• W.-E. CHANNING : LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    W.-E. CHANNING

     

    LIBERTÉ SPIRITUELLE ET TRAITÉS RELIGIEUX

    PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION PAR M. ÉDOUARD LABOULAYE

    MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

    AUTEUR DE PARIS EN AMÉRIQUE

    PARIS, CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

    28, Quai De L'école ; 1866

     

     

     INTRODUCTION. (2ème partie)

    Ce rôle de la raison en face de la révélation a, du reste, été parfaitement expliqué par Channing dans un de ses plus remarquables discours : Le Christianisme est une religion raisonnable. C'est la plus judicieuse défense de la raison qu'ait écrite un chrétien.

    "La façon dont le Christ et les apôtres ont introduit et établi l'Évangile nous montre qu'ils considéraient la religion comme un sujet sur lequel tous les hommes sont obligés de réfléchir, d'employer leur esprit, de chercher, de peser toutes choses avec une attention sérieuse et impartiale. Le désir et l'intention du grand fondateur de notre religion fut qu'on examinât la religion, et qu'on la reçût par des motifs tout différents de ceux qui font accepter les fausses religions ; le Christ ne voulut point d'autre appui pour sa doctrine que l'excellence même de son enseignement, et les preuves de l'action divine qui l'accompagnait.

    Le Christianisme considère toujours comme principe certain et indubitable qu'en fait de religion, chacun doit exercer son propre jugement et suivre sa propre conviction. On pense, je le sais, que cette libre recherche est dangereuse, surtout pour la grande masse de l'humanité. On croit qu'il vaut mieux que la minorité conduise et que la foule suive On dit que la croyance générale doit être reçue comme vraie, et qu'il ne faut pas troubler une foi héréditaire en suggérant aux hommes l'importance de l'examen.

    Il est vrai qu'on peut abuser de son jugement. Sous prétexte de penser librement ou pour rejeter les vérités les plus claires et les plus importantes, on peut dédaigner la foule, et pour montrer sa hardiesse et son indépendance, on peut avancer des opinions qui font reculer d'horreur un esprit ordinaire. Toujours et en toutes choses, on peut abuser de la liberté. Il n'y a qu'une méthode infaillible pour empêcher les hommes de mal faire, c'est de leur lier les pieds et les mains, de ne pas souffrir qu'ils mettent en jeu une seule des forces du corps ou de l'âme. Laissez-leur une faculté quelconque, ils peuvent en abuser. Ouvrez-leur un champ d'action, ils peuvent s'égarer. Fortifiez leur esprit, ils emploieront quelquefois cette énergie à des fins indignes. Encouragez-les à examiner avant de croire, et il n'est pas impossible qu'ils n'usent de cette liberté au profit de leurs vices, et qu'ils ne présentent l'erreur sous le costume de la vérité. Mais que sont ces maux quand on les met en balance avec les avantages innombrables que nous tirons de l'exercice vigoureux de nos facultés? Restreindre la liberté de pensée et d'action pour écarter ces dangers, c'est nous dépouiller de tout ce qui ennoblit notre nature, c'est réduire l'homme au niveau de la brute.

    Il n'est pas juste de dire que la recherche religieuse a produit la multiplicité des sectes dans la chrétienté. Je croirais plutôt que le défaut d'examen a souvent occasionné et répandu les divisions. Comme la foule est toujours prête à embrasser des assertions dogmatiques hardiment soutenues, des opinions, qui s'adressent à la passion plus qu'à la raison, il y a dans cet entraînement une grande tentation pour les chefs de sectes; ils savent où trouver des partisans. Les chefs ont, en général, leur bonne part d'ambition, et cette ambition est encouragée et activée par ce penchant commun à accepter les doctrines sans examen. N'imaginons pas que le moyen d'arrêter les sectes soit d'encourager les hommes à recevoir leurs opinions religieuses sans y réfléchir. Dans un pays de tolérance universelle, c'est le moyen le plus direct de livrer les gens au mensonge et au fanatisme. La seule façon de produire l'uniformité, c'est d'encourager une recherche sérieuse et honnête.

    C'est par la contrainte qu'on a poursuivi l'uniformité ; vain effort! Sans doute, si l'État est assez puissant pour ne laisser prêcher qu'une seule religion, et pour étouffer toutes les autres, on aura une apparente uniformité. Il n'y aura ni clameurs, ni querelles de parti; au lieu de cela, nous aurons le silence de la tombe. Mais, même en ce cas, il n'y aura pas réelle uniformité d'opinions, car peut-on dire que les hommes aient des opinons quand vous empêchez l'activité de leur esprit? Ils entendent des mots, ils les retiennent, mais toutes leurs conceptions sont vagues. Ils peuvent répéter les mêmes sons, mais s'ils attachent un sens précis à Ce qu'ils disent, il est probable que chacun d'eux diffère autant de l'opinion d'autrui que le font maintenant les différentes églises. D'ailleurs, on ne peut toujours maintenir ce vasselage de la pensée. Il y a dans l'esprit humain une force élastique qui résiste au poids de l'oppression, et quand le monde asservi conquiert une fois la liberté et commence à penser par lui-même, la réaction l'emporte, et elle nous égare bien plus que si on ne nous eût pas comprimés. Je le répète, le seul moyen d'obtenir une uniformité durable dans les opinions, c'est d'encourager les hommes à réfléchir honnêtement et sérieusement sur la religion, à chercher la raison de ce qu'ils croient, à séparer le vrai du faux, et ce qui est clair de ce qui est obscur.

    L'effet d'un pareil examen, c'est de mettre la vérité en lumière. La vérité n'est pas cachée sous un voile impénétrable, elle se révèle à celui qui la cherche sincèrement. Des déclamations bruyantes, des assertions hardies, des prétentions hautaines n'effrayent pas ces sincères amis de la vérité. Ils voient bientôt que l'affirmation n'est pas le caractère de la vraie science, et que tel qui réclame des autres un assentiment sans réserve est souvent celui qui le mérite le moins. Les amis de la vérité veulent des preuves, et c'est la dernière des demandes que le fanatisme veuille ou puisse accorder. Ils ne se laissent pas entraîner par (les mots et des noms. Ils ne se rangent pas sous un drapeau particulier, ils ne demandent pas la guerre et la destruction à tous ceux qui suivent un autre symbole. Réclamant pour eux-mêmes le droit de recherche, et sachant par expérience qu'ils sont enclins à se tromper, ifs se défient de leur propre jugement et se gardent de censurer les autres. Si leurs opinions ne s'accordent pas entièrement avec celles des gens qui les entourent, du moins vivent-ils en paix, recevant et donnant la lumière, et c'est ainsi que s'établissent les premiers fondements d'une réelle et croissante uniformité.

    C'est là une question toujours pleine d'intérêt ; mais elle a surtout de l'importance au temps où nous vivons quand tant d'opinions divisent le monde religieux, et que tant de sectes nous appellent avec confiance, en nous offrant chacune la vérité et le salut. Dans cette situation il nous faut examiner avant d'approuver. Parmi ces différentes sectes qui se partagent notre république, il n'en est pas une qui puisse produire un gage d'infaillibilité, un acte qui lui donne la haute fonction d'interpréter pour ses frères la parole de Dieu. Ne nous laissons donc pas entraîner par le nom ou par le nombre, ne soumettons pas notre raison à l'autorité d'un dictateur. Cherchons sérieusement les motifs de notre foi chrétienne, et quand nous aurons établi le grand principe que Jésus-Christ est le maître autorisé et la lumière de l'humanité, retournons à sa parole, écoutons ce qu'il dit à nous et au monde, méditons sérieusement son enseignement, avec un esprit sincère, honnête, humble, impartial, désireux de recevoir la vérité divine, et résolu à lui obéir.

    Si nous abandonnons ce guide, à qui nous attacher ? S'il nous faut une autorité humaine pour nous appuyer, qui choisirons-nous pour notre maître, dans cette foule d'écoles qui veulent nous compter chacune parmi leurs prosélytes ? Qui nous garantira que nous ne tomberons pas dans les bras de ceux qui se trompent le plus ? Restons donc fermes dans la liberté par laquelle Jésus-Christ nous a affranchis. Ne recevons rien sur l'affirmation d'autrui. Ne nous oublions pas davantage dans nos idées présentes, comme si elles étaient infailliblement justes et qu'on ne pût pas les corriger. Évitons également le goût de la singularité et le goût de la conformité; suivons notre maître avec un esprit sans passion et sans préjugés, et suivons-le partout où il voudra nous mener".

    Ce respect, cet amour de la liberté religieuse ont inspiré à Channing quelques-uns des plus beaux discours contenus dans ce volume, tels que la Liberté spirituelle, l'Eglise, et la grande Fin du Christianisme. Partout et toujours Channing insiste sur le double caractère de la religion ; elle agrandit l'esprit, elle purifie le cœur; mais elle ne donne ses bienfaits qu'à celui qui s'y prépare par un libre effort. Pour lui, ce sont là les grandes vérités qui font l'essence même du Christianisme, et selon moi ces vérités vont à l'adresse de toutes les communions. Le catholique s'incline devant le dogme, mais s'il ne va pas plus loin, s'il se contente de répéter son catéchisme, s'il ne cherche pas à se pénétrer des vérités que l'Église lui enseigne, s'il n'en fait pas sa propre chose, qu'il ne s'y trompe pas, il n'est chrétien que des lèvres, et le premier souffle peut lui enlever sa foi. Pour un catholique éclairé, réfléchi, il y a donc beaucoup à gagner dans la lecture de Channing. Il pourra contester l'extension de principe ; mais le principe même, il faut le reconnaître et en tenir grand compte, si l'on veut rester chrétien, quand vient l'âge du doute et de la raison.

    Cette liberté illimitée n'a-t-elle pas de graves inconvénients ? ne mène-t-elle pas à la division, aux sectes, aux haines de parti ? Channing a répondu à toutes ces objections ; ce sont les passions et non pas les opinions qui divisent les hommes, et la liberté, en faisant la part de chacun, en apprenant aux partis à se respecter et à se ménager mutuellement, mène presque toujours à la véritable concorde. Channing était, du reste, trop pénétré de l'amour de la liberté et de l'amour des hommes pour ne pas respecter chez les autres le droit qu'il défendait pour lui avec tant de chaleur.

    "En un point, disait-il à ses auditeurs, vous me rendrez témoignage. Je n'ai jamais cherché à vous éloigner d'aucune corporation chrétienne. Je ne crois pas que j'aie jamais cédé à l'esprit de secte, alors même que je défendais le plus vivement mes vues particulières. Je ne me suis jamais cru meilleur que les autres pour avoir échappé aux grossières erreurs qui prévalent dans la chrétienté, et je n'ai jamais fermé les yeux sur la vertu et la piété de ceux qui défendaient ces erreurs. On doit juger de nous non pas d'après la grandeur de nos lumières, mais suivant la fidélité avec laquelle nous suivons nos lumières, grandes ou petites. Si je vous ai jamais inspiré des sentiments de dureté et de mépris pour les autres chrétiens, je vous ai fait une grande injure; j'ai été un ministre du péché au lieu d'être un ministre de justice. Puissiez-vous écarter toujours d'aussi mauvaises influences !

    En ce point, permettez-moi quelques mots de conseil. Nos principaux devoirs sont contenus en deux simples préceptes : Respectez ceux qui ne sont pas de votre opinion, et respectez vous vous-mêmes. A tout homme, quelle que soit son église, rendez l'honneur qui lui est dû. N'imaginez pas que vous ayez monopolisé la vérité et la vertu. Ne tournez personne en dérision. N'estimez pas davantage les gens parce qu'ils pensent comme vous, ne les estimez pas moins parce qu'ils pensent autrement; jugez chacun suivant les principes qui gouvernent sa vie. N'attribuez pas ce que vous croyez l'erreur à la faiblesse de l'intelligence ou à la corruption du cœur; mais réjouissez-vous quand vous voyez des facultés supérieures et une vertu éprouvée dans le voisinage de ce que vous considérez comme superstition et préjugé. N'imaginez jamais que l'église du Christ se renferme dans des limites d'invention humaine; pensez qu'elle comprend toutes les sectes, et que votre attachement à tout l'édifice triomphe de l'intérêt que vous prenez à quelques -unes de ses parties. Respectez tous les hommes.

    En même temps respectez-vous vous-même. Comme vous ne réclamez aucune supériorité sur les autres, ne souffrez pas que les autres s'en attribuent sur vous. Attendez et exigez d'autrui la déférence à laquelle vous vous sentez tenu de votre côté. Comme vous n'avez aucune prétention à une sainteté exclusive, ne reconnaissez pas la prétention de votre prochain. Les saints exclusifs portent une marque qui accuse le défaut de sainteté. Le vrai chrétien est le dernier qui se croie un saint ! Ne souffrez jamais que dans le monde on traite avec mépris vos opinons et votre caractère; mais en n'imposant vos opinions à personne, laissez voir que vous les respectez comme la vérité, et qu'en ce point comme en tous autres sujets sérieux, vous comptez sur les égards de ceux qui vivent avec vous. Restez toujours sur le pied d'égalité avec toute secte et tout parti ; par fausse honte ou par faiblesse ne souffrez jamais que personne prenne avez vous un ton d'arrogance, de supériorité ni de mépris. Soyez fidèles à vous-même et à vos principes. Une des grandes leçons qui m'ait appris l'expérience, c'est que le respect de soi-même, respect fondé, non pas sur des distinctions extérieures, mais sur les facultés et les droits essentiels de la nature humaine, est un sûr gardien de la vertu, si même ce n'est pas une de nos principales vertus".

    Si ces paroles ont fait sur l'esprit du lecteur l'impression qu'elles nous ont laissée, il sentira, comme nous, que Channing, quel que fût son symbole, a été une des âmes les plus saintes et les plus chrétiennes qui ait paru sur la terre. La lecture de ce volume achèvera la conviction en ce point. Si mon expérience peut servir à d'autres, je déclare que je n'ai jamais trouvé de livre qui m'ait plus édifié, qui m'ait donné plus de vues nouvelles, qui m'ait mieux fait sentir la grandeur du Christ et de l'Évangile, qui m'ait mieux appris à respecter et à aimer les hommes.

    Il y a dans la simplicité apparente de Channing une connaissance profonde du cœur humain, et une véritable passion pour Dieu et pour l'humanité. Cette passion si pure et si vive vous gagne et vous enflamme avant même qu'on en ait conscience. Channing est un des meilleurs guides qu'on puisse choisir pour ranimer en notre cœur ce qui n'est le plus souvent qu'une cendre éteinte. En rendant au Christianisme sa dignité véritable, en appelant notre raison non moins que notre cœur à éprouver l'Évangile, il nous ramène à la religion par une voie nouvelle, et la fait triompher de notre oubli et quelquefois de nos dédains. Il nous rend le respect de l'Évangile, et du respect à l'obéissance il n'y a qu'un pas. Que de gens croiraient si les difficultés du Christianisme n'effrayaient leur esprit! Qu'ils lisent Channing, et plus d'un peut être répétera avec lui que le Christianisme est une religion raisonnable et la perfection même de la raison.

    Au moment de finir, je ne puis résister au désir de citer un dernier discours où se peint dans toute sa pureté cette âme délicate et tendre. C'est au retour d'une longue absence, d'un voyage en Europe, où Channing était venu rétablir sa santé affaiblie, qu'il adressait à son troupeau les paroles suivantes :

    Août 1823. "Grâce à la bonté de notre Père céleste, il m'est de nouveau permis de vous parler; laissez-moi ouvrir cette nouvelle période de mon ministère, en payant mon tribut de gratitude à Celui en qui toutes nos oeuvres doivent commencer et finir. A Dieu, mon créateur et mon sauveur, mon guide sur les mers sans route, mon ami chez les étrangers, mon gardien au milieu des périls, ma force dans la maladie; à Dieu,, qui m'a permis de voir ses œuvres glorieuses, et qui m'a ramené sain et sauf dans ma chère patrie!

    A Dieu, qui m'a corrigé et consolé, qui a porté la paix dans mon cœur blessé et qui m'a gardé tant d'amis !

    A Dieu, qui a entendu ma prière, qui m'a ramené au milieu d'un troupeau qui m'aime, qui m'a rendu à l'Église qu'il avait confiée à mes soins ! 

    A Dieu, dont la bonté gratuite, infatigable, infaillible, surfasse toute raison humaine, dont l'amour est la plus douce des bénédictions, dont la providence est notre appui perpétuel, dont la grâce est notre espoir certain !

    Je voudrais le remercier de la seule façon qui soit permise à une créature, en rendant témoignage à sa bonté, en me consacrant à son service avec joie, confiance, reconnaissance, dévouement absolu.

    Dans celte maison consacrée à l'honneur de Dieu, en présence de son peuple, je renouvelle ma promesse de me dévouer tout entier à lui; vie, pensée, facultés, actions, influence, je lui donne tout ce que je tiens de lui. Que mes lèvres chantent ses louanges, que ce cœur brûle de son amour, que cette force s'use à faire sa volonté ! Puissé-je le servir mieux que je n'ai fait jusqu'à présent, avec des intentions plus droites et plus simples, avec une âme mieux pénétrée de ses perfections, avec un succès digne de sa cause ! Je connais ma faiblesse, et je ne puis oublier quels froids services je lui ai trop souvent offerts. Mais les récents décrets de la Providence, la leçon de dépendance que j'ai apprise dans la maladie et dans l'affliction, et enfin sa bonté qui m'a conservé et ramené ici, produiront, je l'espère, quelque chose de mieux qu'une impression passagère; j'en garderai une profonde et tendre reconnaissance, et le ferme propos défaire mon devoir. Ce mystérieux mélange de bien et de mal dans notre condition présente a pour objet, nous le savons, de nous tirer à Dieu, de briser notre sommeil spirituel, d'adoucir notre endurcissement; l'effet du repentir et de la reconnaissance, du chagrin et de la joie, c'est de changer nos faibles convictions en principes énergiques.

    Mes amis, joignez-vous à moi pour prier Dieu, afin qu'à ses autres bontés il ajoute le plus précieux de tous les présents, le don de son Esprit saint. Qu'il me fortifie contre ces penchants égoïstes qui asservissent les méchants et font murmurer les bons, afin que toute ma vie, armé d'une sainte ferveur, je puisse vous enflammer à mon tour. Ce n'est pas comme un simple individu, ce n'est pas pour soulager un cœur accablé que je vous parle si longuement de la bonté de Dieu. S'il ne s'agissait que de moi seul, je n'ouvrirais pas ainsi mon âme. Mais je sais que l'œuvre de ma vie c'est d'agir sur d'autres âmes, et d'agir par la sympathie non moins que par l'instruction, et je sais que vous êtes intéressés à l'expression et à 'accroissement de mon amour pour Dieu. Pour votre salut comme pour le mien, que Dieu m'accorde donc que cet amour soit vivant et qu'il grandisse !

    N'attendez pas de moi le récit de ce que j'ai vu et entendu pendant mon voyage; mais je dirai que je n'ai rien vu qui obscurcisse les droits du Christianisme. Dans les écoles des philosophes, dans les gouvernements que j'ai visités, je n'ai point appris de nom plus grand que celui de Jésus, je n'ai point trouvé de nouveau système de religion, de nouvelles institutions pour améliorer le cœur, de nouvelles méthodes de salut, rien qui ébranle ma conviction de l'excellence infinie de l'Évangile. En ce point je reviens sans autre changement que d'être plus profondément convaincu du prix inestimable de notre foi. J'ai vu l'humanité dans des conditions différentes, mais partout j'ai trouvé les mêmes principes essentiels, le même besoin d'enseignement, de consolation, de rédemption. Sur d'autres points, mes impressions ont été corrigées ou effacées, mais jamais je n'ai pu soupçonner un seul moment que le Christianisme fût un préjugé héréditaire et local, jamais je ne l'ai vu s'affaiblir à mesure que je m'éloignais du ciel sous lequel je suis né. Comme le soleil, il brille au-dessus de toute la terre, sans que son éclat s'amoindrisse, c'est la véritable et la seule lumière du monde !

    Je reviens avec une conviction qui plus que jamais m'attache à la promesse d'une rénovation morale, promesse que nous fait sa révélation. Moins que jamais j'attends quelque chose des révolutions, des changements politiques, des luttes violentes, des hommes d'État, des lois, en un mot des modifications extérieures de la société. Des institutions corrompues seront remplacées par d'autres institutions qui ne vaudront pas mieux, et qui peut-être seront plus corrompues, aussi longtemps que la racine ou le principe de la corruption vivra dans le cœur des individus et des nations. Il n'y a de remède que dans une révolution morale, et cette révolution ne peut se faire que par le Christianisme et par le pouvoir divin qui l'accompagne. La voix du prophète qui annonce un monde plus pur et plus heureux, sous la sainte influence de Jésus, n'a jamais plus doucement résonné à mon oreille, ne m'a jamais donné plus de force, que depuis que j'ai pu observer l'humanité sur un plus grand théâtre; et je quitte toutes les bruyantes promesses des réformateurs pour aller à cette annonce certaine d'un jour plus beau pour l'humanité.

    J'espère, mes amis, que je reviens avec un sentiment plus vif du poids et de la dignité de ma fonction. Ce n'est pas le langage de ma profession que je parle, c'est la conviction la plus profonde que j'exprime quand je déclare que les devoirs d'un ministre chrétien sont le plus importants qu'on puisse imposer à un homme. En disant cela, je n'affiche pas une prétention exclusive, car tous les hommes ont leur part de ce ministère. Chacun, suivant sa place et ses facultés, est appelé, comme le ministre, à servir la cause de la pure religion, et de la morale divine. La seule différence, c'est que le ministre est établi pour prendre un soin plus direct, plus intime de ce premier intérêt de l'humanité. A mes yeux, le ministère est devenu plus grand et plus solennel, parce que je sens de plus en plus l'excellence de la religion à qui ce service est consacré. C'est des ministres que dépend surtout la cause de Dieu. Il y a sans doute d'autres moyens de servir cette cause, mais l'idée du Christianisme qui prévaut dans la société, la forme sous laquelle on l'accepte, l'influence que la religion exerce sur le caractère et le bonheur des individus, sur la famille, sur l'opinion, sur les institutions, tout cela dépend surtout de l'esprit, de l'exemple, de la doctrine, du zèle et de la fidélité du ministre. L'agent le plus puissant que Dieu choisit pour agir sur l'homme, c'est l'homme. Je sens que l'œuvre à laquelle je suis appelé n'est pas une œuvre ordinaire, et qu'il vaudrait mieux pour moi n'y jamais revenir que d'y apporter un esprit froid et distrait.

    Il y a peut-être des orateurs plus éloquents que Channing, il n'y en a pas de plus sincère, il n'y en a pas chez qui l'âme paraisse davantage. C'est ce qui fait le charme infini de sa parole. En écoutant Channing, vous êtes sûr qu'il n'y a pas un mot qu'il n'ait senti, pas une vérité qu'il n'ait éprouvée, pas un conseil qu'il n'ait essayé sur lui-même; aussi se rend-on sans défiance à cette voix si douce et si pénétrée. Ce n'est pas un prédicateur qui nous parle, c'est bien mieux, c'est un frère et un ami.

     

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    DidierLe Roux


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