• W.-E. CHANNING : LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX; La liberté spirituelle 2éme partie

    W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     

    LA LIBERTÉ SPIRITUELLE. (2ème partie)

     

    A présent j'indiquerai quelques-uns des moyens qui peuvent servir au progrès de cette liberté spirituelle, et, laissant de côté un grand nombre de sujets, je me bornerai à en toucher deux : la religion et le gouvernement.

    Je commence par la religion, l'agent le plus puissant dans les choses humaines. C'est à elle surtout qu'il appartient d'affranchir et d'élever l'esprit ; auprès d'elle tous les autres moyens ne sont rien. La foi en Dieu est la seule force qui nous permette de résister au poids écrasant des sens, du monde et de la tentation. Si nous n'avons pas conscience du lien qui nous unit à Dieu, tous nos autres liens gêneront en nous la vie et le progrès spirituels. Je dis que la foi religieuse est ce qu'il y a de plus puissant sur la terre ; elle a fait plus que tous les autres mobiles, elle a donné aux hommes plus d'énergie pour agir et pour souffrir ; elle peut soutenir l'âme contre toutes les autres influences; de tous les mobiles c'est le plus fort, le plus difficile à déraciner. Pervertie, la religion a été sans doute féconde en crimes et en malheurs, mais l'énergie même qu'elle a donnée aux passions, quand elles s'y sont mêlées et l'ont corrompue, nous montre assez ce qu'elle possède de puissance.

    En rattachant l'esprit de l'homme à l'Esprit infini, la religion lui donne de la vie, de la force, de l'élévation. Elle nous apprend à nous regarder comme les enfants et le souci du Père infini, qui nous a crées pour nous communiquer son esprit et ses perfections, qui nous a formés pour la vérité et la vertu, qui nous a faits pour lui-même, qui nous soumet à de rudes épreuves afin de nous fortifier par la lutte et la souffrance, et qui a envoyé son Fils pour nous purifier de tout péché et nous revêtir de l'immortalité. C'est la religion seule qui entretient dans notre âme de fermes espérances et des efforts patients. Sans elle il est bien difficile d'échapper au mépris de soi-même et des hommes. Sans Dieu, notre existence n'a point d'appui, notre vie point de but, nos progrès point de constance, nos travaux point de suite ni de durée, notre faiblesse rien où se prendre, et à nos aspirations comme à nos désirs les plus nobles il manque la certitude de se réaliser dans une vie meilleure. La vertu qui lutte n'a plus d'ami ; la vertu qui souffre n'a plus la promesse de vaincre. Otez Dieu, et la vie devient misérable, et l'homme est plus à plaindre que la brute.

    Je parle toujours de la grandeur de la nature humaine, mais la nature humaine n'est grande que par sa parenté, grande parce qu'elle descend de Dieu, parce qu'elle a pour alliée une bonté et une puissance qui doivent l'enrichir à jamais; et il n'y a que le sentiment de cette alliance qui puisse nous donner l'espoir de nous élever, cet espoir qui seul permet à l'âme d'atteindre la vraie force et la vraie liberté.

    Toutes les vérités qu'enseigne la religion conspirent à une même fin : la liberté spirituelle. Tous les objets qu'elle offre à nos pensées sont sublimes, faits pour nous enflammer et nous exalter. La vérité sur quoi repose la religion, c'est l'existence d'un Dieu, d'un Père infini et éternel ; et elle nous apprend à considérer l'univers comme pénétré, comme animé par cet amour toujours présent, et tout puissant, qui fait du monde un tout harmonieux et fécond. Par cette vérité la religion brise l'empire de la matière et des sens, des plaisirs et des peines terrestres, de l'inquiétude et de la crainte; elle détache l'âme de ce qui est visible, extérieur et périssable, pour la porter vers l'Invisible, le Spirituel et l'Éternel, et elle la rend libre en l'unissant à des objets grands et purs.

    Certaines personnes trouveront que ce que je dis n'a point la sanction de l'expérience. Trop de gens regardent peut-être la religion comme le mobile le moins fait pour donner à l'âme l'énergie et la liberté. On me parlera des menaces de la religion et de la servitude qu'elles imposent. Je reconnais que la religion a des menaces, et elle doit en avoir; car le mal, la misère, tiennent par un lien nécessaire, inflexible, aux actions mauvaises, au mépris de la loi morale. Par la nature même des choses une âme infidèle à Dieu et au devoir doit souffrir; et la religion, en le déclarant, ne fait que répéter les simples enseignements de la conscience. Mais qu'on n'oublie pas que les menaces de la religion n'ont qu'un seul objet : c'est d'affranchir notre âme; elles s'attaquent toutes aux passions qui nous asservissent et nous dégradent; ce sont des armes données à la conscience pour qu'elle gagne la victoire et qu'elle établisse son trône dans notre cœur. Si l'on s'en sert autrement, on les détourne de leur fin ; et si, par la faute d'une prédication peu judicieuse, elles engendrent la superstition, ce n'est pas la religion qu'il en faut accuser.

    Je ne suis pas étonné de voir tant de gens mettre en doute le pouvoir qu'a la religion de donner à l'âme de la force, de la dignité et de la liberté. Trop souvent ce qu'on nomme religion ne produit pas de tels fruits. Ici c'est une cérémonie, un cercle de prières et de rites, [un effort pour gagner Dieu par la flatterie et la servilité; là c'est de la terreur et de la soumission à un ministre ou à un prêtre; ailleurs c'est une violence d'émotion qui emporte l'âme comme un ouragan et lui enlève le pouvoir de se diriger elle-même. La vraie religion n'a rien de commun avec ces noms usurpés. C'est la conviction calme, profonde de l'intérêt paternel que Dieu prend au progrès, au bonheur et à la gloire de ses créatures; c'est la certitude que Dieu se complaît dans la vertu, et non dans des formes et des flatteries, et qu'il se complaît surtout dans les efforts que nous faisons pour nous conformer à l'amour désintéressé et à la justice qui constituent sa gloire. C'est pour cette religion que je revendique l'honneur de donner à l'âme et de la noblesse et de la liberté.

    Le besoin qu'on a de la religion pour accomplir cette œuvre n'est en rien diminué par ce qu'on nomme le progrès de la société. Je dirai même que la civilisation, loin de pouvoir seule donner la force et l'élévation morales, renferme des causes de dégradation que rien ne peut combattre que la religion. Sans doute la civilisation multiplie le bien-être et les jouissances de la vie, mais je vois là de terribles épreuves et des dangers pour l'âme. Ces jouissances favorisent les sens, cette partie de notre nature qui nous attache et trop souvent nous asservit à la terre. Aussi la civilisation a-t-elle besoin qu'on ne soutienne pas moins l'esprit que le corps, et je ne vois pas où l'on trouvera cet appui en dehors de la religion. Sans elle l'homme civilisé, avec tous ses privilèges et ses raffinements, ne s'élève guère en vraie dignité au-dessus du sauvage qu'il dédaigne. Vous me parlez de la civilisation, de ses arts et de ses sciences comme étant les instruments infaillibles de l'élévation humaine; vous me dites comment, avec ce secours, l'homme maîtrise les forces de la nature et les plie à son usage. Je sais qu'il les maîtrise, mais c'est pour en devenir l'esclave à son tour ; il explore et cultive la terre, mais c'est pour devenir plus terrestre ; il cherche l'esprit caché, mais c'est pour se forger des chaînes; il visite toutes les régions, mais n'en vit que plus étranger à son âme. Dans le progrès même de la civilisation je vois la nécessité d'un principe qui soit l'antagoniste des sens, d'une force qui affranchisse l'homme de la matière, qui, du monde extérieur, le ramène au monde intérieur, et c'est la religion seule qui suffit à une œuvre aussi grande.

    Les avantages de la civilisation ont leur danger. Dans une société polie l'opinion et la loi imposent un frein salutaire et produisent la sûreté et l'ordre publics ; mais la puissance de l'opinion devient un despotisme qui, plus que tout le reste, comprime la liberté et l'originalité de la pensée, détruit l'individualité de caractère, réduit la société à une uniformité sans vie, et glace l'amour de la perfection. La religion, à la considérer simplement comme le principe qui balance le poids de l'opinion, qui nous arrache à l'empire de l'usage et de la mode, et qui nous enseigne à chercher un tribunal plus élevé, est d'un secours infini pour la force et l'élévation morales.

    Un des grands bienfaits de la civilisation, dont nous parlent souvent les économistes, c'est la division du travail qui perfectionne les arts. Mais cette division, en confinant l'esprit dans un cercle perpétuel de petites opérations, tend à le rapetisser. Nos produits se perfectionnent, nos hommes se détériorent. Un autre avantage de la civilisation, c'est que les mœurs se raffinent et que les talents se multiplient; mais que font souvent toutes ces perfections, sinon détruire la simplicité de caractère, la force de sentiment, l'amour de la nature, l'amour de la beauté et de la gloire intérieures ? Sous l'élégance des manières nous voyons un froid égoïsme, l'esprit de calcul et des cœurs sans énergie.

    Je l'avoue, je considère la société civilisée avec bien des craintes, et avec le désir de plus en plus ardent de voir descendre sur elle un esprit régénérateur sorti du ciel, sorti de la religion. Je crains surtout que des causes puissantes n'agissent en ce moment sur nous, et qu'elles n'excitent jusqu'à la folie une passion dont la nature est de dégrader et d'asservir, la soif de la richesse. Par exemple, dans notre pays, l'absence d'une noblesse héréditaire fait ressortir la distinction de la fortune, et en fait le but de l'ambition ; ajoutez à cela des goûts épicuriens et égoïstes que notre prospérité a répandus, et qui, avec une ardeur insatiable, demandent une augmentation de richesse comme le seul moyen de se satisfaire. Ce danger est accru par l'esprit du siècle, qui est un esprit de commerce, d'industrie, de travaux publics, d'invention mécanique, d'économie politique et de paix. Ne pensez pas que je veuille déprécier le commerce, l'industrie et surtout la paix, mais il est à craindre que ces bienfaits pervertis dans leur usage ne finissent par engendrer un amour servile du gain. Il me semble que quelques-unes des choses qui, naguère, excitaient le plus fortement les hommes perdent peu à peu leur empire, et qu'ainsi le cœur est plus abandonné aux tentations de la richesse. Par exemple, l'état militaire commence à prendre le rang inférieur qui lui est dû, mais il en résulte que l'énergie et l'ambition, qui se dépensaient dans la guerre, chercheront de nouvelles directions; et nous serons heureux si elles ne vont pas vers la passion de l'or. Je crois aussi que les fonctions publiques seront de moins en moins recherchées ; et il est à craindre que les forces qu'occupait la politique ne poursuivent une autre espèce d'empire, l'empire de la fortune. Que gagnerons-nous alors à ce qu'on appelle le progrès de la société? Que gagnerons-nous à la paix si, au lieu de se rencontrer sur le champ de bataille, les hommes engagent les luttes moins glorieuses d'un trafic déshonnête et rapace? Que gagnerons-nous au déplacement de l'ambition politique si les intrigues de la bourse remplacent celles du cabinet, et si la pompe et le luxe des particuliers se substituent à l'éclat de la vie publique ? Je ne suis pas ennemi de la civilisation ; je me réjouis de ses progrès, mais je dis que sans une religion qui en modifie les tendances, qui l'inspire et la purifie, elle nous corrompra au lieu de nous ennoblir. C'est l'excellence de la religion, qu'elle seconde et avance la civilisation, qu'elle propage la science et les arts, qu'elle multiplie toutes les commodités et les ornements de la vie, et qu'en même temps elle ôte à ces biens la puissance qu'ils ont d'asservir, et les change même en autant d'instruments de cette liberté spirituelle qu'ils mettent en danger et détruisent quand on les abandonne à eux-mêmes.

    Mais pour que la religion produise tous ses fruits, une chose cependant est nécessaire, et l'époque demande que je l'établisse clairement. Il est nécessaire que la religion soit pratiquée et professée avec un esprit libéral. Suivant qu'elle se montre intolérante, exclusive, sectaire, elle détruit la liberté de l'âme au lieu de la fortifier, et devient le joug le plus lourd, le plus odieux qu'on puisse imposer à l'entendement et à la conscience. Il faut considérer la religion non pas comme le monopole des prêtres, des ministres ou des sectes, non pas comme conférant à personne le droit de commander à ses semblables, non pas comme une arme avec quoi la minorité se fait craindre de la foule, non pas comme donnant aux uns des prérogatives dont tous les autres n'ont pas la jouissance, mais comme la propriété de tout homme et comme le grand objet de tout esprit humain. On doit la regarder comme la révélation d'un père commun, auprès duquel tous ont un égal accès, d'un père qui appelle tous les hommes à une même communion immédiate, qui n'a pas de favoris, qui n'a pas établi d'interprètes v infaillibles de sa volonté, qui découvre à tous les yeux ses œuvres et sa parole, et qui nous appelle tous à y lire par nous-mêmes et à suivre sans crainte les convictions de notre esprit.

    Que des individus ou des sectes s'emparent de la religion comme de leur domaine particulier, qu'ils s'investissent du droit déjuger qui n'appartient qu'à Dieu; qu'ils parviennent à soutenir leur symbole par les peines qu'inflige la loi ou l'opinion ; qu'ils réussissent à flétrir les hommes vertueux dont le seul crime est le libre examen, alors la religion sera la tyrannie la plus funeste qui puisse s'établir sur l'âme. Vous avez tous entendu parler des maux matériels qu'a causés la religion ainsi transformée en tyrannie, comment elle a creusé d'horribles cachots, allumé le bûcher des martyrs et raffiné la torture. Mais pour moi tout cela est moins effrayant que le mal fait à l'âme. Quand je vois les superstitions que la religion a implantées dans la conscience, la terreur avec quoi elle a poursuivi et asservi les hommes ignorants et timides, quand je vois les sombres idées de la Divinité qu'elle a répandues partout, la crainte de toute recherche dont elle a frappé les intelligences supérieures, et la servilité d'esprit qu'elle a érigée en piété ; quand je vois tout cela, alors le feu, l'échafaud et l'inquisition, si terribles qu'ils soient, me paraissent des maux insignifiants. C'est avec une joie solennelle que je considère les âmes héroïques qui, librement et sans crainte, ont bravé la souffrance et la mort pour maintenir la vérité et les droits de l'humanité. Mais il y a d'autres victimes de l'intolérance que je considère avec une douleur sans mélange. Ce sont ces hommes qui, placés de bonne heure sous le charme du préjugé, ou effrayés par les intimidations parties de la chaire et de la presse, n'osent pas penser par eux-mêmes, qui s'empressent d'étouffer le moindre doute comme si douter était un crime ; qui fuient ceux qui cherchent la vérité comme ils fuiraient la peste ; qui nient toute vertu dès qu'elle ne porte pas la livrée de leur secte ; qui, sacrifiant à autrui leurs plus nobles facultés, reçoivent sans résistance un enseignement contraire à la raison et à la conscience, et qui se font un mérite d'imposer à ceux qui vivent sous leur influence la lourde servitude dont ils portent eux-mêmes le poids. Qu'il est déplorable que la religion, le principe même qui est fait pour élever les hommes au-dessus du jugement et du pouvoir de l'homme, devienne ainsi le principal moyen d'usurpation sur l'âme.

    Dira-t-on que dans ce pays, où le droit déjuger, de parler et d'écrire suivant nos convictions nous est solennellement garanti par les institutions et par les lois, la religion ne peut jamais dégénérer en tyrannie, et qu'ici toute son influence conspire à l'affranchissement et à la dignité de l'esprit? Je réponds que nous connaissons mal la nature humaine si nous attribuons aux constitutions le pouvoir magique d'endormir l'esprit d'intolérance et d'exclusion. C'est de toutes les mauvaises passions la plus difficile à calmer, et la raison en est simple, c'est que l'intolérance se cache toujours sous le nom et les dehors du zèle religieux. Parce que nous vivons dans un pays où la chaîne pesante, matérielle, visible, est brisée, il ne faut pas en conclure que nous soyons nécessairement libres. Il y a des chaînes qui ne sont pas de fer et qui mordent plus avant dans l'âme. L'espionnage de la bigoterie peut aussi bien fermer nos lèvres et glacer nos cœurs qu'une police armée avec ses milliers d'yeux. Dans un état libre les citoyens ont mille moyens d'usurper sur les droits de leurs voisins. Pour ce qui est de la religion, l'instrument est tout préparé et toujours sous la main ; je veux parler de l'opinion unie et organisée en sectes et dominée par le clergé. Nous disons que nous n'avons pas d'inquisition, mais une secte habilement organisée, dressée à pousser le même cri, coalisée pour couvrir d'injures quiconque ne parle pas comme elle, pour étouffer sous l'accusation d'hérésie la libre expression de la pensée, et pour répandre la terreur parmi la foule par un concert de menaces perpétuelles ; une pareille secte est aussi dangereuse pour l'intelligence, aussi étouffante que l'inquisition. Dans la main des ministres c'est une arme aussi efficace que le glaive.

    Notre âge est sectaire, et, par conséquent, hostile à la liberté. Un des traits les plus prononcés de notre temps, c'est le penchant qu'ont les hommes à se former en associations, à se perdre dans la masse, à ne penser et à n'agir qu'en foule, sous l'excitation du nombre, à sacrifier leur individualité, à s'identifier avec les partis et les sectes. Dans un siècle, pareil on doit craindre par-dessus tout qu'une armée ne se range sous l'étendard de quelque secte, armée assez nombreuse et assez forte pour terrifier l'opinion, étouffer le libre examen, imposer aux dissidents un silence prudent, et atteindre ainsi le but des lois pénales, sans en prendre sur soi l'odieux. Nous avons, il est vrai, dans la multiplicité des sectes, une garantie contre ce danger ; mais n'oublions pas que les coalitions sont aussi possibles et aussi dangereuses dans l'Église que dans l'Etat, et qu'on néglige aisément ce qu'on nomme de légères différences pour agir ensemble contre l'ennemi commun. Heureusement que l'esprit de ce peuple, en dépit de toutes les influences qui tendent à le rétrécir, est un esprit essentiellement libéral; c'est là qu'est notre salut. L'esprit libéral du peuple, j'en suis certain, modérera et réprimera de plus en plus cet esprit exclusif qui est le péché dominant de ses guides religieux.

    En ce point je puis dire, et je le fais avec une joie sincère, que le gouvernement de cette république s'est toujours distingué par l'esprit de liberté religieuse. L'intolérance, quelle qu'en soit ailleurs la force, n'a pas trouvé d'asile chez nos législateurs. Jusqu'ici nulle sentence de proscription n'a été prononcée ouvertement ou indirectement contre personne pour cause d'opinion religieuse. Une sage et juste défiance a veillé sur nos libertés religieuses, et pris l'alarme au premier mouvement, au moindre indice d'ambition sectaire. Il n'est pas de gloire plus grande pour notre république. Puisse aucun de nous ne la voir flétrir!

    J'ai parlé très librement de l'esprit de secte et d'exclusion qui règne aujourd'hui; je recommande la plus grande libéralité de sentiment et de jugement envers ceux qui n'ont pas nos opinions. Toutefois, je n'entends pas enseigner que les opinions ont peu d'importance, ou qu'on ne doit faire aucun effort pour répandre ce qu'on regarde comme la vérité de Dieu. Je veux dire que nous devons répandre la vérité par des moyens qui ne nous asservissent pas à un parti, et qui n'imposent pas la servitude aux autres. Il nous faut respecter l'âme du prochain comme nous respectons la nôtre; il ne faut pas exiger en religion une uniformité qui n'existe nulle part ailleurs, mais il faut nous résigner à voir le principe religieux, comme les autres principes de notre nature, se manifester de différentes façons et à différents degrés. N'oublions pas que la vie spirituelle, comme la vie animale, peut exister et se développer sous diverses formes. Tout en recommandant avec ardeur ce que nous croyons être la foi pure et primitive, rappelons-nous que ceux qui diffèrent entre eux par les paroles ou les idées peuvent s'accorder par le cœur; que l'esprit du christianisme, alors même que l'erreur s'y mêle et l'embarrasse, est toujours divin, et que si chaque secte donne un rang différent à Jésus-Christ, elles peuvent toutes adorer cette vertu divine qui fit de lui le glorieux représentant de son père. Sous les symboles romain et protestant sachons reconnaître l'aspect aimable du christianisme, et aimons à croire que parmi la dissonance des voix et des formes, le Père commun discerne et accueille la même adoration filiale. C'est là la vraie liberté, et qui en a goûté ne l'échangerait pas contre la domination la plus étendue que jamais prêtres ou sectes aient usurpée sur l'âme humaine. J'ai parlé de la religion, je passe au gouvernement. C'est aussi un grand moyen de développer cette liberté spirituelle, cette force et cette élévation morales qui, nous l'avons vu, sont le bien suprême de l'homme. Si je parle ainsi du gouvernement, ce n'est pas qu'il se propose toujours cette fin, mais c'est qu'il peut et devrait toujours la chercher. Les institutions civiles devraient toujours être dirigées vers un bien moral ou spirituel, et tant qu'on ne sentira pas celte vérité, je crains qu'on ne continue d'abuser de ces institutions pour en faire des instruments de crime et de misère. Je sais qu'en ce point on a d'autres idées. Ou nous dit quelquefois que l'État n'a d'autre fin qu'une fin terrestre; que la religion doit prendre soin de l'âme, et l'État veiller aux intérêts extérieurs, aux intérêts matériels. Cette division de nos intérêts en terrestres et spirituels me semble sans fondement. Il y a unité dans tout notre être. Il y a une grande fin, une fin unique, pour laquelle le corps et l'âme ont été créés, et tous les rapports de la vie ordonnés ; un aimant central vers lequel notre être tout entier doit tendre : c'est le développement de notre nature intellectuelle et morale; et celui-là seul comprend bien ce que c'est que l'État qui le regarde avec respect comme une part du mécanisme merveilleux que Dieu a conçu pour effectuer ce dessein sublime. Je ne nie pas que l'État n'ait été institué pour veiller sur les intérêts de la vie présente, mais il a aussi un but spirituel ou moral, parce que les intérêts de cette vie sont, dans un sens important, des intérêts spirituels ; les biens matériels nous sont des instruments et des occasions de vertu, des appels faits au devoir, des sources d'obligations, et ils ne sont des bienfaits pour nous qu'autant qu'ils contribuent à la santé de l'âme. Par exemple, la propriété, le principal objet de la législation, est la matière, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, sur laquelle agit la justice; c'est par elle que cette vertu cardinale s'exerce et se produit ; et la propriété n'a pas de fin plus haute que de fortifier le principe d'une justice impartiale, en le manifestant.

    Le gouvernement est le grand organe de la société civile, et on le jugerait mieux si l'on comprenait mieux la nature et le fondement de la société. Je dis que la société est avant tout une institution morale. C'est quelque chose de bien différent d'une troupe d'animaux paissant dans le même pâturage : c'est l'association d'êtres raisonnables unis pour la défense du droit. Le droit, c'est-à-dire une idée morale, est le fondement même des États ; et le plus grand bonheur qu'ils procurent, c'est la satisfaction des affections morales. On nous dit quelquefois que la société est le résultat d'un contrat et d'un calcul égoïste ; que les hommes sont convenus de vivre ensemble pour protéger leurs intérêts particuliers; cela n'est pas. La société a une origine plus ancienne et plus haute ; c'est une institution de Dieu, et elle répond à ce qu'il y a de plus divin dans notre nature. Les liens les plus forts qui maintiennent les États ne sont ni l'intérêt personnel, ni un contrat, ni des institutions positives, ni la force, ce sont des liens invisibles, délicats, spirituels, les liens de l'esprit et du cœur. Nos meilleures facultés, nos plus nobles affections cherchent par instinct la société comme la sphère où elles doivent trouver leur bonheur. Qu'on puisse grandement fortifier et améliorer la société par des constitutions écrites, je l'accorde volontiers; il y a néanmoins une constitution qui a précédé toutes celles qu'ont faites les hommes, et qui doit servir de modèle à toutes les autres ; une constitution dont les articles sont gravés dans notre cœur; une première loi de justice, de droiture et d'amour, que toutes les autres lois sont tenues de faire observer, et de laquelle toutes les autres tirent leur force et leur mérite.

    Maintenant, si l'on me demande comment l'État doit contribuer à l'énergie et à l'élévation du principe moral, je réponds que ce n'est pas en mettant la vertu en articles de loi, ni en prêchant la morale, ni en établissant une religion ; car ce ne sont pas là les fonctions qui lui appartiennent. Il doit servir la cause de la liberté spirituelle, non par des leçons ou des conseils, mais par des actions ; c'est-à-dire en se conformant lui-même et strictement, dans toutes ses mesures, à la loi morale ou chrétienne, en manifestant publiquement et de la façon la plus solennelle son respect pour le droit, pour la justice, pour le bien général, pour la vertu. De toutes les institutions humaines l'État est celle qui est le plus en évidence; et si la justice était écrite sur son front et gravée visiblement dans tous ses actes, cela ajouterait une immense force à l'empire intérieur de la vertu chez les individus.

    Pour entrer dans le détail, l'État peut et doit élever l'esprit du citoyen en lui présentant sans cesse l'idée du bien public. Cette idée devrait se trouver inscrite en caractères lumineux dans toute la législation. Un gouvernement qui marche avec résolution et fermeté vers ce but devient un ministre de vertu. Il apprend au citoyen à attacher une idée de sainteté au bien public, il le transporte au delà des considérations égoïstes, nourrit en lui la grandeur d'âme, et lui enseigne à se sacrifier- à l'État autant que la vertu le permet. D'un autre coté, si le gouvernement se sert de son pouvoir pour satisfaire des intérêts égoïstes, s'il sacrifie les masses au profit de quelques privilégiés, ou l'État à un parti, il devient le prédicateur public du crime, corrompt l'esprit des citoyens, fait tout ce qui est en son pouvoir pour les rendre bas et mercenaires, et les prépare par son exemple à vendre ou à trahir cet intérêt public pour lequel ils devraient être prêts à mourir.

    Enfin, c'est de l'État plus que de toute autre institution que dépend le plus important des principes, le sentiment de la justice dans le public. Pour encourager ce sentiment, l'État doit montrer dans toutes ses lois le respect du droit, et un respect égal pour les droits des grands et des petits, des riches et des pauvres. Il doit sacrifier les plus brillants avantages plutôt que de manquer à sa foi, plutôt que d'ébranler les lois fixes de la propriété, ou de blesser le sentiment de la justice dans la société.

    Qu'il me soit permis d'indiquer encore un moyen d'élever et d'agrandir l'esprit des citoyens. Il faut que dans ses rapports avec les États étrangers le gouvernement s'attache inviolablement aux principes de la justice et de la philanthropie. En faisant preuve de modération, de sincérité, de droiture envers les États étrangers, en se montrant l'ami de la paix, en dédaignant les artifices et les avantages injustes, en cultivant des relations libres et d'une utilité réciproque, il entretiendra chez les citoyens le noble sentiment qu'ils appartiennent à la famille humaine, et qu'ils ont un intérêt commun avec l'humanité tout entière Un gouvernement ne remplit sa lâche qu'autant qu'il s'unit ainsi au christianisme pour inculquer aux hommes ]a loi de l'amour universel.

    Malheureusement les gouvernements ont rarement reconnu que leur premier devoir était l'obligation de fortifier dans la société les principes nobles et purs. Je crains même qu'il ne faille les mettre au nombre des principaux agents qui ont corrompu les nations. De toutes les doctrines qui ont propagé le vice, je n'en connais pas de plus pernicieuse que la maxime qui exempte les hommes d'État des obligations ordinaires de la morale, qui admet que les nations ne sont pas tenues comme les individus d'observer les lois éternelles de la justice et de la charité. A la faveur de cette doctrine, le vice a levé le front sans rougir dans les positions les plus élevées; il s'est assis sur le trône. Les hommes qui ont exercé le pouvoir et fixé sur eux les yeux des nations ont donné au crime la sanction de leur grandeur. Au cœur même des nations, dans le cabinet des chefs est née une peste morale qui a infecté et souillé tous les ordres de l'État. L'exemple des chefs a appris aux citoyens à considérer la loi éternelle comme une loi de circonstance et de convention et leur a fait méconnaître la souveraineté dé la vertu.

    Que la prospérité d'un peuple soit attachée à ce respect de la vertu, que j'exige du législateur, c'est chose très vraie et dont on ne saurait être trop pénétré. La doctrine vulgaire qu'un État peut prospérer par les artifices et le crime est sans fondement : les nations et les individus sont soumis à la même loi. La morale est la vie des sociétés. Il ne peut arriver de plus grand malheur à un peuple que le succès d'une politique criminelle, que l'espoir de fouler aux pieds impunément l'autorité de Dieu. Tôt ou tard la vertu insultée se venge terriblement des États aussi bien que des particuliers. C'est de nos lois et de nos institutions, il est vrai, que nous attendons la sécurité et la jouissance paisible de notre richesse, mais les lois politiques ont leur sanction dans la loi intérieure qu'a écrite le doigt de Dieu. Plus un peuple se fait l'esclave du péché, plus la source de la justice publique est corrompue. Les lois les plus salutaires deviennent impuissantes parce qu'il leur manque l'appui de l'opinion. Les égoïstes, les gens sans principes, en flattant les mauvaises passions et en aveuglant l'esprit public, s'emparent de l'opinion, du pouvoir et des places, et font des institutions libres ou des formes mortes ou des instruments d'oppression. Je crois surtout que les sociétés ont cruellement à souffrir de cette immoralité que le troupeau des hommes d'État a de tout temps favorisée comme étant d'une utilité signalée : je veux dire l'hostilité envers l'étranger. C'est une doctrine commune que les préjugés et l'inimitié à l'égard de l'étranger sont des moyens d'entretenir l'esprit national et d'affermir l'union intérieure; mais les mauvaises passions, une fois qu'on les a fait entrer dans le cœur du peuple, ne s'épuisent point au dehors. Le vice ne produit jamais les fruits de la vertu. De l'injustice envers l'étranger ne naît pas la justice envers nos amis. La malignité, quelle qu'en soit la forme, est un feu de l'enfer, et la politique qui l'alimente est infernale. Les discordes civiles et la fureur des partis en sont les conséquences naturelles et forcées; et tout peuple ennemi des autres montrera par son histoire que nulle espèce d'inhumanité ou d'injustice n'échappe au juste châtiment qui lui est dû,

    La grande erreur de notre nation, c'est de mettre une confiance idolâtre dans la liberté de nos institutions, comme si ces institutions, par quelque pouvoir magique, devaient garantir nos droits, encore bien que nous nous fassions les esclaves des mauvaises passions. Nous avons besoin d'apprendre que les formes de la liberté n'en sont pas l'essence; qu'on peut conserver la lettre d'une constitution libre, tandis que l'esprit s'en perd ; que les lois les plus sages et les pouvoirs les mieux gardés peuvent devenir des armes pour la tyrannie. Dans un pays qui se dit libre, la majorité peut devenir une faction, et une minorité proscrite peut être insultée, dépouillée et opprimée. Sous un régime électif, un parti dominant peut devenir aussi vraiment usurpateur et conspirer aussi traîtreusement contre l'État qu'un individu qui s'empare du trône par la force des armes.

    On suppose, je le sais, que la sagesse politique peut si bien combiner les institutions que la liberté en sorte, malgré les vices d'un peuple. Pour atteindre ce but, le principal expédient a été de mettre en balance les passions et les intérêts des hommes, de se servir de l'égoïsme d'un individu pour tenir en échec l'égoïsme du voisin, de produire la paix par la contrariété d'action et par l'équilibre des forces opposées. Je ne crois point à toute cette théorie. Il n'est pas d'habile distribution ni d'équilibre de pouvoir qui ne fasse jamais que le vice accomplisse l'œuvre de la vertu. C'est ce que notre propre histoire a déjà prouvé. Notre gouvernement fut établi sur le principe de la balance des pouvoirs ; et que nous enseigne l'expérience? Elle nous enseigne ce que le fonds de notre nature aurait pu nous apprendre, c'est que chaque fois que le pays sera partagé en deux grands partis, le parti dominant s'emparera des deux branches de la législature ainsi que des départements de l'État, et marchera à son but avec aussi peu de gêne et autant de résolution que s'il concentrait en lui tous les pouvoirs. Rien ne remplace la vertu. Les institutions libres ne garantissent les droits qu'autant qu'elles sont elles-mêmes garanties par cette liberté spirituelle, cette puissance et cette élévation morales que je vous ai présentées comme étant le souverain bien de notre nature.

    Suivant ces vues, le premier devoir de l'homme d'État, c'est d'accroître l'énergie morale de la nation. Cette énergie est le premier intérêt du peuple; quiconque l'affaiblit fait un mal qu'aucun talent ne saurait réparer; et nul éclat de services, nul succès momentané ne devraient soustraire le coupable à l'infamie qu'il a méritée. Que les politiques apprennent à respecter leurs fonctions, et qu'ils sentent qu'ils touchent à des intérêts plus vitaux que celui de la propriété. Qu'ils ne craignent rien tant que de saper les convictions morales du peuple par une législation inique ou une politique égoïste ; qu'ils cultivent en eux-mêmes l'esprit de religion et de vertu, comme la première condition pour occuper un poste public. Qu'aucun avantage apparent, pour le pays pas plus que pour eux-mêmes, ne leur fasse enfreindre une loi morale ; qu'ils aient foi dans la vertu comme étant la force des nations ; qu'un échec momentané ne décourage pas leurs justes efforts; ils ne vivent qu'un jour comme leurs contemporains, mais l'État doit vivre des siècles, et le temps, cet arbitre infaillible, vengera la sagesse et la magnanimité de l'homme politique qui se confie dans la force de la vérité, de la justice et de la philanthropie, qui en défend les droits et qui en suit la voix avec respect au milieu de la déloyauté et de la corruption universelles.

    Jusqu'ici j'ai parlé de l'influence générale que le gouvernement doit exercer sur la moralité du peuple, en témoignant de son respect pour la loi morale par ses actes et ses lois. Il est aussi tenu d'exercer une action plus particulière et plus directe; je parle de la prévention et de la punition du crime. C'est une des fins principales du gouvernement: mais jusqu'ici on ne lui a guère accordé l'attention qu'elle mérite. L'État, il est vrai, n'est pas lent à punir le crime, et ce n'est pas par manque de cachots et de gibets que la société a souffert; mais prévenir le crime et réformer le criminel, voilà ce que nulle part on n'a considéré comme un des premiers objets de la législation. A la violence des passions humaines on a opposé des lois pénales respirant la vengeance et trop souvent écrites avec du sang. La conscience du législateur s'est contentée de ce moyen. Mais, en choquant l'humanité, n'a-t-on pas augmenté le nombre des coupables? c'est une question qu'il serait sage d'examiner. Le temps me manque et plus encore le talent pour m'étendre sur les moyens de prévenir le crime. Je dirai seulement que toute la législation doit avoir en vue cet objet. Pour cela il faut des lois aussi simples et aussi peu nombreuses que possible ; car un code long et obscur ne fait que multiplier les occasions de délits, et met inutilement le citoyen en collision avec l'État. Mais avant tout, que les lois portent au front, en larges caractères, la marque de la justice et de l'humanité, si bien que le sens moral de la nation les sanctionne. Des lois arbitraires et oppressives invitent à les violer, et ôtent à la désobéissance le sentiment de la culpabilité. Il est même prudent de s'abstenir de lois qui, sages et bonnes en elles-mêmes, sembleraient blesser l'égalité, ne trouveraient pas d'écho dans le cœur du citoyen, et qu'on éluderait sans remords. Le législateur montre surtout sa sagesse lorsqu'il greffe les lois sur la conscience. J'ajoute, ce qui nie semble d'une grande importance, que le code pénal doit atteindre avec l'impartialité la plus sévère le riche et le puissant, aussi bien que le pauvre et celui qui est tombé. La société ne souffre pas moins du crime des uns que du crime des autres. On a dit avec vérité que le chiffre de ce qu'enlèvent le vol et le faux n'est rien quand on le compare à ce qu'enlève une insolvabilité sans foi, et cependant on envoie le voleur en prison pendant que le banqueroutier frauduleux vit peut-être dans le faste. Ainsi se corrompt le sens moral de la nation, et c'est pour cela et d'autres graves raisons qu'il est grandement besoin d'une réforme dans les lois de faillite. L'emprisonnement du débiteur honnête me choque, et la législation qui permet au créancier de faire le tyran avec un innocent déshonorerait, suivant moi, un siècle barbare. Mais je ne suis pas moins choqué et de l'impunité qui laisse continuellement échapper des faillis criminels, et de la douceur que la société montre envers des gens qui violent ses lois les plus essentielles.

    Un autre moyen de prévenir le crime, c'est de punir avec sagesse, et j'entends par châtiment sage celui qui veut réformer le coupable. Je sais que des gens instruits et vertueux ont contesté cette fin donnée au châtiment. Mais quelle fin plus haute et plus pratique peut-on se proposer? Vous prétendez qu'il faut punir pour l'exemple; mais l'histoire montre que ces châtiments exemplaires n'ont jamais eu grande efficacité. Le crime grandit au milieu des supplices, il grandit dans le sang des coupables. Le spectacle de pareils châtiments endurcit le cœur d'un peuple et engendre l'audace et la résistance chez les criminels. On dirait que jusqu'à ces derniers temps l'État n'ait travaillé qu'à endurcir le coupable en le jetant au milieu d'une foule de criminels, dans l'atmosphère putride d'une prison commune. L'humanité se réjouit de la réforme qui se propage dans notre pays. Soustraire le condamné aux mauvaises influences est un pas essentiel vers son rétablissement moral. Mais ce n'est qu'un pas. Le placer sous l'empire de bonnes influences est aussi important; et là les efforts individuels doivent venir en aide aux mesures législatives. Il faut que des impies chrétiens, choisis pour leur jugement et pour leur charité, se mettent en rapport avec le prisonnier solitaire, et que par les marques d'un intérêt sincère et fraternel, par la conversation, par des livres et par des encouragements, ils touchent en son cœur des cordes qui depuis longtemps on cessé de vibrer; il faut qu'ils éveillent de nouvelles espérances, qu'ils lui montrent que tout n'est pas perdu, qu'ils lui apprennent à compter encore sur Dieu, sur le Christ, sur la vertu, sur l'amitié des honnêtes gens, sur l'honneur et sur l'immortalité. J'ai foi dans ce glorieux ministère exercé par de simples chrétiens. On me dira que tous les efforts échouent quand il s'agit de réformer les criminels : ils n'ont pas toujours échoué. Et, d'ailleurs, dans cette grande affaire, a-t-on employé franchement, avec ardeur, toutes les forces de la charité, du génie, de l'humanité ? Dans le Nouveau Testament je ne trouve pas de classes d'hommes qu'on ordonne à la charité d'abandonner ; je ne trouve pas d'exception établie par Celui qui est venu pour chercher et sauver ce qui était perdu. J'ajoute que ce n'est pas toujours dans les prisons qu'on rencontre les sujets dont il faut le plus désespérer. Que la corruption des condamnés soit épouvantable, je le sais; mais elle n'est pas plus grande que celle de certains hommes qui jouissent de leur liberté, et à qui notre affection n'est pas refusée. Le riche qui fraude est certes aussi criminel que le pauvre qui vole ; le riche qui boit avec excès est plus vicieux que celui que la misère pousse à l'ivresse; le jeune homme qui séduit l'innocence mérite bien plus la maison de correction que l'infortunée qu'il a perdue. Enfin, je ne puis oublier que, dans le crime du condamné, il y a une part qui tient à la corruption générale de la société. Quand je réfléchis à la responsabilité qui pèse sur l'État, et combien, dans les crimes le plus sévèrement punis, il en est qu'on peut attribuer à une éducation négligée, à la misère des jeunes années, à des tentations et à des dangers que la société pourrait diminuer, je sens qu'un esprit de miséricorde devrait tempérer la législation; qu'il ne faudrait pas nous tenir si loin de nos frères tombés; que nous devrions reconnaître en eux les marques et les droits de l'humanité; que nous devrions nous efforcer de les ramener à Dieu.

    J'ai parlé de l'obligation où est l'État de contribuer à l'élévation morale du peuple. Je termine cette partie de mon discours en exprimant ma douleur de ce qu'une institution qui pourrait faire tant de bien soit trop souvent, pour les nations, un des principaux engins de corruption.

    J'ai insisté sur l'importance suprême que la vertu, la force et l'élévation morales ont pour la société, et je l'ai fait, non pas pour remplir un devoir de ma profession, mais par une conviction profonde. Je pense, comme le font, je n'en doute pas, bien des gens, que la grande distinction d'une nation, la seule qui ait du prix et qui apporte tous les autres biens avec elle, réside dans l'empire que de bons principes exercent sur les citoyens. Je désire appartenir à un État dont l'esprit et les institutions m'offrent une source de progrès, à un État dont je puisse parler avec une juste fierté, et dans l'histoire duquel je rencontre des noms glorieux et honorés, à un État qui serve le monde par les vérités qu'il découvre et par l'exemple qu'il donne d'une liberté vertueuse. Que Dieu me préserve d'un pays qui adore la richesse, et ne se soucie pas de la véritable gloire, d'un pays où règne l'intrigue, où le patriotisme emprunte son zèle à l'ambition, où des sycophantes affamés assiégent de leurs pétitions tous les départements de l'État, où les hommes politiques portent la marque du vice, où enfin le siége du gouvernement est une sentine de désordres privés et de corruption politique! Ne me parlez pas de l'honneur d'appartenir à un pays libre. Je vous le demande : Notre liberté porte-t-elle de nobles fruits? Nous donne-t-elle cet esprit viril, cette vertu publique qui élève au-dessus des peuples qu'écrase le despotisme? Ne me parlez pas de l'étendue de notre territoire; peu m'importe cette immensité si elle multiplie des hommes dégénérés. Ne me parlez pas de notre prospérité ; mieux vaut faire partie d'un peuple pauvre, simple dans ses mœurs, respectant Dieu et se respectant lui-même, que d'appartenir à un pays riche qui ne connaît pas de bien supérieur à la richesse. Ce que je veux pour notre patrie, c'est qu'au lieu de copier l'Europe avec une servilité aveugle, elle ait un caractère à elle, un caractère qui réponde à la liberté et à l'égalité de nos institutions. C'est assez d'une Europe; c'est assez d'un Paris. Combien ne doit-on pas désirer que, déjà séparés par l'Océan, nous soyons encore plus loin de l'Europe par la simplicité des mœurs, par l'honnêteté domestique, par la piété, par le respect de la nature humaine, par l'indépendance morale, par la résistance à la domination de la mode et à cette sensualité énervante qui caractérise la civilisation de l'ancien monde.

    Je puis dire de notre pays avec une insistance particulière que son bonheur tient à sa vertu; c'est la seule base solide de notre union. Notre union n'est pas, comme celle des autres nations, affermie par les siècles et maintenue par la force ; c'est une union nouvelle et qui plus est, volontaire. Ce n'est certes pas la force qui nous unit; rien ne peut retenir un membre de la confédération une fois qu'il a résolu de se séparer. Les seuls liens qui puissent nous unir d'une manière permanente sont des liens moraux. Qu'il y ait dans nos États des pouvoirs en opposition les uns avec les autres, des principes de discorde, c'est ce que nous voyons tous. L'attraction qui doit en neutraliser l'effet ne peut se trouver que dans la sagesse qui contrôle les passions, dans un esprit d'équité et d'égards pour le bien public, et dans un vertueux patriotisme qui s'attache à l'union comme au seul gage de liberté et de paix. Ce qui menace l'union, ce sont les jalousies provinciales, le froissement d'intérêts locaux, et il n'y a qu'une noble générosité qui puisse tout apaiser. Ce qui met l'union en danger, c'est la prostitution du patronage exécutif, qui fait du trésor public une source de corruption ; c'est l'ambition qui trouble sans cesse le pays afin de jeter les fonctions de l'État en des mains nouvelles; et le seul remède à ces maux se trouve dans l'indignation morale de la nation, dans un esprit pur et élevé qui écrase cette ambition égoïste sous sa propre infamie.

    Au premier magistrat de cette république et à ceux qui partagent avec lui le pouvoir exécutif et législatif, je recommande avec respect les vérités qui viennent d'être exposées; c'est avec la simplicité qui convient à un ministre de Jésus-Christ, que je leur rappelle les obligations solennelles qu'ils ont envers Dieu, envers leurs semblables, envers l'humanité, la liberté, la vertu et la religion. Nous espérons que dans la haute position qu'ils occupent, ils ne chercheront pas leur intérêt particulier, mais le bien public, et qu'ils le chercheront en s'attachant d'une manière inflexible aux principes de la constitution et encore plus aux principes éternels de la loi divine.

     

    Retour: Liberté spirituelle partie 1.
    Suite: L’Église partie 1.

     

    DidierLe Roux

    Retour page d'accueil
    ___________________________________________________________________________________________________________________
    Le Roux Didier - Unitariens - © Depuis 2006 – Tous droits réservés
    "Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation expresse de l'auteur ". 


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :