigues. Ce furent eux qui, pour la plupart, s'opposèrent aux travaux des Abolitionnistes et qui formèrent une ligue honteuse avec les partisans de l'esclavage, les uns déclarant que la Bible était infaillible, les autres que puisqu'elle prononce sur Cham et ses descendants une irrévocable malédiction et qu'elle ordonne aux serviteurs d'obéir à leurs maîtres, il est juste, naturel et légitime que les Noirs soient soumis aux Blancs. Aujourd'hui, les Anciens Unitaires sont complètement rentrés dans le giron de l'Orthodoxie, et ils ne diffèrent d'elle que sur des points insignifiants. Ils n'ont adopté aucun des résultats les mieux établis de la critique, sont revenus par des voies détournées et des explications arbitraires à quelques-uns des dogmes traditionnels repoussés par leurs prédécesseurs et n'ont pas craint de rétablir les Confessions de foi dans l'Église illustrée par Channing.

    Les Néo-Unitaires sont surtout répandus à Boston et dans le Massachusetts, et sont moins remarquables par leur quantité numérique que par la valeur des hommes qui se sont enrôlés sous leur drapeau. Ils ont eu en particulier la gloire de compter dans leurs rangs le penseur le plus original et le prédicateur le plus éloquent des États-Unis, Ralph Waldo Emerson et Théodore Parker. Le premier, que M. Emile Montégut a fait connaître au Public Parisien par un élégant article de la Hnvw. det Deux-Monde*, a doté sa patrie d'une philosophie indépendante et l'a initiée aux travaux et aux découvertes de la Théologie Allemande. Il fut élevé à l'école de Channing et devint l'un des plus célèbres ministres de l'Église Unitaire. Plus tard, il se démit de ses fonctions, mais il est resté toujours sympathique au Christianisme, et il a été l'un des plus dévoués et des plus chaleureux admirateurs de Théodore Parker. C'est un esprit pénétrant et inquisiteur, un écrivain fantasque et profond, un croyant qui a foi dans la vérité et dans le progrès matériel et moral, mais qui n'est enchaîné par aucun préjugé et par aucun système et qui repousse les conventions, les règles surannées, tout bagage inutile, tout fardeau du passé. Quant à Théodore Parker, dont le nom est familier à tous les Protestants de langue française depuis les beaux travaux de MM. Barckhausen et Albert Réville, il a été sans contredit le plus éminent pasteur des Néo-Unitaires, et il a joué dans son pays le rôle d'un Réformateur, en sorte que des publicistes Anglaise! Américains n'ont pas craint de le comparer à Luther. Disciple, lui aussi, de Channing, il suivit pendant son séjour à Harvard, les discours de l'illustre prédicateur de Federal Street qui était dans toute la force de son talent, et il fut détaché par lui des doctrines Orthodoxes ; mais il alla beaucoup plus loin que son maître et il s'éleva au-dessus des compromis timides et transitoires des premiers Unitaires. Il aborda le grand problème religieux qui agite les âmes à notre époque avec la droiture, la liberté, la science qui sont nécessaires à la solution d'aussi graves questions. Tout en acceptant franchement les résultats de la critique et de la spéculation modernes, il se pénétra toujours plus de l'éternelle vérité du Christianisme, et il confirma les enseignements de Jésus par le témoignage de la théologie la plus avancée. Son caractère fut à la hauteur de son intelligence, et il inspira à tous ceux qui le connurent, une profonde affection et une sincère estime par son équité, sa tolérance, sa mansuétude à l'égard de ses plus fougueux adversaires, son inépuisable charité, son infatigable dévouement pour les malheureux et les déshérités de ce monde. Il ne cessa, pendant tout son ministère, de protester contre les péchés de son peuple, et il se montra le courageux et persévérant Apôtre de l'instruction, de la tempérance, de l'affranchissement des Noirs. Parker est mort trop tôt pour avoir pu présenter ses doctrines sous une forme définitive, et l'on ne peut juger de son système d'après d'imparfaites exquises, mais on n'en doit pas moins admirer son œuvre et voir en lui l'un des plus éloquents et des plus héroïques défenseurs du progrès et de la liberté de conscience.

    Depuis la mort de leur brillant orateur, les Néo-Unitaires n'ont cessé de se développer et de compter dans leurs rangs les hommes les plus éminents de l'Union. L'un des plus récents voyageurs qui on visité l'Amérique, M. Ernest Duvergier de Hauranne, qui a dépeint avec tant d'esprit et de verve, les mœurs et la société des Yankees et qui par sa position se trouvait au-dessus de toutes les controverses sectaires, a consacré quelques pages aux Églises Américaines, et n'a point caché sa sympathie pour les libres croyants. Il parle avec émotion de la piété et des vertus de Charles Sumner, d'Horace Mann, de Wendell Philipps et d'autres disciples de Parker, admire leur largeur et leur indépendance, et remarque que pendant qu'en France on aurait voulu brûler la Vie de Jésus, de M. Ernest Renan, et que les évêques n'avaient répondu à l'auteur que par les plus grossiers pamphlets et les plus plates injures, l'on avait rendu hommage parmi les Unitaires à l'érudition et aux talents de l'illustre hérésiarque, et que l'on avait discuté ses opinions avec autant de calme que d'impartialité. « C'est peut-être aux yeux des fermes croyants, ajoute M. Duvergier de Hauranne avec une charmante ironie, la plus dangereuse forme de l'erreur, un piége caché, insidise diaboli, mais aux yeux du moraliste, c'est la plus innocente des philosophies, la plus bienfaisante même, si elle satisfait les doutes de quelques raisons inquiètes sans détruire en elles le sentiment religieux, si elle leur sert d'étape sur la pente de l'incrédulité sans les jeter dans la négation violente et hostile. Ils ne sont plus Chrétiens : c'est possible ; mais ils se disent Chrétiens, ils croient l'être et c'est encore l'être à demi. »

    Quelle ligne de conduite Channing aurait-il suivie dans ces controverses? se serait-il rangé parmi les novateurs et aurait-il accepté dans ce qu'ils ont d'incontestable, les résultats de la critique? aurait-il, par frayeur de l'inconnu, rétrogradé jusqu'aux confessions de foi, et se serait-il associé aux mesures d'intimidation et de contrainte adoptées par les partisans de la tradition? Pour nous, nous croyons qu'il était trop foncièrement libéral pour s'enrôler jamais parmi les partisans de la compression. Malgré le déplaisir que pouvaient lui causer des vues aussi foncièrement divergentes des siennes, il n'aurait jamais eu recours qu'à une libre et courtoise discussion avec ses adversaires, et il aurait fini par comprendre la légitimité de la théologie moderne. En tout cas, il aurait blâmé ceux de ses disciples qui s'opposèrent à l'esprit du siècle et qui remirent en honneur Ies dogmes de l'antique orthodoxie, et il n'aurait jamais consenti à assurer le triomphe de la vérité par l'imposition d'un symbole ou d'une formule quelconque.

    Sa position à l'égard des Néo-Unitaires est plus difficile à déterminer, et M. Emile de Bonnechose a pu soutenir avec quelque apparence de raison dans la Revue Chrétienne qu'il n'y avait aucun trait de ressemblance entre Channing et Parker.

    Le jeune pasteur de West-Roxbury se rendait souvent à Boston et il profita des derniers entretiens de l'illustre vieillard dont il fréquentait assidûment les soirées hebdomadaires, mais il rencontra peu d'adhérents dans ce petit cénacle et il y excita par ses premières témérités une vive indignation. Channing lui-même, tout en recommandant la tolérance et le support, voyait avec anxiété l'approche imminente d'une scission au sein de l'Unitarisme et il était trop âgé et trop affaibli par la maladie pour plier son esprit à de nouvelles idées.

    Si on les compare entre eux, sous le rapport théologique, le contraste est frappant et l'on comprend que l'on ait essayé d'accorder à l'un le titre de Chrétien, tout en excluant l'autre de l'Église. Channing fit toujours preuve, au milieu des plus âpres débats, d'une exquise modération, et il ne demanda qu'à se tailler, au milieu des murs ébréchés de la foi traditionnelle, un modeste réduit où il pût contempler paisiblement la miséricorde infinie de Dieu et la merveilleuse diversité du cœur humain. Parker, dans sa soif passionnée de la vérité, rompit brusquement avec les partisans du passé, entonna en intrépide pionnier le « go ahead » du Yankee et, selon la belle expression de M. Albert Réville, il marcha droit devant lui sans se préoccuper de la poussière qu'il soulevait en traversant tant de ruines, les yeux toujours fixés vers la lumière éternelle.

    Channing était un homme agréable et cultivé et possédait des connaissances générales, variées et étendues, mais il était étranger aux études critiques, peu versé dans les recherches exégétiques, mal informé des récents travaux de la Science Allemande, désireux, avant tout, d'adoucir, de pacifier, d'améliorer les âmes. Parker manquait, lui aussi, du génie spéculatif, et il se rendit coupable de bien des démonstrations heurtées et de bien des inconséquences; mais il avait une science théologique très vaste et du meilleur aloi, et il n'ignorait aucun des problèmes résolus ou débattus en Europe de l'autre côté du Rhin.

    Sous le rapport des croyances, la différence est encore plus complète. Channing, tout en regardant la religion comme un des besoins innés de notre être, admet le caractère surnaturel du Christianisme et insiste sur la nécessité d'une révélation extérieure. Parker enseigne qu'il y a dans l'âme un sentiment religieux qui est un élément essentiel et primordial de notre nature, et que la religion est un simple produit des facultés humaines, comme la science, l'art, la morale.

    Channing croit fermement au surnaturel et considère le miracle comme l'une des preuves les plus importantes du Christianisme, bien qu'il reconnaisse qu'il n'a plus aujourd'hui la même valeur qu'au siècle Apostolique. Parker rejette résolument toute intervention surnaturelle de la divinité et déclare qu'il lui est aussi impossible de croire à un miracle qu'à un triangle rond.

    Channing, bien qu'il ne se soit jamais expliqué clairement sur la nature et la valeur des prophéties, en parla toujours comme aurait pu le faire un docteur orthodoxe, et ne songea jamais à ébranler cette colonne de l'ancienne Apologétique. Parker ne conteste nullement le caractère sacré des prophètes et l'auguste mission dont ils furent revêtus, mais il les considère moins comme des devins et des diseurs d'oracles surnaturels que comme les représentants de la grande idée Monothéiste et les tribuns de Jéhovah qui protestaient contre les péchés du peuple et les abus du sacerdoce et de la royauté.

    Channing, pour la Christologie, en était resté au point de vue d'Anus et, tout en parlant en ternies éloquents de la sainteté et des vertus du Christ, il lui attribue une divinité métaphysique relative. Parker voit en Jésus un homme, le type le plus élevé de notre race, l'idéal auquel nous devons tous nous efforcer d'atteindre, mais il regarde sa supériorité comme purement morale, et il émet même quelques doutes sur son anamartésie et son omniscience.

    On le voit: le contraste est complet aux yeux d'un observateur superficiel, par des arguments spécieux, nier le lien qui unit entre eux les deux chefs les plus éminents de l'Unitarisme Américain. Mais, si les divergences sont saillantes, les ressemblances ne sont pas moins essentielles et le même esprit anime ces deux hommes partis en apparence de points si opposés.

    Et tout d'abord, dans le domaine purement théologique, tous deux conçurent Dieu comme un Père et insistèrent sur son infinie bonté et son inépuisable miséricorde. Tous deux firent preuve à l'égard de l'homme du même optimisme et virent en lui un être créé pour la perfection. Tous deux se formèrent de la vie future les notions les plus spiritualistes et combattirent les superstitions populaires sur le diable et le dogme barbare des peines éternelles.

    Tous deux virent dans la religion le principe et la tin suprême de la société et expliquèrent, par le développement ou le déclin des croyances religieuses, les progrès et les chutes des peuples. Pas de civilisation sans Christianisme, dit Channing dans son admirable discours sur la Liberté spirituelle; pas de bonheur pour une nation sans religion, s'écrie à son tour Parker, et il consacra sa vie tout entière à la propagation de cette généreuse doctrine. Tous deux cherchèrent à répandre des idées plus vraies et plus éclairées sur la piété, et la déclarèrent inséparable de la moralité. Ils condamnèrent également et ce mysticisme malsain qui est le produit d'une surexcitation de l'esprit et des sens et qui se complaît dans une dévotion verbeuse et romantique, et ce glacial traditionalisme qui matérialise la religion et la fait consister dans des habitudes de culte, dans des réunions, des lectures, des prières méthodiques qui ne valent point un libre élan de l'âme vers Dieu. La morale se résume pour eux dans le travail et la charité compris dans le sens le plus élevé de ces mots, et le Christianisme n'exige qu'une obéissance absolue à la Loi divine, un amour illimité de Dieu et des hommes, qui permet et commande l'action harmonieuse de toutes nos facultés et leur complet développement. L'Église ne doit pas reposer sur les dogmes ou les rites particuliers d'une secte, mais sur les principes universels et permanents du Christianisme et elle doit être assez large pour embrasser dans son sein tous les vrais disciples de Jésus dans le passé et dans l'avenir.

    Tous deux jouirent sur leurs contemporains d'une légitime influence et l'exercèrent toujours en faveur de la tolérance et de la diffusion des lumières. Channing fut l'ami et le conseiller des hommes les plus éminents de l'Union et prépara par ses discours et par ses écrits le triomphe de la cause libérale. Parker fut le directeur spirituel et le compagnon d'armes de Chase, de Seward, de Wendell Philipps, de Charles Sumner, d'Horace Mann, les encouragea, les consola, les approuva, les blâma quelquefois avec franchise, et fut toujours prêt à payer de sa propre personne et à rehausser ses belles prédications par son héroïque exemple. Qui mesurera la quantité d'esprit libéral répandue par les deux éloquents Apôtres dans leurs entretiens et leurs conférences ? Qui comptera les grains qu'ils ont semés dans une bonne terre et qui se sont épanouis au jour de la grande moisson ?

    Tous deux s'intéressèrent vivement à la solution des problèmes sociaux et, en leur qualité de pasteurs, ils se donnèrent la noble et périlleuse mission de combattre le mal sous toutes ses formes et de renverser tous les obstacles qui retardaient la victoire de la vérité et du progrès. Semblables aux prophètes de la Judée, ils déployèrent dans leur ministère le dévouement d'un tribun et la rigidité d'un censeur. Dans leurs poitrines brûlait ce feu sacré, cet ardent amour du bien, cette sainte haine du vice qui fortifie et réconforte les Réformateurs à l'heure des plus rudes combats et des plus douloureuses épreuves. Ils luttèrent contre l'ivrognerie qui fait de si cruels ravages parmi les peuples du Nord, la flétrirent par la peinture de ses hideux effets et, pour ajouter au poids de leurs paroles, ils entrèrent dans ces ligues contre les spiritueux, connues sous le nom de Sociétés de Tempérance. Ils cherchèrent à opposer une digue au flot toujours montant du Paupérisme, et montrèrent un zèle touchant pour le relèvement des pécheresses et des criminels. Ils travaillèrent au développement et à la propagation de l'instruction et demandèrent la réforme des écoles où l'on élève les classes supérieures des États-Unis. Ils déplorèrent le scepticisme contemporain et les conquêtes toujours plus nombreuses de l'incrédulité, mais au lieu d'en chercher la cause dans les intérêts et les passions des laïques et de déclamer contre le fol orgueil et la radicale corruption du siècle, ils en trouvèrent la source dans l'ignorance et les préjugés du clergé et lui reprochèrent de ne pas satisfaire les plus légitimes aspirations de la raison et de la conscience modernes.

    Tous deux intervinrent dans les questions politiques, et protestèrent avec une éloquence vengeresse contre la vénalité de la presse, l'ambition démesurée des Sénateurs et des Députés, l'avidité des Capitalistes qui servent le Dieu Dollar et l'adorent lui seul. Tous deux combattirent avec une invincible persévérance l'Esclavage, et furent des Abolitionnistes courageux et convaincus. Channing montra dans la lutte plus de calme et d'onction, mais il ne dévia jamais de la ligne de conduite qu'il s'était tracée, et il consacra à la défense des Nègres quelques-uns de ses meilleurs et de ses plus solides écrits. Parker attaqua le Sud avec un admirable désintéressement et une sainte véhémence, ne cessa du haut de la chaire de s'élever contre le grand péché de l'Amérique, et protégea les esclaves fugitifs au péril de sa vie.

    Tous deux, enfin, eurent cruellement à souffrir des intrigues sectaires et des aberrations de l'exclusivisme orthodoxe, et virent leurs intentions les plus pures, leurs paroles les plus nobles, leurs actes les plus généreux, leurs déclarations les plus sincères odieusement travestis par cette hypocrisie dévote qui ne pardonne pas à ceux qui la démasquent.

    Le dirai-je en terminant? Si étrange que cela puisse paraître au premier abord, Channing est le père spirituel de Théodore Parker, et il a activement concouru à la révolution qui s'est opérée dans le sein du Protestantisme. Du moment que la vérité religieuse se justifie par son accord avec les besoins les plus intimes de notre âme, on en conclut que cela seul dans la religion est vrai qui est religieux, que cela seul est religieux qui répond à de pieux désirs ou qui produit de saintes émotions. Dès lors le miracle ne conserve plus la même valeur. Si légitime que soit pour plusieurs théologiens l'importance du surnaturel, il n'est plus comme dans l'ancienne Apologétique la pierre de l'Angle sur laquelle repose tout l'édifice. Le Christianisme n'est pas divin, parce qu'il nous a été révélé d'une manière extraordinaire, et qu'il descend comme la colombe prophétique des cieux entr'ouverts. Il est divin, parce qu'il est bienfaisant et qu'il répond à nos aspirations les plus élevées ; il est divin, parce qu'il a donné à ceux qui erraient la vérité, aux pécheurs la sainteté. La méthode de Channing aboutit directement au Rationalisme contemporain. Sans doute, il n'a point prévu un semblable résultat, et il aurait été effrayé de toutes les conséquences qui ont été tirées de son système, mais personne n'a travaillé dans un sens plus contraire à ses intentions ; personne, par les coups qu'il a portés à la théorie orthodoxe, n'a contribué d'une manière plus efficace à l'avènement de la critique moderne.

    Comme Arnold, comme Schleiermacher, comme Vinet, le pasteur de Boston assista à l'aurore d'une ère nouvelle, et il doit être regardé comme l'un des plus éminents précurseurs de la Théologie Moderne. Par quelques-uns des arguments de son Apologétique, par son attachement à quelques-uns des articles de la dogmatique traditionnelle, il appartient au passé, et on ne saurait recourir à son autorité dans les débats actuels. Par son subjectivisme, par son respect pour la raison et la conscience humaines, par la largeur de ses vues, par son amour de la vérité, par sa foi dans le progrès il appartient à l'avenir, et l'œuvre à laquelle il a travaillé sera éternelle. Ses vrais disciples ne sont pas ceux qui adoptent servilement toutes ses maximes et qui n'opposent aux doutes des chercheurs et aux découvertes de la science que d'impuissantes formules et une théologie surannée. Ce sont ceux qui s'inspirent de son esprit, et qui suivent la voie qu'il a si glorieusement ouverte. Peut-être les accusera-t-on d'incrédulité, peut-être évoquera-t-on contre eux le spectre du scepticisme, mais ils ne sauraient être effrayés par de semblables reproches. Le véritable sceptique n'est pas celui qui se voue tout entier à la conquête de la vérité, et qui se montre d'autant plus exigeant en fait de preuves qu'il la vénère davantage. Comme le dit excellemment M. Edmond Scherer: «Le véritable sceptique est l'homme de parti pris, celui dont en chaque question le siége est fait, celui qui a pris une position une fois pour toutes, et qui ne songe plus qu'à la défendre, l'homme qui regarde à l'utilité sociale, morale ou religieuse des idées plutôt qu'à leur conformité avec les faits. Soyons-en sûrs: ce qu'il y a de moins sérieux encore dans notre société frivole, ce qu'il y a de moins sain et de moins sincère, c'est précisément ce dogmatisme qui s'attribue si volontiers le monopole de la sincérité et du sérieux. »

     

     

    Retour   Critique du système théologique de Channing. 
     

      
      DidierLe Roux


    Retour page d'accueil
    ___________________________________________________________________________________________________________________
    Le Roux Didier- Unitariens - © Depuis 2006 – Tous droits réservés
    "Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation expresse de l'auteur ".


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :