• William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Morale de Channing
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; Morale de ChanningWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

     § 7. Morale de Channing.

    Les décrets de Dordrecht sur la corruption radicale de l'homme et sur la grâce irrésistible avaient conservé de nombreux partisans dans la Nouvelle-Angleterre à l'époque où commença à prêcher Channing. Aussi eut-il à se défendre à maintes reprises du reproche de Pélagianisme, et fut-il accusé par les disciples de Jonathan Edwards de saper les bases de toute morale. Il ne lui fut pas difficile de réfuter d'aussi puériles objections, et de se justifier pleinement aux yeux de tous ceux que n'aveuglaient point le fanatisme et le parti pris. Il admettait la grâce, mais il n'y voyait point comme les Calvinistes rigides une puissance matérielle, qui s'impose à nous et qui nous fait une nécessité de la vertu. Aucune théorie ne saurait être plus dangereuse, puisqu'elle détruit la responsabilité de l'homme, et fait de Dieu l'auteur du péché. Selon l'Unitarisme, la grâce est une influence morale et persuasive qui nous éclaire et qui, en développant nos plus nobles facultés, nous rend dignes de la vie éternelle. Loin de rendre les œuvres inutiles, elle les réclame impérieusement, puisque la sainteté est le don le plus précieux que Dieu puisse faire à ses créatures, et qu'une vie conforme aux préceptes et à l'exemple de Jésus est une condition essentielle de la régénération ; mais admettre ce principe n'est point admettre le principe du mérite personnel de l'homme, et son droit à la félicité. Les œuvres à elles seules ne peuvent nous procurer le salut, et c'est à la miséricorde de Dieu que nous devons l'assurance du pardon et de l'immortalité.

    Cette controverse sur la grâce ne fut point la seule dans laquelle fut engagé Channing : il fut, pendant toute sa vie, en butte aux tracasseries, et aux perfides insinuations des orthodoxes qui ne pouvaient lui pardonner sa tolérance et son spiritualisme. Les uns prétendaient qu'il prêchait une morale mondaine consistant dans une honnêteté vulgaire et dans l'absence de vices grossiers, et qu'il passait sous silence la pureté du cœur, la dévotion intime, l'amour de Jésus-Christ et des choses du Ciel. D'autres, qui ne voyaient dans la foi que la croyance à un plus ou moins grand nombre de dogmes contradictoires et inintelligibles, le qualifiaient d'impie et de blasphémateur et déclaraient ses discours immoraux, parce qu'ils ne roulaient pas exclusivement sur la Trinité, la corruption radicale de l'homme, la damnation éternelle. Les farouches descendants des Puritains qui se plaisaient à jeter sur la dévotion un sombre voile, et qui regardaient les joies les plus innocentes comme autant de péchés irrémissibles, criaient au scandale et représentaient l'Unitarisme comme une hôtellerie placée à mi-chemin de l'incrédulité, parce qu'il rendait au Christianisme son aimable gaieté et sa sereine mansuétude, et qu'il favorisait tout plaisir noble et tout délassement élevé. Enfin les entrepreneurs de revivais, qui prennent trop souvent l'ébranlement des nerfs pour la vivification du sentiment religieux et l'étroitesse des idées pour un redoublement de fidélité envers l'Eternel, prêchaient sans cesse de nouvelles croisades contre ce courageux adversaire de la tradition et cet infatigable champion d'une piété saine et virile. A des calomnies aussi ridicules qu'odieuses, Channing aurait pu se contenter de répondre comme le philosophe grec à celui qui niait le mouvement : en montrant les hommes d'élite qu'il consolait et qu'il édifiait, et les magnifiques institutions qu'il avait fondées. Il fit plus, et il exposa souvent à ses auditeurs de Féderal Street quels étaient à ses yeux l'essence et les traits distinctifs de la vraie piété. Son caractère constitutif n'est point de reconnaître Jésus pour Maître et pour Seigneur, de confesser son absolue divinité, de lui donner dans nos pensées et dans nos prières la place du Père Céleste : on peut ressentir pour un être une vénération illimitée sans que la température du cœur s'élève au-dessus d'un froid glacial. Elle ne consiste pas davantage, comme le disent les sectateurs d'une vague religiosité, dans de langoureuses extases, dans une mystique contemplation du Sauveur, dans une fade adoration de sa croix et de ses blessures toujours saignantes. Il y a loin de ces énervants soupirs à un véritable amour, et Jésus est tout autre chose qu'une apparition touchante, tout autre chose qu'un personnage sur lequel on pleure comme sur une tragique fiction. Elle se fait encore moins remarquer par un zèle bruyant, une activité fébrile, une indiscrète ferveur pour la conversion de nos frères. La piété réclame une exquise délicatesse, et se reconnaît au rare et incomparable parfum qu'elle exhale.

    La véritable religion a sa base dans la nature morale de l'homme, dans le sentiment du devoir, dans le pouvoir qui est donné à chacun de nous de transformer notre être spirituel d'après les prescriptions de notre conscience. Elle se prouve moins par des paroles que par des actes et se manifeste dans la vie de tous les jours par la patience avec laquelle nous supportons les épreuves, par une charité sans bornes, par une droiture et une véracité inflexibles, par l'entière soumission de nos passions à la volonté de Dieu. Loin d'être une subite illumination de l'esprit, loin de passer par de mystérieuses alternatives d'exaltation et de désespoir, la piété chrétienne se distingue par son caractère rationnel et par une marche ascensionnelle vers la perfection. Elle peut être provoquée par de soudaines et profondes émotions, mais elle ne se développe que graduellement et elle vivifie toutes nos facultés sous sa bienfaisante influence.

    Ses traits fondamentaux sont l'amour de Dieu et l'amour de Jésus. Le premier est la véritable fin de tout notre être et nous avons été créés par Dieu pour être intimement unis à Lui. C'est en Lui seul que nous pouvons trouver la satisfaction de nos plus nobles désirs et de nos plus sublimes aspirations, par Lui seul que nous pouvons parvenir à la félicité. Non seulement l'amour de Dieu est nécessaire à notre bonheur, il est indispensable pour la force et l'expansion de toutes nos vertus. Sans lui nos meilleures dispositions se flétriraient et s'éteindraient, la conscience ne serait pour nous qu'une faible et vacillante lueur, la charité ne pourrait lutter contre l'insensibilité et l'ingratitude universelles. Quant à l'amour du Christ, il découle tout naturellement de l'amour de Dieu: Jésus est pour nous le suprême idéal et il a droit à notre reconnaissance par la grandeur de son œuvre, ses souffrances et ses bienfaits.

    Et ici Channing analyse avec l'autorité d'un Chrétien éminent et d'un sagace moraliste les vertus qui doivent découler de ce double amour et dont toute sa vie fut l'éloquent et persuasif commentaire. Il serait superflu de le suivre sur ce terrain et d'entreprendre une énumération qui ne serait qu'une nouvelle édition du catéchisme: nous aimons mieux montrer l'excellence des idées constitutives de Channing en morale et leur parfait accord avec les données de la conscience moderne.

    Pour tout homme éclairé, en effet, la religion répond à un besoin inné de sa nature et doit être le levain purificateur de son activité quotidienne. Son but est d'unir l'homme à son Créateur par des liens toujours plus étroits et de lui inspirer le sentiment profond et continu de la nécessité du perfectionnement en soi et autour de soi. Aussi longtemps que, comme le Catholique du Moyen Age, on vit dans la divinité une puissance redoutable et hostile qu'il fallait apaiser par des rites magiques et des absolutions sacerdotales, et que l'on considéra la piété comme un ensemble de cérémonies ecclésiastiques, de jeûnes, de pèlerinages, de prières machinalement répétées, l'on établit entre la vie ordinaire et la vie religieuse un infranchissable abîme et l'on se retira du monde pour passer au service de Dieu dans le couvent. La Réforme, qui contribua beaucoup à briser ce dualisme, n'acheva point complètement sa tâche et l'orthodoxie du dix-septième siècle eut le tort de confondre la foi avec l'adhésion à un certain nombre de thèses dogmatiques et d'adopter un patois de Canaan qui trahissait une aversion plus ou moins avouée pour la vie naturelle et pleinement humaine. C'est la gloire du dix-neuvième siècle d'avoir définitivement condamné ce farouche Puritanisme qui regardait comme diaboliques l'art, la science, les joies honnêtes et d'avoir posé comme base de la religion certains principes très simples en eux-mêmes, mais très riches en application à la vie individuelle et sociale. La vie dévote, comme la comprenaient les partisans de la tradition, a désormais perdu toute sa valeur, mais un sentiment religieux aussi profond qu'élevé animera tous nos actes et fera de notre vie une constante prière. C'est par religion que nous nous abstiendrons de toute passion dégradante et de tout désir impur et que nous aspirerons à la perfection dans les petites choses comme dans les grandes; c'est par religion que nous travaillerons à la diffusion des lumières, à la réforme des institutions, à l'extinction des misères et des corruptions sociales ; c'est par religion que nous nous associerons à toutes les améliorations et à tous les progrès et que notre vie tout entière deviendra un hymne à la gloire de Dieu. Ou nous nous trompons fort ou nous croyons qu'une conception aussi favorable au spiritualisme qu'à la saine piété gagnera des adhérents toujours plus nombreux parmi les Chrétiens sincères et les hommes cultivés et qu'elle deviendra la religion du dix-neuvième siècle à mesure que la science et la civilisation multiplieront leurs conquêtes. Des vues aussi sobres et aussi pures peuvent paraître étranges aux partisans du passé, habitués qu'ils sont aux formes antiques et aux dogmes traditionnels, mais nous pouvons répondre qu'elles eurent pour premier prédicateur ce Jésus qu'on nous accuse de renier. Le principe que nous soutenons n'est pas, en effet, autre chose que l'épanouissement du commandement nouveau proclamé par le prophète de Nazareth, que pour entrer dans le Royaume, il n'est nullement besoin d'un symbole nettement défini et qu'il suffit d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa pensée et son prochain comme soi-même. Ce sera l'éternel honneur de Channing d'avoir compris ce principe dans toute sa beauté et d'en avoir prévu toutes les conséquences, alors qu'il était grossièrement méconnu par les partisans de l'Orthodoxie américaine et obscurci aux yeux de la grande majorité par les préjugés et les superstitions, et d'en avoir été pendant tout son ministère l'éloquent Apôtre et le courageux propagateur.

     

     

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     Suite : Eschatologie de Channing
     

     

     

     
      DidierLe Roux


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    William Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

    § 6. L'Église, son Fondement.

    Chacun connaît les pages charmantes dans lesquelles M. Édouard Laboulaye a dépeint l'innombrable diversité des communautés religieuses aux États-Unis et où il nous montre son héros voyageant à la recherche d'une Église et errant de la Mosquée à la Synagogue, du temple des Catholiques à celui des Presbytériens, de la chapelle Méthodiste à la chapelle Unitaire. Où trouver la véritable Église au milieu de cette infinie variété de sectes? Comment, au milieu de l'universelle anarchie des opinions, parvenir à la vérité?

    Channing ne se laisse point arrêter par un aussi grossier épouvantail et il a trop de foi en la dignité humaine pour aboutir au scepticisme; mais il condamne comme erronées et dangereuses les bases sur lesquelles on fait généralement reposer l'Église, et il a recours à de tout autres principes pour établir sa légitimité. Il commence par une éloquente et spirituelle critique du système orthodoxe, et se demande si l'on peut adopter comme fondement d'une communauté le rite ou le dogme. On ne peut songer au premier, répond-il. Jésus-Christ, dans le Sermon sur la Montagne, et dans aucun autre de ses discours n'a rien dit de la forme extérieure de l'Église, et l'on ne voit nulle part que ni lui ni ses disciples aient fixé son rituel ou déterminé son organisation ultérieure. Cela ne doit point nous surprendre, puisque le Christianisme se propose comme fin suprême de répandre le culte spirituel parmi toutes les nations et à tous les degrés de développement, et que, pour pouvoir agir dans tous les temps, pour pouvoir s'allier à de nouvelles formes sociales et aux plus glorieux progrès de la civilisation, il doit être doué de la plus entière flexibilité et s'adapter aux besoins et à la marche du genre humain. On le voit par son histoire. Lors de sa constitution primitive, l'Église ne reposa pas sur une union forcée et arbitraire, elle fut une association libre et spontanée : aussi gagna-t-elle des milliers de prosélytes, et conquit-elle le monde par la seule persuasion.

    Lorsque plus tard elle fut séduite par l'amour de la domination et qu'elle voulut imposer une législation uniforme à tous les fidèles, elle renia son véritable principe, et elle devint le théâtre des plus coupables passions et des vices les plus odieux. Notre grande erreur consiste à exagérer l'importance de l'Église pour le salut. Nous nous imaginons que les cérémonies et les rites consacrés peuvent nous servir matériellement, qu'il y a dans ce que nous appelons le lieu saint une puissance mystérieuse qui agit sur nous sans notre participation, que le ministre est revêtu par l'ordination d'un pouvoir magique. Il n'en est rien. L'Église ne peut rien faire pour nous en comparaison de ce que nous devons faire par nous-mêmes : elle est un secours et non une force, elle ne peut nous améliorer qu'autant qu'elle nous excite à penser, à prier, à agir. L'influence du pasteur doit être toute morale : peu importent l'Université où il a étudié et le prêtre qui lui a imposé les mains, pourvu qu'il accomplisse sa tâche avec la crainte de Dieu et qu'il s'adresse avec la chaleur et la sincérité d'un Chrétien au cœur et à la conscience de ses frères. Aspirons à être les temples du Saint-Esprit et ne nous préoccupons point outre mesure de la secte dans laquelle nous parviendrons le plus sûrement à la régénération et au salut.

    Si Channing rejette l'uniformité rituelle comme fondement de l'Église de Christ, il n'éprouve pas une moins violente aversion pour les Confessions de foi, et il repousse tout credo de fabrication humaine comme lien d'union et moyen de grouper les esprits. Tout d'abord ils nous séparent de Jésus ; or notre plus grand privilège comme Chrétiens est de pouvoir nous asseoir aux pieds de notre divin Maître et de recevoir de lui la vérité sans mélange d'erreur.

    «De quel droit, s'écrie avec une généreuse indignation le pasteur de Boston, l'homme s'interpose-t-il entre moi et mon Sauveur pour me dicter mes doctrines? En vertu de quelle autorité chaque secte Protestante me prescrit-elle d'adopter son symbole sous peine d'être exclu pendant cette vie de la communion de mes frères, d'être damné pour la vie éternelle? »

    On ne peut s'empêcher de ressentir un souverain mépris pour les formules d'origine humaine lorsqu'on les compare au Nouveau Testament. Ce sont des squelettes, l'expression métaphysique de dogmes inintelligibles, et on nous ordonne de les substituer à la vérité pure et vivante telle qu'elle est sortie des lèvres de notre Rédempteur? On ne peut comprendre Jésus au moyen d'arides définitions; la seule manière de le connaître est de nous approcher de Lui, de le contempler, de l'entendre, de lui obéir et d'arriver ainsi à la claire et brillante perception de sa gloire.

    Le Christianisme est trop vaste et trop puissant pour être emprisonné dans les quelques lignes d'un symbole abstrait et pour être irrévocablement déterminé par la faible intelligence de l'homme. C'est un esprit plutôt qu'un système rigidement enchaîné, l'esprit d'un amour sans bornes. Les impressions qu'un vrai fidèle reçoit du caractère et des enseignements de son Maître ne peuvent qu'être faiblement exprimées par des mots et ne sont senties que par ceux qui comprennent les accents du cœur. On ne peut pas plus formuler la religion dans une série de propositions théologiques qu'on ne peut faire connaître au moyen de quelques termes vagues les traits d'un ami bien aimé. Il résulte de la grandeur du Christianisme que les idées que nous nous en faisons sont nécessairement incomplètes, et que .les plus profonds docteurs doivent toujours progresser dans la connaissance de la vérité. Or rien n'est plus contraire à une semblable disposition qu'une règle fixe et arbitraire, et une religion comme celle de Jésus demande que nous jouissions de notre liberté.

    En second lieu, les Confessions de foi sont contraires à la sincérité et dépouillent l'enseignement religieux de toute son influence. Pour persuader ses auditeurs, un pasteur doit pouvoir exprimer ses propres idées sous la forme avec laquelle elles se présentent à son esprit. Un symbole arrête cette libre expansion de la pensée : le pasteur doit chercher des paroles qui ne soient pas en contradiction avec les articles adoptés par son Église, et si de nouvelles idées s'imposent à lui, il doit les envelopper d'un langage nuageux et détourner de leur sens évident les formules consacrées.

    « Combien, s'écrie Channing avec une sainte véhémence, combien je plains profondément le ministre qui, dans la chaleur et la fraîcheur de la jeunesse, entrevoit une vérité plus élevée que celle qui est contenue dans le symbole, mais qui n'ose pas l'exprimer? qui se fait l'écho de ce qui n'est pas la simple et naturelle expression de son âme? Mieux vaudrait pour nous mendier notre pain et nous couvrir de haillons que de renoncer à la sincérité et à la franchise chrétiennes. Mieux vaut pour un ministre, prêcher dans des granges ou en plein air, s'il peut faire entendre la vérité de toute l'abondance de son âme, que d'élever dans des cathédrales, au milieu de la pompe et de la richesse, une voix qui n'exprime pas ses pensées intérieures. Si ceux qui portent les chaînes des Crédos connaissaient une seule fois le bonheur de respirer l'air de la liberté et de marcher avec un esprit sans entraves, il n'y a pas de trésors ni de puissance au monde qui pourrait les engager à renoncer à leur liberté spirituelle. »

    Enfin les crédos favorisent l'incrédulité en passant complètement sous silence la sainteté de Jésus et les vérités essentielles du Christianisme et en insistant sur les dogmes les plus obscurs et les plus incompréhensibles. Le Christianisme devient un recueil de contradictions visibles et de propositions énigmatiques et il est repoussé par les hommes éclairés comme une insulte à la raison et comme le triomphe du fanatisme sur le bon sens. Channing saisit cette occasion pour condamner en termes sévères l'hypocrisie et la haineuse intolérance dont il avait eu à souffrir pendant tout le cours de son ministère, et il dépeint avec une verve mordante ces Pharisiens modernes qui se plaisent à répandre les soupçons et le trouble dans les paroisses, qui ne craignent point de diffamer la vie privée de leurs adversaires et qui représentent le pasteur hérétique comme un émissaire de Satan déguisé en ange de lumière. Il s'élève avec une éloquence vengeresse contre la tentative mainte fois renouvelée par les Orthodoxes d'imposer un système d'exclusion à l'égard des Unitaires et il voit dans leurs sauvages violences et leurs farouches anathèmes la destruction de la paix dans les Églises et les familles et la ruine du Christianisme. De si étranges prétentions trahissent chez leurs auteurs une grossière ignorance et un insupportable orgueil : elles ne peuvent se justifier par l'Écriture qui n'impose d'autre condition à l'entrée dans le Royaume de Dieu que l'adhésion aux préceptes de l'Évangile ; loin de servir la religion et de rendre à l'Église sa pureté native, elles ne peuvent extirper l'erreur et favorisent les plus odieuses persécutions. Aussi est-ce un devoir sacré pour tous les amis de la charité et de la liberté chrétiennes, de soutenir les droits de la conscience individuelle et de repousser toute assertion de supériorité de la part d'une secte quelconque comme une coupable usurpation.

    Quel sera donc le fondement de l'Église demanderons-nous à Channing ? Le seul qu'ait choisi Jésus, la pureté du cœur et de la vie, la piété sincère qui se montre par des faits. L'Église n'a d'importance qu'autant qu'elle élève l'âme vers le Créateur et elle aura atteint son véritable but, si nous faisons la volonté de notre Père Céleste, si nous écoutons avec humilité les leçons de Jésus, si nous prenons la ferme résolution d'accomplir la tâche qui nous est imposée en dépit des plus violentes tentations et des plus rudes sacrifices. « A celui qui est instruit par sa conscience, à celui qui a été fortifié dans la lutte et consolé dans la douleur, à celui qui a soif de pureté et dont le cœur déborde d'amour et de reconnaissance pour l'Éternel, on ne pourra dire que les promesses du Sauveur ne sont pas faites pour lui et qu'il ne peut approcher de Dieu. Il a senti le pouvoir des paroles et de la croix de Jésus1; il ne pourra être séparé de lui par l'exclusion et le bigotisme. » Les seuls éléments d'une Église vivante et active sont un pasteur éclairé et convaincu et de fidèles disciples du Christ.

    Mais quel sera le lien de tous ces esprits qui cherchent chacun la vérité, et qui ne marchent point du même pas ? Quel principe constituera cette Église par laquelle on arrive de tous les côtés, et réunira ces chrétiens qui ne sont rapprochés ni par le rite, ni par le dogme? Le même principe qui est à la base des Eglises particulières, le commandement qui, selon Jésus, résume la Loi et les Prophètes, l'amour de Dieu et de l'humanité. Le seul lien entre toutes les sectes, la seule religion universelle est l'amour; quiconque est pénétré de la morale de l'Évangile et en fait la règle de sa vie, celui-là accomplit la Loi éternelle et est membre du Royaume de Dieu. Tant que les Protestants adopteront la méthode autoritaire et s'obstineront à chercher l'unité de foi dans l'unité de croyances, ils ne pourront échapper à l'impitoyable dilemme de Bossuet, et ne seront qu'une fraction obscure et inconséquente du Catholicisme. Le seul moyen de triompher de l'orgueilleux auteur dès Variations est de recourir à la conscience et au jugement individuels, et de poursuivre la vérité dans la mesure de nos forces sans prétendre à l'absolu. C'est par ce complet affranchissement des symboles et des formules que le Protestantisme aura sa raison d'être, et que nous pourrons aspirer à cette Église universelle qu'a dépeinte Channing avec une sainte passion et une splendide éloquence.

    «Il y a une Église plus grande que toutes les Églises particulières quelque grandes qu'elles soient: c'est l'Église universelle qui s'étend sur toute la terre, et ne fait qu'un avec l'Église qui est dans le Ciel. Tous ceux qui suivent le Christ ne forment qu'un seul corps, un seul troupeau; c'est ce que nous enseignent différents passages du Nouveau Testament. Vous vous rappelez la ferveur de sa dernière prière : "Que tous ne fassent qu'un, comme Lui et son Père ne font qu'un." Dans cette Église sont admis tous ceux qui participent à l'esprit de Christ. Elle ne demande pas qui nous a baptisés, de qui nous tenons notre passeport, quel signe nous portons. Si nous avons été baptisés par le Saint-Esprit, ses larges portes nous sont ouvertes. Là sont réunis ceux que des noms différents ont séparé et séparent encore. Là il n'est pas question d’Église grecque, romaine ou anglicane, mais seulement de l’Église de Christ. Mes amis, ce n'est pas là une union imaginaire. Quand l’Écriture parle ainsi, ce n'est pas une vaine rhétorique, c'est la vérité pure. Tous ceux qui participent sincèrement à la vérité chrétienne, sont essentiellement unis. Dans l'esprit qui les anime, il y a une force d'amour qu'on ne trouverait dans aucun autre lien. Séparés par les mers, il y a entre eux des sympathies fortes et indissolubles. La voix nette et puissante d'un Chrétien inspiré vole par toute la terre et dans un autre hémisphère touche des cordes qui lui répondent. La parole d'un Fénelon par exemple arrive à des millions d'âmes dispersées dans le monde. Ne sont-elles pas toutes de la même Église?

     Je tressaille de joie au nom des saints qui ont vécu, il y a des siècles : le temps ne nous sépare pas, l'ancienneté ne les rend que plus vénérables. Ne sommes-nous pas du même corps ? Est-ce que cette union n'est pas quelque chose de réel ? La réunion dans un même édifice n'est pas ce qui fait une Église. Me voici dans un temple. Je suis assez près de l'un de mes semblables pour le toucher, mais il n'y a pas entre nous un sentiment commun. La vérité qui me remue, cet homme s'en rit comme d'un rêve et d'une chimère, le désintéressement que j'honore, il l'appelle faiblesse ou folie. Que nous sommes loin l'un de l'autre, quoiqu'en apparence si voisins ! Nous appartenons chacun à des mondes différents. Que je suis plus près de quelque âme pure, généreuse qui vit dans un autre continent, mais dont la parole a pénétré mon cœur, dont les vertus m'ont enflammé d'émulation, dont les pieuses pensées s'offrent à mon esprit, lorsque je suis dans la maison de prière. Lequel de ces deux hommes est de mon Église ?

    Ne me dites pas que je m'abandonne à un rêve de mon imagination, quand je dis que des chrétiens éloignés, que tous les chrétiens et moi-même, nous ne formons qu'un corps et qu'une Église, aussi longtemps qu'une même piété et qu'un même amouj1 nous possèdent. Rien de plus réel que cette union spirituelle. Il y a une grande Eglise qui embrasse tout: Chrétien, j'en fais partie et personne ne peut m'en faire sortir. Vous pouvez bien m'exclure de votre Église romaine, de votre Église épiscopale, de votre Église calviniste, pour quelques défauts supposés dans mon symbole ou dans ma secte, et je suis content d'en être exclu; mais je ne veux pas qu'on me détache du grand corps de Christ Qui me séparera d'hommes tels que Fénelon, Pascal et Borromée, de l'archevêque Leighton, de Jérémy Taylor et de John Howard ? Qui rompra le lien spirituel qui m'unit à ces hommes ? Ne me sont- ils pas chers? L'esprit qui déborde dans leurs écrits et dans leurs vies ne pénètre-t-il pas mon cœur? Ne sont-ils pas une partie de mon être? Ne suis-je pas un autre homme que ce que j'aurais été si ces grands esprits n'avaient agi sur moi? Et est-il au pouvoir d'un synode, d'un conclave ou de toutes les assemblées ecclésiastiques du monde de m'en séparer? Je tiens à ces grands esprits par la pensée et l'affection, est-ce qu'on supprime la pensée et l'affection par la bulle d'un pape, ou l'excommunication d'un Concile ? L'âme brise dédaigneusement ces barrières, déchire ces toiles d'araignée pour s'unir aux grands et aux bons, et si elle possède leur esprit, est-ce que vivants ou morts, les grands et les bons la repousseront parce qu'elle ne s'est pas enrôlée dans telle secte ou dans telle autre. Une âme pure a le droit de cité dans l'univers entier. Elle appartient à l’Église, à la famille de ceux qui sont purs dans tous les mondes. La vertu n'est pas chose locale, elle n'est pas respectable parce qu'elle a pris naissance dans telle ou telle société, mais à cause de sa beauté indépendante et éternelle. Voilà le lien de l’Église universelle. Nul homme n'en peut être excommunié que par lui-même en tuant la vertu dans son âme. Toutes les sentences d'exclusion sont vaines, si nous ne brisons le lien de la vertu qui nous unit à toutes les âmes saintes. » 

    Tout commentaire serait de mauvais goût après ces magnifiques paroles : il ne nous reste plus qu'à appeler de tous nos vœux la prompte réalisation du rêve du pieux pasteur de Boston, et de travailler chacun selon nos forces à son accomplissement.

     

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      DidierLe Roux

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; Le Christ, la Rédemption
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; Le Christ, la RédemptionWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

    § 5. Le Christ, la Rédemption. 

    Des vues aussi hardies sur l'Anthropologie ne pouvaient se concilier avec la Christologie traditionnelle : aussi Channing fut-il conduit à rejeter les bizarres et subtiles formules léguées aux Réformateurs par les Pères grecs et les Conciles du quatrième siècle et se rangea-t-il ouvertement sous la bannière du Subordinatianisme. Plus hardi et plus logique qu'Arius, il fut moins sec et moins intellectualiste que le docteur Priestley et les Unitariens du dix-huitième siècle, et il se laissa inspirer par sa foi vivante et son ardent amour pour son Rédempteur. Jésus fut avant tout pour lui le deuxième Adam, l'homme idéal, notre ami et notre frère, celui qui nous est semblable pour toute chose, sauf pour le péché.

    Il s'attacha tout d'abord à combattre les dogmes de Nicée et de l'Orthodoxie scholastique, et les repoussa au nom du bon sens comme au nom d'une piété sincère et éclairée. Jésus n'a point les deux natures, comme le prétendent les décrets de Chalcédoine, et il n'est point à la fois faible et borné comme homme, tout puissant et omniscient comme Dieu. Il est un seul être, ayant une seule âme et un seul esprit, aussi réellement distinct que nous du Dieu unique. Il n'est point Dieu, comme l'affirme Athanase: il est Fils de Dieu, soumis en toutes choses à son Père, tenant de lui tous ses pouvoirs, n'ayant le droit d'être cru des hommes que parce qu'il avait été oint et désigné par Lui. Les traditionalistes ne peuvent alléguer, en faveur d'une doctrine aussi extraordinaire que la leur, aucun passage des Livres Saints, et doivent avoir recours à des textes faussement interprétés. L'esprit général de la Bible est en contradiction avec d'aussi absurdes théories, et Jésus ne peut, à cause de son humble condition et de ses perpétuelles souffrances, être regardé comme possédant de toute éternité l'essence divine.

    Si Channing opposa toute sa vie une courageuse résistance aux erreurs de l'Orthodoxie américaine, il ne s'éleva pas avec moins d'énergie contre le Rationalisme vulgaire de son époque, et vit en Jésus-Christ tout autre chose que le plus sublime des philosophes ou le plus persuasif des docteurs. Selon lui, la personne de Jésus est inséparable de ses enseignements, et le premier prédicateur du Christianisme fut celui qui le réalisa dans ses actes de la manière la plus parfaite. Considérés en eux-mêmes, les préceptes de Jésus sont nobles et éloquents; mais ils n'ont toute leur valeur que lorsqu'ils sont associés à sa vie de dévouement et d'abnégation. Comme le commandement d'aimer Dieu devient clair et intelligible, lorsqu'on songe à la manière dont le Maître le mit en pratique ! De quelle lumière ne s'éclaire pas l'ordre de pardonner à ses ennemis, lorsqu'on se transporte au Calvaire et qu'on entend la prière du Sauveur pour ses bourreaux ! De quelle force irrésistible n'est pas revêtue la doctrine de l'immortalité lorsque nous voyons rouler la pierre du sépulcre et le Christ en sortir dans tout l'éclat de sa puissance et de son triomphe pour jouir de la vie et du bonheur promis aux élus! Non! Jésus est pour Channing plus qu'un simple homme : il est le Fils de Dieu.

    Mais qu'entend le théologien Unitaire par un mot susceptible de significations aussi diverses? La divinité de Jésus-Christ ne repose pas, à ses yeux, sur de mystérieuses propriétés, sur sa céleste filiation, sa génération éternelle, son obscure et mystique union avec son Père, car la sympathie et la vénération que nous ressentons pour un être ne peuvent être fondées que sur ce que nous connaissons de lui et non pas sur des attributs inconnus et incompréhensibles. Elle ne repose pas non plus sur ses miracles, car ils ne peuvent, à eux seuls, constituer sa véritable dignité, et Jésus est incontestablement plus grand lorsqu'il pleure sur sa patrie ou qu'il comble les foules ingrates de ses bienfaits, que lorsqu'il ressuscite les morts ou apaise les tempêtes en vertu d'une puissance surhumaine. Enfin, elle n'a point pour base essentielle son inspiration, bien qu'elle lui ait été accordée sans mesure. Elle ne pouvait lui donner droit au respect et à l'amour qu'en tant qu'il était touché par les vérités qu'il proclamait, et l'homme auquel auraient été communiquée d'une manière surnaturelle les plus sublimes révélations et qui n'en sentirait point la beauté, pourrait être inspiré, mais, n'aurait aucun titre à notre admiration.

    Non, Jésus fut le Fils de Dieu dans l'acception la plus, réelle et la plus élevée de ce mot : il le fut parce qu'il fut semblable à notre Père Céleste et qu'il participa à ses perfections, parce qu'il adopta comme siens les plans miséricordieux du Créateur et qu'il se consacra avec la plus entière obéissance à leur réalisation. Aussi, bien que Channing ne voie point seulement en Jésus un simple homme et qu'il lui assigne un rang supérieur aux anges, il insiste fortement sur sa parfaite humanité et ne cesse de le proposer à notre imitation. Il se plaît à contempler ses vertus, nous le représente, au milieu du formalisme pharisaïque et du Messianisme exalté des Rabbins, comme le libérateur spirituel et le prophète de la religion permanente et vraie, et nous dépeint dans des pages magnifiques sa sainteté absolue, son universelle charité, sa piété d'autant plus réelle qu'elle est moins bruyante et moins dogmatique, sa sympathie pour toutes nos joies et toutes nos douleurs. C'est pour cette parfaite concordance avec le divin idéal que Jésus mérite d'être appelé le Sauveur du Monde et qu'il est digne de nos hommages, c'est par elle qu'il est vainqueur de la mort et qu'il vit éternellement.

    Si tel est le Rédempteur, que sera la Rédemption? Channing s'élève avec force contre la théorie d'Anselme de Canterbury, alors professée en Amérique par les disciples d'Edwards et d'Hopkins et la déclare contraire au bon sens et attentatoire à la bonté de Dieu. Les Calvinistes séduisent le vulgaire par l'illusion d'une expiation infinie et ils sont heureux de voir le Dieu tout-puissant souffrir à la place des pécheurs; mais ils se laissent abuser par un grossier sophisme et ils sont forcés eux-mêmes de reconnaître que ce n'est point le Dieu infini et immuable qui est mort sur la croix, mais que c'est Jésus homme qui, seul, a éprouvé les douleurs de l'agonie.

    Ils disent encore que Christ Dieu est un objet plus attachant pour la foi, et qu'en contemplant son abaissement et sa misère, nous sentons mieux toute l'étendue de son amour et de sa miséricorde. Mais Christ étant le Dieu infini et immuable, ne pouvait pas évidemment se dépouiller de la plus faible partie de ses perfections et, au moment où il se faisait chair, il continuait à remplir, ainsi que son Père, la terre, le ciel et l'immensité. Il pouvait, pendant qu'il était sur la croix, souffrir dans son âme humaine, mais dans son âme divine, dans celle qui était véritablement la sienne, il était l'être le plus heureux de l'univers, il était aussi heureux que le Père infini, et ses angoisses n'étaient rien en comparaison de sa félicité. Malgré cela, les Orthodoxes persistent à se dire touchés, accablés de l'humiliation de leur Dieu, mais ils nous ôtent par leurs théories toute sympathie pour Jésus et éveillent en nous des sentiments diamétralement contraires à un sincère amour. Le véritable moyen de nous faire admirer le dévouement du Rédempteur est de voir en lui une personne unique, non d'avoir recours à l'expiation d'une victime surhumaine, et de s'attacher obstinément aux formules des Pères grecs et des Scholastiques du moyen âge.

    Ces objections ne sont point les seules que fasse Channing au dogme traditionnel. Il lui reproche de porter atteinte à la bonté de Dieu et d'attribuer au Christ le pouvoir d'apaiser son Père et de le rendre compatissant pour le pécheur, tandis qu'en réalité II a été envoyé par Lui et ne peut point opérer lui-même notre salut. Il est offensant pour la justice divine, parce qu'une créature bornée comme l'homme n'est point passible d'une irrémissible condamnation et que la culpabilité de tout être doit être proportionnée à sa nature et à ses facultés. Rien n'est plus contradictoire que d'admettre que tantôt Dieu est assez sévère pour exiger que nos fautes soient expiées dans d'éternels tourments, tantôt assez faible et assez indulgent pour se contenter des souffrances temporaires du Christ homme, comme d'un complet équivalent des peines infinies méritées par le pécheur. Dieu, dans cette hypothèse, ne pardonne jamais, et rien n'est plus, propre à obscurcir la beauté du Christianisme et à répandre des doutes sur la miséricorde de l'Eternel. Enfin ce système a des conséquences morales désastreuses, et il tend à propager l'opinion que Jésus a pour principal but de détourner de nos têtes le châtiment plutôt que de nous communiquer la sainteté. On affaiblit ainsi la nécessité du progrès personnel et l'on remplace par de pompeuses déclamations sur le sang de l'Agneau l'obéissance due aux préceptes du Maître.

    Selon le théologien Unitaire, la Rédemption doit être conçue à un point de vue plus vrai et plus élevé. Jésus doit être regardé comme l'envoyé de Dieu pour la délivrance spirituelle et morale de l'humanité. Il a pour mission de soustraire les hommes au péché et aux maux qui en sont la suite, et de conduire, par la vérité, au bonheur éternel. Il est notre Sauveur, non parce qu'innocent il expie sur la croix les fautes des coupables, mais parce qu'il est le médecin, la lumière et le guide d'êtres malades, ignorants et égarés. Il n'opère pas notre affranchissement, comme le prétend saint Anselme, par la substitution juridique, mais par ses enseignements, son exemple, sa mort, sa résurrection, les secours divins qu'il nous procure par sa continuelle intercession auprès de notre Père Céleste. Tout autre manière d'agir serait inutile ou dangereuse, et il ne servirait à rien d'arracher le pécheur aux flammes éternelles si on laisse brûler un enfer dans son cœur, de l'introduire dans le Royaume de Dieu s'il reste étranger au bonheur et à la pureté des Élus. Aussi, aucune influence n'est-elle plus noble que celle du Christ, parce qu'elle est exclusivement morale ; aucune Rédemption plus glorieuse parce qu'elle s'adresse, avant tout, au cœur et à la conscience.

     

    Retour  L'Homme, le Péché.  Suite : L’Église, son Fondement

     

      
      DidierLe Roux


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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; L'Homme, le Péché
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; L'Homme, le PéchéWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     

     

    §  4. L'Homme, le Péché.

    Channing avait montré, comme homme politique et comme Réformateur social, un trop profond respect pour les droits de l'individu, pour ne pas faire comme théologien un constant appel à notre conscience et à notre dignité d'êtres humains, et il regardait comme l'un des plus grands bienfaits du Christianisme, celui d'avoir établi des rapports tout nouveaux entre nous et notre prochain. La transformation est bien loin d'être achevée, et nous ne connaissons pas le commun lien qui doit nous unir : l'estime réciproque, l'amour mutuel, le dévouement. Une nouvelle Révélation serait nécessaire pour mettre en lumière nos titres de grandeur et pour la plupart d'entre nous, l'âme est un pays inconnu, une région enveloppée de perpétuels nuages.

    Mais, répondront les Orthodoxes, pourquoi parler de qualités et de vertus? —Le Christianisme ne représente-t- il pas l'homme comme un pécheur endurci, et ne le signale-t-il pas à notre mépris et à notre aversion? Cela est vrai, et plus que tout autre religion, le Christianisme nous donne un vif et profond sentiment de notre infirmité morale. Mais nous ne rencontrons point dans l'Évangile ces sombres théories qui nous feraient fuir nos semblables comme autant de reptiles et qui considèrent l'homme comme moitié brute et moitié démon.

    Et tout d'abord, d'où vient le péché? Comment concilier avec la bonté de Dieu les violentes et sauvages passions que nous apportons en venant au monde? On ne peut recourir à la faute d'Adam et au funeste héritage que nous ont légué nos premiers parents, car nous n'avons pas été créés par Adam mais par Dieu, et l'âme sort des mains de l'Eternel aussi fraîche et aussi pure que si aucun être humain ne nous avait précédé sur la terre. Channing s'élève également contre la théorie de l'imputation juridique et déclare que nous ne pouvons être responsables que des fautes que nous avons commises. Ferons-nous du diable l'auteur du péché ? Le pasteur de Boston parle peu de Satan, et ne cherche pas à savoir s'il a une existence personnelle, ou s'il est le représentant collectif du mal de l'humanité. Il croit que les théologiens anglo-saxons ont exagéré son pouvoir, avoue qu'il ne connaît pas dans les siècles modernes l'histoire de son incarnation et de ses maléfices, et reproche à ses défenseurs de le craindre plus que le mal moral et d'étouffer la voix de la conscience sous le sentiment d'une frayeur égoïste. Ce sujet est d'ailleurs fort obscur, et comme il ne fait point partie de l'essence du Christianisme, il déclare ne plus s'en être occupé depuis longtemps.

    Channing, qui diminuait beaucoup en théorie la puissance du péché, regarde les passions comme conformes au plan de Dieu et comme la condition d'un plus grand bien.

    «Nos passions, dit-il, font souvent la guerre à notre raison et à notre conscience, mais ce n'est point pour étouffer ces éléments supérieurs de notre nature, c'est pour les éveiller et les fortifier. Si le devoir concordait toujours avec nos désirs, il n'y aurait plus de place pour la sainteté, la persévérance, le dévouement, la vraie vertu.»

    Quant à son essence, le péché n'est point indissolublement lié à l'âme humaine, et il ne fait point partie de notre nature. C'est une souillure temporaire dont nous pouvons nous purifier, et l'être le plus coupable peut arriver par le repentir au plus haut degré de force et de bonheur. Après la chute il ne reste pas seulement en l'homme des inclinations bestiales et des passions corruptrices : nous retrouvons encore en lui l'élan vers Dieu, l'attrait pour le bien, la sympathie pour la douleur, le respect de la grandeur morale, la lutte et le triomphe pour de sublimes principes. L'homme demeure ce qu'il était dans le plan primitif de son Créateur : un être dont Dieu s'occupe avec la plus tendre sollicitude, pour lequel il a envoyé son Fils, sur lequel il répand son Esprit et qui est destiné à obtenir le plus précieux de tous les biens, la perfection, le bonheur céleste.

    Dans son aversion pour les farouches doctrines du Calvinisme, Channing ne cesse d'exalter les attributs qui sont le commun apanage de tous les hommes, du plus humble et du plus pauvre comme du plus riche et du plus instruit, et il se plaît à énumérer les qualités qui distinguent la nature spirituelle de la nature animale.

    La première est la raison qui est un rayon de la lumière infinie et qui nous rend participants de l'essence divine. Que d'autres s'efforcent de dénigrer ce don sublime : le théologien Unitaire y voit le garant d'une perfection illimitée, et notre tort, selon lui, ne consiste pas à exagérer sa valeur, mais à l'ignorer ou à la mettre en doute.

    Au pouvoir de chercher et de trouver la vérité se joint le principe moral et religieux, la faculté de discerner et de faire le bien, le moniteur intérieur qui parle au nom de l'Éternel. Nous ne pouvons rien concevoir de plus sublime que la conscience : elle nous fait les égaux des séraphins et des anges, nous introduit dans le Royaume de Dieu, devient le gage d'une étroite alliance avec notre Père Céleste et dépose en nous le germe de l'immortalité. Pour elle tous les hommes sont frères, et les plus profonds mystères de la science et de la théologie perdent leur grandeur devant le simple spectacle du sentiment du devoir qui s'éveille dans l'âme d'un petit enfant.

      Enfin, nous avons en nous un principe de progrès illimité, et notre intelligence, nos affections, notre énergie morale, ont soif d'un épanouissement qui ne pourra pas se réaliser ici-bas. Il est impossible de concevoir jusqu'où peut aller un esprit dont le développement et sans bornes. Ajoutez un seul élément, l'éternité, et les résultats auxquels il parviendra dépasseront non-seulement la pensée de l'homme, mais celle de l'ange. Nous avons déjà ici-bas des exemples frappant de ce progrès, et la distance entre l'esprit de Newton et celui d'un Hottentot surpasse celle qui existe entre l'esprit de Newton et celui d'un être céleste. L'esprit de Jésus lui-même et le nôtre ne représentent aucune différence radicale, et rien ne peut nous empêcher d'atteindre à la bonté et à la sainteté que le Christ développa sur la terre. Nous pouvons ne plus faire qu'un qu'avec Lui, et nous devons le considérer comme un frère et comme un membre de la grande famille humaine.

     

     

    Retour  Dieu, ses Attributs.  Suite : Le Christ, La Rédemption

     

     
      DidierLe Roux

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; Dieu, ses Attributs
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; Dieu, ses AttributsWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

    Channing Theologien .

     

     

    § 3. Dieu, ses Attributs.

    Channing fit de la doctrine de Dieu la base de sa théologie et chercha à donner de l'Être Suprême une notion plus pure et plus conforme à la raison que le symbole d'Athanase et les décrets de Dordrecht. Il affirma énergiquement l'absolue unité de Dieu et reprocha au Trinitarisme d'être obscur, absurde, contradictoire. Les Orthodoxes appellent la Trinité un sublime mystère ; mais ce n'en est pas un comme les grandes vérités de la religion, à cause de son immensité et de sa profondeur ; il l'est à cause des idées inconciliables qu'il renferme. Un dogme semblable est à la fois contraire à la raison et à l'Écriture : à la raison, parce que nous ne pouvons concevoir trois agents intelligents ayant des perceptions, des volontés, des consciences différentes, accomplissant des actes différents et ne formant cependant qu'un seul être; à l'Écriture, puisque nous ne trouvons pour l'appuyer aucun passage dans le Nouveau Testament, et que ses défenseurs doivent inventer des mots et des formules complètement étrangers au langage Biblique. S'il était nécessaire au salut, il aurait dû, en raison même de sa singularité et de son importance, être enseigné par Jésus-Christ avec la plus grande clarté et toute la précision possible. Les Juifs, si fiers de leur Monothéisme, l'auraient ardemment combattu et nous aurions conservé le récit de leurs controverses avec les écrivains Apostoliques. Chacun sait qu'il n'en est rien et qu'il n'est nulle part fait mention des objections soulevées contre l'Évangile à cause de la Trinité.

    Si nous devons rejeter cette doctrine au nom de l'histoire, nous devons la combattre au nom de la vraie piété, parce qu'elle distrait l'âme de sa communion avec Dieu en lui offrant trois objets distincts d'adoration suprême. Bien n'est plus contraire à une saine dévotion, et nous avons besoin d'un Père unique et infini à qui nous puissions rapporter tout bien et toute félicité, et en qui nous puissions concentrer toutes nos facultés et toutes nos affections. Le Trinitarisme relègue Dieu dans l'ombre et lui substitue son Fils, qui est plus rapproché de nous et qui a plus d'attrait pour le vulgaire qu'un être invisible et inaccessible.

    Dieu n'est pas seulement un Être Unique : c'est un pur Esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité. Il importe que nous nous formions une conception toujours plus élevée de la divinité, et que nous nous la représentions comme un Être infini, en éliminant toutes les propriétés matérielles et tout ce qu'il y a de borné et d'imparfait dans notre propre nature. L'Unitarisme concorde avec le but moral de la Révélation, et demeure fidèle aux enseignements du Christ. Le Trinitarisme, au contraire, tend à obscurcir les notions que l'Évangile nous donne sur le Créateur, et est un retour vers le culte d'un Dieu corporel et vers les erreurs des sectes les plus ignorantes et les plus grossières. Ce qui le caractérise, c'est la doctrine d'un Dieu revêtu de chair, parlant et agissant par des moyens matériels, de la Divinité Infinie mourant sur une croix : aussi lui attribue-t-il toutes les affections physiques et lui prête-t-il les passions et les infirmités humaines. On en vient à adorer Dieu pour ses blessures et pour ses larmes, on substitue des transports charnels à une profonde vénération pour le Père Céleste, on se rapproche peu à peu du culte des Saints et de la Vierge et de l'idolâtrie de l'Église Romaine. En réduisant Dieu aux proportions d'un être limité et corporel, nous lui devenons toujours plus étrangers et nous favorisons un culte anthropomorphique. L'Unitarisme seul peut nous donner conscience de sa présence immédiate et de son intime union avec ses créatures.

    Enfin, Channing crut fermement à la perfection de Dieu, et se montra pendant toute sa vie l'ardent et infatigable adversaire du système Calviniste. Il lui reprocha d'étouffer le sentiment moral, d'engendrer une religion sombre et servile, de décourager les faibles en la foi, d'entretenir l'orgueil des fanatiques, de fournir une facile excuse aux pervers. Le dogme Orthodoxe est contraire à la justice de Dieu en établissant un infranchissable abîme entre les Élus et les Réprouvés ; il n'est pas moins opposé à sa bonté en prétendant que les fautes d'une courte vie méritent un châtiment éternel et ne peuvent être expiées par les souffrances d'un Être infini. Channing ne cessa de protester contre d'aussi repoussantes théories et s'efforça de leur substituer une notion plus consolante et plus élevée de la Divinité. Selon lui, nous ne devons pas nous incliner devant Dieu parce qu'il est notre Créateur et parce que sa volonté est irrésistible, mais parce qu'il nous a créés pour un but noble et saint, et que sa volonté est le souverain bien. Nous devons le regarder comme un Père qui est animé pour nous de la plus tendre sollicitude, et qui a pour chaque individu un aussi vif amour que pour le genre humain pris dans son ensemble. Loin d'être en contradiction, sa justice et sa bonté sont dans la plus parfaite harmonie et concourent également à notre bonheur. L'homme est passible d'un terrible châtiment s'il demeure impénitent et endurci, et il ne peut être sauvé que par son repentir ; mais il trouve en Dieu un juge patient et miséricordieux, qui ne demande  que son amélioration, et qui se réjouit de ses progrès. Le monde doit être considéré comme un lieu d'éducation où Dieu nous prépare à une union toujours plus intime avec Lui, et il emploie pour atteindre ce but, la prospérité et l'adversité, les luttes de la raison et des passions, les tentations du péché et les mobiles du devoir, en un mot une discipline variée et appropriée à des êtres libres et mora

     

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; La Religion, son Essence, ses Preuves
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; La Religion, son Essence, ses PreuvesWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

    Channing Theologien .

     

    § 2. La Religion, son Essence, ses Preuves.

    Qu'est-ce la religion pour Channing? Il s'attache dans son beau discours sur la Liberté spirituelle à combattre les fausses conceptions que s'en fait le vulgaire, et il déclare que ce n'est ni l'aveugle soumission à un ministre ou à un prêtre, ni une machinale répétition de prières et de rites, ni une violente émotion qui emporte l'âme comme un ouragan, et lui enlève le pouvoir de se diriger elle-même, ni un moyen de s'assurer l'éternelle félicité par une série de pratiques et de sentiments qui n'ont aucun rapport avec la vie présente. La vraie religion consiste dans la conviction calme et profonde de l'intérêt que Dieu prend au progrès et au bonheur de ses créatures, dans la certitude qu'il se complaît dans la vertu et dans nos efforts pour nous conformer à cet amour désintéressé de la justice, qui est l'un de ses plus nobles attributs. Elle a pour but de nous rattacher à l'Être Infini, et de nous inspirer de la reconnaissance envers notre Père Céleste, qui nous a créés afin de nous faire participer à son Esprit et à ses perfections, qui nous a formés pour la vérité et la sainteté, qui nous soumet à de rudes épreuves pour nous fortifier par la lutte et la souffrance, qui nous a envoyé son Fils pour nous revêtir de l'immortalité. C'est le plus puissant agent dans les choses humaines, et le plus difficile à déraciner : perverti, c'est une source abondante de crimes et de malheurs ; bien dirigé, il nous permet de résister aux tentations, et nous donne l'énergie nécessaire pour l'action. Sans la religion, notre existence n'aurait point de but, nos progrès point de constance, nos plus nobles aspirations point de certitude de se réaliser.

    Le premier caractère de la religion est d'être pratique et d'inspirer toute bonne parole et toute bonne œuvre. Elle doit nous remplir d'affection et de reconnaissance pour notre Créateur, nous affranchir du joug des passions qui nous asservissent et nous dégradent, être le plus ferme auxiliaire de notre conscience, concourir au bien présent et futur de nos semblables. Comme le dit St. Jacques, la religion pure et sans tache consiste à visiter les veuves et les orphelins et à se maintenir exempt de toute souillure.

    La véritable religion ne doit pas se mettre en opposition avec la vie naturelle et séparer du monde ses adeptes. Bien au contraire, elle doit poser un petit nombre de principes très riches d'applications, mais très simples en eux-mêmes. Elle doit agir du dehors au dedans sur l'existence entière et se mêler à la politique en enseignant le respect du droit et de la justice, au commerce en prescrivant la plus scrupuleuse probité dans les petites choses comme dans les grandes, à la littérature en lui faisant connaître le cœur humain et en lui inspirant la passion de la vérité. Sans l'élément religieux, la civilisation ne peut que multiplier le bien-être et les jouissances matérielles, favoriser la domination des sens, soumettre l'homme à l'empire de l'opinion, le livrer sans contre poids à la lâcheté et à l'esprit de calcul. Seul, le Christianisme peut ôter à ces biens leur puissance d'asservissement et les changer en instruments de liberté.

    La religion ne doit pas être exclusivement une affaire individuelle ; elle doit être un principe social et, de cela, Channing donne plusieurs raisons. Tout d'abord, l'individu ne se fait pas seul son Credo : il se plaît à communiquer ses sentiments aux autres et à les fortifier par la sympathie. Dieu est le lien commun de tous les hommes, le chef de la grande famille dont nous sommes tous membres. Nous ne devons pas être seulement unis à lui par des rapports d'attachement et de vénération ; nous devons l'adorer publiquement et lui témoigner notre reconnaissance solennelle pour les bienfaits dont il nous comble chaque jour. La religion est d'ailleurs le plus sûr garant de l'ordre et elle contribue puissamment à la stabilité et à la prospérité de l'Etat. Quelle force nos sentiments moraux ne puisent-ils pas à cette source ! Combien la conscience serait faible sans la croyance en Dieu ! Tout croulerait du jour où l'on admettrait qu'aucune intelligence supérieure ne s'occupe des affaires humaines et que la mort est un néant éternel.

    Après avoir retracé les idées de Channing sur l'essence et les caractères de la vraie religion, il convient de rechercher les preuves qu'il allègue en faveur du Christianisme. Le théologien Unitaire porta plusieurs fois ce sujet dans la chaire de Federal Street et fut abordé dans quelques-uns de ses traités les plus célèbres: « Preuves du Christianisme, » « Le Christianisme est une Religion raisonnable. »

    La vérité de la religion se base tout d'abord sur son accord avec la nature et avec l'ordre général que Dieu a établi. Cet accord se justifie par les relations qui existent entre Dieu et l'espèce humaine, et quand nous songeons à l'amour infini de notre Créateur, à la sollicitude avec laquelle II veille sur nos progrès, à notre faculté illimitée de développement, Tonne s'étonne point qu'il y ait eu des Révélations, mais qu'il n'y en ait pas eu davantage. La Révélation présente aussi un rapport frappant avec les moyens choisis par Dieu pour l'amélioration des individus et du genre humain. A qui devons-nous nos principales connaissances ? Ce n'est pas aux lois immuables de la matière, mais aux leçons des hommes sages et vertueux. La Révélation n'est que l'extension de cette règle universelle, et Dieu prend le rôle auquel tous les êtres raisonnables sont appelés en nous communiquant un ordre de vérités supérieures à celui que nous aurions pu atteindre par nos seules ressources. Pourquoi Dieu a-t-il voulu que les progrès de l'homme s'effectuassent au moyen de l'enseignement de ses semblables? Pourquoi les plus avancés ont-ils été chargés d'éduquer les moins instruits? Afin d'établir des rapports entre tous les hommes, de favoriser un commerce affectueux, d'exciter un amour plus pur que celui qui provient de bienfaits uniquement matériels. La Révélation poursuit la réalisation du même plan et cherche à établir le même lien entre Dieu et ses créatures : non contente de nous donner une idée plus exacte de Dieu, elle se plaît à nous montrer l'intérêt qu'il prend à chaque membre de la famille humaine et son constant désir de nous élever jusqu'à lui. Enfin, la Révélation complète les leçons de la nature en nous dévoilant l'avenir et en satisfaisant nos besoins les plus nobles et les plus profonds : elle s'adresse, avant tout, à nos facultés morales et nous fournit des secours efficaces pour résister au mal.

    La Révélation est également d'accord avec la raison, et c'est la preuve sur laquelle insiste le plus Channing. A ses yeux, s'il y avait contradiction, nous devrions abjurer le Christianisme, et il ne nous est permis de sacrifier à aucune religion cette raison qui nous élève au-dessus de la brute et qui fait de nous des hommes. C'est sur son autorité que se base la Révélation et, sans elle, nous serions incapables de recevoir les enseignements du Christ, puisque rien dans notre intelligence ne pourrait leur correspondre. D'ailleurs, elle ne nous trouve pas comme une table rase prête à recevoir tout ce qu'on veut y inscrire : elle nous trouve en possession de connaissances diverses puisées dans la nature et l'expérience, bien plus en possession de grands principes moraux, des idées de devoir, de vertu, d'amour, de sagesse. Une religion ne saurait donner de preuves plus évidentes de sa fausseté qu'en se mettant en contradiction avec ces idées fondamentales.

    La Révélation repose en deuxième lieu sur l'autorité de la raison, parce qu'elle doit lui soumettre ses titres de créance et être approuvée par elle pour que nous puissions l'accepter et lui obéir. Pourquoi reconnaître le Nouveau Testament comme règle de notre foi ? Comment déterminer l'origine du Christianisme? Aucune voix miraculeuse ne vient du Ciel pour nous assurer que c'est la Parole de Dieu, aucune faculté distincte ne nous a été donnée pour juger de la Révélation. C'est à la raison seule qu'il appartient de rassembler et de peser les preuves du Christianisme et de les comparer avec les principes éternels écrits par le doigt de Dieu dans notre conscience.

    Enfin, la raison nous est nécessaire pour interpréter l’Écriture et en découvrir le véritable sens sous des formes parfois hyperboliques et obscures. Loin d'être en contradiction avec la raison, le Christianisme est pleinement d'accord avec elle. Pour qu'une religion soit raisonnable, rien n'est plus nécessaire que l'accord de ses vérités entre elles et avec toutes les autres vérités que nous tirons de la nature ou de notre propre fond : or, le Christianisme satisfait pleinement à ce double postulat. Tous les enseignements de l’Évangile sont, entre eux, dans la plus parfaite harmonie et ont été entièrement réalisés dans la vie de son fondateur. Le Christianisme concorde également avec les idées qui nous sont fournies par d'autres sources. Plus nous étendons nos recherches, plus nous voyons se confirmer la doctrine d'un Dieu Créateur, qui est le Père de tous les hommes, qui répand ses bienfaits sur les bons et sur les méchants, qui, par la médiation de son Fils, nous a délivrés du péché et de la mort et nous a permis de participer à la vie éternelle. Enfin, il n'y a rien en lui d'étroit, de temporaire, de local, aucun rite précis, aucun dogme immuable. Il fait appel au principe spirituel et immortel de l'âme humaine, il nous dirige vers l'Être Suprême, vers le Bien Infini, il nous représente Dieu revêtu des attributs du .Père Universel, il enseigne les éléments généraux et immuables de la morale, il prêche une philanthropie qui ne connaît ni bornes ni exceptions. En un mot, c'est une religion faite pour tous les pays et tous les temps, pour toutes les classes de la société et toutes les phases de la civilisation, et il possède ce caractère d'universalité qui est le caractère distinctif d'une religion raisonnable.

    Comme troisième preuve du Christianisme, Channing invoque l'histoire et prétend que nous avons des preuves suffisantes pour nous convaincre de sa vérité. Nous connaissons le temps où il apparut et la contrée dans laquelle il prit naissance, nous savons quels furent son fondateur et ses apôtres, nous possédons les sources nécessaires pour remonter à son origine, et l'étudier dans sa pureté native. Et ici Channing entreprend de démontrer l'authenticité des Évangiles par les mêmes arguments que ceux dont se servaient les Apologètes anglais contre les Déistes du siècle dernier. Les Évangiles furent reçus au temps des Apôtres, comme les œuvres de ceux dont ils portent les noms, et furent entourés de l'universelle vénération des contemporains. On ne peut admettre la fraude littéraire, car elle aurait été impossible en de semblables circonstances, et leurs lecteurs avaient le plus grand intérêt à s'assurer de leur authenticité. La simple comparaison avec les Évangiles apocryphes suffit pour prouver leur supériorité : rien de plus bizarre et de plus extravagant que les uns ; rien de plus naturel et de plus édifiant que les autres. Ils sont écrits avec la simplicité et la richesse de détails, qui n'appartiennent qu'aux auteurs familiers avec leur sujet, et ils trahissent les idées, les mœurs, les sentiments de l'âge dans lequel ils ont été composés. Comment, d'ailleurs, auraient-ils pu retracer avec une aussi parfaite sûreté de touche, et un aussi constant accord, un caractère aussi extraordinaire que celui de Jésus?

    Selon le mot fameux de Rousseau, l'inventeur aurait été plus grand que le héros.

    On ne peut assigner au Christianisme d'autres origines que celles que lui donnent les auteurs sacrés. Recourir à la chute du paganisme, à la philosophie des Stoïciens ou des Alexandrins, aux théosophies de l'Orient, aux doctrines qui avaient cours parmi les Juifs, serait chose superflue. Le Christianisme ne peut être le produit du siècle où il parut, et son absence de développement graduel montre la divinité de sa provenance. Il ne saurait avoir pour cause la satisfaction d'aucun désir égoïste, et il serait ridicule d'attribuer à son fondateur les motifs qui poussent d'ordinaire les hommes à fabriquer des religions. Le pouvoir politique et le pouvoir religieux sont le plus fréquent mobile des faux prophètes. Jésus ne porta aucun insigne de sa supériorité, n'exigea aucun hommage, et mourut d'une mort infâme. Il repoussa les rêves Messianiques de ses compatriotes, ne fit aucune concession à leurs passions et à leurs préjugés, et loin d'imprimer à ses disciples un caractère servile, il fut, par excellence, le docteur de la liberté. Tout essai d'expliquer le Christianisme par les événements contemporains échouant, l'on est forcé d'admettre une révélation surnaturelle.

    La quatrième preuve alléguée par Channing, et l'une des plus essentielles à ses yeux, est le caractère de Jésus, caractère unique dans les annales de l'humanité. Le pieux pasteur de Boston, inspiré par sa foi et son ardent amour pour son Rédempteur, lui a consacré quelques-unes de ses pages les plus belles et les plus touchantes, et il célèbre sa bonté, sa fermeté, sa tolérance, sa mansuétude en un langage digne de Celui qui fut, parmi nous, la parfaite image de la divinité.

    «Ce qui distingue Jésus, dit-il, c'est une charité infinie et sans mélange, une charité où la grandeur s'unit d'une façon admirable à la douceur, une charité aussi sage qu'elle était ardente, qui comprenait les vrais besoins et le vrai bien de l'homme, qui avait de la compassion pour les souffrances qui nous viennent du dehors, mais qui voyait dans l'âme la source profonde de nos malheurs, et qui travaillait, en régénérant cette âme, à lui donner un bonheur pur et durable. La bonté de Jésus était tellement particulière, tellement unique, que le monde en a gardé l'empreinte. De lui sont sorties une vertu, une influence bienfaisante qui agissent encore aujourd'hui. Depuis la mort du Christ, un esprit d'humanité jusqu'alors inconnu s'est insensiblement répandu sur la terre. Un nouveau type de vertu s'est par degrés emparé du respect des hommes. Une nouvelle force a agi sur la société, et elle a plus fait que tout le reste pour désarmer les passions égoïstes et pour unir fortement l'homme à Dieu. Quelle preuve de la vertu de Jésus-Christ ! Si le Christianisme a eu un pareil fondateur, il est venu du Ciel. »

    Le caractère du prophète de Nazareth est si pur qu'il a résisté aux atteintes du temps et au progrès des siècles, et qu'il lui a concilié plus d'un adversaire de sa religion. Si haut que s'élève l'esprit humain, si loin que parvienne la société, nous ne pourrons rien contempler de plus saint et de plus noble, et nous devrons porter nos regards au Ciel si nous voulons comprendre le Christ.

    Enfin le dernier argument auquel a recours Channing est le surnaturel qu'il accepte sans hésitation, et pour lequel il ne ressent aucun des scrupules si fréquents chez plusieurs théologiens de notre époque. Ici encore le docteur Unitaire suit les errements des Apologètes du dix-huitième siècle, et ne combat d'autres adversaires que Tindal, Collins, Hume, Gibbon. Tout d'abord l'ordre de la nature n'est pas fixe, et il peut être changé par son auteur. Dieu le peut et le veut : une réponse négative ne saurait convenir à un être aussi borné que l'homme, et serait aussi contraire à l'esprit de la vraie philosophie qu'à l'esprit de la vraie religion. Les miracles d'ailleurs confirment la doctrine la plus consolante et la plus sublime en établissant la supériorité de l'esprit sur la matière.

    On répond qu'il est dérogatoire à la sagesse de Dieu de changer l'ordonnance de ses propres œuvres, mais la création n'est pas une machine, et Dieu s'est proposé avant tout d'instruire des êtres moraux et de les délivrer du mal. Le principal attribut d'êtres intelligents étant la liberté, on ne peut se servir de la nature comme unique moyen d'éducation et de progrès pour le genre humain. Un ordre immuable nous révèle Dieu comme le souverain universel qui pourvoit au bien général ; il ne nous le montre pas comme un tendre père qui s'intéresse à chacun de ses enfants. La nature, tout en nous donnant d'importantes leçons, ne nous les donne pas d'une façon directe et pressante, et il faut une manifestation plus imposante de l'Eternel pour les imprimer d'une manière durable dans l'esprit des hommes. La nature ne nous présente que de vagues lueurs sur l'avenir, et il était besoin de la résurrection d'un mort pour nous convaincre de l'immortalité. Nous devenons indifférents et insensibles à ce qui nous est familier, et Dieu qui a mis en nous le goût du merveilleux a raison d'y faire appel pour nous ramener à lui. Le sceptique objecte encore qu'il n'a point vu de miracles et qu'il n'y croira qu'après en avoir contemplé de ses propres yeux; mais admettre ce principe serait détruire l'histoire et enchaîner le Créateur à des modes invariables d'éducation pour une race dont les facultés et les besoins subissent de perpétuelles métamorphoses. En multipliant les miracles on en affaiblirait la puissance, et nous devons nous incliner devant la variété infinie des dispensations de Dieu.

    On allègue encore le grand nombre de faux prodiges, et on en tire une présomption contre les miracles racontés dans les Livres Saints; mais c'est une raison pour les examiner plus attentivement, et non pour les rejeter tous en bloc, et rien n'est moins digne d'un philosophe que de baser une censure universelle sur un petit nombre de faits déplorables. La multiplicité des faux miracles est, au contraire, une confirmation de l'authenticité des miracles évangéliques; car Dieu devait satisfaire un besoin de surnaturel aussi généralement répandu, et nous ne pouvons distinguer les faux miracles qu'en les comparant avec les vrais. Le contraste est complet entre eux : autant les uns sont absurdes et extravagants, et trahissent une imagination faible ou malade, autant les autres portent la marque d'une majesté, d'une bienfaisance, d'une simplicité, d'une sagesse qui les séparent des rêves d'une fantaisie déréglée ou des inventions de l'imposture. Enfin, les miracles bibliques s'appuient sur des présomptions et des preuves directes : sur des présomptions, puisqu'ils nous révèlent des vérités d'un ordre supérieur devant lesquelles pâlissent toutes les découvertes de la science, et qui donnent à notre existence un nouvel intérêt et un nouveau but; sur des preuves directes, puisqu'ils nous sont attestés par des témoins oculaires et par des écrits authentiques, et que sans eux nous ne pourrions nous expliquer la révolution la plus surprenante qu'aient jamais enregistrée les annales de l'humanité.

    Si imposantes que fussent ces preuves, si solide que lui parût cette démonstration, Channing comprit que la religion devait se justifier aux yeux de la génération présente par d'autres arguments que par le surnaturel, et il recourut à la satisfaction donnée par le Christianisme à nos besoins les plus nobles et les plus intimes, comme à la seule forteresse inexpugnable.

    «Il me semble, dit-il dans un discours sur ce que l'époque actuelle réclame du. Ministère chrétien, que précisément à mesure que l'espèce humaine progresse, les preuves internes du Christianisme, les marques divines qu'il porte sur son front acquièrent une importance de plus en plus grande. Je veux parler des preuves tirées de son excellence, de sa pureté et de ses heureuses influences, de sa concordance avec les besoins spirituels, avec la faiblesse et la grandeur de la nature humaine, du caractère propre et original de son fondateur, de sa magnanimité et de son charme céleste, de sa bienveillance infinie en harmonie avec l'esprit de l'univers et de ses vues sur le caractère et les desseins paternels de Dieu, le devoir humain, la perfectibilité humaine et la vie future, vues tendant d'une manière manifeste à l'élévation et au progrès incessant de notre nature, et entièrement opposées au caractère de l'époque où elles furent enseignées. Les preuves historiques et miraculeuses du Christianisme sont certainement essentielles et irrécusables ; mais sans les remplacer, les preuves intérieures dont je parle deviennent de plus en plus nécessaires et exercent une action plus grande à mesure que l'intelligence et la sensibilité de l'homme se fortifient et s'agrandissent,» Pages remarquables qui nous montrent avec quelle force Channing insistait sur l'accord du Christianisme et de la conscience, comme sur la preuve essentielle en un temps ouïe miracle fournissait une réponse à toutes les objections, et combien sur ce point, comme sur tant d'autres, il était élevé au-dessus des idées courantes et des préjugés vulgaires: pages qui justifient la légitimité et l'intensité de la crise actuelle, et qui nous permettent d'affirmer de quel côté se serait rangé le pasteur de Boston, s'il avait assez vécu pour assister à son développement

       

     

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    Développement religieux de Channing 

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      DidierLe Roux

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; Situation religieuse de l'Amérique, le Puritanisme, l'Unitarisme, Développement religieux de Channing
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Deuxième Partie ; CHANNING ; Situation religieuse de l'Amérique, le Puritanisme, l'Unitarisme, Développement religieux de ChanningWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 2 .

     

     

     

     

    Channing Theologien .

     § 1. Situation religieuse de l'Amérique, le Puritanisme, l'Unitarisme, Développement religieux de Channing. 

     

     

    Les colonies de la Nouvelle-Angleterre, fondées par les Puritains qui fuyaient le joug de l'Église Épiscopale et la tyrannie des Stuarts, choisirent le système Congrégationaliste et arborèrent pour la discipline et pour le dogme, le drapeau du Calvinisme le plus strict. Lorsque les habitants de New-Haven promulguèrent leur nouvelle Constitution, ils déclarèrent n'avoir d'autre règle que l'Écriture, et le gouverneur, et ses assistants durent rendre la justice suivant les lois établies et à leur défaut selon la norme instituée par la parole de Dieu. La Bible fut reconnue par un décret solennel comme le Code unique et parfait de la société, la pureté de la foi et la surveillance de la vie publique et privée furent la grande fin de l'ordre civil, et les membres de l'Église purent seuls posséder le droit de cité. Cette organisation donnée au Connecticut par son gouverneur Théophile Eaton et l'un de ses pasteurs, John Davenport, fut adoptée, avec quelques insignifiantes modifications, par le Massachusetts, le Maine, le Vermont, le New-Hampshire et la plupart des États fondés par les Indépendants. Partout le Code Criminel fut emprunté à l'Exode et au Lévitique, et l'on punit de mort le meurtre, la trahison, l'adultère, le blasphème, la sorcellerie, parce que Moïse l'avait ainsi ordonné. Quant au vol, disent les lois du Massachusetts, nous ne pouvons le considérer comme un crime capital, malgré les lois Anglaises, parce que nous lisons autrement dans la Sainte Écriture.

    Dans une société où la religion et la loi se confondaient et où le magistrat était l'agent du prêtre, il n'est point surprenant que le maintien de la morale fut compris dans les attributions de l'autorité civile, et que, pour contraindre l'individu à demeurer vertueux, l'on eut recours aux règlements les plus minutieux et les plus cruels. A New-Haven, une femme mariée qui avait eu d'innocentes relations avec un jeune homme, et qui l'avait épousé après être devenue veuve, fut jetée en prison après plusieurs années d'une honorable et paisible union, et peu s'en fallut que tous deux ne fussent condamnés à mort pour un péché assurément véniel. En 1660, dans une autre ville du Connecticut, une jeune fille accusée d'avoir prononcé quelques paroles inconsidérées et de s'être laissé prendre un baiser, fut punie par l'amende et la réprimande publique; une autre par le fouet et le mariage avec son complice. A Boston, à la même époque, une respectable matrone, coupable d'une légère intempérance de langage, fut bâillonnée et attachée devant la porte de sa maison pour servir d'exemple aux bavards ; une autre excommuniée pour avoir critiqué le prix d'un ouvrage d'ébénisterie. La paresse et l'ivrognerie étaient combattues par des moyens aussi sévères, et citoyens et étrangers étaient soumis à la plus violente inquisition. L'assemblée générale de Boston s'occupa, en 1624, de l'habillement des deux sexes; en 1639 elle défendit de porter des toasts sous peine d'une amende de 12 deniers pour chaque offense; dans toutes les colonies, les ordonnances somptuaires furent observées aussi exactement qu'à Genève aux plus beaux jours de la domination de Calvin. Que l'on me pardonne ces nombreux détails : — ils étaient nécessaires pour faire comprendre l'aversion inspirée à la longue par le Puritanisme et les sympathies avec lesquelles on accueillit une conception religieuse moins légaliste et moins farouche.

    Il ne pouvait être question de tolérance dans des Communautés dont tous les membres devaient se soumettre aveuglément aux décisions du Livre et où toute divergence d'interprétation était punie comme un crime : aussi ne voulurent-elles avoir aucun rapport avec d'autres sectes, et regardèrent-elles les Arminiens, les Épiscopaux, les Quakers, comme des hérétiques et des suppôts de Bélial. L'État de Rhode-Island ayant inauguré le règne de la liberté religieuse, et son noble et pieux fondateur Roger Williams ayant reconnu, dans sa Charte de 1663, les droits de la conscience individuelle, les Puritains crièrent au scandale, et l'un des plus célèbres ministres du Massachusetts, le fougueux Cotton Mather, écrivait en 1691 ces tristes paroles : « Cette colonie est un amas d'Antinomiens, de Familistes, d'Anabaptistes, d'Arminiens, d'Antisabbatistes, de Sociniens, de Quakers, de Convulsionnaires, en un mot de tout excepté de vrais Chrétiens. Si quelqu'un perdait sa croyance, il serait sûr de la retrouver dans quelque village du Rhode-Island. » Le temps ne fit que fortifier d'aussi odieux préjugés, et lorsqu'au commencement de notre siècle apparurent les premiers symptômes d'un mouvement progressif, les Orthodoxes demandèrent l'érection d'un tribunal spirituel qui serait chargé de maintenir la vraie doctrine, et qui, examinant tous les ministres, les déclarerait dignes ou indignes du pastorat.

    Dans le domaine intellectuel, les Puritains avaient adopté dans toute leur rigueur les dogmes Calvinistes, et s'ils avaient fui dans le Nouveau Monde, c'était pour y trouver la terre promise aux seuls Elus et pour y bâtir la nouvelle Jérusalem. Leurs descendants ne dévièrent en rien de la tradition, et leurs pasteurs continuèrent à prêcher sous la forme la plus absolue, la Trinité, la Prédestination, le Péché Originel. Les Canons de Dordrecht trouvèrent un vaillant défenseur en la personne de Jonathan Edwards, l'un des partisans les plus dévoués de Whitefield et des plus vigoureux logiciens de l'Amérique. Grâce à la force de ses convictions et à sa sauvage éloquence, il gagna des milliers d'adeptes et devint chef d'Ecole. Ses successeurs, Samuel Hopkins, Nathanael Emmons, Edmond Dwight maintinrent intacte la tradition et n'eurent dans leurs volumineux ouvrages d'autre but que de combattre l'hérésie et de prouver par des arguments scholastiques l'excellence de la théologie orthodoxe. Bien qu'au temps de Channing le Calvinisme eût perdu quelques-uns de ses adhérents, il demeurait encore dans la Nouvelle Angleterre la secte dominante, et il avait pour chefs le Docteur Wood, l'un des plus fidèles disciples d'Edwards, et Lyman Beecher, le fougueux orateur 'de Boston, et l'infatigable entrepreneur de revivais. De nos jours encore, malgré le relâchement de la discipline Puritaine et le progrès des idées modernes, il a conservé de nombreux adeptes et compte dans ses rangs plusieurs hommes distingués, entre autres Henry Ward Beecher, le courageux Abolitionniste et l'éloquent tribun religieux de Brooklyn et le Docteur Stowe, son beau-frère, l'un des professeurs les plus estimés du Collège d'Andover.

    Les Puritains furent les véritables fondateurs de la République Américaine, et imprimèrent au caractère national ses traits les plus prononcés. Par leurs minutieuses prescriptions et leurs coutumes surannées, ils développèrent les mœurs simples et les vertus austères qui font les hommes énergiques et les citoyens dévoués, et ils purent accorder la liberté politique dans toute son étendue en proscrivant le relâchement et le luxe, en désarmant l'ambition, en empêchant tout excès. En n'admettant d'autre supériorité que celle du mérite, et en abandonnant à la mère patrie ses privilèges, ils établirent une complète égalité civile et donnèrent à la liberté sa condition première et sa base essentielle; en ayant la Bible pour seule règle de conduite et en rendant l'individu seul responsable de sa destinée, ils favorisèrent malgré eux et en dépit des violences et des persécutions l'esprit d'examen et furent les défenseurs de l'indépendance religieuse en face des ordonnances et des liturgies de l'Église Anglicane. Aussi admirons-nous les pieux et intrépides colons de la Nouvelle-Angleterre, et savons-nous distinguer les idées permanentes et les principes éternels de leur enveloppe souvent ridicule, de leur forme souvent tyrannique, mais les règlements qui sont nécessaires dans l'enfance d'une société doivent se modifier dans la mesure de sou développement, et les individus ne peuvent être maintenus dans un état de perpétuelle minorité. Lorsque l'Amérique eut traversé ses crises politiques et qu'elle eut conquis la liberté civile, le besoin de la liberté religieuse se fit vivement sentir et le sombre et farouche Calvinisme des Edwards et des Hopkins rencontra de nombreux adversaires. Tous les amis de la science, de la tolérance, du progrès, rejetèrent le Credo traditionnel et se rallièrent sous la bannière de doctrines plus larges qui proclamaient l'alliance de la raison et de la foi et qui reconnaissaient dans toutes les sectes des membres de l'Église Universelle du Christ. Ces doctrines, qui apparaissaient alors pour la première fois en Amérique, et qui devaient lui donner plus tard quelques-uns de ses plus brillants orateurs et de ses théologiens les plus distingués, étaient depuis longtemps connues en Angleterre et avaient reçu le nom d'Unitarisme.

    Apporté par les Sociniens sous Elisabeth et Jacques I, persécuté à l'envi par la Haute Eglise, les Presbytériens et les Indépendants, prêché au milieu des plus grands périls par John Biddle et Thomas Firmin, l'Unitarisme avait joui d'une tranquillité relative sous le gouvernement sage et modéré de. Guillaume III, et avait été professé par les hommes les plus éminents de la Grande-Bretagne, par Milton et par Locke, par Burnet et par Tillotson, par Newton et par Samuel Clarke. Grâce à la diffusion des lumières et au respect toujours croissant des droits de la conscience individuelle, il n'avait cessé de gagner de nouveaux adhérents et avait fait sentir son influence au Presbytérianisme et à d'autres sectes. A la fin du siècle dernier il comptait dans toute la contrée, et surtout à Londres, de nombreuses Congrégations, attirait au pied de ses chaires des auditeurs d'élite, et avait l'honneur de compter parmi ses prédicateurs des hommes d'un mérite incontesté, tels que Richard Priée et le docteur Priestley. La Révolution Française lui porta un coup fatal. Considérés par le parti Conservateur comme des Jacobins et des perturbateurs de l'ordre établi, regardés par les âmes pieuses comme des incrédules de la pire espèce, en butte à la haine ardente et au superbe mépris de Burke et des chefs du Torysme, les dissidents durent momentanément garder le silence et cherchèrent un asile dans le Nouveau Monde. Le Docteur Priestley, expulsé de Birmingham par la populace à cause de ses hérésies et de ses sympathies pour la cause Républicaine, trouva un refuge à New York, fut appelé à exposer ses idées dans des Conférences publiques et fut le premier Apôtre de l'Unitarisme. Ses opinions se répandirent rapidement dans la Nouvelle Angleterre et en particulier dans le Massachusetts, et elles y entretinrent un foyer permanent de libéralisme et de réforme.

    Au bout de peu de temps, l'Unitarisme fut embrassé par la plupart des esprits cultivés, et il aspira toujours plus à devenir une religion éclairée et moralisante, d'accord avec les idées, les institutions et les besoins de la société moderne. Il fonda sa théologie sur la Bible, mais il élimina de l'enseignement les dogmes irrationnels et contradictoires de l'orthodoxie; il n'eut aucune complaisance pour l'austère et monacale dévotion des Puritains, mais il maintint avec fermeté les principes supérieurs, qui indiquent à l'homme sa véritable destination, et lui inspirent les vertus domestiques et sociales. Il fut le persévérant apôtre de la tolérance, et prit une large part aux grandes améliorations publiques, et aux institutions philanthropiques. C'est dans son sein que se recrutèrent les plus intrépides Abolitionnistes et les penseurs les plus éminents des États-Unis, les Channing et les Tuckermann, les Charles Sumner et les Wendell Philipps, les Théodore Parker et les Ralph Waldo Emerson.

    Quant à la théologie Unitaire proprement dite, elle était loin d'être ce qu'elle est devenue de nos jours chez ses plus illustres représentants, mais elle constituait un réel progrès sur le Calvinisme. Née de l'opposition aux trente neuf articles de l'Église anglicane et aux symboles de Nicée et d'Athanase, elle rejetait les dogmes de la Trinité, de l'absolue divinité du Christ, du péché originel, de l'expiation vicaire, de l'éternité des peines de l'enfer ; soutenait l'accord de la révélation et de la raison, et ne reconnaissait, en matière de foi, d'autre guide que cette dernière; condamnait tout Credo et toute formule confessionnelle, et admettait dans le sein de l'Église la plus complète diversité d'opinions.

       Une conception aussi pure et aussi spiritualiste de la religion devait plaire à un homme aussi éclairé et aussi foncièrement libéral que Channing. Il avait montré, dès son enfance, une invincible répugnance pour le Calvinisme, et, à mesure que ses facultés se développèrent, il fut toujours plus révolté dans son sentiment de la justice et de la bonté divines, par ce qu'il appelait des dogmes impitoyables. Il se plongea avec ardeur dans l'étude des Saintes Écritures, et, loin d'y rencontrer la confirmation des opinions traditionnelles, loin d'y voir enseignées la félicité de quelques hommes choisis arbitrairement et la damnation de millions d'autres précipités pour toujours par une fatalité inexorable dans l'abîme, il y trouva un Dieu qui est pour tous ses enfants un Père miséricordieux et tendre, et qui accorde les secours de sa grâce à tous ceux qui s'efforcent de triompher du péché, et qui aspirent à la perfection. Il examina ensuite l'histoire des différentes communions chrétiennes, et apprit que dans chacune d'elles il y avait de vaillants serviteurs de Dieu et des adorateurs en esprit et en vérité ; il reconnut également qu'aucune d'elles n'était exempte d'erreurs, et que l'infaillibilité ne pouvait être le partage d'aucune secte. Aussi regarda-t-il comme la plus odieuse violation des lois divines la prétention d'un parti d'imposer à ses frères ses doctrines et ses pratiques particulières, et il flétrit chez les Protestants le despotisme spirituel qu'ils avaient eux-mêmes blâmé dans l'Église romaine. Les travaux auxquels il se livra à l'Université d'Harvard ne firent que fortifier ses convictions à cet égard. Il rejeta comme irréligieux les dogmes du péché originel et de la corruption radicale de tous les descendants d'Adam, et admit la perfectibilité de l'âme humaine ; il crut que la religion s'adressait à notre intelligence autant qu'à notre cœur, et que le Christianisme avait pour but le développement de toutes nos facultés ; enfin, bien qu'à cette époque il n'eût pas complètement rompu avec le dogme de la Trinité, il ne pouvait étouffer des doutes opiniâtres à son sujet, et peu d'années après il le combattit ouvertement. Plus Channing médita sur les problèmes de la théologie, plus il affirma énergiquement l'accord de la révélation et de la raison, plus il exalta le principe de la souveraineté de l'individu, et soutint que c'était d'après nos lumières naturelles qu'il fallait interpréter le Livre divin. A ses yeux, l'essence de la religion moderne fut de ne reconnaître, en matière de foi, d'autre autorité que la conscience, et de rejeter tous les dogmes qui lui étaient contraires : il fut, comme l'a dit M. Laboulaye, un rationaliste chrétien.

    Des vues aussi hardies, qui sapaient par la base l'empire de l'Église et de la tradition, ne pouvaient manquer d'exciter une vive émotion. Les Orthodoxes se hâtèrent à l'envi de protester contre l'incrédulité du jeune ministre, dans toutes les communions on le mit, ainsi que ses amis, au ban du Christianisme, et Coleridge, dans une de ses boutades, définit l'Unitarisme la pire espèce d'Athéisme unie à la pire espèce de Calvinisme, comme deux ânes attachés ensemble par la queue.

        Une aussi injuste et aussi violente persécution ne réussit qu'à rallier ostensiblement Channing aux Unitaires, dont il s'était jusque-là séparé par indépendance d'esprit, et dont il devint l'un des docteurs les plus illustres et les plus vénérés. Il modifia les opinions de Priestley, dans ce qu'elles avaient d'aride et de commun avec un Rationalisme bourgeois et vulgaire, communiqua à l'Unitarisme la chaleur vivifiante de son talent et de son cœur, en fit l'une des formes les plus pures et les plus élevées du Christianisme, et ne cessa jusqu'à sa mort de rechercher librement la vérité, et de s'opposer à toute systématisation arbitraire et artificielle. Ce sont les résultats auxquels il parvint, après une vie consacrée tout entière à la méditation et aux luttes de la pensée que nous désirons brièvement exposer. S'il ne les a jamais réunis en un traité complet, et s'il ne les a jamais enseignés cx-caihedra, il les a présentés de la manière la plus claire et la plus détaillée dans ses lectures et ses sermons de Federal Street : aussi nous sera-t-il facile de retracer les principes très simples et très sobres sous le rapport du dogme, très riches pour la vie chrétienne, et très féconds en applications sociales qui constituèrent sa profession de foi.  

     

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      DidierLe Roux

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Première Partie ; Thèse
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Première Partie ; ThèseWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 1 .

     

     

     

     

    THÈSES.

      

     

     

    I. À la fin du dix-huitième siècle, l'Amérique subit le contre coup de la révolution politique, intellectuelle et religieuse qui s'opérait dans l'Ancien Monde.

    II. Channing, l'un des Chrétiens les plus éminents de notre époque, sut unir la plus entière indépendance de pensée à la plus parfaite tolérance pour les opinions d'autrui.

    III. Channing professa dès sa jeunesse et conserva jusqu'à sa mort un sincère et fervent amour pour la liberté dans la sphère religieuse comme dans la sphère politique et dans la sphère sociale.

    IV. Dans sa prédication, Channing s'adressa principalement à la conscience.

    V. Sans être ni un grand orateur ni un orateur populaire, Channing fut l'un des prédicateurs les plus suivis et les plus influents de l'Amérique.

    VI. Channing s'associa joyeusement à toutes les tentatives faites pour le relèvement matériel et spirituel de la classe ouvrière.

    VII. Par opposition à la Démocratie Américaine, Channing fit de la régénération de l'individu, la base de la réforme de la société.

    VIII. Channing fut dès sa jeunesse l'adversaire de l'esclavage et accentua d'une manière toujours plus franche ses convictions Abolitionnistes.

    IX. Channing crut que l'émancipation s'opérerait par les efforts individuels des Abolitionnistes. Il condamna tout affranchissement par arrêt du Congrès.

    X. Channing est l'idéal du pasteur Protestant au dix-neuvième siècle.

    La Faculté de Théologie, chargée par les règlements de la Vénérable Compagnie d'examiner les thèses des candidats au Saint Ministère, autorise l'impression des présentes thèses, sans prétendre par là exprimer d'opinion sur les propositions énoncées.

    Genève, 18 juillet 1867.

    ACADÉMIE DE GENÈVE

    ÉTUDE 

    SYSTÈME THÉOLOGIQUE

    WILLIAM ELLERY CHANNING 

    THÈSE

    PRÉSENTÉE

    A LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE GENÈVE

    POUR OBTENIR

    LE GRADE DE LICENCIÉ EN THÉOLOGIE

    ERNEST STRŒHLIN

    Étudiant en Théologie
     

     

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      DidierLe Roux

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  • William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Première Partie ; CHANNING ; Homme politique, sa lutte contre l'Esclavage
     

    William Ellery Channing : Etude d'Ernest Stroehlin : Première Partie ; CHANNING ; Homme politique, sa lutte contre l'EsclavageWilliam Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 1 .

    SA VIE, SA PRÉDICATION SON RÔLE COMME ABOLITIONNISTE ET COMME RÉFORMATEUR SOCIAL.

    § 5. Channing, Homme politique, sa lutte contre l'Esclavage.

      

     

     

    Peut-être sera-t-on surpris du titre de ce paragraphe, peut-être trouvera-t-on singulier qu'un ecclésiastique ait pu prendre une part active à la politique contemporaine, mais les Américains ont sur ce point d'autres opinions que les nôtres, et le prédicateur peut juger avec une entière franchise du haut de la chaire chrétienne les mesures importantes du Congrès et les hommes éminents de l'Union. Il a été permis à Théodore Parker de critiquer sévèrement les actes de Daniel "Webster et de Zachary Taylor, et de s'élever avec une éloquence vengeresse contre leurs déviations de la loi morale ; au Révérend Ward Beecher d'apprécier librement tous les faits de la guerre civile, et de distribuer à chaque parti la louange et le blâme ; il n'est donc point étonnant que Channing ait fréquemment usé du même droit, et qu'il ait chaleureusement combattu pour le triomphe des idées qui lui étaient chères. Il crut avec raison que la religion ne l'affranchissait d'aucun des devoirs du citoyen, et il porta aux événements qui se passaient dans l'Ancien Monde un aussi vif intérêt qu'à ceux qui s'accomplissaient dans sa patrie. A ceux, d'ailleurs, qui pourraient objecter que le ministre de l'Évangile est avant tout un homme de paix, et qu'il doit sacrifier ses goûts personnels aux progrès du Royaume de Dieu, nous répondrons que les États-Unis traversaient, en ce moment, une crise terrible, et que l'esclavage menaçait d'ébranler la société jusque dans ses plus solides fondements. En d'aussi graves circonstances, la prudence mondaine aurait été une lâcheté, et il était de la mission d'un homme de bien de protester contre les abus jusqu'à leur complète destruction.

     

    Channing porta de bonne heure, dans la chaire, l'expression de ses convictions politiques, et, en 1810, à l'occasion d'un jeûne public, il parla avec véhémence contre la prétention de Napoléon à la monarchie universelle, et dépeignit en un langage énergique la tyrannie à laquelle étaient soumises la France et l'Europe entière. En 1812, lorsque le cabinet de la Maison-Blanche était sur le point de déclarer la guerre à l'Angleterre, et d'entrer en lutte avec un pays qui était à cette époque le dernier asile de la liberté, Channing s'opposa avec force à une aussi funeste décision, et condamna en termes sévères l'avidité et l'ambition qui s'étaient emparées du président et des principaux membres du Congrès. Tant que le pays fut en danger, il s'acquitta vaillamment de son pénible ministère, et, en 1814, lorsque l'armée anglaise se préparait à envahir le Massachusetts, nous le voyons soutenir les citoyens de Boston découragés, et réveiller dans le cœur de ses paroissiens une inébranlable confiance en Dieu et un patriotisme prêt à tous les sacrifices. La même année, arriva la nouvelle de la chute de Napoléon; aussitôt l'on convoqua un meeting pour délibérer sur la manière la plus digne de célébrer la destruction du despotisme militaire, et l'on chargea Channing de prononcer un sermon d'actions de grâces. Ce n'est point ici le lieu d'apprécier ce discours qui respire dans toutes ses pages une haine ardente de l'oppression et un sincère amour de l'humanité. Si durs qu'aient pu paraître les jugements de Channing à ses contemporains, ils seront en grande partie confirmés par l'histoire, et ils coïncident souvent avec ceux du colonel Charras, de MM. Edgar Quinet, Auguste Nefftzer, Edmond Scherer, Charles Dollfus, Prévost- Paradol, Paul Lanfrey, et d'autres éminents publicistes de notre époque.

     

    Pendant toute cette période, Channing fut vraiment admirable : dans ces temps agités, alors que les cœurs les plus généreux étaient assaillis par de sombres pressentiments, et, répudiaient dans leur âge mûr les idées qui les avaient enthousiasmés pendant leur jeunesse, Channing eut toujours confiance dans l'avenir, et s'il ressentit de violentes indignations, ce fut contre ceux qui avaient foulé aux pieds les droits et les ^espérances de leurs semblables. Son calme et sa modération ne furent pas moins remarquables que son intrépidité et son énergie. Le citoyen et le chrétien ne furent jamais dominés en lui par l'homme de parti et, au milieu des luttes les plus passionnées, il ne cessa de recommander à ses amis un complet désintéressement dans la poursuite de leurs projets, et une inaltérable charité à l'égard de leurs adversaires. Noble sérénité de l'homme de bien qui n'eut jamais recours à l'insubordination pour hâter les réformes, et qui ne vit de base durable pour la prospérité d'un peuple que dans la liberté et la justice!

     

    Channing fit preuve dans les affaires de son pays de la même élévation et de la même impartialité. Malgré son désir de s'abstenir de toute action directe, il fut appelé à paraître devant le public comme écrivain politique, et à remplir ce qu'il regardait comme un devoir solennel. Ce fut, en 1837, lors des intrigues du Sud pour l'annexion du Texas. Pendant que de toute part l'on applaudissait à l'envahissement d'un pays libre par une bande d'aventuriers, Channing ne craignit pas de protester contre une aussi énorme iniquité, et de révéler la vraie pensée des fauteurs de la révolte. Ce que voulaient les députés du Sud, ce n'était point acquérir un nouveau territoire, c'était étendre l'esclavage dans une contrée qui l'avait supprimé, et acquérir de nouvelles voix dans le Congrès. C'est ce que démontra Channing, avec une hauteur de vues remarquable, dans une lettre à M. Henri Clay, l'un des hommes d'État les plus distingués de l'Union, qui avait soutenu cette odieuse mesure de tout le poids de son autorité, et de tous les arguments de sa sophistique éloquence. Il prouva, avec une profonde connaissance de l'histoire et avec l'infaillible instinct de l'honnête homme, que cette conquête si désirée serait un malheur pour la République, et que l'Amérique serait entraînée, par cette audacieuse violation de tous les droits, dans une carrière d'empiétements, de guerres et de crimes, qui tôt ou tard amèneraient sa ruine. Channing a été assez heureux pour mourir avant la consommation de cet acte funeste: il n'a assisté nia l'invasion du Mexique, ni à l'expédition de Cuba, il n'a point été témoin du bill des fugitifs et de ceux du Nebraska et du Kansas, mais il vécut assez pour prévoir la marche logique des événements, et l'avenir a tristement justifié ses prédictions.

    L'annexion du Texas n'était qu'un acte isolé, dans la grande lutte engagée entre les esclavagistes et les défenseurs de la liberté, lutte qui commença aux premiers jours de l'Union, et qui, aujourd'hui, n'a pu être complètement terminée par une guerre fratricide. Au premier abord, il paraît surprenant que les glorieux fondateurs de l'Indépendance n'aient pas, par un article de la Constitution, purifié de cette lèpre la société américaine, mais le mal était moins grand à cette époque qu'il ne devait le devenir plus tard, et ils espéraient dans la lente action du temps et dans le bon vouloir des États, pour détruire cet abus sans trouble et sans violente secousse. Tous les hommes de cette grande et vertueuse génération furent des Abolitionnistes déclarés, et Jefferson avec la sagesse du législateur, Washington avec l'éloquence du guerrier victorieux et de l'austère patriote, Benjamin Franklin avec son parfait bon sens et sa piquante ironie, John Jay avec la droiture de l'honnête citoyen, soutinrent l'émancipation et la réclamèrent non comme un bien et l'honneur du pays planteurs. Avides, ambitieux, unis pour un seul but, subordonnant toutes les questions au maintient de l’institution domestique, les députés du Sud jetèrent dans toutes les délibérations leur poids prépondérant dans la balance, s'emparèrent de tous les postes importants, parvinrent à dominer l'Union, et la lancèrent dans une voie dont l'esclavage universel et éternel était le but avoué. Par une série de violences, d’astucieux compromis, de mesures habiles et immorales, ils réussirent à l’introduire dans de nouveaux territoires, paralysèrent par leurs discipline les efforts individuels de leurs adversaires, défendirent aux prédicateurs et aux journalistes de traiter cette question importune, et firent peser sur le Nord un joug de fer.

    Cependant tous les citoyens des États-Unis n'acceptèrent pas une position aussi humiliante. Pendant que les hommes d’état de la Nouvelle-Angleterre, absorbés par leurs opérations mercantiles et éblouis par leur prospérité prodigieuse, ne protestaient que faiblement ou acceptaient une coupable  solidarité avec les planteurs, l'opinion publique se prononçait contre l’esclavage avec une extrême vigueur, et le patriotisme, l’horreur de l'injustice, la pitié pour une race opprimée donnait naissance au parti des Abolitionnistes. Mus par de généreuses convictions et plein d’un zèle téméraire, les Abolitionnistes engagèrent avec vigueur la guerre contre le Sud, et franchirent souvent les limites d’une stricte prudence. En 1831, un simple ouvrier imprimeur, William Loyd Garrison donna le signal en publiant seul et à ses frais, une modeste feuille intitulée le Libérateur. Depuis ce moment, des associations se formèrent, les meetings se multiplièrent, les missionnaires se répandirent dans tous l’Union pour prêcher la croisade, et demandèrent partout l'abolition immédiate. Le Sud, à cette nouvelle, entra dans une violente fureur, et mit tout en œuvre pour arrêter le mouvement. Il flatta les préjugés et souleva les passions populaires, fit outrager les orateurs et incendier les locaux où se tenaient les réunions, mit à prix la tête des avocats de l'Emancipation, et réclama du Congrès les mesures les plus rigoureuses. Le président, inféodé au parti des planteurs, prohiba, sous les peines les plus sévères, la circulation des pamphlets abolitionnistes dans les États du Sud; les riches négociants du Nord, inquiétés dans leurs intérêts et fatigués d'une lutte continuelle, demandèrent qu'on mît fin à cette agitation stérile ; d'indignes pasteurs prouvèrent la légitimité de l'esclavage par une audacieuse profanation des Livres Saints, et procurèrent au moyen d'une sophistique exégèse un narcotique à la conscience de leurs paroissiens.

     

    Ce fut à ce moment, alors que la cause des Abolitionnistes était gravement compromise, que Channing parut sur la scène et qu'il porta à leurs adversaires les coups les plus redoutables par l'élévation de sa polémique et la modération de ses jugements.

     

    Il avait été de tout temps hostile à l'esclavage, et jeune homme, lors de son séjour en Virginie, il avait été profondément blessé par cette impudente violation des droits de l'homme. Trente années consacrées à la propagation des idées libérales n'avaient pu que le confirmer dans ses premières impressions, et lorsqu'en 1830 il dut chercher sous le doux climat de Santa-Cruz un remède pour sa santé sérieusement altérée, il fut navré de l'ignorance et de la misère des Noirs et oublia la pureté du ciel des Antilles et les splendeurs de la nature tropicale en présence d'un aussi douloureux spectacle. En 1832 il rentra à Boston, rendit compte de son voyage à ses paroissiens et leur dépeignit en un simple et touchant langage les maux et les crimes de l'esclavage. Aux paroles il joignit les actes et, dès ce jour, les amis de la liberté purent se glorifier de compter dans leurs rangs un orateur éminent et un homme dont le désintéressement ne pouvait être suspect.

     

    Il ne s'enrôla point cependant sous le drapeau des Abolitionnistes, bien qu'il rencontrât parmi eux le docteur Follen et quelques autres de ses amis les plus chers. Il lui répugnait de faire partie de toute grande association et, tout en admirant le zèle et l'abnégation de leurs chefs, il ne pouvait se dissimuler leur imprudence, leur manque de jugement, leur haine violente contre les planteurs, leurs exagérations regrettables. Sa position fut pendant quelque temps des plus pénibles. Le haut commerce, qui était opposé à tout changement et qui redoutait le mouvement des idées, plusieurs membres du clergé et des plus orthodoxes qui invoquaient contre les nègres avec un littéralisme superstitieux la malédiction de Noé et qui se faisaient les exécuteurs testamentaires du vieux patriarche, la société élégante de Boston,

      

     

     

    qui regardait toute tentative de ce genre comme une occupation vulgaire et de mauvais goût, étaient indignés contre Channing et le condamnaient comme un perturbateur de l'ordre établi. Les Abolitionnistes, de leur côté, lui reprochaient amèrement sa froideur et attribuaient sa réserve à la crainte de compromettre sa popularité. Channing souffrit cruellement des accusations de ceux dont il était depuis tant d'années l'ami et le pasteur vénéré; mais il n'en persévéra pas moins dans ce qu'il considérait comme son devoir et il conserva au milieu de la plus violente agitation tout son calme et toute sa sérénité.

    Cependant les événements politiques le firent peu à peu sortir de son isolement et les hautaines prétentions du Sud le rapprochèrent toujours plus des Abolitionnistes. Le dédaigneux accueil fait par le Congrès à la pétition des citoyens du Massachusetts, les odieuses scènes de Philadelphie, les pillages et les massacres dont l'Illinois fut le théâtre, émurent profondément son cœur honnête et droit et dans les nombreux meetings tenus à Faneuil-Hall il protesta hautement contre cette audacieuse violation de la Constitution et contre les actes de brutale sauvagerie dont ses adversaires s'étaient rendus coupables. Plus il avança dans la vie, plus il lui parut important de résoudre la question d'une manière radicale, et nous pouvons ranger Channing, dans la croisade contre l'esclavage, à côté de Théodore Parker, du Révérend Ward Beecher, de Mistress Stove, de Charles Sumner, de Wendell Philipps et des plus éloquents orateurs de l'Union.

    Channing ne se borna point à prendre une part active à la lutte par ses discours : il crut utile, au milieu de l'anarchie des opinions, de rappeler les grands principes qui devaient dominer tout le débat, et il écrivit son traité de l'Esclavage, l'une des plus belles œuvres qui soient sorties de sa plume. Quelques années plus tard, M. Clay ayant soutenu en plein Sénat que la loi donnait aux planteurs plein pouvoir sur la personne des nègres et déclaré que tout projet d'émancipation mettrait la patrie en danger, Channing s'éleva avec force contre d'aussi étranges maximes et réfuta d'une manière complète une théorie aussi fausse et aussi dangereuse.

    Fidèle à son amour de la liberté et à son respect de l'individu, le pasteur de Boston ne s'étend point sur les misères physiques de l'esclavage. Il reconnaît que les cas de cruauté sont rares, que les esclaves sont convenablement traités et peuvent amplement satisfaire leurs besoins matériels, que les maîtres sont moins coupables qu'ils ne le paraissent au premier abord et qu'ils sont aveuglés par l'opinion régnante et les préjugés de leur éducation. Mais, s'il est plein de charité pour les personnes et s'il reconnaît que l'habitude nous fait facilement regarder comme un droit ce qui n'est qu'une usurpation, il n'en considère pas moins l'esclavage comme le plus grand des crimes et il condamne en termes énergiques l'abrutissement d'âmes immortelles créées à la ressemblance de Dieu et destinées à parvenir à la connaissance de la vérité. L'esclavage ne peut être justifié comme propriété, car l'homme ne peut avoir de droits sur l'homme, et user de son semblable comme d'une chose est se rendre coupable du crime d'oppression. En effet, si un homme peut être possédé, tous les autres pourront l'être; si notre liberté ne repose pas sur les droits imprescriptibles de la nature humaine, mais sur des circonstances fortuites et accidentelles, elle n'a aucun fondement solide et elle est soumise aux caprices du Législateur. Qui ne repousse avec horreur de semblables conclusions?

    La légitimité de l'esclavage ne peut se soutenir en présence de l'égalité primitive de l'homme et des droits de l'individu. Que deviennent le sentiment du devoir, le libre déploiement de l'intelligence, la possibilité du progrès et du bonheur pour un être qui est enchaîné à la volonté d'autrui et qui doit servilement exécuter tous ses ordres? L'essence même de la propriété prouve que l'homme ne peut être traité comme une chose. Qui dit propriété dit un droit exclusif, et la première propriété est celle de sa propre personne, de son esprit et de ses facultés. Tout droit, d'ailleurs, suppose une obligation correspondante. Or, le nègre est-il obligé de porter indéfiniment des fers et de se confiner lui et sa famille dans un lieu où la force peut briser leur union en un instant ? Pouvons-nous le blâmer de rompre son joug et de retourner à son foyer naturel? L'absence de l'obligation démontre ici la nullité du droit. Enfin, devant Dieu, l'homme ne peut être considéré comme une propriété. C'est un être raisonnable, moral, immortel, qui a été fait à l'image de son Créateur et qui n'a d'autre guide que sa conscience, et c'est faire un sanglant outrage à son Père Céleste que de l'abaisser au niveau de la brute. L'esclavage est donc de tout point injustifiable, et l'on ne peut invoquer pour son apologie l'intérêt public ou la loi suprême de l’État. Nous regrettons de ne pouvoir analyser d'une manière un peu détaillée les belles pages où Channing dévoile les sophismes de M. Clay et discute en philosophe les problèmes les plus hauts et les plus délicats de la politique et du droit. La haine de l'injustice élève l'humble pasteur à la hauteur d'un éminent jurisconsulte, et le temps n'a fait que confirmer la vérité de ses principes et la vigueur de sa dialectique.

    Mais, répondent les défenseurs de l'institution domestique, au-dessus du Code se trouve la Bible; l'esclavage est justifié par l’Écriture et l'abolir serait affecter une perfection supérieure à celle de l’Église primitive, des Apôtres, de Jésus-Christ lui-même. Channing venge dignement la religion d'arguments qui la rendraient coupable de la faiblesse de ses ministres et qui en feraient un objet de répulsion pour tout homme sérieux et éclairé. S'il ne déploie pas contre les docteurs littéralistes la sainte véhémence et la splendide ironie d'un Wendell Philipps et d'un Théodore Parker, il les réfute solidement par l'élévation de ses vues et par son profond sentiment de la dignité humaine, et il montre que le christianisme, qui est une religion de justice et d'humanité, est aussi une religion de liberté et de progrès.

    Après la religion et la loi qu'ils invoquent si faussement, les partisans de l'esclavage allèguent l'infériorité de la race noire et l'inimitié des deux peuples. Mais, malgré l'ingénieuse théorie de M. Agassiz, et à supposer même qu'il soit démontré que la race nègre ne forme pas une simple variété du genre humain, mais une espèce distinctive, il n'en serait pas moins doué de la parole et de la raison et il devrait être regardé comme un être intelligent et moral. Quant à l'infériorité de l'éducation, elle existe sans nul doute, mais n'est-ce pas pour nous un devoir d'y porter remède? Ne devons-nous pas distribuer d'une manière libérale l'instruction à cette classe déshéritée et travailler à son émancipation? L'on prétexte aussi l'inimitié des races, l'inconvenance d'un mélange entre les noirs et les blancs, la guerre civile. La guerre sera-t-elle amenée par les planteurs ou par les Abolitionnistes? La confusion du sang ne sera-t-elle pas prévenue par l'antipathie nationale et ne serait-elle pas préférable au triste spectacle d'esclaves enfants d'un père libre et de négresses, qui ont dans leurs veines le sang le plus noble de la Caroline et de la Virginie ?

    Après avoir montré l'énormité des prétentions du Sud, Channing expose les maux de l'esclavage, qui sont plus physiques que moraux, il dépeint, dans un langage éloquent et sévère, la dégradation des nègres, leur ignorance, leur superstition, l'affaiblissement de leur sens moral, le relâchement des liens de famille, la corruption et l'arrogance des planteurs, et il annonce en termes prophétiques la ruine de l'Union et la crise terrible qui sera tôt ou tard provoquée par le maintien et l'extension illimitée de l'institution domestique.

    Quel est le remède à une aussi déplorable situation? Channing rejette la colonisation comme insuffisante et il ne voit de salut que dans l'abolition, mais dans une abolition graduelle qui garantisse les droits du maître et rende les esclaves dignes de leur nouvelle condition. L'émancipation ne peut être accomplie sans danger que par les États du Sud : eux seuls peuvent déterminer et appliquer les véritables moyens. Quant aux citoyens du Nord, ils sont tenus, comme individus, de favoriser toutes les mesures propres à hâter l'abolition et de fortifier le mouvement toujours grossissant du monde civilisé et chrétien en faveur de la liberté, mais ils ne doivent point intervenir comme États et supprimer l'esclavage par une décision arbitraire du Congrès.

    Le temps a marché depuis Channing, et il y a loin de ses prudents conseils et de sa courageuse modération aux véhéments discours et aux propositions radicales des Théodore Parker, des Wendell Philipps, des Charles Sumner et d'autres grands tribuns chrétiens. Mais les travaux de ces vaillants serviteurs de Dieu et le triomphe définitif de la cause qu'ils ont soutenue ne doit point nous faire oublier la part prise à la lutte par Channing et son inébranlable fermeté en face des prétentions toujours croissantes des planteurs. Le pasteur de Boston brille au premier rang parmi ceux qui ont impérieusement réclamé une réforme et qui ont réveillé l'esprit public de son assoupissement. Qui dira l'ascendant que cet homme vertueux et éloquent a exercé par ses encouragements et ses conseils sur les hommes d'élite qu'il honorait de son amitié, qui mesurera le bien produit par des discours d'un aussi franc spiritualisme et d'une aussi mâle élévation, qui comptera les épis qui, sous sa bienfaisante influence, ont mûri pour la moisson de l'avenir?

    Vanité de la sagesse humaine ! éternelle grandeur des lois divines ! L'on ne viole point impunément les droits de la justice et de l'humanité, l'on ne transige point avec la conscience. Les Henry Clay, les Douglas, les Daniel Webster, les hommes d'Etat habiles et les brillants orateurs applaudis et admirés par leurs contemporains, ont déjà reçu leur récompense et seront sévèrement jugés par la postérité. Les Channing, les Parker, les Lincoln, les humbles pasteurs, les citoyens dévoués, dédaignés par les prudents selon le monde, et honnis par la foule comme d'insensés rêveurs, ont été les hommes de l'avenir et ont montré plus de perspicacité en accomplissant fidèlement leur devoir que les hommes politiques en inventant d'ingénieuses combinaisons et en ménageant les partis. Seule, l'idée domine dans le monde ; seule, elle est immortelle. Ses défenseurs peuvent périr, mais elle survit à toutes les défaites et à toutes les oppressions et, quoi qu'en disent les adorateurs de la force, du succès et du fait accompli, l'on ne peut vaincre quand l'on a contre soi la vérité et la liberté.

     

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      DidierLe Roux

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    William Ellery Channing ; étude d'Ernest Stroehlin ; Section : 1 .

    SA VIE, SA PRÉDICATION SON RÔLE COMME ABOLITIONNISTE ET COMME RÉFORMATEUR SOCIAL.

    § 4. Channing, Réformateur social.

      

     

     

    Les pages dans lesquelles Channing a cherché à résoudre les questions sociales, sont regardées, à bon droit, comme les meilleures qui soient sorties de sa plume; et ce sont elles qui les premières l'ont fait connaître aux lecteurs français. «Il n'y a pas longtemps, dit M. Laboulaye, dans sa remarquable Introduction aux œuvres du Réformateur américain, que le hasard fit tomber dans mes mains les écrits de Channing. En lisant les œuvres d'un homme mort, il y a déjà 12 ans, et dont le nom même m'était étranger, je fus bien surpris et bien confus d'y trouver la solution des terribles problèmes qui, sous le nom de Socialisme, ont remué toute l'Europe, et qui restent encore à l'horizon comme une menace pour l'avenir.» L'éclatante adhésion donnée par le publiciste parisien aux principes du pasteur de Boston ne nous semble point exagérée, et nous pensons que peu d'hommes ont su aussi bien que Channing déchiffrer la redoutable énigme posée par la civilisation moderne.

     

    Il s'en était occupé de bonne heure, et en Virginie, alors qu'il traversait une crise douloureuse et qu'il faisait passer toutes ses croyances par le creuset du doute, il aspirait ardemment à trouver une forme de société qui permît à l'homme, en tant qu'être moral, de réaliser son plein développement. A Boston, il se montra préoccupé dès le début de son ministère de la plaie du paupérisme, et il ne cessa d'étudier les moyens par lesquels il pourrait atténuer les souffrances et les vices d'êtres plongés dans l'ignorance et dans la misère. Peu d'hommes étaient aussi bien doués que lui pour accomplir une pareille tâche, et il était appelé, par ses opinions philosophiques comme par ses doctrines religieuses, par la générosité de ses penchants comme par la tendresse de son cœur, à l'infatigable et magnifique apostolat auquel il consacra sa vie tout entière. Aussi ne demeura-t-il étranger à aucune bonne œuvre, et il s'associa joyeusement aux tentatives du Révérend Noah Worcester, du docteur Charles Follen, du Révérend Joseph Tuckermann et d'autres hommes éminents pour améliorer la condition des classes ouvrières, et pour faire régner sur la terre la fraternité prêchée par Jésus de Nazareth. Il adressa dans ce but aux habitants de Boston plusieurs discours d'une mâle cordialité et d'une sympathique éloquence : je citerai entre autres ceux sur l'éducation personnelle, l'élévation des classes laborieuses, la tempérance, l'utilité d'un ministère pour les pauvres, l'obligation pour les municipalités de veiller à la santé morale de leurs membres, etc. Lorsque plus tard la maladie eut mis fin à son activité pastorale, il continua à porter son attention sur ces sujets, et les traita fréquemment dans sa correspondance avec ses amis d'Europe, avec MM. de Sismondi et de Gérando, avec miss Roscoe, la fille de l'illustre réformateur des prisons anglaises, et miss Martineau, le spirituel critique de la Revue de Westminster. D'aussi nobles et d'aussi persévérants efforts devaient être couronnés d'un plein succès, et en Amérique le peuple reconnut dès le premier jour un véritable ami dans ce doux et courageux missionnaire qui lui dépeignait avec tant de grandeur ses devoirs, et qui ressentait pour ses maux une aussi vive commisération.

    Ses écrits n'eurent pas moins de retentissement en Angleterre : répandus à profusion dans les districts manufacturiers, ils y furent reçus avec enthousiasme, et de tous les points du Royaume-Uni les ouvriers lui envoyèrent des adresses pour lui témoigner leur reconnaissance et leur admiration. « Rien, dit son biographe, ne lui donna une satisfaction aussi complète et aussi pure que l'accueil fait à ses lectures par ceux à qui 'il les avait destinées, et un jour qu'il avait reçu une adresse de l'Institut ouvrier de Slaithwaite dans le Yorkshire, on le vit s'écrier, la figure animée et les yeux brillants : « C'est de l'honneur, ceci, c'est de l'honneur !» Il y avait en ce moment sur sa table une lettre écrite par l'ordre d'un des plus grands monarques de l'Europe qui le remerciait de son livre ; mais la gratitude profondément sentie et simplement exprimée par la main d'un rude mineur le touchait bien davantage que les éloges des grands, les félicitations des sages et même la chaleur de ses amis. Noble joie qui peint mieux que ne pourraient le faire de longs discours, cette âme délicate et pure! Saintes émotions qui honorent le philanthrope et le Chrétien!

     

    Quelles furent les opinions de Channing sur la crise sociale, et de quelle manière posa-t-il l'un des plus redoutables problèmes de l'heure présente? Deux solutions s'offraient à lui : la solution socialiste et la solution individualiste. D'après la première, la perfection est l'état normal de l'homme, et il n'en est frustré que par une erreur sur le moyen de l'atteindre. Donnez-lui d'autres lois, promulguez une nouvelle constitution, décrétez la paix, abolissez les richesses et vous aurez du même coup supprimé la guerre, l'ignorance, le péché, la misère. L'homme est dans l'état d'innocence originelle : il ne s'agit que d'inventer un ingénieux système qui permette le plein développement de ses facultés. La deuxième opinion, au contraire, prend pour base l'individu et veut chasser de sou cœur les mauvaises passions, de son esprit les superstitions et les préjugés. Formons de bons citoyens, apprenons-leur à respecter leur dignité personnelle, et à faire un sage usage de leur liberté, et du même coup nous aurons assuré la protection des droits et le redressement des abus d'une manière plus efficace que ne pourraient le faire le plus savant des Codes et la plus excellente des Chartes.

     

    Entre deux thèses aussi diamétralement contraires, Channing eut bien vite pris son parti. Si pendant quelque temps il fut séduit par le Communisme, ce fut par une passagère illusion de jeunesse, et nul n'eut une conviction plus profonde de la grandeur native de l'homme et de l'élément divin déposé en notre âme, nul ne proclama avec plus de chaleur l'abolition de tout privilège et ne soutint avec plus d'énergie notre complète égalité devant la loi. Améliorer et instruire ses semblables, rechercher le soulagement et concourir à l'élévation des classes ouvrières, tel est, selon lui, le devoir de tout chrétien.

     

    Or, en quoi sont malheureuses les classes dépourvues de fortune? Leur plus grand mal ne consiste pas dans les souffrances physiques, mais dans leur dégradation spirituelle et dans la bassesse de leur condition présente. Les pauvres perdent le sentiment de leur dignité et le respect personnel à cause du mépris auquel ils sont en butte de la part des riches et de la servilité à laquelle les condamne l'indigence. Ils sont absorbés par les besoins de leur corps et les soucis matériels, et ne peuvent donner à leurs facultés leur complète expansion. Ils n'entretiennent de relations qu'avec leurs pareils, et ne peuvent se soustraire à l'énervante influence d'un perpétuel commerce avec des hommes ignorants, paresseux et bornés. Ils vivent dans des demeures sales et malsaines où les convenances ne sauraient être observées et où les affections dépérissent au milieu d'un continuel tumulte dans la confusion et la lutte des intérêts. Ils se trouvent en présence des jouissances les plus délicates et du bien-être le plus raffiné, et n'ont à leur portée que la boisson et les plaisirs les plus grossiers. Supprimez ces conséquences morales de la pauvreté, écartez la misère qu'ils appellent sur leurs têtes en faisant le mal, ôtez de leurs souffrances inévitables ce que le vice y ajoute de douleurs, et leur fardeau deviendra léger comparé au poids qui les accable maintenant.

     

    Comment remédier à une aussi désolante situation? Comment élever le niveau intellectuel et moral des classes ouvrières et leur assurer dans la société la place qui leur appartient? Serait-ce par l'affranchissement du travail, par une série d'ingénieuses inventions qui les délivreront de leur tâche journalière et leur permettront de satisfaire leurs caprices? Non, car le travail est la plus noble et la plus excellente des disciplines, et nous devons remercier Dieu de nous avoir placés dans un monde où seul il nous fait vivre. Si nous n'avions point à lutter contre les éléments pour nous procurer notre subsistance, et si tout dans la nature contribuait à nous donner des sensations agréables et à prévenir nos moindres désirs, nous ne pourrions déployer librement toutes nos facultés, et nous n'acquerrions pas la  patience, la persévérance, l'énergie de la volonté.

     

    « Le travail manuel, dit Channing, dans son discours sur l'élévation des classes ouvrières, est une école où les hommes sont placés pour acquérir la force d'intention et de caractère, conquête bien autrement importante que tout le savoir des écoles. Ce sont, il est vrai, des maîtres sévères que la souffrance et le besoin, la fureur des éléments et les vicissitudes des choses humaines, mais ces rudes précepteurs font ce que nul ami indulgent et compatissant ne ferait pour nous, et la vraie sagesse doit bénir la Providence pour ce rigoureux enseignement. » Mais si respectable que soit le travail manuel, il ne doit pas être excessif, et nous devons lui associer des moyens de progrès d'un ordre supérieur. L'imagination, le cœur, l'intelligence doivent recevoir leur légitime satisfaction, et la vie doit être une succession d'occupations assez diverses pour mettre en jeu l'homme tout entier. Malheureusement la civilisation moderne est loin de réaliser cet idéal, et le système actuel réclame de profondes modifications.

     

    L'ouvrier s'élèvera-t-il en changeant de rang et en s'introduisant de force dans les classes opulentes? Pas davantage, car rien n'est plus humiliant pour un homme sérieux que d'être soumis aux caprices incessants et tyranniques de la mode et de vivre d'une vie factice et stérile. L'on trouvera aussi peu la solution du problème en accordant aux masses le pouvoir politique, et en contraignant le gouvernement à servir leurs intérêts particuliers. La véritable dignité consiste à se dominer soi-même, et non à dominer les autres, à obéir par amour et non à commander. L'ouvrier doit se préoccuper sérieusement du bien de son pays, s'informer du but des mesures publiques, connaître les bases de la constitution ; il ne doit point devenir le jouet des factions, et se laisser égarer par les hallucinations et les sophismes d'avides et ambitieux démagogues.

     

         En quoi donc consiste l'élévation du peuple? — dans l'éducation personnelle, dans l'exercice et le développement de nos plus hautes facultés. « La grandeur du caractère, dit Channing, consiste tout entière dans la force de l'âme, c'est-à-dire dans la force de la pensée, du principe moral, de l'amour et on peut la rencontrer dans les conditions les plus humbles de la vie. Un homme élevé pour un métier obscur, assiégé par les besoins d'une famille qui grandit, peut, dans son étroite sphère, voir plus clair, mieux discerner, juger plus sagement, et dans une situation difficile avoir plus de décision et de présence d'esprit que tel individu qui, à force d'études, a entassé d'immenses trésors de connaissances; il a donc plus de grandeur véritable. » — Cette culture doit être harmonique et comprendre les divers domaines de notre activité spirituelle. Elle doit être à la fois morale, religieuse, intellectuelle, sociale et pratique: elle doit nous apprendre à accomplir, avant tout, notre devoir et à sacrifier nos passions aux prescriptions de notre conscience, nous pénétrer de l'amour de Dieu et éveiller en notre âme d'ardentes aspirations à la vie éternelle, nous inspirer la recherche désintéressée de la vérité et nous donner la connaissance des principes les plus compréhensifs et les plus élevés, élargir et purifier nos affections et nous faire considérer nos semblables comme des êtres immortels et des enfants du même Père Céleste, nous disposer à l'action et nous préparer des ressources pour le temps du danger et de l'épreuve. L'homme n'est pas une machine faite pour obéir à une force étrangère et pour exécuter une série invariable de mouvements : c'est un individu doué de liberté et d'intelligence qui doit donner une complète expansion à toutes ses facultés et avoir pour but constant le perfectionnement de tout son être.

     

    Par quels moyens favoriser l'éducation personnelle et former des citoyens dévoués et des Chrétiens sincères ? — Comme on peut le supposer, Channing n'indique aucun procédé matériel, aucune direction infaillible pour y parvenir. Il fait appel aux instincts les plus nobles de ses auditeurs, s'adresse à leur conscience religieuse et leur rappelle leur glorieuse destination. Si le germe divin vient à manquer, si l'homme n'a plus foi en sa nature spirituelle, tout effort est inutile et il faut désespérer de son relèvement. Si, au contraire, il croit au progrès et s'il éprouve un réel désir de réforme, il surmontera les plus grands obstacles et sera soutenu dans les plus rudes combats par la promesse de l'assistance divine. Quant aux moyens spéciaux les plus propres à seconder notre développement, Channing en énumère plusieurs et il fait toujours preuve dans ses conseils du parfait bon sens de l'Américain uni à l'ardente charité du missionnaire. Il insiste pour que chaque homme possède un certain bien-être, une nourriture et un logement convenables, un peu de retraite et de loisir, et il regarde avec raison la propreté et le confort comme de précieux auxiliaires pour le travail et la moralité. Il combat avec vivacité l'austérité puritaine, recommande aux ouvriers des joies honnêtes, des entretiens sérieux et familiers sur des sujets instructifs et intéressants, la culture du sens esthétique, la musique, la danse en tant qu'exercice sain et gracieux, l'audition des chefs-d'œuvre dramatiques qu'il considère comme l'un des plaisirs les plus nobles et des plus énergiques leviers pour la régénération d'un peuple, et il voit dans le desséchant rigorisme des orthodoxes et dans le sombre voile jeté par eux sur la religion l'une des causes les plus efficaces des progrès de l'ivrognerie et des goûts charnels de la multitude. « Soyons une nation plus gaie, dit-il, et nous serons une nation plus tempérante. »

     

    Channing conseille beaucoup la lecture aux classes laborieuses. C'est par les livres que nous jouissons du commerce des hommes supérieurs, ce sont eux qui élargissent notre horizon intellectuel et nous inspirent de saintes résolutions, ce sont eux qui nous encouragent et nous consolent dans la solitude, l'affliction, la maladie. « Qu'importe ma pauvreté, qu'importe que les heureux du siècle dédaignent d'entrer dans mon obscure demeure si la Sainte Ecriture entre et séjourne sous mon toit, si Milton passe mon seuil pour me chanter le paradis, Shakespeare pour m'ouvrir les mondes de l'imagination et les secrets du cœur humain, Franklin pour m'enrichir de sa sagesse pratique, je ne manquerai pas d'amis intellectuels et je puis devenir un homme bien élevé quoique je ne sois pas reçu par ce qu'on appelle la bonne société dans l'endroit que j'habite. » On voit par là que Channing ne confond point le progrès intellectuel avec l'érudition pédantesque, et qu'il regarde les méditations indépendantes et les lectures personnelles comme le plus sûr moyen d'affranchir notre esprit de l'ignorance et de la superstition.

     

    Tout homme, selon lui, doit sortir de son état de minorité et être capable de juger par lui-même les grands problèmes politiques et sociaux. E est loin de faire une exception pour la religion que Ton a enseignée jusque-là comme une tradition, mais qui doit devenir une réalité et être comprise, sentie, découverte en quelque sorte par chacun de nous. Pour cela il n'est nullement besoin que l'ouvrier se plonge dans les recherches théologiques, la lecture des Pères, l'étude des langues anciennes. — Qu'il écoute la voix de sa conscience, qu'il soit pénétré de l'idée de Dieu, et cela sera plus précieux pour lui que les connaissances les plus étendues.

     

    Que l'on n'objecte point que de semblables sujets sont interdits aux masses et qu'ils doivent être le domaine exclusif des esprits d'élite. Channing proteste avec chaleur contre cette tutelle théologique et contre l'étrange prétention des orthodoxes d'imposer à leur prochain leur credo. « II n'y a ni individu ni classe, dit-il, à qui je reconnaisse un tel monopole. Qui donc me montrera le brevet que Dieu lui a donné afin de penser pour ses frères, de former l'intelligence passive des masses, d'y graver sa propre image comme sur de la cire. Pourquoi donc une poignée d'hommes ne réclamerait-elle pas le monopole de la lumière et de l'air, de la vue et de la respiration aussi bien que de la pensée? Est-ce que l'intelligence n'est pas un don aussi universel que les organes de la vue et de la respiration ? Est-ce que la vérité n'est pas aussi libéralement répandue que l'atmosphère ou les rayons du soleil ? Pouvons-nous supposer que les plus nobles dons de Dieu, l'intelligence, l'imagination, la puissance morale n'aient été accordés que pour servir aux besoins de la vie animale? Que Dieu ait refusé à la masse le moyen de son développement, c'est-à-dire l'action ? Qu'il l'ait créée pour s'épuiser en un pénible labeur? Le peuple n'a-t-il été fait que pour tourner au monstre, pour développer seulement quelques organes et quelques facultés et laisser languir et s'étioler tout le reste ou bien a-t-il été créé pour développer toutes ses facultés, surtout les meilleures et celles qui caractérisent le mieux l'humanité? Non, l'homme même le plus obscur n'est pas tout entier dans ses bras, ses os et ses muscles, l'esprit est plus essentiel à la nature humaine et plus résistant que ses membres ; et cet homme-là resterait mort ! La pensée n'est- elle donc pas le droit et le devoir de tous? La vérité n'est- elle donc pas l'élément naturel de l'âme aussi bien que le pain est la nourriture du corps? Est-ce que l'esprit n'est pas fait pour la pensée aussi manifestement que l'œil pour la lumière et l'oreille pour le son ? Qui donc ose lui refuser son action naturelle, sa lumière et sa joie? Sans doute quelques-uns sont mieux doués que le reste et destinés de préférence à une vie d'études, mais l'œuvre de ces hommes n'est pas de penser pour les autres ; elle est, au contraire, de les aider à penser avec plus de vigueur et d'effet. Les grands esprits ont pour mission de faire grandir les autres ; ils doivent user de leur supériorité non pour plier le peuple à un vasselage intellectuel, non pour établir sur lui une tyrannie spirituelle, mais pour le réveiller de sa léthargie et lui apprendre à juger par lui-même. La vie et la lumière qui jaillissent dans une âme doivent être répandues partout. De toutes les trahisons contre l'humanité il n'y en a pas de plus criminelle que d'employer une grande intelligence à opprimer l'esprit de frères moins heureusement partagés.

    C'est l'Evangile librement accepté et librement compris qui apportera à notre société le véritable remède, et qui élèvera l'individu en chassant de son esprit les préjugés et de son cœur les mauvaises passions, c'est lui qui lui apprendra ses devoirs envers ses frères et envers lui-même, et qui ramènera en sou âme les sentiments de dignité et de respect personnel. Sursum corda! développez vos intelligences, purifiez vos cœurs, devenez plus instruits, plus dévoués, plus véritablement religieux. Soyez chrétiens, non des lèvres mais de l'esprit, et vous serez heureux parce que vous serez libres. » 

     

    Channing ne se borna point à ces nobles et éloquentes prédications. Il travailla lui-même à la réalisation de ses théories et il lui fut donné d'en voir toute l'excellence. Il s'occupa activement de l'amélioration du système pénitentiaire et demanda qu'on cherchât à réveiller les facultés morales du criminel et qu'on le mît sous la direction d'hommes vertueux et éclairés ; il s'intéressa vivement aux progrès de l'instruction publique et prit une part active aux glorieuses réformes de M. Horace Mann ; il fut un membre zélé des sociétés de tempérance et réclama pour les ouvriers d'honnêtes distractions et des lectures à la fois scientifiques et populaires. Frappé de l'abandon des classes pauvres et des dangers auxquels elles étaient exposées, il voulut leur faire connaître l’Évangile dans ce qu'il avait de consolant et d'annoblissant, et il aida son ami le Révérend Joseph Tuckermann dans la fondation d'un ministère qui leur était spécialement destiné. Sa vie tout entière fut consacrée à l'érection et au soutien de semblables institutions et, comme il le dit lui-même, il fut un niveleur, mais il accomplit sa mission en élevant ceux qui étaient au dernier rang et en arrachant les classes laborieuses à leur dégradation.

     

         Des idées aussi simples et aussi pures sont-elles à l'abri de la critique et Channing peut-il être regardé par les publicistes contemporains comme un Réformateur? — M. Ernest Renan lui reproche de former un peuple honnête et heureux, mais sans grandeur et sans idéal, et le raille agréablement au sujet des « Sociétés légumistes » et de ses conceptions utilitaires. Pour nous, qui n'avons pas pour la vulgarité moderne une aussi vive aversion que le brillant littérateur parisien, et qui admirons moins que lui l'Italie païenne et incrédule de la Renaissance, nous saluons en Channing un vaillant défenseur du progrès et nous bénissons son œuvre comme l'une des meilleures du dix-neuvième siècle. Répandre l'instruction, combattre le vice, inculquer aux masses le sentiment de leur propre dignité et le respect des droits d'autrui, travailler à la transformation de la société par la régénération de l'individu est une belle et sainte tâche, et nous nous plaisons à honorer tous ceux qui, par la destruction des préjugés et l'apaisement des passions rendent possible le règne de la véritable égalité et qui aiment les hommes avec la charité de l’Évangile.

     

     

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      DidierLe Roux

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