• Servet Michel par l'Abbé d'Artigny

     

    Servet Michel par l'Abbé d'Artigny

    Servet Michel par l'Abbé d'Artigny

      

    Servet Michel par l'Abbé d'ArtignyDans le second Tome du Nouveaux Mémoires d'histoire, de critique et de littérature, de l'Abbé Antoine Gachet d'artigny, le chapitre 40, de la page 55 à 144, est consacré à la vie de Michel Servet. Il traite de son parcours atypique jusqu'à ce célèbre funeste procès qui le conduisit selon la volonté de ses Juges à être condamné par ladite sentence écrite : "…Toi Michel Servet condamnons à devoir être lié, et mené au lieu de Champel, et là devoir être à un pilotis attaché, et brûlé tout vif avec ton livre, tant écrit de ta main qu’imprimé, jusqu’à ce que ton corps soit réduit en cendres, et ainsi finira tes jours, pour donner exemple aux autres, qui tel cas voudraient commettre. Et à vous notre Lieutenant, commandons notre présent Sentence faites mettre en exécution."

           

           Vous ne serez pas surpris de retrouver des expressions et mots peu ou pas familiers d'avec notre phraséologie contemporaine. Les textes qui sont d'origines du 16ème pour ce qui est du procès ou tous autres apports de cette même période, diffèrent quelque peu, sur cet angle, de ceux de l'Abbé d'artigny, quand il rédigea son  Nouveaux Mémoires d'histoire, de critique et de littérature, dans le milieu du 18ème siècle.

                    Des expressions sont conservées dans leurs formes originelles, quand elles n'altèrent pas la compréhension en soit de l'idée de l'auteur, nous laissant apprécier au passage ce que fut notre langue Française de ces siècles. Les textes ou parties en Latin sont conservés tels quels.

                    L'Abbé d'Artigny pensait, à juste raison, apporter des nouveautés par ses découvertes,  concédant la possibilité de donner un air de neuf à l’histoire de cet homme, pour tout ce qui avait été écrit avant lui. L'objectivité de sa rédaction, parfois avec surprise, présentera des traits de caractère différents des protagonistes, particulièrement ceux de Michel Servet et Jean Calvin.

                   Bien que tous les aspects ne soient pas traités, comme les différentes lettres de Servet pendant son emprisonnement ou encore le déroulement de la scène du supplice, vous serez renvoyé vers d'autres textes pour les découvrir*. Ce travail reste certainement le plus précis pour les nombreuses sources qui sont référées, et lui confère un intérêt des plus attrayants qui aient été faits…  

       

     

     

    ARTICLE XL.

    Mémoires pour servi l'Histoire de Michel Servet.

     

                    Ce n'est pas sans raison, que le public a toujours reçu avec empressement les ouvrages qui peuvent faire connaître Michel Servet, surnommé de Villeneuve.
    La vie de ce Médecin, mêlée d'évènements singuliers, le détail de ses opinions en matière de Religion, sa mort tragique, la rareté extraordinaire des livres qu'il a composés, tout contribue à exciter la curiosité, indépendamment d'un grand nombre d'Auteurs, qui ont parlé de lui par occasion, sa Vie a été écrite ex prosesso par M. de la Roche : elle se trouve dans le vol. II de la Bibliothèque Anglaise, Art. VII. M. l'Abbé Mosheim, Allemand savant et laborieux en a donné une autre en Latin, (In 4°, Helmstad. 1728,) conjointement avec M. d'Alvoerde, et c'est d'après ces trois Historiens, que le P. Niceron a parlé de Servet dans ses Mémoires des Hommes Illustres dans la République des Lettres. (T.XI. p .224) À l'égard de l'Histoire désintéressée de Michel Servet publiée en Anglais en 1724. Je n'en connais que le titre, rapporté par M. l'Abbé Lenglet dans son Supplément au Catalogue des Historiens. Tout ce qui concerne cet infortuné Médecin ayant été discuté par des personnes si habiles, il semble qu'il y ait beaucoup de témérité à se venir mettre encore sur les rangs, mais la matière n'est pas épuisée. Le procès, de Servet que j'ai tiré des Archives de l'Archevêché de Vienne en Dauphiné, me fournira des Anecdotes, qui pourront donner à cet Article un air de nouveauté.
                    Michel Servet naquit en 1531 à Tudelle dans le Royaume de Navarre. La date de sa naissance se tire de la réponse qu'il fit à ses Juges de Vienne, au mois d'Avril, 1553 : qu'il avait alors 41 ans. Ses Historiens les plus exacts le font naître à Villanueva en Aragon, parce que dans la fuite il se fit surnommer Michel de Villeneuve, et il est vrai, comme on le verra ci-dessous, que Calvin lui ayant reproché qu'il déguisait son nom, Servet s'excusa, en disant qu'il avait pris son nom de la Ville, dont il était natif. Il dit au contraire à ses Juges de Vienne, qu'il était né à Tudelle. On peut, ce semble lever cette difficulté, en supposant que les ancêtres de Servet, originaires de Villanueva, étaient venus s'établir à Tudelle, en effet, on ne voit pas la raison qui pouvoir déterminer Servet à déguiser devant les Juges de Vienne le nom de sa Patrie. Cette circonstance ne faisait rien au procès. Il n'en est pas de même de son véritable nom de Servet. Intéressé par plusieurs motifs à le cacher, il se fit toujours appeler en France Michel de Villeneuve, et dans toute la procédure, il n'est jamais nommé autrement.

    Servet était né avec beaucoup d'esprit et de disposition pour les Sciences. Dès sa plus tendre jeunesse, il s'appliqua sans relâche à des études sérieuses, et ses progrès furent si rapides, qu'à l'âge de 14 ans, il entendait le Latin, le Grec, L'Hébreu, et avait une connaissance assez étendue de la Philosophie, des Mathématiques, et de la Théologie Scholastique. S'il eût fait un bon usage de ses talents, on ne pourrait sans injustice lui refuser une place distinguée parmi les Enfants devenus célèbres par leurs études. La Lecture de l'Ecriture Sainte, à laquelle il se livra inconsidérément, sans être dirigé de personne, fut la source de tous ses malheurs. Si l'on en croit ses Historiens, son Père, qui était Notaire, l'envoya à Toulouse pour y étudier en droit. Ce fut là, dit-on, qu'il commença de se livrer à son goût pour les nouvelles opinions, et qu'il s'entêta d'une doctrine opposée au dogme de la Trinité. Mais cette circonstance ne peut s'accorder avec les réponses personnelles de Servet. Il dit lui-même, que s'étant mis à l'âge de quinze ans au service du Confesseur de Charles-Quint, il passa-en Italie à la suite de l'Empereur, dont il vit le Couronnement à Boulogne, et ce qui doit paraître décisif, Servet ajoute qu'il sorti alors de son pays pour la première fois. Ses Historiens ont bien connu qu'il avait été en Italie, puisqu'il le dit dans la Préface de son Ptolémée de la première Edition mais comme ils ont ignoré les particularités que je viens de rapporter, il ne leur a jamais été possible de fixer l'époque de son voyage.
                    L'Italie était alors infectée d'Hérétiques, qui commençaient à y jeter les semences de l'Arianisme renouvelées et du Socinianisme. C'est de là que sont sortis les deux Socins, oncle et neveu, Gentil, Alciati, Gallo, Paruta, Telle, Blandrata, Gonesius, et quantité d'autres, que la crainte des supplices fit disperser longtemps après, les uns à Genève et en Suisse, les autres en Allemagne, dans la Moravie et en Pologne. Servet, qui était à peu près dans les mêmes sentiments que ces fanatiques, eut de fréquentes conférences avec eux. Il y fit admirer la force de son génie et la grande connaissance qu'il avait des subtilités Scholastiques. Comme l'on ne parlait alors que de la prétendue Réforme de Luther et des autres Novateurs, il fut décidé dans les assemblées secrètes de Servet et des italiens, que le dogme de la Trinité était un des principaux Articles qu'on devait rejeter. Servet, choisi d'un commun accord pour frapper les premiers coups, travailla à son Traité De Trinitis erroribus, quoiqu'il n'eût encore que dix huit ans. Il fut contraint de quitter ses amis pour aller en Allemagne avec le Confesseur de Charles-Quint, mais il leur promit d'entretenir avec eux une étroite correspondance. De Quintaine, c'est le nom du Confesseur de Charles-Quint, mourut l'année suivante, et Servet se voyant sans maître, ne pensa plus qu'à s'ériger en Réformateur. Pour montrer sa capacité, il se transporta à Bâle, afin d'y conférer avec Oecolampade, et de là à Strasbourg, où il disputa contre Bucer et contre Capiton, deux Ministres, qui étaient en grande réputation parmi les Protestants. Leurs Conférences roulerait sur la Trinité et sur la Consubstantialité du Verbe. Servet combattit ces deux Dogmes avec une opiniâtreté et
     une aigreur qui révolta ses adversaires. Bucer, qui était assez modéré, s'emporta contre lui en chaire, jusqu'à dire qu'il méritait qu'on le mette en pièces, et qu'on lui arrachât les entrailles.
                    Servet en partant de Baie, avait laissé son Manuscrit contre la Trinité entre les mains d'un Imprimeur nommé Conrard Rouss. Celui-ci n'osant l'imprimer, l'envoya à Haguenau. Servet y alla de Strasbourg, pour en accélérer l'Edition, et l'ouvrage parut en 1531, il a pour titre, De Trinitatis Erroribus, Libri Septem. Per Michaëlem Serveto, alias Reves, ab Arrogonia. Hispanum. Anno MDXXXI. in-8°. 119. feuillets, sans nom de Ville, ni d'Imprimeur. Dans ce livre rempli d'impiétés et de blasphèmes, Servet combat le dogme de la Trinité, que par une ignorance grossière, il nomme la doctrine des Papistes. Il appelle les trois personnes divines une pure imagination, une chimère, des Dieux métaphysiques. Il rejette donc la croyance orthodoxe comme étant impossible et uniquement fondée fur l'ignorance des Théologiens, mais l'opinion qu'il veut substituer, la manière dont il explique ses pensées sur la Personne de Jésus-Christ, sont si obscures, qu'on n'a pu jusqu'ici se former une idée exacte et suivie de son  système.   

                    L'année suivante, Servet fit imprimer à Haguenau un second Traité sur la même matière, Dialogorum de Trinitate Libri duo : De Juftitiâ regni Christi, Capitula quatuor. Per Michaëlem Serveto, alias Rêves, abAr- ragonia.Hispanum. MDXXXII.in-8°. à la tête de cet ouvrage, qui ne contient que six feuilles on voit un Avertissement au, lecteur, où Servet dit qu'il rétracte tout ce qu'il a publié en dernier lieu dans ses VII: livres contre la Trinité. Ce n'est pas qu'il eût changé de sentiment, puisqu'il le confirme dans ses Dialogues, mais il avoue que son premier Traité est imparfait, confus, écrit d'un style barbare : défaut qu'il veut qu'on attribue à sa jeunesse, à son incapacité, et à la négligence de l'Imprimeur. Néanmoins, ce second ouvrage n'est ni plus clair, ni plus méthodique,  ni mieux écrit que le premier. On les trouve ordinairement reliés en un seul Volume, et ils sont si rares, qu'un Curieux, les acheta 45 pistoles à la vente de la Bibliothèque de M. du Fay.

    C'est ainsi qu'en moins de deux ans, Servet publia deux livres contre la Trinité, sans faire difficulté d'y mettre son nom. Il croyait pouvoir écrire contre ce Mystère avec la même liberté que les prétendus Réformateurs écrivaient contre les principaux dogmes de l'Eglise Catholique. Sa première attention, comme il s'y était engagé, fut d'envoyer des exemplaires de son ouvrage à ses amis d'Italie. Ceux-ci les répandirent en tant d'endroits, que Melanchthon se crut obligé, quelques années après, d'écrire une lettre au Sénat de Venise, par laquelle il le suppliait de faire en forte que leurs Etats sussent préservés des erreurs détestables de Servet, qui venait de renouveler l'hérésie de Paul de Samosate. La lettre de Melanchthon fut écrite en 1559.
                    Servet ne fit pas un long séjour en Allemagne. Chassé des principales Eglises Réformées, où sa doctrine était en horreur, sans partisans, sans ressources contre la pauvreté, tout cela joint au désagrément qu'il avait de ne pas entendre la langue du Pays, le détermina à venir en France. Il voulait se perfectionner dans les Mathématiques, et sur tout s'attacher à la Médecine, pour laquelle il avait toujours eu un goût décidé. Il fit ses études à Paris sous Sylvius et Fernel, célèbres Professeurs, et fut reçu Maître ès Arts et Docteur en Médecine dans cette Université. Il alla ensuite professer les Mathématiques au Collège des Lombards. En 1536, il eut une vive dispute avec les Médecins de Paris, qui l'ayant obligé de faire imprimer son Apologie contre eux, dégénéra en un procès considérable au Parlement. Il fut terminé par la suppression de cette Apologie qu'on ne trouve plus, mais les Médecins eurent ordre de mieux vivre avec Servet et de le traiter avec humanité. Outre son Apologie il fit imprimer à Paris Syroporum Universa ratio in Galeni censuram diligenter exposita : Cui posl integram de concoctione disceptationem, proesscripta est vera purgandi methodus cum expofitione Aphorismi : concoeta. medicari in-8°. I537- réimprimé à Venise en I545 et à Lyon en 1546. Apologetica disceptatio pro Astrologia. Une défense de Symphorien Champier, Médecin de Lyon intitulée , in Leonartium Fussinum Apologia pro Syinphoriano Cam- pegio. Ces deux derniers ouvrages, de même que l'Apologie contre les Médecins de Paris, n'ont point été connus des Historiens de Servet. Dès le commencement de 1534, il avait travaillé à une nouvelle Edition de la Géographie de Ptolémée, sur celle que Pirckheymher publia in sol. à Strasbourg en 1525, n'ayant pu traiter avec les Libraires de Paris à des conditions assez avantageuses, Servet tira meilleur parti d'un imprimeur de Lyon, et son Ptolémée, y parut l'année suivante , en un vol. in sol, ce qui a fait croire mal à propos à ses Historiens, qu'il était alors dans cette Ville.
                    Ils ne se font pas moins trompés dans l'arrangement Chronologique de ses différents voyages, comme je le prouverais sans peine, s'il ne fallait pas entrer à ce sujet dans une longue et ennuyeuse discussion.
                    Les chagrins que les procès de Servet lui avaient causés, sa mésintelligence avec ses confrères, le dégoûtèrent du séjour de Paris. Il alla à Lyon, et y demeura quelque temps chez les Frellons, Libraires, en qualité de Correcteur d'imprimerie. Il fit ensuite un voyage à Avignon, retourna à Lyon, et alla enfin s'établir à Charlieu, où il exerça la Médecine pendant trois ans. Quelque étourderie qu'il y fit, l'obligea vraisemblablement d'en sortir. Bolsec, le seul qui en ait parlé, n'explique point ce que c'était. Ce Servet, dit-il dans sa viede Calvin, (P.9 Edit. de 1664,) était arrogant et insolent, comme certifient, ceux qui sont connus à Charlieu, où il demeura chez la Rivoire environ l'an 15 40, d'où étant forcé de sortir pour ses extravagances, il se retira à vienne en Dauphiné. Bolsec s'est trompé quant à la dernière circonstance de Charlieu, Servet retourna à Lyon. Il eux le bonheur d'y trouver Pierre Palmier Archevêque de Vienne, qu'il avait connu à Paris, et ce Prélat, qui aimait les Savants et les encourageait par ses bienfaits, le pressa de venir à Vienne, où il lui donna un appartement auprès de son Palais. Servet, pour témoigner sa reconnaissance à son nouveau Mécène, donna une seconde Edition de la Géographie de Ptolémée, et la lui dédia. On apprend par cette Epître dédicatoire, que Pierre Palmier avoir l'honneur d'être connu particulièrement de François I qui l'avait souvent , voulu employer à diverses Ambassades , qu'il lui avait offertes. Decet Principes fummos, lui dit Servet, qui Orbi imperant, orbém nosse, & eos, qui Principi amulantur, cum prœfertim ad varias orbis partes, quod tibi yel ab ipfo Principe est saepius oblatum , legati mittuntur. Cette Edition de Ptolémée, qui est in- sol, comme la première, fut faite à Vienne en 1541, par Gaspard Treschsèl, fameux Imprimeur, que les libéralités de Pierre Palmier y avaient attiré. Elle est magnifique, et en même temps d'une rareté extraordinaire. Le seul Catalogue où je l'aie trouvée, est celui de la riche et nombreuse Bibliothèque du Cardinal du Bois, recueillie par M. l'Abbé Bignon, et enlevée à la France (En 1723,) par le monsieur Guiton, Ministre de l'Ambassadeur des Pays Bas, à qui elle fut vendue 80000. liv. par les Libraires de Paris, et ensuite vendue publiquement à la Haye.

    Servet, chéri et estimé de tout ce qu'il y avait alors de plus distingué dans Vienne, aurait pu y passer une vie douce et tranquille, s'il se fût borné à la Médecine et à ses talents Littéraires. Mais toujours rempli de ses premières idées contre la Religion, il ne laissait échapper aucune occasion d'établir son malheureux système. Il faisait de fréquents voyages à Lyon, et en 1542 il y prit soin de l'Edition d'une Bible in-fol imprimée par Hugues de la Porte, à laquelle il mis une Préface de sa façon, sous le nom de Villanovanus, avec des notes marginales, impies et impertinentes, selon Calvin, (Traité Théologique de Calvin. P. 836. Edit de Genève. 1576,) qui ajoute que le Libraire donna 500. liv. à Servet pour ses peines. Ces Notes sont en petit nombre. [Ce qu'il y a de plus considérable regarde J. C. figuré dans les Ecritures, et c'est ce que Servet avait déjà insinué dans sa Préface, que les Prophéties ont leur sens propre et naturel dans l'Histoire du temps, et qu'elles ne regardent J. C. qu'autant que les faits Historiques, qui y sont marqués figuraient les actions du Sauveur, ou même que les Prophéties ne pouvaient s'appliquer à J. C. que dans un sens sublime et relevé.] (Bibliothèque Anglaise. T.V. p. 12.)
                    Quelquefois, Servet s'égare encore plus. Car parlant des Prophéties qui ont pour principal et même pour unique objet le Messie, il en fait l'application à l'Histoire des Juifs, sans dire qu'elles aient le moindre rapport (C'est aussi ce que M. Bossuet à reprocher à Grotius. On l'a même reproché à certains écrivains Catholiques, mais qui ne sont pas suffisamment en ce point,) avec J. C. Telle est, par exemple, sa note sur la célèbre prophétie de Daniel:
    Ab exitu sermonis, ut iterum adificetur Jerusalem., usque ad Christum ducem, hebdomades Septem &c. (Daniel Ch; 29 : 35.)
           Ab egreffu prœdicti ad me à Deo Sermonis de restituenda. & adisieanda Jerusalem usque ad ducem Cyrum Christum Dei, qui id exequetur, hebdomades sunt septem: hebdomadifque sexaginta duabus restituetur & œdiscabitur platea & soffa. in angustia scilicet temporum. Et posl eas 62. hebdomadas occidetur Cyrus & erit in nihilum : dissipabit que œdificium & desolabit Cambyses Cyro succedem. Fœdus autem pri mumsirmabit Darius ; post quem iterum sequefur Antiochi abominatio stupenda, & erit finis orbis Judaïci.

                    Dans cette glose de Servet, on ne trouve rien qui se rapporte à la mort du Messie, ni à l'établissement de la Religion Chrétienne. Ce système dangereux a beaucoup de conformité avec celui du Chevalier Marsham, qui borne simplement la Prophétie de Daniel à Cyrus et à Antiochus Epiphanes, à la ruine du Temple de Jérusalem et à la dispersion de ses Prêtres.

    Cette Bible de Servet, qui n'est pas commune, est intitulée : Biblia Sacra ex Sanctis Pagnini Translatione, sed & ad Hebraïcoe linguoe amussim ita recognita & scholiis illuslrata, ut plané nova Editio videri possit. Il corrigea ensuite plusieurs Livres pour Jean Frellon entre autres une Somme Espagnole de S. Thomas, dont il fit les arguments. Il traduisit encore du Latin en Espagnol divers Traités de Grammaire, ainsi qu'il est marqué dans la déposition de Jean Frellon, du 23 Mai, 1553. Ce Libraire était ami de Calvin. Ce fut par son moyen, que Servet, entra en commerce de lettres avec ce fameux Réformateur, qui l'avait connu à Paris, et s'était opposé à sa Doctrine, comme le rapporte Bèze dans son Histoire des Eglises Réformées de France. (T. I. p. 14.) Le même Auteur ajoute qu'ils étaient convenus d'entrer en dispute un certain jour et à une heure marquée, mais que Servet n'osa pas se trouver à cette conférence. Si le fait est vrai, on n'en doit pas conclure, que Servet manqua au rendez-vous par la crainte qu'il avait de l'habileté de Calvin. On a vu ci-dessus, qu'il allait lui-même chercher les plus savants Ministres, pour disputer contre eux. Mais il craignit sans doute l'éclat qu'une pareille conférence allait faire, sur tout à Paris, et dans un temps où les Hérétiques étaient punis avec la plus grande sévérité.

                    Quoiqu'il en soit, Servet avait examiné de près les ouvrages de Calvin, et ne trouvant pas qu'il méritât la haute réputation qu'il s'était acquise parmi les Réformés, il le consulta moins pour s'instruire, que pour avoir le plaisir de l'embarrasser il débuta par trois Questions (Traité Théologique de Calvin p. 827,) elles roulaient sur la Divinité de J. C. sur la Régénération, et sur la nécessité du Baptême. I. An homo Jesus crucifixus fit Filius Deï, &f quoe fit hujus siliationis ratio ? II. An Regnum Christi fie in hominibus, quando quis ingrediatur,  & quando regemretur ? III. An Baptismus Christi debeat in f.ide sieri,  ficut cœna, & quorfum hoec instituta sint sœdere novo ?
    Calvin répondit à ces trois questions, mais Servet réfuta sa Réponse avec beaucoup de hauteur, ce qui lui attira une Réplique de Calvin si piquante, que depuis ce temps - là, leur commerce de lettres ne consista presque plus qu'en injures et en inventives. Ils conçurent l'un pour l'autre une haine implacable. Calvin, dans ses lettres à Servet, se cachait sous le nom de Charles Despeville, comme il avait fait autrefois dans son voyage de Ferrare, en 1535. En voici une écrite à Jean Frellon, qui l'avait prié de faire réponse à Servet.
    "Seigneur Jehan, pour ce que vos lettres dernières me furent apportées, sur mon partement, je n'eus pas loisir de faire réponse à ce qui était enclos dedans. Depuis mon retour, au premier loisir que j'ai eu j'ai bien voulu satisfaire à votre désir non pas que j'ai  grand espoir de profiter guerres envers tel homme, selon que je le vois disposé, mais afin d'essayer encor s'il y aura quelque moyen de le réduire, qui sera, quand Dieu aura si bien besogné en lui, qu'il devienne tout autre. Pour ce qu'il m'avait écrit d'un esprit tant superbe. Je lui ai bien voulu rabattre un peu de son orgueil, parlant à lui plus durement que ma coutume ne porte. Mais je ne l'ai peu faire autrement. Car je vous assure qu'il n'y a pas de leçon qui lui soit plus nécessaire que d'apprendre l'humilité. Ce qui lui viendra de l'esprit de Dieu, non d'ailleurs. Mais nous y devons aussi tenir la main. Si Dieu nous fait cette grâce à lui et à nous que la présente réponse lui profite, j'aurai de quoi me réjouir. S'il poursuit d'un tel style comme il a fait maintenant, vous perdrez temps à me plus solliciter à travailler envers lui, car j'ai d'autres affaires qui me pressent de plus près. Et ferais conscience de m'y plus occuper, ne doutant pas que ce ne fut qu'un Satan pour me distraire des autres lectures plus utiles. Et pourtant je vous prie de vous contenter de ce que j'en ai fait, si vous n'y voyez meilleur ordre. Sur quoi après m'être de bon cœur recommandé à vous, je prie notre bon Dieu de vous avoir en sa garde. Ce XIII de Février 1546. Votre serviteur et entier ami, Charles Despeville".  L'adresse est : A Sire Jehan Frellon Marchand Libraire demeurant à Lyon dans la rue Mercière Enseigne de lescu.de Coulongne.

    A examiner le style de cette lettre, jugerait-on qu'elle eût été écrite, il y a plus de 2OO.ans ?  Mais, Calvin était peut-être l'homme de son siècle, qui connaissait mieux le tour et le génie de notre langue.

    Au dessus de la lettre de Calvin se trouve celle du Libraire à Michel Servet
    "Cher frère et ami, ce qui a été la cause que plus tôt je ne vous ai pas envoyé une réponse à votre lettre vous le verrai dedans là-dessus écrit et croyez si plus tôt l'eusse reçu je n'eusse failli de vous l'envoyer par homme exprès, comme je vous avez promis. Soyez assuré que j'en ai écrit au dit personnage et ne pensez point que fait par faute d'écrire, toutefois je pense que aurez maintenant contentement autant que plus tôt, je vous envoie mon homme exprès pour n'avoir trouvé un autre messager, si autre chose qu'y puisse me trouvez toujours a votre commandement et prêt à vous faire service. Votre bon frère et ami Jehan Frellon", et sur l'enveloppe, A mon bon frère & ami maître Michel Villanovanus Docteur en Médecine soit donnée cette présente à Vienne.

                    Servet voulant à son tour humilier Calvin qui le ménageait si peu, lui envoya un manuscrit, où il relevait impitoyablement quantité de bévues et d'erreurs qu'il avait remarquées dans ses ouvrages, sur tout dans l'Institution Chrétienne, la production favorite de ce prétendu Réformateur. Calvin en fut tellement irrité, qu'il écrivit à ses amis, Farel, et Viret, que si cet hérétique tombait entre ses mains, il emploiera tout son crédit auprès des Magistrats pour lui faire perdre la vie. Malgré le témoignage formel de Bolsec et de Grotius, qui ont dit avoir vu cette lettre, quelques Historiens Protestants n'ont pas cessé de nier qu'elle ait existé, sans doute parce qu'elle ne fait pas beaucoup d'honneur à Calvin.
    Quoiqu'il en faille, on ne peut disconvenir que ce fût ses véritables sentiments, comme il le fit voir dans la suite.
                     Le commerce de ces deux ennemis irréconciliables prit fin en 1548, et  Servet, qui ne perdait point de vue son système sur la Religion, commença un troisième ouvrage contre la Trinité et contre d'autres dogmes du Christianisme. Il y travailla pendant quatre ans, après quoi il envoya le manuscrit à un Allemand de ses amis, nommé Marrinus, pour le faire imprimer à Bâle. Soit que les Libraires de cette ville n'osèrent s'en charger, ou pour d'autres raisons qu'on ignore, ce projet n'eut point de suite. Marrinus lui renvoya son Livre, après lui avoir écrit en ces termes :
    Michaeli Serv. Medico, suo in D. Amico.

    Gratia & pax à Deo. Michaël charissime, Librum tuum unà cum Litteris. Quem hoc tempore edere Basiloe cur non liceat, rationem tibi fatis constare arbitror. Preinde cum visum suerit, illum tibi per certum quem miseris nuncium remittam. De meo erga te animo, nihil ut diffidas cupio : de reliquis alïo tempore longius & diligentius, V ale. Basileœ nono Aprilis anno Lii. Marrinus tuus.
                    N'ayant pu réussir de ce côté-là, Servet prit le parti de se confier à Balthazard Arnollet , Libraire de Vienne en Dauphiné, et à Guillaume Gueroult, beau frère d'Arnollet et Directeur de son Imprimerie. Il leur fit entendre, que quoique son Livre fût contre Calvin, Melanchthon et d'autres Hérétiques, il avait des raisons très  fortes, qui ne lui permettaient pas d'y mettre son nom, ni celui de la Ville et de l'Imprimeur. Il ajouta, pour les déterminer, que l'impression se ferait à ses dépens, qu'il en corrigerait lui-même les épreuves, et qu'il leur promettait à chacun cent écus de gratification, somme considérable pour ce tems-là. Ces conditions furent acceptées, et l'ouvrage parut au commencement de 1553, sous ce titre pompeux ;
    Christianismi Restituio : h. e. Totîus Ecclesiœ Apostolicoe. ad. sua limima vacatio, in integrum restitutâ cognitione Dei, Fidei christiane, Justificationis nostroe, Régènerationis,  Baptismi, & Cœnœ Domini manduçationis, restituto denique nobis Regno coelesti, Babylonis impioe Captivitase salutâ & Anti-Christo cumfuis penitus destruco. M D L III, C'est un in-8° de 734 pages, on en tira 800 exemplaires, mais ils furent presque tous brûlés dans la suite, et ils sont devenus si rares, qu'à peine en connaît-on quatre ou cinq dans le monde. C'est beaucoup d'en trouver des copies manuscrites. (J'ai vu dans la bibliothèque de M. Dufay  une partie manuscrite de ce livre. C'était un petit livre in 4°. Epais d'un doigt, concernant environ 200 pages, écrites de la main de Coelius Horatius Curio.) Tout l'ouvrage est divisé en VI Parties. Le De Trinitate Divinâ, quod in eâ non fit invisibilium trium rerum illusio,  fed vera, sudistantioe Deit manifestatio & commnicatio Spiritus, Libri 7. Les deux derniers Livres sont écrits en forme de Dialogue. II. De fide & justifiâ regni christi legis justitiam superantis, & de charitate, Libri 3. III. De Regeneratione & Mandueatione supernâ & regno Anti-christi, Libri 4.IV. Epistoloe XXX. ad Joan, Calvinum Gebenriensium Concionatorem V. De Mysterio Trintatis & veterum Disciplinâ ad Philip. Melanchth. & ejus Collegas Apologia. VI. Signa LX. regni Anti-christi, & revelatio ejus jam nunc prœsens,

    M. de la Roche, qui avait examiné cet ouvrage avec attention, dit (Bibliothèque Anglaise. T. 2. p. 98,) que Servet n'était ni Arien, ni Photinien, qu'il croyait non seulement la Préexistence de J. C. mais encore que J. C. n'est point une Créature, ni un Etre d'une puissance bornée, mais le véritable Dieu, Quod ipse non fit creatura, nec finitoe potentia, sed verè adorandus, verusquedeus, qu'il s'exprime d'une manière si confuse, qu'on a de la peine à se former une idée juste de ses sentiments, qu'il dit que sa doctrine est un mystère inconnu aux hommes, qu'il reconnaît en même tems que, ceux qui croient que J. C n'est que le Messie, et qu'il n'est le fils de Dieu qu'en tant qu'il est homme, pourront être sauvés, qu'il se déchaîne contre l'Eglise Romaine, et qu il assure que c'est la Bête dont il est parlé dans l'Apocalypse. Sur quoi M. de la Roche observe, que Servet est peut-être le premier Auteur de ces derniers temps, qui ait trouvé l'Eglise Romaine dans l'Apocalypse.
                     L'Historien de Servet ajoute que ce Médecin était subtil et Métaphysicien, comme cela parait sur tout par son V. Livre De Trinitate, qu'il avait lu les Scholastiques et les ouvrages de plusieurs Pères de l'Eglise, qu'il était un grand ennemi de la prédestination absolue, et partisan de la liberté, qu'il croyait l'âme matérielle, et que ce qu'il dit de sa nature, et touchant le Saint Esprit, est presque inintelligible. On trouve dans le cinquième Livre du premier Traité, un passage remarquable sur la circulation du sang,  que bien des gens prétendent que Servet a connu le premier. Ce passage, qui est long, a été rapporté par M. de la Roche, (Ubi supra. P. 39,) et par le P. Niceron. (Mémoires des Hommes Illustres. T xi.p.844.)

    L'ouvrage de Servet s'imprima si secrètement, que personne à Vienne n'en eut la moindre connaissance : Servet en fit transporter à Lyon tous les exemplaires. Une partie fut mise en dépôt chez Pierre Merrin, fondeur de caractères, en attendant quelque occasion de les faire passer en Italie : Jean Frellon se chargea d'envoyer le reste à Francfort. On a vu que ce Libraire était l'ami commun de Calvin et de Servet, que par son moyen ils recevaient les pièces qu'ils écrivaient l'un contre l'autre. Il crut pouvoir en agir de même à l'égard du dernier livre de Servet, et ne prévoyant pas les suites d'une pareille démarche, il en fit tenir un exemplaire à Calvin. Celui-ci fut extrêmement choqué de la manière méprisante dont on y parlait de sa personne et de ses ouvrages. Mais la joie succéda bientôt au ressentiment, lorsqu'il vit que Servet lui fournissait lui-même l'occasion de le perdre, qu'il cherchait depuis si longtemps. Il y avait alors à Genève un nommé Guillaume Trie, natif de Lyon, devenu depuis peu Prosélyte de la Religion prétendue Réformée. Il était en commerce de lettres avec un de ses parents, appelé Antoine Arneys, établi à Lyon, qui l'exhortait sans cesse de rentrer dans, le sein de l'Eglise Romaine. Trie communiquait à Calvin les lettre de Arneys, et Calvin lui dictait les réponses. Ce fut par le ministère de cet homme, qu'il voulut consommer sa vengeance. Il lui fit écrire au mois de Février une lettre à son parent, dans laquelle Servet était représenté comme un Hérétique des plus dangereux. On observera que toutes les lettres qu'on trouve ici et dont j'ai les originaux, n'ont jamais été imprimées.


    I. Lettre de Calvin sous le nom de Guillaume Trie.
     


    "Monsieur, mon cousin, je vous remercie bien fort de tant de belles remontrances qu'avez faites et ne doutez point que vous n'y procédiez de bonne amitié, quand vous tachez à me réduire au lieu dont je suis parti. D'autant que je ne suis homme versé aux lettres comme vous, je me déporte de satisfaire aux points et articles que vous m'alléguez. Tant y a qu'en la connaissance que Dieu m'a donné, j'aurais bien de quoi répondre, car Dieu merci, je ne suis pas si mal fondé que je ne sache que l'Eglise a Jésus Christ pour son Chef, dont elle ne peut être séparée et qu'elle n'a vie ni salut et que du tout elle ne peut consister qu'en la vérité de Dieu, qui est contenue en l'Ecriture Sainte. C'est pourquoi tout ce que vous me pourriez alléguer de l'Eglise, je le tiendrai pour fantôme, si non que Jésus Christ y préside comme  ayant toute autorité et que la parole de Dieu y règne comme le fondement et substance, sans cela toutes vos formalités ne font rien. Je vous prie de penser la liberté dont j'use envers vous, qui n'est point seulement pour maintenir ma cause, mais aussi de vous donner occasion de penser mieux à vous. Mais pour le faire court, je me suis surpris comment vous m'osez  reprocher entre autres choses que nous n'avons nulle discipline Ecclésiastique ni ordre, et que ceux qui nous enseignent ont introduit une licence pour mettre confusion partout, et cependant je vois, (Dieu merci) que les vices sont mieux corrigez de par delà que ne sont pas en toutes vos officialisez. Et quant à la doctrine et qui concerne la Religion, combien qu'il y ait plus grande liberté que entre vous , néanmoins l'on ne souffrira pas que le nom de Dieu soit blasphémé, et que l'on sème les doctrines et mauvaises opinions que cela ne soit réprimé. Et je peux vous alléguer un exemple qui est à votre grande confusion puisqu'il faut le dire. C'est que l'on soutient de par dé-là un Hérétique qui mérite bien d'être brûlé par tout ou il sera. Quand je vous parle d'hérétique, j'entends un homme qui fera condamné des Papistes autant que de nous ou pour le moins qui le doit être. Car combien que nous soyons différents en beaucoup de choses, si avons nous cela commun qu'en une seule essence de Dieu il y a trois personnes et que le Père a engendré son fils qui est sa sagesse éternelle devant tout ce temps, et qu'il a eu sa vertu éternelle qui est son Saint-Esprit. Or quand un homme dira que la Trinité laquelle nous tenons, est un Cerbère et monstre d'enfer et dégorgera toutes les vilaineries qu'il est possible de penser contre tout ce que l'Ecriture nous enseigne de la génération éternelle du fils de Dieu, et que le Saint Esprit est la vertu de ce Père et du fils, et que le Saint Esprit, et se moquera à gueule déployée de tout ce que les anciens Docteurs en ont dit, je vous prie en quel lieu et estime l'aurez-vous. Je dicte ceci pour obuier à toutes répliques que vous me pourriez faire que vous ne tiendrez point par dol pour erreur ce que nous disons être tel ; ce que je vous dicte non seulement vous le confesserez être erreur mais hérésie détestable, qui est pour abolir toute la chrétienté. Il faut que je parle franchement. Quelle honte est-ce que l'on face mourir ceux qui diront qu'il ne faut invoquer que un seul Dieu au nom de Jésus Christ, qu'il n'y a autre satisfaction que celle qui a été faite en  la mort et passion de Jésus Christ, qu'il n'y a autre Purgatoire qu'en son  sang, qu'il n'y a autre service agréable à Dieu que celui qu'il commande et approuve par sa parole; que toutes peintures et images que les hommes contrefont sont autant d'Idoles qui profanent Sa Majesté, qu'on doit garder les Sacrements en tel usage qu'il a été ordonné de Jésus Christ. Voire et qu'on ne se contente point, de faire mourir telles gens d'une simple mort, mais qu'on les brûlent cruellement. Cependant voilà qui nommera Jésus Christ Idole, qui détruira tous les fondements de la foi, qui amassera toutes les rêveries des Hérétiques anciens, qui même condamnera le baptême des petits enfants l'appelant inventions diaboliques, et celui-là aura la vogue entre vous et le supportera-t-on comme s'il n'avait point failli. Je vous prie, ou est votre zèle que vous prétendez et ou est la police de cette belle hiérarchie que vous magnifiez tant ? L'homme dont je vous parle a été condamné en toutes les Eglises lesquelles vous réprouvez. Cependant il est souffert entre vous, voire jusques à y faire imprimer ses Livres, qui sont si pleins de blasphèmes, qu'il ne faut point que j'en dise plus. C'est un Espagnol Portugal- lois nommé Michaël Servetus de son propre nom, mais il se nommé Villeneuve à présent, faisant le Médecin. Il a demeuré quelque temps à Lyon, maintenant il se tient à Vienne, où le livre dont je parle a été imprimé par un quidam qui a là dressé une Imprimerie nommé Balthazard Arnoullet. Et afin que vous ne pensiez que j'en parle à crédit je vous envoie la première feuille pour enseigne. Vous dictes que les livres qui ne contiennent autres chose, si non qu'il se faut tenir à la pure simplicité de l'Ecriture Sainte, empoisonnent le monde, et viennent d ailleurs, vous ne les pouvez les souffrir pendant vous couvez là les poisons qui sont pour anéantir l'Ecriture Sainte et même tout ce que vous tenez de chrétienté. Je me suis quasi oublié en vous récitant cet exemple, car j'ai été quatre fois plus loin que je ne pensais mais l'énormité du cas me fait passer mesure et voilà qui sera cause que je ne vous ferai plus long, propos sur les autres matières. Comme, aussi de fait, il me semble qu'il n'est, pas grand besoin que je vous réponde sur chaque article. Seulement je vous prierai d'entrer un peu plus profond, en votre conscience pour vous juger vous même, afin que quand il faudra venir devant le grand Juge, vous ne soyez pas condamné. Car pour le dire en un mot, nous n'avons autre débat sinon que nous demandons que Dieu soit écouté. Par quoi faisant fin à la présente, je le prierai qu'il vous donne oreilles pour ouïr et cœur pour obéir. Cependant qu'il vous ait en sa Sainte garde, me recommandant de bien bon cœur à votre bonne grâce et de Monsieur mon cousin votre frère. De Genève ce XXVI de Février ".

     

    Cette lettre fut accompagnée du titre, de l'indice et des quatre premières feuilles du Christianismi Reftitutio.

    Le Cardinal de Tournon était alors Archevêque et Gouverneur de Lyon. Personne n'ignore que ce grand homme s'étant déclaré l'ennemi inflexible des Novateurs, l'ardeur de son zèle lui faisait quelquefois employer les moyens les plus violents, pour arrêter les progrès de l'Hérésie en France. Comme son Diocèse se trouvait le plus exposé par le voisinage de Genève, il avait fait venir de Rome un Inquisiteur,  qui par son ordre résidait ordinairement à Lyon. Il se nommait frère Mathieu Ory, et prenait la qualité de Pénitencier du Saint Siège Apostolique que et l'Inquisiteur Général au Royaume de France et dans toutes les Gaules. C'était un homme savant, uniquement attaché aux fonctions de son Ministère, et dont la vigilance a découvrir les Hérétiques secondait parfaitement les intentions du Cardinal. La lettre de Guillaume Trie et les feuilles du Livre de Servet lui furent communiquées, ainsi que Calvin l'avait prévu. Il en fit l'examen avec M. Benoit Buatier, Chanoine de l'Eglise de Vienne, Archidiacre de la Tour, Chamarier de S. Paul de Lyon, Vicaire Général de Monseigneur de Tournon en son Archevêché de Lyon, et la résolution fut prise entre eux d'avertir incessamment le Cardinal, qui était alors dans son château de Roussillon à trois lieues au dessous de Vienne.
                    Le 12 Mars (1553) Mathieu Ory écrivit à monsieur de Villars Auditeur du Cardinal. Après lui avoir parlé de quelques affaires domestiques, il ajoutait, "Je veux vous très secrètement avertir de quelques Livres que s'impriment à Vienne contenants exécrables blasphèmes contre la divinité de Jésus Christ et la Sainte Trinité, desquels l'Auteur et Libraire sont au pays. Monsieur le Vicaire et moi en avons eu un  Livre, et sommes en propos l'un de nous deux ou tous deux par compagnie un jour prendre le loisir d'en aller conféré avec Monseigneur, pour lui faire entendre plus pleinement l'affaire et en repassant au dit lieu y faire donner ordre par Monseigneur de Maugiron, le Vibaillis et la Justice. Et de ceci, Monsieur le Vicaire vous en écrit, mais si secrètement que votre main senextre n'entende point que c'est. Mais seulement dites le à Monseigneur en son oreille, et nous mandez s'il connaît un nommé Villanovanus Médecin et Arnollet Libraire, car de ceux-là j'entends parler. Outre plus la Ville de Macon est fort gâtée et aussi est Tournus encore plus, tellement que depuis que Monseigneur n'y a pas été, le peuple est bien changé."

    Le lendemain 13 mars, monsieur Buatier parti de Lyon et vint trouver le Cardinal, qui fît écrire à Louis ArzelJier Grand Vicaire de l'Archevêque de Vienne, de se rendre au Château de Roussillon. Après une longue conférence, le Cardinal ordonna aux deux Grands Vicaires d'aller à Vienne et de remettre de sa part la lettre suivante à Monsieur de Maugiron, Chevalier de l'Ordre et Lieutenant Général pour le Roi en Dauphiné.
        "Monsieur j'ai donné la peine au Vicaire de Monsieur de Vienne présent porteur de venir jusqu'ici pour lui, pouvoir parler d'une affaire, qui comme, vous verrez est de grande importance, et lequel je lui ai donné charge de vous faire incontinent entendre pour y faire donner l'ordre que le cas mérite. Et serais bien d'opinion comme j'ai dit à monsieur Vicaire que vous appeliez Monsieur le Vibaillis pour y faire aussi de son côté ce que vous lui commanderez et verrez être nécessaire : en quoi je ne doute point qu'il ne face très bon devoir. Et parce que, j'ai bien amplement devisé et dicté mon opinion sur le tout au monsieur le Vicaire dont il vous saura rendre bon compte, il n'est de besoin que je vous en face plus long discours et vous direz seulement que ceci requiert principalement deux choses, l'une qu'il y soit usé d'une extrême diligence, et l'autre que l'affaire soit tenue le plus secret qu'il sera possible. Je sais Monsieur le bon zèle que vous avez et que vous n'épargneriez en cette affaire votre propre fils pour la conservation de l'honneur de Dieu et de son Eglise. Ce qui me gardera de vous en dire, autre chose en me recommandant de, bien bon cœur à votre bonne grâce, priant Dieu Monsieur qu'il vous donne, bonne santé et longue vie. A Roussillon ce XV de Mars 1553. François, Cardinal de Tournon".
                    Monsieur de Maugiron s'étant tien fait instruire des intentions du Cardinal, envoya chercher Antoine de la Court Vibaillis et il fut décidé que l'on commencerait à procéder contre Servet, qui est toujours nommé dans la procédure Michel de Villeneuve.
                    Le 16 mars, Louis Arzellier et Antoine de la Court se transportèrent chez monsieur Peyrollier, official Primatial, et Buatier y donna sa déposition. Elle portait : "que depuis quinze jours ou environ, on avait reçu certaines lettres de Genève adressées à un personnage habitant à Lyon, par lesquelles il paraissait que l'on était étrangement surpris à Genève qu'on souffrit par delà un nommé M . Michel Servetus autrement de Villeneuve Espagnol Portugallois, attendu les raisons plus à plein mentionnées dans la dite lettre : qu'on  avait reçu du dit Genève quatre feuillets d'un livre composé par le dit Villeneuve, que M. Ory Inquisiteur de la foi les ayant examinés en présence de Buatier, avait assuré qu'ils étaient hérétiques, et écrivit en conséquence à monsieur de Villars Auditeur du Seigneur Cardinal de Tournon, que le dit déposant s'était aussi trouvé présent, lorsque Monsieur le Cardinal ayant envoyé chercher le Grand Vicaire de Vienne, lui recommanda et le chargea, de donner ordre à la vérification et correction de ce que dessus, et en écrivit à Monseigneur de Maugiron pour y faire tenir la main, et mander quérir monsieur le Vibaillis, pour aviser et procéder le plus secrètement et diligemment que faire se pourrait".
                    Buatier remit en même temps la lettre de Genève avec les quatre feuilles du Christianismi Restitutio, la lettre de l'Inquisiteur à monsieur de Villars, celle que le Cardinal avoir écrite à Monsieur de Maugiron : le tout pour servir aux Procureurs du Roi et Fiscal ce que de raison.
                    Les Juges se rendirent le même jour chez M. de Maugiron. A près avoir tenu conseil en sa présence, ils envoyèrent dire à Michel de Villeneuve qu'ils auraient quelque chose à lui communiquer. Comme il se fît attendre plus de deux heures, on commençait à craindre qu'il n'eût été averti du danger qui le menaçait, mais il parut enfin et même avec un air fort assuré. Les Juges lui firent entendre, qu'ils avaient certaines informations contre lui desquelles il résultait quelques soupçons qui leur donnaient juste occasion de chercher en son logis s'il avait quelques Livres suspects d'hérésie ou autre chose qui en approchât, Servet leur répondit, que depuis longtemps il était habitant à Vienne et avait souvent fréquenté avec les Prêcheurs et autres faisant profession de Théologie,  mais ne se trouverait qu'il eût tenu propositions hérétiques ou soupçonnées d'hérésie : qu'il  était prêt d'ouvrir par tout son logis, pour ôter toute sinistre suspicion, non seulement à eux, mais à tout autre : que, toujours il a désiré de vivre sans la dite suspicion.

    Après ce discours, le Grand Vicaire et le Vibaillis accompagnés du Secrétaire de M. de Maugiron, se transportèrent avec Servet dans sa maison, qui était des dépendances du Palais Archiépiscopal. Ils visitèrent tous ses papiers, et retinrent deux exemplaires de son Apologie contre les Médecins de Paris.

    Le 17 Mars, les Juges sachant que Balthazard Arnollet était allé faire un voyage à Toulouse, ils envoyèrent chercher Guillaume Gueroult, son beau-frère, Directeur et Correcteur de son Imprimerie. Après lui avoir fait subir un long interrogatoire, sans en pouvoir tirer aucun éclaircissement, on procéda à la visite de sa maison, de son Imprimerie, et de tous ses papiers, mais on n'y trouva rien de suspect. On interrogea en suite séparément les Garçons Imprimeurs : on leur fit voir les feuilles du Christianismi Restitutio, on leur demanda s'ils en connaissaient les caractères, et quel était le nombre, la qualité et le format des livres qu'ils avoient imprimés depuis dix huit mois. Ils répondirent que les quatre feuilles n'étaient point, sorties de leur Imprimerie, et que parmi les livres qu'ils avoient imprimés depuis deux ans et dont ils donnèrent le catalogue, il n'y en avait aucun qui fût en 8°. La procédure finie, les Juges firent appeler tous les Imprimeurs, Compositeurs et Serviteurs d'Arnollet, leurs femmes et leurs domestiques. On leur défendit de révéler ce qui c'était fait et sur quoi on les avait interrogés sous peine d'être déclarés atteints et convaincus d'Hérésie et d'être punis comme hérétiques.
                    Arnollet étant revenu de Toulouse le 18 Mars, il fut interrogé le même jour, on examina les papiers qu'il avait sur lui et ses réponses se trouvèrent conformes à celles de son beau-frère. Les Juges tinrent conseil chez M. l'Archevêque, où il fut décidé qu'il n'y avait encore indice suffisant pour faire aucun emprisonnement.
                    Le lendemain l'Archevêque écrivit à Mathieu Ory de vouloir bien se rendre à Vienne, pour y conférer de quelques propos concernant la foi. Cet Inquisiteur se présenta au conseil, que pour avoir pleine probation contre Michel de Villeneuve, il fallait que monsieur Arneys écrive à son parent de Genève de lui envoyer le Traité entier du Christianismi Restitutio. Cet avis fut généralement approuvé, et l'Inquisiteur retourna à Lyon, où il dicta lui-même la lettre qu'Arneys écrivit à Guillaume Trie. Calvin, charmé d'apprendre que tout réussissait selon ses désirs, fit réponse sous le nom de son confident, et envoya plus de pièces qu'il n'en fallait pour la conviction de Villeneuve. Les deux lettres suivantes caractérisent parfaitement ce prétendu Réformateur, qui sous les dehors affectés d'une grande douceur et d'un zèle ardent pour la Religion, ne pensait qu'à venger ses injures particulières.

    II Lettre de Calvin.

    "Monsieur mon cousin, quand, je vous écrivis la lettre que vous avez communiquée à ceux qui y étaient taxé de nonchalance, je ne pensais point que la chose devait venir si avant. Seulement mon intention était de vous remontrer quel est le beau zèle et dévotion de ceux qui se disent piliers de l'Eglise, bien qu'ils souffrent tel désordre au milieu d'eux,  et cependant persécutent si durement les pauvres Chrétiens qui désirent de suivre Dieu en simplicité. Pour ce que l'exemple était notable et que j'en étais averti, il me sembla que l'occasion s'offrait d'en toucher en mes lettres selon la matière que je traitais. Or puisque vous en avez déclaré ce que j'avais entendu écrire privément à vous seul, Dieu veuille pour le mieux que cela profite à purger la Chrétienté de telles ordures, voire de pertes si mortelles. S'ils ont tant bon vouloir de s'y employer comme vous le dictes, il me semble que la chose n'y est pas trop difficile encore que ne vous puisse fournir pour le présent de ce que vous demandez à savoir du Livre imprimé : car je vous mettrai en main plus pour le convaincre, à savoir deux douzaines de pièces écrites de celui dont il est question, où une partie de ses hérésies est contenue. Si on lui mettait au devant le Livre imprimé il le pourrait renier, ce qu'il  ne pourra faire de son écriture. Par quoi les gens que vous dictes ayant la chose toute prouvée, n'auront nulle excuse s'ils dissimulent plus ou différent à y pourvoir. Tout le reste est bien par deçà tant le gros Livre que les autres traités écrits de la même main de œ l'Auteur, mais je vous conseillerai une
    chose que j'ai eu grand peine à retirer ce que je vous envoyé de Monsieur Calvin, non pas qu'il ne désire que tels blasphèmes exécrables ne soient réprimés, mais pour ce qu'il lui semble que son devoir est, quant à lui qui n'a point de glaive de justice, de convaincre plutôt les hérésies par doctrine, que de les poursuivre par tel moyen, mais je l'ai tant importuné, lui remontrant de reproche de légèreté, qui m'en pourrait advenir s'il ne m'aidait, qu'en la fin il s'est accordé à me bailler ce que vous verrez. Au reste j'espère bien quand le cas se démènerait à bon escient par delà avec le temps recouvrer de lui une rame de papier ou environ, qui est ce que le Galand a fait imprimer. Mais il me semble que pour cette heure vous êtes garni d'assez bon gain et qu'il n'est mystère d'avoir plus pour le saisir de sa personne et lui faire fon procès. Quant de ma part je prie Dieu qu'il lui plaise ouvrir les yeux à ceux qui discourent si mal, afin qu'ils apprennent de mieux juger du désir duquel nous sommes meus, Et pour ce qu'il semble bien par votre lettre que vous ne voulez plus entrer au propos que vous m'aviez tenu par ci-devant, je m'en déporte aussi pour ne vous point fâcher, espérant néanmoins que Dieu en la fin vous fera, bien sentir que je n'ai point pris à la volée le parti que je tiens, me recommandant à votre bonne grâce, priant, Dieu vous tenir en la sienne, de Genève ce 26, Mars." 

     

    III. Lettre de Calvin.

     

    "Monsieur mon cousin, j'espère que j'aurai en partie satisfait à ce que me demandez, vous envoyant la main de celui qui a composé le Livre, et même en la dernière Epître que vous avez reçu vous trouverez ce qu'il déclare de son nom, lequel il avait déguisé, car il s'excuse de ce qu'il s'est fait nommer Villeneuve, combien que son nom fait Servetus allias Reyes, disant qu'il a pris son nom de la ville dont il est natif. Au reste je vous tiendrai promesse au plaisir de Dieu, que si besoin fait je vous fournirai les Traités lesquels il a fait imprimer et écrits, de sa main aussi bien que les Epîtres. J'eusse déjà mis peine de les retirer s'ils eussent été en cette Ville, mais ils sont à Lausanne il y a deux ans. Si Monsieur Calvin les eut eu, je crois pour ce qu'ils valent qu'il les eut bientôt renvoyé à l'Auteur, mais pour ce qu'il les avait adressé aussi bien à d'autres ceux là les ont retenu. Mêmes à ce que j'ai autrefois entendu le dit sieur ayant répandu assez suffisamment pour contenter un homme raisonnable voyant que cela ne profitait en rien envers un tel ouvrage, ne daigna jamais lire le reste pour ce que déjà il était trop battu des sottes : rêveries et du babil que l'autre ne fait que réitérer, ayant toujours même chanson. Et afin que vous entendiez que ce n'est pas d'aujourd'hui que ce malheureux s'efforce de troubler l'Eglise tachant de mener les ignorants en une même confusion avec lui, il y a vingt quatre (ans) passés qu'on l'a rejetée et chassée des principales Eglises d'Allemagne, et s'il se fut trouvé au lieu jamais il n'en fut parti. Entre les Epîtres de OEcolampade, la première et la seconde s'adressent à lui avec tel titre qui lui appartient , Serveto Hyspano neganti Christum esse Dei Filium consubstantialem Patri. Melanchthon en parle aussi en quelques passages. Mais me semble que vous avez la preuve assez aisée par ce que je vous ai déjà envoyé pour enfoncer plus avant voire pour commencer le tout. Quant à l'imprimeur je ne vous mande pas les indices par lesquels nous avons entendu que c'était, Balthazard Arnouilet et Guillaume Gueroult son beau frère, mais tant y a que nous en sommes bien assuré, et de fait il ne pourra pas le nier. Il est bien possible que s'aura été aux dépends de l'Auteur, et que lui aura retiré les copies en sa main : mais si vous trouverez vous que l'impression est sortie de la boutique que je vous nomme. Pour ce que le Messager demande être dépêché bientôt m'ayant toutefois présentées vos lettres bien tard de peur comme se croie d'être solliciter à bien faire, je vous ai fait cette réponse en bref par quoi je vous prie d'excuser l'hativeté. Il me semble que j'avais omis de vous écrire qu'après que vous auriez fait des Epîtres qu'il vous pleut ne les égarez pas afin de me les renvoyer. Qui sera l'endroit où je serai fin à la présente, me recommandant toujours à votre bonne grâce sans oublier Monsieur mon cousin votre frère, étant joyeux que Dieu l'ait béni par lignée comme vous m'écrivez. Aussi je désire être recommandé à toute la maison priant Dieu qu'il vous gouverne par son saint Esprit pour faire chose qui lui soit agréable. De Genève ce dernier Mars."

                    On voit par ces lettres, que Calvin avait prises les mesures les plus injustes pour assurer la vengeance. S'il se fut contenté d'envoyer le Livre imprimé, il est certain, comme il le dit lui-même, que Servet aurait pu le désavouer, puisque son nom n'y paraissait pas, et que le Libraire n'avait rien voulu dire. Mais les pièces que Calvin produisait contre Servet, écrites de la propre main de ce Médecin formaient une conviction, et il lui était désormais impossible de faire prendre le change à ses Juges. Le continuateur de M. l'Abbé Fleury s'est trompé en disant que le Chistianismi Restitutio parut sous le nom de Villanovanus. Il lui est encore échappé quelques autres méprises pour n'avoir pas fait usage de l'Histoire de Servet par M. de la Roche.
                    Le 4 d'Avril, il y eut une grande assemblée au Château de Roussillon, où assistèrent le Cardinal de Tournon, l'Archevêque de Vienne, les deux Grands- Vicaires, l'Inquisiteur, plusieurs Ecclésiastiques et Docteurs en Théologie. Mathieu Ory communiqua les pièces qu'on avait reçues en dernier lieu de Genève, à savoir les deux lettres de Guillaume Trie un Cahier du Christianismi Restitutio avec des notes marginales écrite de la main de Servet, et plus de vingt lettres qu'il avait adressé à Calvin pendant le cours de leur dispute. On examina les pièces avec la plus scrupuleuse attention, et la preuve étant complète, le Cardinal et l’Archevêque ordonnèrent de l’avis de toute l’assemblée, que Michel de Villeneuve Médecin et Balthazard Arnollet Libraire, seraient pris au Corps, mis et constitué prisonniers pour répondre de leur foi, charges et informations faites contre eux. Après dîner, l’Archevêque revint promptement à Vienne avec son grand Vicaire, et instruisit le Vibaillis des intentions du Cardinal. Il fut conclu entre eux, qu’afin que le fait ne fut découvert, le Grand Vicaire et le Vibaillis prendraient si bien leurs mesures, que Servet et Anollet seraient arrêtés en même temps, et mis dans des prisons séparément. Sur les six heures, le Grand Vicaire s’en alla du côté de la maison d’Arnollet, et lui fit dire d’apporter le Nouveau Testament qu’il avait imprimé. Le Libraire étant venu à sa rencontre, il le fit conduire aux prisons de l’Archevêché. Dans le même instant le Vibaillis se transporta chez M. de Muagiron, où était Michel de Villeneuve servant le dit Seigneur dans sa maladie. Il lui dit qu’il y avait au Palais Delphina plusieurs prisonniers malades et blessés, comme aussi à la vérité il y en avait, et qu’il le priait de vouloir bien venir avec lui les visiter. 

     A quoi M. de Villeneuve répondit que sans compter que sa profession de la médecine l’obligeait à faire telles bonnes œuvres, il y était encore porté par son bon naturel. Ils se rendirent donc dans les prisons Royales, et pendant que Servet faisait la visite, le Vibaillis envoya prier le Grand Vicaire de venir le joindre. Dès qu’il fut arrivé, ils dirent à Servet qu’il y avait certaines charges et informations contre lui, qui avaient été communiquées au Seigneur Cardinal de Tournon, et que présentement il était constitué comme ils le constituaient prisonnier dans le Palais Delphinal jusque il eût répondu aux dites charges et que autrement fut ordonné. Ils firent ensuite appeler M. Antoine Bonin, Vigier et Geôlier du Palais, auquel fut enjoint de le garder sûrement, et que au surplus il le traitât honnêtement selon sa qualité. On lui laissa son laquais, nommé Benoit Perrin, âgé de quinze ans, et qui depuis cinq ans était à son service, et ses amis eurent la liberté de le voir ce jour là.

                    Le lendemain, 5 avril, l’Archevêque de Vienne envoya un exprès au Cardinal de Tournon, pour l’informer de la diligence qu’il avait faite. Il priait en même temps l’Inquisiteur de se rendre à Vienne, pour procéder avec lui ou avec son Grand Vicaire selon la forme de droit. Mathieu Ory pressa tellement sa monture, que devant dix heures il se présenta au dit Seigneur Archevêque. Après dîner, on commença d’interroger Michel Servet.

     

    I. Interrogatoire.

     

    "Du cinquième du mois d’avril, l’an cinq mille cinq cent cinquante trois, Nous frères Mathieu Ory, Docteur en Théologie, Pénitencier du Saint Siège Apostolique, Inquisiteur Général de la foi au Royaume de France et par toutes les Gaules, et Louis Arzellier, Docteur ès droit Vicaire général de Révérendissime Seigneur Monseigneur Messire Pierre Palmier Archevêque de Vienne, et Antoine de la Court, Seigneur de la tour de Buys, Docteur ès droit, Vibaillis et Lieutenant Général au Baillage de Viennois ; Nous sommes transporter aux prisons du Palais Delphina de Vienne et dans la chambre criminelle d’icellui, et avons fait venir par devant nous M. Michel de Villeneuve, Médecin Juré, constitué prisonnier par notre ordonnance aux prisons du dit Palais Delphina, et l’avons interroger comme s’enfuit.

                    Et après que le dit de Villeneuve est advenu par devant nous, lui avons fait remontrance que faisant nos réquisitions par le Royaume, nous aurions trouvé quelque choses contre lui desquels par le deu de notre office, il était requis qu’il nous en réponde, ce que a promis de faire. Et après le serment par lui fait sur les Saintes Evangiles de dire la vérité, l’avons interrogé de son nom : Nous a dit qu’il a son nom Michel de Villeneuve Docteur en Médecine âgé de quarante deux ans ou environ, natif de Tudelle au Royaume de Navarre, qui est une cité sous l’obéissance de l’Empereur, à présent habitant à Vienne, sont passées douze ans ou environ.

      Interrogé là ou il a demeuré depuis que sorti de son pays, dit qu’il y a environ vingt sept ou vingt huit ans, quelque temps devant que l’Empereur parti d’Espagne pour aller coroner, il se mit au service du Confesseur de l’Empereur nommé de Quintaine, le dit Répondant étant lors seulement d’âge de quatorze ans, avec lequel Confesseur il s’en alla à la suite de l’Empereur en Italie où il vit le dit couronnement dans Bologne, Et aurait suivi en Allemagne avec le dit Quintaine, et dit qu’il demeura environ un an au dit Allemagne, et depuis la mort du dit Quintaine demeura tout seul sans Maître, et de là s’en vint à Paris et demeura au Collège de Calvi quelque temps, et puis après alla lire les Mathématiques au Collège des Lombards, et en après s’en vint de Paris à Lyon là où il demeura quelque temps, et de là en Avignon et d’Avignon tourna à Lyon, et de Lyon à Charlieu, là où il demeura pratiquant là trois ans en l’art de Médecine, et de là s’en revint à Lyon et là trouva Monseigneur de Vienne, et Monseigneur de Saint Maurice qui le firent venir à Vienne où il a demeuré jusqu’à présent.

    Interrogé s’il a fait imprimer quelques Livres : dit qu’il fit  imprimer à Paris un Livre intitulé, Syroporum Universa ratio ad Galeni censuram, et aussi un autre petit Livre intitulé, Apolagetica discentatio pro Astrologia, et un autre intitulé, In Leonantium Fussinum Apologia pro Symphoriano Campegio, et les Annotations de la Géographie de Ptolémée : et dit n’avoir fait imprimer autre Livre par lui composé, bien confesse t-il en avoir corrigé plusieurs, sans toute fois  y  avoir ajouté ou diminué aucune chose du sien. 

    Et  sur ce lui avons montré deux feuilles de papier imprimés de deux côtés et quelques écritures à la main aux marges lui remontrant qu’il y avait quelque propos à la dite Ecriture de la main qui pouvait scandaliser, mais toute fois que celui qui l’a écrite et faite la peut interprétée et dire comme  il l’entend, et à cette cause lui avons demandé comme il entend un propos qu’il y a là dedans où il y a : Justiscantur ergo parvuli sine Christi fide, prodigium, monstrum doemonum, lui remontrant que s’il entendait que les petits Enfants par la Régénération n’eussent la grâce de Jésus Christ plus parfaitement qu’ils ne participent le péché d’Adam par la génération terrestre, serait faire injure à Jésus Christ, lui demandant qu’il nous déclare comme il l’entend : Et à ce a répondu qu’il croit fermement que la grâce de Jésus Christ venue par la Régénération du Baptême surmonte le péché d’Adam, comme dit Saint Pol ad Romanos quinto, ubi abundavit delictum superabundavit gratia, et que les petits enfants par le Baptême sont sauvés sans foi acquise, ayant toutefois le foi infusée par le Saint Esprit. Et sur ce lui avons remontré qu’il faut corriger quelques paroles qui sont au dessus des feuilles écrites de la main, ce qu’il nous a promis de faire, nous disant que de prime face, il ne peut pas connaître si c’est sa lettre ou nom, pour la longueur du temps quelle est écrite, mais toutefois après avoir regardé de plus près, dit qu’il pense bien l’avoir écrite, et en ce qu’il sera trouvé contre la foi, il le soumet à le détermination de notre Mère Sainte Eglise, de laquelle il n’a jamais voulu ni veut en départir. Et si aucune chose y sont écrites, dit qu’il les a écrites légèrement par manière de disputation et sans y bien penser. Et depuis a voulu encore voir plus diligemment ce qu’il avait écrit aux deux feuilles dessus dites, et nous en donner son intelligence et interprétation, ce qu’il a fait et écrit de sa main sur les dites feuilles, nous disant que s’il y a autre chose qui soit trouvée mauvaise et suspecte de quelque fausse doctrine, en lui remontrant, il est prêt à la corriger. Et à ce que les dites deux feuilles ne soient variées, nous ne les avons faites (Il y a faute aussi, on doit le lire, nous les avons faits parapher par le Greffier, &tc..,) parapher par le Greffier et par le dit de Villeneuve, et sont cotées pagina 421. 422. 423. 424 : et le titre est de Batismo caput XVII. Et après ses dites Réponses contenant trois feuillets le présent inclus, nous les avons barré en sa présence, et s’est souligné Michel de Villeneuve."

    II. Interrogatoire.

    "Du sixième dudit mois d’avril ; Nous Inquisiteurs et Vicaires susdit nous sommes transportés aux prisons du Palais Delphina, et avons fait venir devant nous le susnommé M. Michel de Villeneuve, lequel après le serment par lui fait sur les Saintes Evangiles de dire la vérité, a été par nous interrogé comme s’ensuit.

     

                    Premièrement, comme il entendait un propos d’une Epître d’un cahier intitulé Epistola XV, là où il donne intelligence de la foi vive et de la foi morte, et pourtant que la dite Epître nous semble être bien Catholique et contraire aux erreurs de Genève, la lui avons fait lire, et après l’avoir lue, nous lui avons demandé comme il entendait ces mots : Mori autem sensim dicutur in nobis fides quando tolluntur Vestimenta. Qui nous a répondu que Vestimenta fidei sunt opera Charitatis et virtutis.

                    Secondement, lui avons montré une autre Epître intitulée XVI, qui est De Libero arbitrio contre ceux qui mettent Servum arbitrium, laquelle semblablement il a lu et nous a dit telles paroles avec expression de larmes. Messieurs je veux vous dire la vérité. Comme ces Epîtres ont été écrites du temps que j’étais en Allemagne, il y environ vingt cinq ans, fut imprimé en Allemagne un livre d’un nommé Servetus Espagnol, et autrement je ne sais pas duquel lieu d’Espagne il était, et aussi je ne sais pas là où il demeurait en Allemagne, fort qu’il a oui dire qu’il était à Aganon (C'est-à-dire Haguenau,) là où l’on dit que le livre avait été imprimé, et est la dite ville de Aganon à quatre lieux de Strasbourg : Et que après avoir lu en Allemagne le dit livre, lui étant bien jeune environ de quinze à dix sept ans, il lui sembla que disait bien ou mieux que les autres. Toutefois tout cela laissé en Allemagne s’en vint en France sans apporter livres quelconques, seulement ayant intention d’étudier à la Médecine et aux Mathématiques, comme il a fait toujours depuis, toutefois ayant omis estimer Calvin à aucun qui disait qu’il était homme Savant, selon la curiosité qu’il avait, voulut lui écrire sans le connaître autrement, et de fait lui écrivit le priant que cela fut entre lui et moi seulement fub figillo secreti et comme fraternelle correction, pour voir si lui me pourrait ôter de mon opinion ou moi à lui de la sienne, car je ne pouvais adhérer à son dire, et fus cela lui proposais certaines questions gravis disputationis, et lui me fit réponse, et voyant que mes questions étaient à ce que Servetus avait écrit, il me répondit que c’était moi même Servetus, à quoi je lui tournis réplique que combien que je ne le susse point, toutefois pour disputer avec lui j’étais content de prendre la personne de Servetus et lui répondre comme Servetus, car je me souciais de ce qu’il pourrait penser de moi, mais que seulement nous puissions débattre nos opinions, et sus ces termes nous envoyâmes des Epîtres l’un à l’autre jusqu’à nous piquer et injurier. Et ce voyant je le laissais, et à bien dix ou environ que je ne lui ai rien écrit ni lui à moi, protestant devant Dieu et vous Messieurs que je n’ai jamais eu vouloir ni de dogmatiser, ni de soutenir rien de cela en ce qui se pourrait trouver contre l’Eglise ou la Religion Chrétienne.
                     Et quand à la tierce Epître qui est XVII du Baptême des petits enfants, dit qu’il a été autrefois en cette opinion qu’il pensait que Parvuli carnis non erant capaces donispiritûs, toutefois qu’il a laissé tout cela il y a longtemps et se veux ranger à ce que l’Eglise tient.

              Et puis après lui avons montré une autre Epître en intitulé XXVII, laquelle semblablement il a reconnu et dit l’avoir écrite en disputant pour la part du dit Servetus, non point que lui y veuille adhérer ni croire cela, mais  que seulement pour voir ce que le dit Calvin penserait ou saurait dire à l’encontre, et l’argument de la dite Epître est de Trinitate et Generatione Filii Dei, selon la matière du livre du dit Servetus.

              Et après aussi lui avons montré une autre Epître intitulée XXVIII, là où in dispute contre Calvin de Carne Christi glorifacatâ, quoe absorbetur à gloriâ divin tatis, plus pleinement et amplement qu’à la Transfiguration, et qu’il s’était adressé au dit Calvin pourtant qu’il était en lieu là où il a plus grande liberté de dire tout ce qu’il pense et de me répondre à tous mes interrogats. Signé Michel de Villeneuve.

                    Dudit jour sixième d’avril par devant nous Inquisiteurs de la foi et Vicaire Général susdits, et nous Antoine de la Cour Vibailli de Viennois susnommé, Réappelé le dit de Villeneuve : et avoir prêté semblable serment que dessus, et que lecture lui a été faite de ses réponses ce aujourd’hui faites et ci-dessus écrites auxquelles a persévéré, et dit icelle contenir vérité, et a soussigné les deux carnets des Epîtres dont est faite mention ès susdites réponses lesquelles il a paraphées et aussi les avons fait parapher à notre Greffier ne varientur.

    Et ce fait, lui avons montré et mis entre les mes mains un cahier de quatorze Epîtres contenant dix feuilles, et lui avons remontré que nous trouvons quelque chose écrit la dedans de quoi il est requis qu’il nous en réponde, et après les avoir tenues et vues, nous a dit que sont quatorze Epîtres qu’il avait, longtemps à, écrites à Calvin pour entendre de lui ce qu’il lui en semblait et pour manière de disputation, comme il dit par ci-dessus, sans vouloir aucunement soutenir tout ce qui est écrit en elles, sinon tant que sera approuvé par l’Eglise et par Messieurs les Juges, et quand au contenu des dites Epître il est prêt de nous en répondre quand il nous plaira sur un chacun chef ou article le interroger, ce que lui avons promis de faire, et après avoir fait quelques extrait des principaux points là où il nous semble qu’il y a erreur contre la foi. Et cependant avons fait parapher le dit cahier contenant dix feuilles et quatorze Epîtres, et au commencement est écrit en titre, Michaëlis Epistoloe quatuordcim, et à la narration Jesum illum Nazarenum, et à la fin est  écrit Utinam in Christo Valeas et hoc diligentius mediteris amen.

                    Et ainsi que dedans a été par nous soussigné Inquisiteur, Vicaire, Vibailli, procédé, Frère Mathieu Ory, Inquisiteur Général, Arzelier Vicaire, de la cour Vibailli et Juge Delphinal."


                Après le second Interrogatoire, Servet envoya Perrin au Monastère de Saint Pierre demander au Grand Prieur, s’il lui avait apporté les trois cent écus qui lui étaient dus à la côte S. André, et le Grand Prieur lui vint remettre cette somme. Elle était perdue pour Servet, s’il eût attendu une heure plus tard, car l’Inquisiteur envoya dire au Geôlier, que l’on ne permit point M. Michel de Villeneuve parler à personne sans licence, et que l’on se prit garde de lui.

    Les soupçons de l’Inquisiteur n’étaient que trop fondé. Il y a avait dans la prison un jardin avec une plate forme qui regardait sur la cour du Palais où l’on rend la justice. Au dessous de la plate forme était un toit, d’où l’on pouvait descendre au coin d’une muraille et de se jeter dans la cour. Quoique  le jardin fût toujours soigneusement fermé, on en permettait quelque foi l’entrée à des prisonniers au dessus du commun, fait pour le promener, ou pour d’autres nécessités.

    Servet, y était entré la veille, et avait tout bien examiné. Le 7 d’avril il se leva à quatre heures du matin, et demanda la clé au Geôlier, qui allait faire travailler à ses vignes. Ce bon homme le voyant en bonnet de nuit et en robe de chambre, ne soupçonna nullement qu’il fût tout habillé, ni qu’il eût son chapeau caché sous la robe. Il lui donna la clé, et sortit quelques temps après ses manœuvres. Lorsque Servet les crut assez éloignés, il laissa au pied d’un arbre son bonnet de velours noir et la robe de chambre fourrée, sauta de la terrasse sur le toit et parvint jusque dans la cour, sans se faire le moindre mal. Il gagna promptement la porte du pont du Rhône, qui n’était pas éloignée de la prison, et passa dans le Lyonnais, ainsi que le déposa une paysanne qui l’avait rencontré, mais qu’heureusement pour lui, on n’interrogea que trois jours après. Il se passa plus de deux heures avant que l’on s’aperçoit de son évasion. La Femme du Geôlier en fut averti la première, et fit cent extravagances, qui marquaient son désespoir. Elle s’arracher les cheveux, battit les domestiques, ses enfants, et tous les prisonniers qu’elle rencontra, et la colère lui faisant braver le péril, elle courut sur les toits des maisons voisines, pour tâcher de découvrir le fugitif. Les Juges firent de leur côté tout ce qui dépendait d’eux en pareille occasion. Le Vibaillis donna ordre que les portes fussent fermées, et gardées cette nuit prochaine et les suivantes. Après les proclamations à son de trompette, on fit des perquisitions exactes dans presque  toutes les maisons de même qu’à Sainte Colombe. On écrivit aux Magistrats de Lyon et des autres villes où l’on présuma que Servet aurait pu chercher un asile On n’oublia pas de s’informer s’il avait de l’argent en banque, et tous les papiers, meubles et effets furent inventoriés et mis à la main de la Justice. 

    On croit communément dans cette ville de Vienne, que le Vibaillis étant intime ami de Servet, qui avait guéri sa fille unique d’une dangereuse maladie, ce Magistrat favorisa son évasion. Chorier, l’historien du Dauphiné, insinue quelque chose d’approchant, lorsqu’il dit : Villeneuve fut fait prisonnier comme suspect pour la Religion, si est ce que son savoir et ses amis l’entirèrent. (Chorié. Etat politique du Dauphiné, T. i. p. 335.) Je ne puis même dissimuler, que quand la procédure faite par le Grand Vicaire dans les prisons Royales, après la fuite de Servet, le Geôlier commence par avouer qu’il a donné la clé du jardin à M. Michel Servet de Villeneuve, mais le reste de la déposition est en blanc. Il semblerait par là, qu’il y avait quelque mystère, qu’on a voulu ensevelir sous un éternel silence. Ce ne sont cependant que de simples soupçons, qui ne peuvent donner aucune atteinte à la mémoire d’un Magistrat, qu’on a toujours reconnu pour être scrupuleusement attaché à ses devoirs. Supposé même qu’il eût voulu s’en écarter dans cette occasion, je doute fort qu’il eût osé l’entreprendre. C’était trop s’exposer au ressentiment du Cardinal de Tournon, (Tous les historiens s'accordent à nous représenter le Cardinal de Tournon comme le fléau de l'hérésie. Il fut publier les Edits les plus rigoureux contre les Novateurs. Il établi à Paris une chambre ardente, qui était proprement une Inquisition, et ordonna à tous les Tribunaux du Royaume de poursuivre les nouvelle erreurs comme autant crime d'Etat. L'ardeur de son zèle l'emporta si loin qu'il fit brûler tous les hérétiques, qui eurent le malheur de tomber entre ses mains. Son dernier Historien, le P. Fleury Jésuite à tacher de le justifier là-dessus et même à l'égard du massacre de Mérindol et  de Cabrières. Dans la suite, le Cardinal se repentit de sa trop grande sévérité, et il employa contre l'erreur que les armes de la persuasion. Il est certain que le Cardinal agissait  plus par amour pour le bien du Royaume que par haine pour le parti Protestant, puisqu'il est impossible de rien innover dans la Religion, sans troubler la tranquillité publique. C'est la réflexion judicieuse de M. d'Auvigny, qui ajoute avec raison que dans les plus grands excès de zèle du Cardinal pour l'Orthodoxie, on reconnu toujours sa droiture et son équité. D'Auvigny, vies des Hommes Illustres de France, T.II. p. 244 et 255,) qui comme tout le monde sait, se montrait inexorable, quand il était question de punir un hérétique. On verra ci-dessus par le propre témoignage de Servet, que le Geôlier ne fut pas complice de la fuite. Il est seulement prouvé par la procédure, qu’une des servantes du Geôlier avait dit à Benoît Perrin en présence de plusieurs personnes : Laquais allez dire à votre Maître, qui est la haut dans jardin, qu’il se sauve par derrière le jardin. Interroger sur ce fait, Perrin l’avoua ingénument, mais il protesta en même temps que lorsqu’il entra dans le jardin, son Maître s’était déjà évadé.

    Le reste de mois d’avril se passa à faire un nouvel examen des livres, papiers et lettres de Villeneuve et d’Arnollet et à copier les Epîtres adressées à Calvin, dont les originaux furent déposés au Greffe de l’officialité.

    Le 2 mai, l’Inquisiteur étant averti que dans une maison écartée, il y a avait deux presses, qui n’étaient point spécifiées dans les réponses personnelles d’Arnollet, il s’y transporta avec le Grand Vicaire et le Vibaillis. Ils y trouvèrent trois garçons d’imprimerie, Thomas de Staton, Jean du Bois et Claude Papillon. L’Inquisiteur, avant de les interroger, leur dit qu’ils n’avaient pu ignorer, que depuis les procédures commencées contre le Maître et Michel de Villeneuve, il était enjoint à toutes personnes, sous peine d’être traitées comme hérétiques, de révéler ce qui concernait le livre composé par Villeneuve, sorti de l’Imprimerie d’Arnollet, qu’il y avait preuve qu’eux Compositeurs avaient travaillé à ce livre : qu’on les exhortait de dire sincèrement la vérité, et s’ils avaient failli, d’en demander grâce, et que les Juges n’entendaient point la punition mais seulement la correction. Ces ouvriers extrêmement effrayés, se mirent à genoux : et Straton prenant la parole pour les autres, dit qu’ils avaient imprimés un gros in 8°, intitulé, Christianismi Restitutio, et n’avaient jamais su qu’il contenait Doctrine hérétique, mais seulement l’avaient oui dire depuis que le procès était commencé : qu’ils avaient besogné depuis la Saint Michel dernière jusqu’au 3 de janvier, que le dit livre avait été fini d’être imprimé : qu’ils n’avaient osé en donner révélation aux Juges, de peur d’être brûlés : qu’au surplus ils demandaient grâce et se remettaient à leur miséricordes. Il ajoutât que M. Michel de Villeneuve avait fait imprimer le dit livre à ses dépends, et en avait corrigé les épreuves : que par son ordre, lui Straton on avait envoyé le 13 de janvier cinq balles à Pierre Merrin fondeur de Caractères, demeurant à Lyon près Notre Dame de Confort.

    Les Juges, charmés de cette découverte, furent sur le champ l’annoncer à l’Archevêque de Vienne, et le Prélat en donna avis au Cardinal de Tournon. Le lendemain, l’Inquisiteur et le Grand Vicaire partirent pour Lyon. Leur premier soin fut d’aller d’interroger Pierre Merrin. Il leur dit, sans rien déguiser, qu’il avait quatre mois ou environ, qu’il reçut par la barquette de Vienne cinq balles avec cette adresse : de la part de Michel de Villeneuve Docteur en Médecine soient remises les présentes balles à Pierre Merrin fondeur de lettres près Notre Dame de Confort : que le même jour, un Ecclésiastique de Vienne, nommé Jacques Charmier, lui vint dire de la part dudit Villeneuve, de garder les balles, jusqu’à ce que l’on vint les retirer, et que ce temps là, il n’a eu de nouvelles dudit Villeneuve, ni vu personne de sa part pour retirer les balles, et qu’il n’a jamais su si c’était du papier blanc ou livres imprimés.

    Après avoir pris la déposition, l’inquisiteur et le Grand Vicaire firent enlever les cinq balles, et revinrent à Vienne, où elles furent mises dans une des chambres de l’Archevêché. Jacques Charmier, fut ensuite interrogé. Il nia constamment de n’avoir jamais su ce que contenaient les balles, qu’il était aller recommander à Pierre Merrin, mais ses grandes liaisons avec Michel de Villeneuve le rendant très suspect, on le condamna quelque temps après à trois ans de prison.

    Le 10 mai, l’Inquisiteur fit un Extrait des principales erreurs du Christianismi Restitutio, pour en faire plus aisément telles censures que de raison.

    Au mois de Juin, le Procès de Servet étant suffisamment instruit, le Vibaillis prononça la sentence conformément aux conclusions du Procureur du Roi.

    "Entre le Procureur du Roi Daulphin demandeur en crime d’hérésie scandaleuse, et dogmatisation, composition de nouvelles doctrines et livres hérétiques sédition, schisme, perturbation de l’union et repos publique, rébellion et désobéissance aux ordonnances faites contre les hérésies, effraction et évasion des prisons Royales Delphinalles d’une part, et M. Michel de Villeneuve Médecin, par ci devant prisonnier aux prisons du Palais Delphinal de Vienne, et à présent fugitif, accusé desdits crimes, d’autre.

    Veu par nous les pièces justificatives des dites hérésies, mêmes les Epîtres et Ecritures de la main dudit Villeneuve, adressées à M. Jehan Calvin Prêcheur de Genève et par le dit de Villeneuve reconnaît, les réponses, confessions, et négations, les réponses et autres procédures concernant Balthazard Arnoullet Imprimeur, certaines balles et livres imprimés desquels l’intitulation est Christianismi Restitutio, les témoins examinés sur ce que le dit de Villeneuve aurait composé et fait imprimer le dit livre à ses dépends, les rapports des Docteurs en Théologie et autres personnes notables sur les erreurs contenus au dit livre et Epîtres, et lesquelles erreurs et hérésies sont d’ailleurs manifestes par la lecture d’eux, actes faites sur l’évasion des prisons et diligence d’appréhender le dit Villeneuve, ajournement à trois brefs jours et défauts sur ceux obtenus, recollement des témoins, conclusions définitives dudit Procureur du Roi Dauphin, et out ce qui a été remis par devant nous, le tout considéré, nous avons dit et disons les dits défauts avoir été bien et dûment obtenus, pour le profit desquels nous avons forclos et forcluons le dit de Villeneuve de toutes exceptions et de sens, déclaré et déclarons atteint et convaincu des cas de crimes à lui imposé pour réparation desquels nous l’avons condamné et condamnons, à savoir pour le regard de l’amende pécuniaire en la forme de mille livres tournait d’amende envers le Roi Dauphin. Et à être incontinent qu’il sera appréhendé, conduit sur un tombereau avec ces livres à jour prochain de marché de la porte du Palais Delphinal par les carrefours et lieux accoutumés jusqu’au lieu de la Halle de la présente citée et subséquemment en la place appelée le Charneve, et y être brûlé tout vif à petit feu, tellement que son corps soi mis en cendre. Et cependant sera la présente sentence exécutée en effigie avec laquelle seront les dits livres brûlés. Et si l’avons condamné et condamnons ès dépends et frais de Justice, desquels nous réservons la taxe, déclarant tout et chacun de ses biens acquis, et confisqués au profit de qui appartiendra, les dits frais de justice et amande sur ces biens au préalable livrés et payés. De la Cour Vibaillis et Juge Delphinal. Gratet Assesseur. Putod Assesseur. Duprat Assesseur. A. de Bais Assesseur. Beraud Assesseur. Philip. Morel Assesseur. Danptesieu Assesseur. Bertier Assesseur. Décourt Assesseur. Lois Morel Assesseur. Chritosle Assesseur. Publiée la dite Sentence en plein Jugement à L’audience au dit Procureur de Roi Dauphin, Nous Vibaillis et Juge susdit séant dans l’auditoire du Palais Delphinal de Vienne, le dix septième jour du mois de juin l’an mille cinq cent cinquante trois. Présents à ce M. Philibert Gollin, Alexandre Roland, Claude Magnin, Charles Verdoney, Pierre des Vignes, et plusieurs autres Praticiens de Vienne illec étant et moi Greffier soussigné, Chasalis.

    Dudit jour environ l’heure de midi après que l’Effigie dudit Villeneuve aurait été faite au devant du dit Palais Delphinal, icelle Effigie par François Berode Exécuteur de la haute Justice, lequel l’on a envoyé quérir à ces fins, été mise sur un tombereau avec cinq balles des livres composés par celui-ci Villeneuve, et après le dit tombereau chargé des dits effigie et livres a été conduit et mené par le dit Exécuteur de la porte du dit Palais par les carrefours et lieux accoutumés, jusqu’au lieu de la Halle de la présente cités de Vienne, et subséquemment en la place appelée le Charnève, en laquelle la dite Effigie a été attaché à une potence expressément érigée, et après  brûlée avec les dits livres à petit feu par le dit Exécuteur, lequel a mis à pleine sentence pour le regard de la susdite Effigie selon sa forme et teneur en présence pour le regard de la dite Effigie selon la forme et teneur en présence de Guigues Ambrosin, Crieur et Trompette de Vienne, Claude Reymet, Michel Baffet, Sergens Royaux Delphinaux, Sermet des Champs, Bolenger de Vienne et de plusieurs autres gens ici assemblés pour voir le dite exécution. Ainsi a été procédé et par moi Greffier soussigné receu. Chasalis."


              M. de la Roche a donné cette pièce sur une copie très fautive, et la plupart des noms propres y sont défigurés.

    La sentence des Juges Ecclésiastiques ne fut prononcée que six mois après celle du Vibaillis. Elle déclarait Hérétique Michel de Villeneuve, accusé pour raison du crime d’hérésie, composition, et impression du Christianismi Restitutio, ses biens confisqués au profit des Comtes de Vienne, distrait les dépenses de Justice, ordonnant au surplus que tous les livres du dit Villeneuve que l’on pourrait trouver, seraient brûlés. Voici la copie de cette Sentence.

    Procuratoris Fiscalis sedis Archiepiscopalis Vienne Super crimine Heresis contra Michalem Villanovanum Medicum.

    Visis certis additionibus ejusden Villanovani manu in margine duorum foloirums impressorum quorum superscriptio est de Baptismo, una cum decem & Septem Epistoli ad Johannen Calvinum descriptis & pereundem Villanovanum recogniti, suis Rsponsionibus coram R. Domino Mathoeo Ory Inquisitore generali hereticoe pravitatis ac nobis Vicario generali Rni. Domini Viennensis Archiepiscopi, de mense Aprilis nuper efluxi factis, per quas recognovit & confessus suit easdem additiones & Epistolas scripfisse, Inquisitione & attestationibus quibus constrat eundem Villenovanum à Caroeribus Pallatii Delphinalis presentis civitatis Viennoe, quibus ob crimen dictoe heresis detinebatur, obsugisse die septimâ esusdem mensis, ternis litteris citatoriis & excommunicatoriis per eundem R. Dominum Inquisitorem & nos Vicarium generalem & aliis per proefatum spectabilem dominum Vicebaillivum pro tribus edictis concessis & debite executis, Libro Intitulato, Christianismi Restitutio, in quo plures continentur Iractatus videlicet de Trinitate duo, de Fide & Justitiâ Regni Christi legis justitiam superantis & de Charitate Libri tres. De orbis perditione & Christi reparatione Liber Primus, de circuncisione verâ cum reliquis Christi & Anti-Christi misteriis omnibus jam completis, Liber secundus, de Misteriis Ecclesioe Christi & eorum efficaciâ Liber tertitus, de Ordine misteriotum & Regenaration Liber quatus, de Msterio Trinitatis & Veterum disciplinâ ad Philippum Melanctonem Aplogia. Visis insuper attestationibus in processu contra Balthasardum Arnoullet super impressions dicti Libri & in processus dicti Villanovanum repetitis, quibus constat ipsum Villanovinus dictum Librum composuisse atque suis sumptibus & mandato à dicto Arnoullet & suis servitoribus excusum & impressum suisse usque ad Octinginta Volumina, & in oedem Libro proedictas decem & septem Epistolas ad Jehannem Calvinum descriptas cum aliis usque ad numerum triginta esse insertas, Atque censurâ per proedictum dominum Inquisitorem subsignatâ de pluribus erroribus in eodem Libro assertis, aliâque censurâ per Venerabiles & Retigiofos viros nos Laurentium Molaris Priorem Proedicatorum Viennoe & Vicarium poesati R.Domini Inquisitoris, Thoman Hochard Conventûs Carmelitarum Vienne SacroeTheologieDoctores, Jahannem Ferretum Fratrum Minorum Conventûs Sanctoe Columboe Gardianum, per quam in Consilio Proesati Reverendiddimi Domini Viennensis Archiepiscopi vocati censuerunt plures blasphemias & heresie proesertim in quinque Libris & Duobus Dialogis deTrinitate & in secundâ & tertiâ Epsitolis proedictis & Apologiâ ad Melanctonmem contra divinam & Sanctam Trinitatem & in Libris de Misrteriis tria dumtaxat esse Apostolatus efficacia Misteria, & in Libro primo Baptismun Infantilus & pueris non prodesse eundem Villanovanum asseruisse ac auctoritatem summi Pontificis & totius Ecclesioe damnasse, & in Libro tertio de Misteriis multa nefanda de Missâ & Altaris Misterio scripsisse atque omnes Ecclesiasticos ritus contempsisse & denique omnibus suis Libris supra scriptis  quamplurima narrata & asserta erronnea, nefanda scripta esse, exquibus constat dictum Villanovanum maximun suisse hereticum. Visis denique proesati Proauratoris Fiscalis conclusionibus diffinitivis & aliis totirus causoe merititis, Igitur de consilio. Rmi. Domini Archiepiscopi & Egregiorum Virorum Actessorum subscriptorum, maturâ habitâ de iberatione & cunctis aceuratè perpensis ex proemissis & aliis actis & processu refultantibus, dictum Michaelem Villanovanum hereticum atque bona ejusdem suisse & esse Dominis Comitibus Viennoe consiscata declaravimus & declaramus, detractis judicialibus expensis factis & siendis, in quibus ipsum condemnamus taxâ nobis salva ordinando insuper omnes & quoscumque Libros Proedictos per eundem Villanovanum compositos ultra jam combustos sore & esse, ubicumpe reperiri possint comburendos atque ejusdem  Villanovanum & Balthasardi Arnoullet proedati processûs attentâ eausoe connexitate simul sore jungendos. Arzelerius Vicarius generalis. Molaris Inquisitoris Vicarius. Steph. Rolandus officialis Accessor. Bus Prior Carmelit. Lugduni Accessor.

    Lata & lecta suit hujus modi supra scrita Sententia per proefatum Rdum. Dominum Vucarium generalem die sabbathi vicesimâ tertia menfis decembris anno Domini millesimo quigentesimo quiquagefimo tertio. In Auditorio Curioe Officialatûs Vienne in proesentiâ quoque dicti Procuratoris Fiscalis sedis Archiepiscopalis Vienne diffinitionem petentis, proesentibus in premissis Magistris Alexandro Rolandi, Claude Magnini, Carolo Verdoney, Humberto Ferronis, Johanne Royer, & puribus aliis Procuratoribus et Praticariis Viennoe ibidem Judicio astantibus & me subsignato premissa récepi. Besset. 

    Servet ne trouvant point de retraite assurée, forma le dessein de passer dans le Royaume de Naples, pour y exercer la profession de Médecin. La crainte d’être découvert par les Catholiques, lui fit prendre la route de Suisse plutôt que celle du Piémont, et il arriva à Genève, où il se tint caché pendant un mois, en attendant une commodité pour partir. Toutes ces précautions ne purent le dérober à la haine de Calvin. Ce Réformateur le déféra au premier Syndic, et Servet fut arrêté et mis en prison le 13 du mois d’août. Calvin ne voulut pas de rendre sa Partie, parce que, selon les lois de Genève, il aurait été obligé de ses soumettre à l’emprisonnement avec l’accusé. Il commit ce soin à un nommé Nicolas de la Fontaine, étudiant en Théologie, qui lui était entièrement dévoué, et se contenta de le diriger dans toutes ses poursuites.

    Le 14 août, de la Fontaine produisit 38 articles, qui avaient été dressés par Calvin, sur lesquels il demanda que Servet fût interrogé. La plupart concernaient sa Doctrine, et on employa, pour le convaincre d’hérésie, divers passages de ses livres tant imprimés que Manuscrits. Mais on insista particulièrement sur les injures qu’il avait dites à Calvin, article délicat, qui ne pouvait que le rendre plus criminel dans l’esprit de ses juges.

    Après que Servet eut répondu aux 38 Interrogatoires, de la Fontaine présenta une requête au Conseil, par laquelle il exposait, qu’ayant fait par amour du bien public, partie criminelle à Servet, à cause des troubles qu’il avait excités dans la Chrétienté, et des calomnies qu’il avait répandu contre les vrais serviteurs de Dieu, et en particulier contre M. Calvin, duquel lui de la Fontaine était obligé de maintenir l’honneur, Calvin et tant son pasteur, il priait le Conseil de faire répondre Servet, plus précisément qu’il n’avait fait, aux 38 articles : après quoi, cette affaire étant publique, d’en remettre la poursuite au  Procureur Général, en élargissant le suppliant des prisons, et le déchargeant de sous dépends, dommages et intérêts.

    Le Conseil continua les Interrogatoires en présence de Calvin et des autres Ministres, et peu de jours après, le Procureur Général se rendit insistant, et de la Fontaine fut mis en liberté sous la caution du frère Calvin. Comme les accusateurs de Servet avaient juré sa perte, ils ne se faisaient aucun scrupule de lui supporter des crimes imaginaires, et ses réponses aussi bonnes qu’elles fussent, étaient Tournés en preuves contre lui. Je n’en rapporterai qu’un seul exemple. On produisit un passage de la  première Edition de Ptolémée, où il est dit dans les notes qui accompagnent la description de la Palestine, que l’on a eu tort de faire de si grande éloges de la fertilité de ce pays là, puisque les voyageurs assurent que c’est une contrée tout à fait stérile, par là, on prétendait prouver, que Servet ayant parlé d’une manière si injurieuse de Moïse, il était Athée, ou pour le moins Déiste. Accusation très mal fondée, puisque Servet avait donné la description de la Judée mot pour mot, telle qu’on la trouve dans le Ptolémée, imprimé à Strasbourg, il la retrancha de la seconde Edition dédiée à Pierre Palmier. Il lui était donc bien facile de se justifier, en disant qu’il n’était pas l’auteur de ce passage, et que dans la suite, il l’avait supprimé. Il le dit effectivement, et ajouta, pour éviter toute chicane, qu’il ne s’agissait nullement de Moïse, mais des Géographes modernes. L’animosité et la mauvaise foi de ses ennemis lui firent un nouveau crime de ses moyens même de justification. "Au commencement dit Calvin, (Traité Théologique de Calvin. P 236,) il gronda entre ses dents que cela n’était point de lui, mais il fut bien aisé de lui clore la bouche : car par ce moyen il était convaincu d’être un affronteur, s’étant attribué ce qui n’était pas sien. Il fut donc contraint de maintenir un tel blasphème, disant qu’il n’y avait que bien. Alors on lui demanda qui c’est qui avait ainsi prêché la bonté de la Terre de Judée, sinon Moïse. Voire, dit-il, comme si d’autres n’en avaient point écrit aussi bien. Tant y a que ce vilain chien étant ainsi abattu par si vives raisons, ne fit que torcher son museau en disant passons outre, il n’y a point là de mal. Et combien qu’il n’eut nulle couleur pour farder tellement quellement sa vilenie, si est-ce qu’on ne lui put arracher un seul mot de confession."

    Le 22, du même mois, Servet présenta une Requête aux Seigneurs Syndic et Conseil de Genève, par laquelle il exposait, que c’était une pratique nouvelle, inconnue aux Apôtres et à l’ancienne Eglise, de faire des procès criminels aux gens, au sujet de leurs sentiments sur les dogmes de la Religion. Que d’ailleurs, s’il était coupable d’avoir publié certaines opinions estimées hérétiques dans Genève, il ne l’avait point fait, ni dans cette ville, ni dans aucun lieu de la dépendance : Que les questions qu’il avait traitées dans ses livres, n’étaient point à la portée de tout le monde, mais seulement à celle des Savants, qu’il n’avait été en aucun lieu du monde, séditieux ni perturbateur du repos public : Qu’enfin, étant étranger, et ignorant les coutumes de Genève, et la manière de parler et procéder en jugement, il priait le Conseil de lui permettre d’avoir un Procureur qui parlât pour lui.

    Le Procureur Général, à qui cette requête fut communiquée, (28 août,) remontra aux Juges, que Servet variait dans ses réponses, qu’elles étaient pleines de mensonges, et qu’il se moquait de Dieu, et la parole, en alléguant, corrompant et détournant faussement les passages de la Sainte Ecriture, pour couvrir ses blasphèmes, et évader punition : qu’il était dans les sentiments des Anabaptistes, qui ôtent le droit du glaive aux Magistrats : qu’il ne méritait pas d’avoir aucun Procureur ou Avocat, comme il le demandait, que cela était défendu par le droit, et qu’on l’avait jamais accordé à de pareils séducteurs. Il proposa en même temps 38 nouveaux articles contre Servet, sur lesquels il demanda qu’il fut interrogé, et qu’il répondit affirmativement ou négativement. La plupart de ces questions de même que 30 autres produites cinq jours au par avant par le Procureur Général, regardaient principalement la personne, les mœurs et la conduite de Servet. Il y a plusieurs que des Juges moins livrés à la vengeance de Calvin, auraient eu honte de proposer. Quoique le discours du Procureur Général devait faire comprendre à Servet, qu’il n’avait point de grâce à espérer, il n’en parut guerre plus ébranlé que des menaces et des raisonnements Théologique de Calvin. Après avoir répondu à tous les Interrogatoires, il assura qu’il persisterait dans ses sentiments, à moins qu’on ne lui fasse voir que sa doctrine était fausse, c’était dire sans détour qu’il ne se rétracterait jamais. En effet qui aurait pu opérer son changement ? La troupe des Ministres, dont son Adversaire était toujours accompagné, ne disait mot. Leur fonction se bornait à faire nombre et à prodiguer des applaudissements au Patriarche de la nouvelle Réforme. Servet n’avait donc à disputer que contre le seul Calvin, dont il méprisait la capacité et détestait la personne, Comme de son plus cruel persécuteur. Ce n’était pas là un convertisseur propre à le faire revenir de ses égarements.

    Le 31 août les Syndics et le Conseil de Genève reçurent une lettre du Vibaillis de Vienne et du Procureur du Roi de la même ville, datée du 26 du même mois, par laquelle ils les remerciaient de ce qu’ils leur avaient fait savoir que Servet avait été arrêté et emprisonné à Genève. Ils les priaient de leur renvoyer le prisonnier, afin qu’on exécutât la sentence rendue contre lui. Leur lettre était accompagnée d’une Copie de cette Sentence. Cette lettre fut apportée par le Viguier ou Capitaine du Palais Royal de Vienne. Le même jour, Servet ayant comparu de nouveau, on fit entrer ce Capitaine, et l’on demanda au prisonnier, s’il le connaissait, il répondit "qu’oui et qu’il avait été deux jours sous sa garde. Ensuite, on lui demanda s’il aimait mieux demeurer à Genève entre les mains de Messieurs du Conseil, ou retourner à Vienne avec le Geôlier qui l’était venu quérir. Servet se jeta à terre, fondant en larmes, et dit qu’il souhaitait être jugé par les Magistrats de Genève : Et que Messieurs fissent de lui tout ce qui leur plairait…"

    Le Geôlier partit de Genève, ayant obtenu une attestation, qui portait que Servet avait déclaré qu’il s’était sauvé de la prison de Vienne, sans le consentement du Geôlier. (De la Roche vie de Servet. P. 142.) Ce récit prouve évidemment que le Vibaillis de Vienne ni le Geôlier n’eurent aucune part à l’évasion de Servet.

    Le premier de septembre, les Juges ordonnèrent à Calvin d’extraire des propositions mot à mot du Christianismi Restitution : ils ordonnèrent en même temps que Servet y répondait en latin. Calvin réduisit ses propositions à 38 Articles, et le 15 du mois, on les communiqua à Servet, qui donna sa réponse en peu de mots. M. de la Roche observe que quelques unes de ces propositions ne sont pas à beaucoup près aussi hérétiques que les autres. On les trouvent parmi les Traités de Calvin de même que la réponde de Servet, dont je rapporterai le commencement, parce qu’il contient le précis de son hérésie. Eam sibi jam authoritatem arrogat Calvinux ut instar Magistrorom Sorbonicorum Articulos scribat, & quidvis pro-suâ libidine dammet, nullam penitus ex sacris adducens rationem. Mentem mmean ipse aue planè non intelligio, aut callidè alio detorquet. Unde sagor scopum meum totum hic paucis proponere, acpro me rationes adducere, antequam singulis ejus Artitulis respondeam.

    Scopus meus totus suit quod nomen hoc, Filius, in sacris Literis propriètribuatur hemini filio, idque semper, ficut eidem propriè semper tribuitur nomen Jesus, & nomen Christus. Ad hujus probationem adduxi omnes Scripturoe logos, in quibus penitur ea vox Fitius, qoe non accipiatur pro homine filio. Siigitur Scripture ita semper accipit, ita & nos semper accipere oportet.

    Secundam Personam in Deitate dixi olim dictam Perfonam, eo quod esset persolanis reproesentatio hominis Jesus Christi, hypostaticè jam olim in Deo subsistantis, ac in ipsà Deitate relucentis. Quia vero hoec Personoe ratio est Calvino incognita, & quia inde res ferè tota pendet, locos hic ex aretiquiq Doctoribus adducam.

    Servet cite ici quelques passages de Tertullien, de St. Irénée, et des reconnaissances faussement attribuées à St. Clément, après quoi il ajoute :

      

         Jam ad singulos Calvini Articulos respondere superest. In ipso cum primis titule minari subis hominis impudentiam qui se Orthodoxum proedicet, cum sit Simonis Magi discipulus. [Servet voulait dire par là que Calvin soutenait avec beaucoup de zèle le dogme de la Prédestination,] ut in Apologiâ meâ jam Ministrum Ecclefix, accusatorme criminalem & homicidam ? 

    Calvin réfuta la réponse de Servet, et fit signer sa réplique par 13 Ministres, ce qui n’était que pour la forme, Calvin étant le seul mobile de toute la procédure. Cette réplique est écrite avec beaucoup d’art, et il y a bien de l’apparence que la manière fine dont Calvin réfuta les sentiments de Servet, fut extrêmement préjudiciable à cet hérétique. Mais M. de la Roche, quoique Protestant, ne ménage guerre Calvin, et paraît avec raison, fort choqué des paroles qui terminent la Réplique de ce Réformateur : Quisquiq ergo, dit Calvin, vivè & prudenter reputabit, hune illi [Serveto] scopum suisse agnoscet, ut luce sana doctrine extinctâ totam religionem everteret. "C’est là, dit l’Historien, (De la Roche Urbi Supr. p. 156,) une accusation tout à fait chimérique. Servet n’a jamais pensé à détruire la Religion. Tout homme qui entreprend de renverser la Religion n’en a point : mais on n’a qu’à lire les ouvrages de Servet, et faire attention à sa conduite pour le persuader qu’il avait beaucoup de piété. (M. de la Roche y pense t-il de nous dire que Servet avait beaucoup de piété, la piété peut-elle subsister dans la foi à laquelle Servet dérogeait d’une manière aussi obstinée ? La piété et l’impiété s’excluent l’une de l’autre du même sujet. Si M. de la Roche avait dit que Servet avait quelque humanité on aurait pu le souffrir.) Que l’on dise qu’il était trop entêté de ses sentiments, qu’il les soutenait avec beaucoup d’aigreur et d’emportement, qu’il se servait sans détour des termes les plus choquants, que jamais homme n’a été moins prudent que lui, qu’il avait des saillis d’un fouet d’un enthousiasme : j’en conviendrai. Mais on ne doit pas l’accuser d’avoir voulu détruire toute sorte de Religion."

    Servet ne jugea pas à propos de répondre à la Réplique de Calvin par un écrit séparé. Il se contenta d’y faire des petites Notes marginales, qui ne pouvaient que rendre sa cause désespérée. Outre les démentis réitérés qu’il donne à Calvin, il l’appelle Simo magnus, impostor, Sycophanta, nebulo, perfidus, impudens, ridiculus mus, cacodoemon &ct. On est persuadé que Servet, quoique naturellement emporté, fut encore excité à vomir tant d’injures contre Calvin, par des personnes de considération qui haïssaient ce Réformateur.

    Pendant cet intervalle, Servet présenta plusieurs requêtes à ses Juges, tant pour sa propre justification, que contre Calvin, qu’il traité de Calomniateur, requérant qu’en cette qualité, il fut puni de la peine du talion, et que ses biens lui fussent adjurés, pour le dédommager de ceux de Calvin lui avait fait perdre. Il demandait d’être renvoyé au Conseil des deux cents, et faisait en même temps une peinture touchante des misères et des infirmités dont il était accablé dans sa prison.

     

    *Voir en parallèle de cet article les 3 lettres intégrales de Servet en prison : http://site.voila.fr/unitariens/articles/lettreservet.html  

     

    Les Juges ne firent aucune attention à ces requêtes. On n’en doit pas être surpris. Calvin était si respecté des Magistrats et du peuple de Genève, qu’il n’était pas moins absolu dans cette ville-là, que le Pape l’était à Rome. C’est l’aveu ingénu de Mackensie, Médecin Anglais, et Ecrivain Protestant, cité dans la Bibliothèque Anglaise.

    Toute l’instruction du Procès de Servet étant achevée, le Conseil, avant de le juger, en envoya des copies aux Magistrats des quatre Cantons Protestants, pour avoir le sentiment de leurs Théologiens sur cette affaire. Ceux-ci ne tardèrent pas à le faire savoir, et quoiqu’ils s’exprimassent d’une manière vague et susceptible de différentes interprétations, on ne manqua pas d’en conclure à Genève, qu’ils approuvaient que l’on fasse mourir Servet.

    Le 28 octobre 1553, cet infortuné Médecin fut condamné à être brûlé tout vif. Afin d’éviter à mes lecteurs la peine de recourir à M. de la Roche, je vais rapporter la Sentence et le procès dont elle est précédée. On y verra les propositions pour lesquelles il fut jugé avec tant de rigueur.

    Procès fait et formé par devant Nos très redoutés Seigneurs Syndiques, Juges des Causes Criminelles de cette citée, à la poursuite et instance du Seigneur Lieutenant de cette dite  citée, ès dites Causes instant contre Michel Servet de Villeneuve au Royaume d’Aragon en Espagne. "Lequel premièrement a été atteint d’avoir, il y a environ vingt trois à vingt quatre ans, fait imprimer un livre à Agnon (Haguenau,)  en Allemagne contre la sainte et individuelle Trinité, contenant plusieurs et grands blasphèmes contre elle, grandement scandaleux ès Eglises des dites Allemagnes, lequel livre il a spontanément confessé avoir fait imprimer, non obstant les Remontrances, et corrections à lui faites de ses fausses opinions, par les Savants Docteurs Evangéliques des dites Allemagnes.

    Item, et lequel livre est été par les Docteurs de ces Eglises d’Allemagne comme plein d’hérésies, reprouvé, et le dit Servet rendu fugitif des dires Allemagnes, à cause du dit livre.

    Item, et nonobstant cela le dit Servet a persévéré en ses fausses erreurs, infectant avec elles plusieurs à son possible.

    Item, et non content de cela, pour mieux divulguer et épancher son dit venin et hérésie, depuis peu de temps en ça il a fait imprimer un autre livre à cachette dans Vienne en Dauphiné, rempli des dites hérésies, horribles et exécrables blasphèmes contre le Sainte Trinité, contre le Fils de Dieu, contre le Baptême des petits enfants, et autres plusieurs Saints passages et fondements de la Religion Chrétienne.

    Item, a spontanément confessé qu’en de ce livre, il appel ceux qui croient en la Trinité, Trinitaires et Athéistes.

    Item, et qu’il appel cette Trinité un d** et monstre à trois têtes.

    Item, et contre le vrai fondement de la Religion Chrétienne, et blasphémant détestablement contre le Fils de Dieu, a dit Jésus Christ n’être Fils de Dieu de toute éternité, ainsi tant seulement depuis son Incarnation.

    Item, et contre ce que dit l’Ecriture Jésus être Fils de David selon la Chair, il le nie malheureusement, disant de celui-ci être créé de la substance de Dieu le Père, ayant reçut trois éléments de celui-ci, et un tant seulement de la Vierge, en quoi méchamment il prétend abolir la vraie et entière Humanité de Notre Seigneur Jésus Christ, la souveraine consolation du pauvre genre humain.

    Item, et que le Baptême des petits enfants n’est qu’une invention Diabolique et Sorcellerie.

    Item, et plusieurs autres points et articles, et exécrables blasphèmes desquels le dit livre et tout farci, grandement scandaleux, et contre l’honneur et Majesté de Dieu, du Fils de Dieu et du Saint Esprit : qui est un cruel et horrible meurtrissure, perdition et ruine de plusieurs pauvres âmes, étant par sa dessus dite déloyale et détestable doctrine trahies. Chose épouvantable à réciter.

    Item, et lequel Servet rempli de malice de son livre, ainsi dressé contre Dieu et sa sainte doctrine Evangélique, Christianismi Restitutio, qui est à dire Réfutation du Christianisme, et ce pour mieux séduire et tromper les pauvres ignorants, et pour plus commodément infecter de son malheureux et méchant venin les lecteurs de son dit livre, sous l’ombre de bonne doctrine.

    Item, et contre le dessus dit livre, assaillant par lettres mêmes notre Foi, et mettant peine celle infecté de son poison, a volontairement confessé et reconnu avoir écrites lettres à un des Ministres de cette citée, dans lesquelles entre autres plusieurs horribles et énormes blasphèmes contre notre sainte Religion Evangélique, il dit notre Evangile être sans Foi et sans Dieu nous avons un Cerbère à trois têtes.

    Item, et davantage volontairement confessé, qu’au dessus dit lieu de Vienne, à cause de ce méchant et abominable livre et opinions, il fut fait prisonnier, lesquelles prisons perfidement il rompit et échappa.

    Item, et n’est seulement dressé le dit Servet en sa doctrine contre la vraie Religion Chrétienne, mais contre arrogant innovateur d’hérésie, conte la Papauté et autre, fit que à Vienne même il est été brûlé en Effigie, et de ses dits livres cinq bales brûlées.

    Item, et nonobstant tout cela, étant ici ès  prisons de cette Citée détenu, n’a pas cessé de persister malicieusement en ses dites méchantes et détestables erreurs, les tachant soutenir avec injures et calomnies contre tous vrais Chrétiens et fidèles renementiers de la pure immaculée Religion Chrétienne, les appelant Trinitaires, Athéistes et Sorciers, non obstant les remontrances à lui déjà depuis longtemps en Allemagne, comme est dit, faites, et au mépris des répréhensions, emprisonnements, et corrections à lui tant ailleurs qu’ici faites. Comme plus amplement et au long est contenu en son Procès."

     

     

    Sentence.

     

    "Nous Syndiques, Juges des Causes criminelles et de cette Citée, ayant voulu le procès fait et formé par devant Nous, à l’instance de notre Lieutenant ès dites Causes instant, contre Toi Michel Servet de Villeneuve au Royaume d’Aragon en Espagne, par lequel et ses volontaires confessions en  nos mains faites, et par plusieurs fois réitérées, Et les livres devant nous produits, Nous conste et appert Toi Servet, avoir dès longtemps mis en avant doctrine fausse et pleinement hérétique, celle mettant arrière toutes remontrances et corrections, avoir d’une malicieuse et perverse obstination, persévéramment semée et divulguée jusqu’à l’impression des livres publics, contre Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit, bref contre les vrais fondements de la Religion Chrétienne, et pour cela taché de faire un schisme et de troubler l’Eglise de Dieu, dont maintes âmes ont peut être ruinées et perdues : chose horrible et épouvantable, scandaleuse et infectante, et n’avoir eu honte ni horreur de te dresser totalement contre la Majesté divine et Sainte Trinité, ainsi avoir mis peine, et t’être employé obstinément à infecter le monde des tes hérésies et puant poison hérétique, cas et crime d’hérésie grief et détestable, et méritant grief punition corporelle. A ces Causes, et autre justes à ce Nous mouvantes, désirants de purger l’Eglise de Dieu de tel infection, et retrancher d’elle tel membre pourri, ayant eu bonne participation de Conseil avec nos Citoyens, et ayant invoqué le nom de Dieu, pour faire droit jugement, seans pour Tribunal au lieu de nos Majeurs, ayant Dieu et ses Saintes Ecritures devant nos yeux, disant, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, par cette Notre définitive Sentence, laquelle donnons ici par écrit, Toi Michel Servet condamnons à devoir être lié, et mené au lieu de Champel, et là devoir être à un pilotis attaché, et brûlé tout vif avec ton livre, tant écrit de ta main qu’imprimé, jusqu’à ce que ton corps soit réduit en cendres, et ainsi finira tes jours, pour donner exemple aux autres, qui tel cas voudraient commettre. Et à vous notre Lieutenant, commandons notre présent Sentence faites mettre en exécution."

    Comme l’on pourrait me reprocher d’avoir omis ce qui peut contribuer à la justification de Servet, j’inférerai ici la remarque d’un Ecrivain Moderne qui a joint des Notes très curieuses  la Nouvelle Edition de l’Histoire de Genève, (In 4°. 2. vol. 1730,) par M. Spon.

    [Si l’on juge, dit l’auteur des Notes, des sentiments de Servet : (Vol. p. 294,) par les réponses qu’il fit aux questions qui lui firent proposées, ils n’étaient pas si détestables que M. Spon les représente. Il paraît par les Actes de son Procès que sur la demande qui lui fut faite, s’il n’était pas vrai qu’il avait publié dans ses livres, que de croire qu’en une seule essence de Dieu il y eut trois personnes distinctes, le Père, le Fils, et le Saint Esprit, c’était se former des Fantômes ridicules, et faire un Dieu partagé en trois, semblable à un Cerbère, le chien infernal à trois têtes, que les Poètes Païens avaient imaginé ? Il répondit, qu’il avait écrit un livre de la Trinité, suivant les principes et les idées des plus anciens Docteurs de l’Eglise, qui avaient vécu immédiatement après Jésus Christ et ses Apôtres, et qu’il croyait qu’il y avait trois personnes en Dieu, mais qu’il entendait ce mot de Personne d’une manière différente des Modernes : niant, au reste, qu’il eut comparé la Trinité à un Cerbère. Etant interrogé sur ce qu’il pensait de la nature de Notre Seigneur Jésus Christ était éternelle, qu’il était fortement persuadé que Jésus Christ était le Fils de Dieu, engendré de toute éternité du Père, et conçut par l’Esprit Saint dans le sein de la Vierge Marie, que la Divinité de Jésus Christ fut communiquée à son Humanité, dans le temps de sa Conception, qu’ainsi sa chair est participante de la Divinité, mais que la matière de la chair était venue de la Vierge Marie. Qu’il ne condamnait point, comme on le lui attribuait, le sentiment de ceux qui mettaient quelque distinction de priorité dans l’Essence de Dieu, qu’il reconnaissait une différence de Personnes, mais qu’il rejetait seulement la pensé de ceux qui voulaient qu’il y eut une distinction réelle dans la Divinité. Qu’il n’était point non plus dans la pensée où on le faisait être, que Jésus Christ était Fils de Dieu, parce qu’il était composé de trois éléments, de la substance du Père, savoir, le feu, l’air, et l’eau, puisqu'il n’avait jamais cru que ces trois choses se trouvaient en Dieu, sinon, autant que Dieu en avait l’idée, comme de toutes les autres choses qu’il avait créées.

    On attribuait à Servet de faire l’âme de l’homme mortelle, que l’on ne commettait point de péché mortel jusqu’à ce temps-là, l’on n’avait pas besoin de rédemption, enfin, que le Baptême des petits enfants était une invention Diabolique. A quoi il répondit : qu’il n’avait jamais pensé, ni fait connaître qu’il crut, que l’âme de l’homme fut mortelle, mais qu’il avait simplement dit, qu’elle était revêtue et comme habillée d’éléments corruptibles. Qu’il ne croyait point que l’âme de l’homme ni les différents êtres qui font au monde, fussent des portions de la Divinité, mais que Dieu étant infini et tout puissant, son essence était par tout, et soutenait toutes choses, et qu’il ne concevait point que l’âme de l’homme et les autres choses fussent en Dieu, sinon par leurs idées, que les petits enfants naissaient avec le péché originel, mais qu’ils ne comprenaient le Mystère de leur rédemption, que quand ils étaient venus en âge, et q’il était dans la pensée, que pendant l’enfance, l’on ne commettait point de péché mortel, qu ’il croyait le Baptême inutile pendant ces temps là, que même il ne déguisait point de s’être expliqué, et d’avoir écrit là-dessus d’une manière extrêmement vive, mais que si l’on, pouvait lui faire voir qu’il s’était trompé, il était prêt à abandonner son opinion.)

    M. l’Abbé Mosheim, (cité dans la Nouvel. Biblioth. de la Haye. T. xx. P. 253,) dans ses Institutiones Historia Christianoe Recentioris, dit de même en parlant de Servet, que cet homme malheureux et digne d’un meilleur sort, avait enseigné beaucoup de choses qui répugnent à la Révélation, mais que ses accusateurs trop emportés, lui en imputèrent aussi beaucoup qu’il ne pouvait croire à moins d’être fou, qu’il y eut même quelques uns de ses sentiments, qui furent mal entendus, ou malicieusement exagérés.

    Il est certain, comme je l’ai observé ci-dessus, que les ennemis de Servet firent paraître beaucoup de mauvaise foi et d’animosité contre lui. Mais il n’en est pas moins vrai qu’on doit juger de ses sentiments plutôt pas ses Ecrits, que par ses réponses personnelles. Dans l’Interrogatoire, qu’il subit à Vienne, il répandit des larmes feintes pour tromper ses Juges. Qu’on examine ses réponses concernant sa doctrine, on ne verra qu’un tissu de mensonges et de contradictions. Quand on lui demanda, par exemple, l’explication de ces paroles écrites de sa propre main : Justificantour ergo parvuli fine Christsi fide, prodigium, monstrum doemonum : il répondit qu’il croyait fermement, que les petits enfants qui recevaient le Baptême, étaient sauvée sans Foi acquise, ayant néanmoins la Foi infuse par le Saint Esprit. Le lendemain, il avoua qu’il avait été autrefois dans cette opinion, que Parvuli carnis non erant capaces doni Spiritûs, mais qu’il avait abandonné ce sentiment depuis longtemps, et qu’il voulait se ranger à ce que l’Eglise tient. Il venait cependant d’écrire contre le Baptême des enfants dan son Christianismi Restitutio, et ses Juges en avaient la preuve devant les yeux. Il en est de même de ses erreurs monstrueuses sur la Trinité. Il protesta, en prenant Dieu à témoin, qu’il ne croyait rien du tout ce qu’il avait écrit à ce sujet dans ses lettres à Calvin : que ce qu’il avait avancé n’était que par manière de disputation : qu’il avait seulement fait usage des Arguments d’un nommé Servetus, pour éprouver la capacité de Calvin, que ce Servetus lui était entièrement inconnu, qu’enfin, il n’avait jamais eu intention, de dogmatiser, ni de soutenir la moindre chose qui fut contraire à l’Eglise ou à la Religion Chrétienne. Qui ne voit dans tout ceci la duplicité d’un homme, qui ne cherche qu’à tromper et à donner le change à ses Juges ? L’Auteur des Notes sur M. Spon, dit que Servet nia d’avoir comparé la Trinité à un Cerbère. Comment eut-il l’assurance de le désavouer, puisque dans un de ses lettres à Abel Pepin, Ministre de Genève, on trouve ces paroles : pro uno Deo habetis triplcems Cerberum. Cette lettre fut produite au Procès, et Servet reconnut qu’elle était de lui. Il niait donc les faits les plus évidents.

    Il n’est pas nécessaire d’entrer dans un plus grand détail, pour prouver que Servet usait de dissimulation dans les réponses. A l’égard de la disposition où il paraissait être de se rétracter, si l’on pouvait lui faire voir qu’il s’était trompé, je doute qu’elle fut sincère. Le système dont il s’était malheureusement entêté il le soutenait avec une opiniâtreté inconvenable. C’est la manie de tous ceux qui s’érigent en Réformateurs. On voit par sa lettre à Pepin, écrite six ans avant son Procès qu’i s’attendait tôt ou tard de souffrir la mort pour ses sentiments.

    Le 27 Octobre, la Sentence rendue contre Servet lui fut prononcée. Sa fermeté l’abandonna dans cette occasion, s’il faut s’en rapporter à Calvin, dont le témoignage est très suspect. Tantôt, dit-il, il paraissait interdit et sans mouvement, tantôt il poussait de grands soupirs, tantôt il faisait des lamentations comme un fou, et criait à la manière des espagnols, miséricorde, miséricorde ! Une chose bien moins facile à croire, est que Calvin ait protesté à Servet, qui lui demanda pardon deux heures avant sa mort, qu’il n’avait jamais pensé à se venger des injures qu’il lui avait dites. Calvin (Traité Théologique de Calvin. P. 817,) lui-même nous apprend cette particularité, sans nous dire qu’elle impression un compliment si mal placé put faire sur Servet, triste victime de la jalousie et l’humeur vindicative de ce Réformateur.

    Guillaume Farel, Ministre de Neufchâtel, se trouvait à Genève le jour de l’exécution de Servet, et l’accompagna au supplice. On a écrit que Calvin était à une fenêtre, et qu’il sourit, quand il vit passer cet infortuné Médecin. M. de la Roche paraît persuadé que c’est là une calomnie exécrable. Peut-être a-t-il voulu ménager Calvin dans cette occasion : car partout ailleurs, il en fait un portrait qui n’est nullement pour le flatter. Quoiqu’il en soit, Servet expia au milieu des flammes, sans avoir prononcé une seule parole, quand on le conduisit au supplice, ni donné aucune marque de repentir.

     

    *Vous pouvez retrouver le supplice de Servet suite à son condamnation prononcée sur : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91623c/f53.table  (pages 49 à 52.)

     

    Cette exécution fit beaucoup de bruit dans le monde, et donna lieu à des jugements très opposés. Bien des gens approuvèrent qu’on eut exterminé un impie et un blasphémateur tel que Servet des Protestants modérés soutinrent au contraire que c’était une cruauté de punir de mort pour des opinions, qui n’étaient au fond qu’un mélange de Judaïsme et d’Anabaptisme. On aurait agi, selon eux, d’une manière plus conforme à l’humanité et au Christianisme, si l’on eut attendu le repentir de Servet. Ce fut pour répondre aux plaintes de ces derniers, et en même temps pour justifier sa conduite, que Calvin publia un ouvra, où il prouvait qu’on doit faire mourir les Hérétiques. Son livre parut au commencement de 1544. Sous ce Titre : Fidelis Expositio errorum Refutatio : ubi docteur jure gladii coercendos esse Hereticos.

    Lelio Socin et Castellion écrivirent contre Calvin, et furent réfutés à leur tour par Théodore de Bèze, dans son Traité De Hereticis à Magistratu puniendis. Ainsi les deux colonnes du parti P. Réformé autorisèrent la punition des Hérétiques, dans le temps même que les Protestants faisaient retentir toute l’Europe de leurs lamentations, au sujet des peines rigoureuses qu’on décernait alors contre eux en France.

    Nos controversistes du dernier siècle furent bien de se prévaloir du supplice de Servet, et du Traité de Hoereticis Puniendis. Car dès que les Calvinistes se plaignirent qu’on les traitait trop durement, on leur alléguait le droit que Calvin et Bèze ont reconnu dans les Magistrats. Jusqu’ici, dit Bayle, (Diet. Crit. Art. Bèze. Rem. F,) on n’a vu personne qui est échoué pitoyablement à cette Objection ad hominem. Mais comme la récrimination ne prouve rien, sinon qu’on s’est jeté de part et d’autre dans des excès blâmables, nos Théologiens ont établi sur des fondements solides l’exercice de la puissance du glaive dans les matières de la Religion et de la conscience. L’erreur qui dogmatise publiquement doit être réprimée, et on ne connaît parmi les Chrétiens que les Sociniens, et les Anabaptistes qui s’opposent à cette doctrine. Le droit est certain, dit M. Bossuet, mais la modération n’en est pas moins nécessaire. 


     DidierLe Roux


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