• William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Morale de Channing

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Morale de Channing
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Morale de ChanningWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

     § 7. Morale de Channing.

    Les décrets de Dordrecht sur la corruption radicale de l'homme et sur la grâce irrésistible avaient conservé de nombreux partisans dans la Nouvelle-Angleterre à l'époque où commença à prêcher Channing. Aussi eut-il à se défendre à maintes reprises du reproche de Pélagianisme, et fut-il accusé par les disciples de Jonathan Edwards de saper les bases de toute morale. Il ne lui fut pas difficile de réfuter d'aussi puériles objections, et de se justifier pleinement aux yeux de tous ceux que n'aveuglaient point le fanatisme et le parti pris. Il admettait la grâce, mais il n'y voyait point comme les Calvinistes rigides une puissance matérielle, qui s'impose à nous et qui nous fait une nécessité de la vertu. Aucune théorie ne saurait être plus dangereuse, puisqu'elle détruit la responsabilité de l'homme, et fait de Dieu l'auteur du péché. Selon l'Unitarisme, la grâce est une influence morale et persuasive qui nous éclaire et qui, en développant nos plus nobles facultés, nous rend dignes de la vie éternelle. Loin de rendre les œuvres inutiles, elle les réclame impérieusement, puisque la sainteté est le don le plus précieux que Dieu puisse faire à ses créatures, et qu'une vie conforme aux préceptes et à l'exemple de Jésus est une condition essentielle de la régénération ; mais admettre ce principe n'est point admettre le principe du mérite personnel de l'homme, et son droit à la félicité. Les œuvres à elles seules ne peuvent nous procurer le salut, et c'est à la miséricorde de Dieu que nous devons l'assurance du pardon et de l'immortalité.

    Cette controverse sur la grâce ne fut point la seule dans laquelle fut engagé Channing : il fut, pendant toute sa vie, en butte aux tracasseries, et aux perfides insinuations des orthodoxes qui ne pouvaient lui pardonner sa tolérance et son spiritualisme. Les uns prétendaient qu'il prêchait une morale mondaine consistant dans une honnêteté vulgaire et dans l'absence de vices grossiers, et qu'il passait sous silence la pureté du cœur, la dévotion intime, l'amour de Jésus-Christ et des choses du Ciel. D'autres, qui ne voyaient dans la foi que la croyance à un plus ou moins grand nombre de dogmes contradictoires et inintelligibles, le qualifiaient d'impie et de blasphémateur et déclaraient ses discours immoraux, parce qu'ils ne roulaient pas exclusivement sur la Trinité, la corruption radicale de l'homme, la damnation éternelle. Les farouches descendants des Puritains qui se plaisaient à jeter sur la dévotion un sombre voile, et qui regardaient les joies les plus innocentes comme autant de péchés irrémissibles, criaient au scandale et représentaient l'Unitarisme comme une hôtellerie placée à mi-chemin de l'incrédulité, parce qu'il rendait au Christianisme son aimable gaieté et sa sereine mansuétude, et qu'il favorisait tout plaisir noble et tout délassement élevé. Enfin les entrepreneurs de revivais, qui prennent trop souvent l'ébranlement des nerfs pour la vivification du sentiment religieux et l'étroitesse des idées pour un redoublement de fidélité envers l'Eternel, prêchaient sans cesse de nouvelles croisades contre ce courageux adversaire de la tradition et cet infatigable champion d'une piété saine et virile. A des calomnies aussi ridicules qu'odieuses, Channing aurait pu se contenter de répondre comme le philosophe grec à celui qui niait le mouvement : en montrant les hommes d'élite qu'il consolait et qu'il édifiait, et les magnifiques institutions qu'il avait fondées. Il fit plus, et il exposa souvent à ses auditeurs de Féderal Street quels étaient à ses yeux l'essence et les traits distinctifs de la vraie piété. Son caractère constitutif n'est point de reconnaître Jésus pour Maître et pour Seigneur, de confesser son absolue divinité, de lui donner dans nos pensées et dans nos prières la place du Père Céleste : on peut ressentir pour un être une vénération illimitée sans que la température du cœur s'élève au-dessus d'un froid glacial. Elle ne consiste pas davantage, comme le disent les sectateurs d'une vague religiosité, dans de langoureuses extases, dans une mystique contemplation du Sauveur, dans une fade adoration de sa croix et de ses blessures toujours saignantes. Il y a loin de ces énervants soupirs à un véritable amour, et Jésus est tout autre chose qu'une apparition touchante, tout autre chose qu'un personnage sur lequel on pleure comme sur une tragique fiction. Elle se fait encore moins remarquer par un zèle bruyant, une activité fébrile, une indiscrète ferveur pour la conversion de nos frères. La piété réclame une exquise délicatesse, et se reconnaît au rare et incomparable parfum qu'elle exhale.

    La véritable religion a sa base dans la nature morale de l'homme, dans le sentiment du devoir, dans le pouvoir qui est donné à chacun de nous de transformer notre être spirituel d'après les prescriptions de notre conscience. Elle se prouve moins par des paroles que par des actes et se manifeste dans la vie de tous les jours par la patience avec laquelle nous supportons les épreuves, par une charité sans bornes, par une droiture et une véracité inflexibles, par l'entière soumission de nos passions à la volonté de Dieu. Loin d'être une subite illumination de l'esprit, loin de passer par de mystérieuses alternatives d'exaltation et de désespoir, la piété chrétienne se distingue par son caractère rationnel et par une marche ascensionnelle vers la perfection. Elle peut être provoquée par de soudaines et profondes émotions, mais elle ne se développe que graduellement et elle vivifie toutes nos facultés sous sa bienfaisante influence.

    Ses traits fondamentaux sont l'amour de Dieu et l'amour de Jésus. Le premier est la véritable fin de tout notre être et nous avons été créés par Dieu pour être intimement unis à Lui. C'est en Lui seul que nous pouvons trouver la satisfaction de nos plus nobles désirs et de nos plus sublimes aspirations, par Lui seul que nous pouvons parvenir à la félicité. Non seulement l'amour de Dieu est nécessaire à notre bonheur, il est indispensable pour la force et l'expansion de toutes nos vertus. Sans lui nos meilleures dispositions se flétriraient et s'éteindraient, la conscience ne serait pour nous qu'une faible et vacillante lueur, la charité ne pourrait lutter contre l'insensibilité et l'ingratitude universelles. Quant à l'amour du Christ, il découle tout naturellement de l'amour de Dieu: Jésus est pour nous le suprême idéal et il a droit à notre reconnaissance par la grandeur de son œuvre, ses souffrances et ses bienfaits.

    Et ici Channing analyse avec l'autorité d'un Chrétien éminent et d'un sagace moraliste les vertus qui doivent découler de ce double amour et dont toute sa vie fut l'éloquent et persuasif commentaire. Il serait superflu de le suivre sur ce terrain et d'entreprendre une énumération qui ne serait qu'une nouvelle édition du catéchisme: nous aimons mieux montrer l'excellence des idées constitutives de Channing en morale et leur parfait accord avec les données de la conscience moderne.

    Pour tout homme éclairé, en effet, la religion répond à un besoin inné de sa nature et doit être le levain purificateur de son activité quotidienne. Son but est d'unir l'homme à son Créateur par des liens toujours plus étroits et de lui inspirer le sentiment profond et continu de la nécessité du perfectionnement en soi et autour de soi. Aussi longtemps que, comme le Catholique du Moyen Age, on vit dans la divinité une puissance redoutable et hostile qu'il fallait apaiser par des rites magiques et des absolutions sacerdotales, et que l'on considéra la piété comme un ensemble de cérémonies ecclésiastiques, de jeûnes, de pèlerinages, de prières machinalement répétées, l'on établit entre la vie ordinaire et la vie religieuse un infranchissable abîme et l'on se retira du monde pour passer au service de Dieu dans le couvent. La Réforme, qui contribua beaucoup à briser ce dualisme, n'acheva point complètement sa tâche et l'orthodoxie du dix-septième siècle eut le tort de confondre la foi avec l'adhésion à un certain nombre de thèses dogmatiques et d'adopter un patois de Canaan qui trahissait une aversion plus ou moins avouée pour la vie naturelle et pleinement humaine. C'est la gloire du dix-neuvième siècle d'avoir définitivement condamné ce farouche Puritanisme qui regardait comme diaboliques l'art, la science, les joies honnêtes et d'avoir posé comme base de la religion certains principes très simples en eux-mêmes, mais très riches en application à la vie individuelle et sociale. La vie dévote, comme la comprenaient les partisans de la tradition, a désormais perdu toute sa valeur, mais un sentiment religieux aussi profond qu'élevé animera tous nos actes et fera de notre vie une constante prière. C'est par religion que nous nous abstiendrons de toute passion dégradante et de tout désir impur et que nous aspirerons à la perfection dans les petites choses comme dans les grandes; c'est par religion que nous travaillerons à la diffusion des lumières, à la réforme des institutions, à l'extinction des misères et des corruptions sociales ; c'est par religion que nous nous associerons à toutes les améliorations et à tous les progrès et que notre vie tout entière deviendra un hymne à la gloire de Dieu. Ou nous nous trompons fort ou nous croyons qu'une conception aussi favorable au spiritualisme qu'à la saine piété gagnera des adhérents toujours plus nombreux parmi les Chrétiens sincères et les hommes cultivés et qu'elle deviendra la religion du dix-neuvième siècle à mesure que la science et la civilisation multiplieront leurs conquêtes. Des vues aussi sobres et aussi pures peuvent paraître étranges aux partisans du passé, habitués qu'ils sont aux formes antiques et aux dogmes traditionnels, mais nous pouvons répondre qu'elles eurent pour premier prédicateur ce Jésus qu'on nous accuse de renier. Le principe que nous soutenons n'est pas, en effet, autre chose que l'épanouissement du commandement nouveau proclamé par le prophète de Nazareth, que pour entrer dans le Royaume, il n'est nullement besoin d'un symbole nettement défini et qu'il suffit d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa pensée et son prochain comme soi-même. Ce sera l'éternel honneur de Channing d'avoir compris ce principe dans toute sa beauté et d'en avoir prévu toutes les conséquences, alors qu'il était grossièrement méconnu par les partisans de l'Orthodoxie américaine et obscurci aux yeux de la grande majorité par les préjugés et les superstitions, et d'en avoir été pendant tout son ministère l'éloquent Apôtre et le courageux propagateur.

     

     

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     Suite : Eschatologie de Channing
     

     

     

     
      DidierLe Roux


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