• THÉODORE PARKER SA VIE ET SES ŒUVRES ; Chapitre 5 : LE PASTEUR DE LA 28ème CONGREGATION DE BOSTON

    THÉODORE PARKER SA VIE ET SES ŒUVRES ; Chapitre 5 : LE PASTEUR DE LA 28ème CONGREGATION DE BOSTON
     

    THÉODORE PARKER

     

    SA VIE ET SES ŒUVRES

     

    Un Chapitre De I'histoire De L'abolition
    De L'esclavage Aux États-Unis

    Albert Réville 

     

     

    CHAPITRE V.

    LE PASTEUR DE LA 28ème CONGRÉGATION DE BOSTON.

    Renouvellement de la lutte. — Le Mélodéon. — Appel définitif à Boston. — Une bonne dame. — Les lectures. — La journée d'un pasteur. — Joies et tristesses. — Les enfants. — Les convertis.

    C'est dans l'automne de 1844 qu'à la grande joie de ses paroissiens, Théodore Parker revint dans sa modeste cure de West-Roxbury. Mais il était à prévoir qu'il n'y resterait pas longtemps. A peine était-il de retour que la guerre contre ses idées et sa personne recommença. Des discours sur les Signes du Temps, un sermon sur ce texte, dont on devine l'application : Aucun des chefs ou des Pharisiens a-t-il cru en lui? * (I jean 7:48) des charges énergiques contre le pharisaïsme ecclésiastique, ne contribuèrent pas à la faire cesser. Plus que jamais il fut mis à l'index de la société unitaire, à plus forte raison de la majorité orthodoxe. Ses partisans de Boston crurent donc le moment venu de lui offrir le moyen de prêcher chaque dimanche dans cette ville, et, à partir du 16 février 1845, il tint des prédications hebdomadaires dans une vaste salle appelée Mélodéon, et dont l'usage, pendant la semaine, n'avait rien de très édifiant. On y donnait des concerts, des représentations théâtrales. Quelquefois le prédicateur, en montant le dimanche matin dans sa chaire, apercevait les frivoles instruments des plaisirs de la veille, qu'on avait à peine eu le temps de ranger dans un coin de l'édifice. Mais la nécessité faisait loi, aucun autre local n'était alors disponible, et d'ailleurs les Américains là-dessus n'ont pas notre susceptibilité. Le prédicateur et l'auditoire ne tardaient pas à oublier complètement tout le reste pour se concentrer sur de hautes et solennelles pensées. Si l'habit n'a jamais fait le moine, le temple fait encore bien moins le prédicateur. Bientôt, en dépit des anathèmes, la salle devint trop petite pour contenir un auditoire qui allait toujours en grossissant. Avec l'éminent prédicateur, M. Henry Ward Beecher, frère de l'auteur de l'Oncle Tom, Théodore Parker a été jusqu'à sa mort l'orateur le plus écouté de l'Amérique.

    Extraits de son journal :

    16 février 1845. — J'ai prêché aujourd'hui pour la première fois au Mélodéon. Le temps était très défavorable, pluvieux, de la neige épaisse dans les rues qu'on ne pouvait traverser qu'avec difficulté. Cependant il y avait un nombreux auditoire, en majorité composé d'hommes, tout différent de mes auditoires ordinaires. J'ai senti la grandeur de la circonstance ; je l'ai même trop sentie. Je n'étais pas à mon aise pendant le service. Je me voyais comme un homme entouré de quelques amis, de quelques ennemis et de beaucoup d'étrangers. Ce jour a été un jour de combat. Une longue, longue campagne s'ouvre devant moi. M'en montrerai-je digne? Combien puis-je faire? Combien supporter? Je ne sais. Je regarde seulement à l'âme de mon âme, sans confiance exagérée en moi-même, mais avec une foi de diamant en Dieu.

    Les félicitations de quelques amis m'ont fait beaucoup de bien. J'aime à sentir la main d'un ami. Mmc *** est venue me trouver dans la petite chambre, et m'a pris la main. Je suis un enfant en certaines choses. J'espère que je le serai toujours.

    3 mars. — Je n'ai qu'une ressource, c'est de vaincre le mal par le bien, beaucoup de mal avec plus de bien, du vieux mal avec de nouveau bien. Quelquefois, quand je reçois une insulte toute fraîche, elle me fait bouillir le sang pour un moment ; puis cela passe, et je cherche, s'il est possible, à faire en secret quelque bien à la personne qui m'a offensé. C'est étrange comme cela enlève la douleur d'une blessure. Être fidèle à Dieu et au talent unique * (Allusion à la parabole des talents), que la mort seule doit enfouir, cela dépend de moi. Qu'on sache que je le suis, cela dépend des autres, et s'ils ne le savent pas, eh bien! c'est leur affaire, non la mienne. Quelquefois, je voudrais que la mort vînt m'endormir au bruissement de ses ailes. Mais bientôt la foi coupe court à ce murmure, et je me borne à dire : Ta volonté soit faite !

    Cependant le succès croissant de ses prédications à Boston détermina ses amis à faire un pas de plus, et profitant de l'entière liberté religieuse qui règne en Amérique, ils s'organisèrent en communauté distincte et invitèrent Parker à se mettre, comme pasteur, à leur tête. Parker devait pour cela rompre les liens officiels qui le rattachaient encore à l'unitarisme constitué de la Nouvelle Angleterre. Quant aux liens officieux, il ne furent jamais détruits totalement, et quelles que soient les sorties échappées parfois à sa verve, il ne fut jamais autre chose, au fond, qu'un ministre unitaire plus avancé que les autres. Il lui en coûta toutefois de se séparer de sa chère petite paroisse de WestRoxbury. Il exprima ses regrets à ses paroissiens dans un touchant langage, les remerciant de leur confiance, de leurs sympathies, qui ne s'étaient pas un moment démenties. « Mon désir, leur dit-il, eût été de rester toujours avec vous. Mais le devoir m'appelle ailleurs. » II alléguait, pour justifier son départ, l'excommunication tacite dont il était l'objet de la part de presque tous ses collègues, laquelle équivalait pour lui à l'exclusion de toutes les chaires importantes, et la nécessité où il se trouvait de répandre la vérité autant que possible dans les grands centres d'où elle pouvait rayonner au loin.

    La société religieuse formée par les paroissiens de Parker ne voulut pas se donner un nom de secte. En réalité, ce n'était pas une Église à part que Parker et ses amis voulaient fonder. Ils ne prétendaient nullement renverser les anciennes en se substituant à elles par la voie du prosélytisme. Leur ambition était de reprendre en sous-œuvre le rôle utile et fécond que l'unitarisme, pour le moment, n'avait pas le courage de remplir, c'est-à-dire de fomenter un levain réformateur dont l'action régénératrice se ferait sentir tôt ou tard dans les cadres des autres communautés. C'est pour mieux encore marquer ce rôle, qui ne surprendra aucune personne bien renseignée sur les idées régnantes parmi les protestants en matière d'Église, que la paroisse de Parker s'organisa sous le simple nom de «Vingt-huitième Congrégation de Boston.» Son sermon d'entrée en fonction roula sur la vraie idée d'une Église chrétienne * (Voir la traduction de quelques fragment de ce sermon vers la fin du volume.), c'est-à-dire sur le but que doit se proposer une Église, fidèle au caractère chrétien et au principe essentiel du christianisme, pour remplir sa mission au sein d'une société qui a ses grandeurs, ses besoins, ses misères propres, et qui ne trouve la plupart du temps dans les églises traditionnelles que des institutions et des maximes faites pour le moyen âge, tout au plus pour les deux derniers siècles, rien qui réponde réellement et puissamment aux aspirations du nôtre. Une foule compacte accueillit avec sympathie ce mâle et franc discours. Depuis lors, la salle du Mélodéon fut trop petite, chaque dimanche, pour contenir tous ceux qui eussent voulu s'abreuver à cette source vive que le Saint-Esprit venait de faire jaillir sur le sol souvent aride de l'unitarisme américain.

    Depuis lors aussi, le désir de l'entendre devint plus grand dans les villes voisines. Il put monter dans plus d'une chaire dont le titulaire sympathisait avec ses vues générales. Parfois même il put prêcher son christianisme tout à la fois si positif et si avancé sous le voile de l'incognito. C'est à l'une de ces occasions qu'une bonne dame, transportée d'aise à l'ouïe de son beau sermon, s'écriait toute ravie : « Oh! si cet incrédule de Théodore Parker avait pu entendre cela ! »

    Cependant on ne pouvait espérer que la défiance dont il était l'objet, au sein des cercles et des corps ecclésiastiques, fît place d'une manière notable à des procédés plus fraternels. Les ministres et les consistoires qui le repoussaient ne faisaient, il faut le dire, que se conformer à l'opinion de la grande majorité du moment. Dans cet état de choses, et malgré la notoriété que valaient à ses idées ses prédications de Boston, sténographiées séance tenante, propagées par la presse jusqu'aux confins les plus reculés du territoire, jusque chez les pionniers des solitudes occidentales * (On a calculé que quelques-uns de ses sermons avaient atteint un tirage de plusieurs centaines de milliers d'exemplaires.), Parker ne se sentait pas encore en possession d'un levier assez puissant pour soulever le lourd fardeau d'ignorance et d'étroitesse religieuse qui pesait sur la société américaine. C'est alors qu'il réalisa en grand un plan qu'il avait conçu depuis quelque temps, et qui même avait déjà reçu un commencement d'exécution. Ce plan était de profiter des puissants moyens de communication que le nord des États-Unis avait déjà multipliés à la surface de son immense territoire, pour faire de nombreuses lectures ou conférences dans les différentes villes de l'Union. Dès le premier hiver il en fit quarante, en autant de lieux différents. Ce chiffre s'éleva jusqu'à quatre vingt et même jusqu'à cent lectures par an. On calcule qu'il pouvait se faire entendre annuellement par ce moyen à plus de cent mille personnes. Il était rare que les sujets de ses conférences roulassent directement sur les questions religieuses. Il n'eût trouvé presque nulle part de local ni d'auditoire, s'il avait annoncé de pareils sujets. Mais il faut admirer la naïveté de ceux qui croyaient pouvoir impunément écouter l'orateur de Boston sur les beaux-arts, la politique, la littérature, l'économie sociale, sans être infectés des venins d'hérésie que recelaient nécessairement les prémisses et les conséquences. Du reste, il fallait toute l'énergie, tout le savoir et toute l'imagination de Parker pour tenir tête à un pareil travail; car ces excursions, qui l'entraînaient souvent à plus de cent lieues de Boston, ne faisaient aucun tort à ces occupations pastorales. Il soignait beaucoup la composition de ses discours hebdomadaires. Il avait chez lui des réunions à heures fixes, où il recevait ses amis, ceux qui désiraient le devenir, des proscrits de tous les pays qu'il aidait de ses conseils et de sa bourse, des esclaves échappés des États du sud, etc. Sa conversation était, paraît-il, d'une vivacité entraînante, pleine d'humour et d'originalité, bien que roulant toujours sur les sujets les plus sérieux. Puis c'étaient des familles en deuil, des pauvres, des malades, des prisonniers qui réclamaient son ministère. Le tiers de son revenu annuel s'en allait en charités de divers genres. II était aidé par quelques dames dévouées * (L'une d'elles, M"' Stevenson, est devenue la miss Nightingale de l'armée unioniste. Le gouvernement fédéral lui a confié la direction d'un immense hôpital militaire.) qui, sous sa direction, faisaient rayonner la bienfaisance dans les plus misérables quartiers. Sa seule dépense considérable consistait en livres, car il lisait toujours beaucoup, et il se montait une superbe bibliothèque : on est littéralement effrayé en voyant sur son journal le chiffre de ses lectures annuelles. Il trouva encore le moyen de fonder, avec quelques amis, la Revue trimestrielle du Massachussets *( Massachusset's Quaterly Keview), et de la rédiger presque seul pendant trois ans. Il dut y renoncer, faute d'un nombre suffisant de collaborateurs, et parce que des préoccupations croissantes, d'un genre tout spécial, vinrent absorber de plus en plus sa pensée. « Le temps, disait-il parfois, s'étend, quand on veut, comme de la gomme élaslique.» Nous transcrirons ici, d'après son journal, l'emploi d'une de ses journées.

    J'ai été à la poste, cousu les feuillets de mon sermon de Pâques, commencé à écrire sur la matière, quand 1 entre Mme K*** qui avait à me parler de ses affaires matrimoniales; elle est restée jusqu'à près de onze heures; alors est survenu 2. M. Mackay, et comme nous causions de choses et d'autres, on annonça que 3. le docteur Papin était en bas. Je vais le trouver et rencontre li. R. W. Emerson qui montait. Je le laisse dans mon cabinet et vois le docteur qui venait chercher des secours pour une pauvre femme; je remonte, nous parlons du nouveau journal. Les numéros 3, 4 et 2 s'en vont l'un après l'autre, et je descends l'escalier, quand tout à coup apparaît 5. George Ripley : nous voici causant de l'état de la civilisation, des perspectives de l'humanité, etc. Vient le dîner, une heure. J'ai été voir M. N***, qui n'était pas chez lui. Visité d'autres personnes dans l'après-midi. A sept et demi, de nouveau à mon sermon. Une minute après, arrive 6. M. F. G. qui avait besoin d'emprunter douze dollars que je lui prêtai bien volontiers. De nouveau à écrire. A huit heures et un quart, survient 7. M. M***. Pour le coup, plus de chance de travailler ; je quitte mon cabinet et descends au salon. Un peu avant neuf heures, on sonne, et alors 8. apparaît M. S***, désirant tuer un homme qui avait eu des torts envers un de ses amis et venant me montrer son cartel. J'ai brillé le cartel après un long entretien, mais je n'ai pas complètement réussi à apaiser ses sentiments vindicatifs. A dix heures, il s'est retiré ; à onze heures moins un quart, j'en ai fait autant, pour me reposer, non pour beaucoup dormir.

    Il était en effet assez souvent poursuivi par l'insomnie. Au milieu de cette vie si occupée, embellie par l'affection d'une femme dévouée et d'amis d'élite, — parmi lesquels nous pouvons citer MM. R. W. Emerson, le célèbre écrivain; Sumner, le légiste distingué, et en ce moment le plus grand orateur du congrès américain; Desor, le savant professeur de Neuchâtel, alors fixé pour quelque temps en Amérique, et beaucoup d'autres notabilités de la presse , du barreau , de la chaire et du commerce, — Théodore Parker avait pourtant ses chagrins. Il souffrait plus qu'il ne le voulait dire de son impopularité comme théologien, des rancunes, des colères, de la malveillance dont il rencontrait à chaque instant les pénibles marques. Il se prenait parfois à douter, non pas de la vérité qu'il annonçait, mais de sa capacité de la faire triompher, et cette pensée, chez les hommes à la fois humbles et courageux, est amère. Souvent aussi il avait le chagrin de s'apercevoir que plusieurs de ceux qui avaient recours à son ministère, ne se rattachaient à lui que dans l'idée de joindre les avantages d'une affiliation à une communauté religieuse établie à ceux d'une réduction des charges et de la vie religieuses à leur plus minime expression. C'est une triste expérience que font souvent les hommes du progrès religieux, et à laquelle ils doivent se résigner. Voici quelques extraits de son journal :

    Noël 1847. —J'ai reçu aujourd'hui la traduction allemande de mes discours par l'archidiacre Wolff, de Kiel. La vue de ce livre m'a procuré des battements de cœur comme j'en ai eu bien rarement pour une cause en apparence aussi futile. J'ai lu la préface où le traducteur parle de moi avec tant de bonté, et j'ai pleuré. Est-il possible que je sois par la suite une puissance dans le monde, capable de remuer les hommes, que mon nom devienne un nom d'influence, un nom capable d'enflammer les cœurs pour la bonté et la piété ! Je me soucie peu de la renommée. Mais être parvenu à faire avancer un peu le genre humain, cette pensée me ravirait.

    Oui, en lisant cela, en me rappelant aussi comme j'ai été traité par ici, je dois l'avouer, j'ai pleuré. Et puis j'ai senti que ces larmes me faisaient du bien. Dieu me donne de faire plus et d'être meilleur à mesure que les années viendront !

    Février 1848. — Mardi dernier, j'ai présidé aux funérailles d'un enfant de cinq à six ans. Les parents ne croyaient pas à la survivance consciente et continue de l'âme. C'était affreusement triste. Les amis de la famille, avec qui je m'entretins, étaient superficiels et affectés. J'ai rarement assisté à de plus lugubres funérailles. Ils ne voulaient pas de formulaire de prière, mais, pour la décence, ils voulaient un ministre et un discours. Je suppose qu'ils m'avaient envoyé chercher comme un minimum de ministre. J'ai tâché de leur donner le maximum d'humanité, pendant que leurs cœurs étaient froissés et leurs âmes remuées par la douleur. Le père me semblait un brave homme, de bon caractère, mais victime d'une mauvaise méthode philosophique. Je ne comprends pas comment on peut vivre sans un sentiment continu de l'immortalité. Je suis sûr que je serais misérable sans la certitude que j'en ai.

    Un autre de ses chagrins, plus intime, c'était de n'avoir pas d'enfants. Les livres, les fleurs, les enfants, formaient ses trois grandes passions. Nous savons ce qu'il faisait des livres. Quant aux fleurs, elles l'inspiraient. C'est au point qu'il prêchait plus éloquemment quand il en avait sur sa chaire, et que des mains amies prirent soin de la fleurir chaque dimanche. Ceci est peut-être d'un goût contestable, du moins pour nous Européens. Mais les enfants surtout étaient pour lui l'objet d'un véritable culte. Souvent on le surprit dans son cabinet, ayant interrompu ses graves occupations pour se prêter aux caprices de marmots du voisinage qui avaient toujours leurs entrées libres dans sa maison. « Un homme qui n'a pas d'enfants, écrivait-il en 1846 à une dame de ses amies, est privé non-seulement d'une grande consolation et d'une grande joie, mais aussi d'un élément très important de son éducation. J'ai toujours noté ce fait chez d'autres, je le sens dans ma propre destinée. »

    Voici deux lettres en réponse à des communications que des paroissiens lui avaient faites de la récente naissance de leurs enfants :

    Je vous remercie d'avoir pensé si amicalement à moi dans ce transport de joie qui vient inonder votre foyer et vos cœurs — non, votre cœur, car il n'y en a qu'un pour le mari et la femme, surtout en pareil moment. J'ai, par sympathie, des fils et des filles dans le bonheur de mes amis. J'attendais la nouvelle de cet événement dans votre famille. Dieu bénisse le petit immortel, le petit Messie, qui vient animer et bénir le monde de votre intérieur!

    C'est ma destinée de n'avoir pas de petits mignons que je puisse dire à moi. Cependant je ne suis pas moins heureux des bénédictions célestes qui favorisent mes amis. Ce qui m'a le plus manqué, quand je suis venu de Roxbury à Boston, c'est la société des bambins du voisinage que je voyais plusieurs fois par jour, que je caressais, et portais, et faisais trotter, et dorlotais de toute manière, comme s'ils eussent été à moi.

    Bien. Dieu bénisse la vie qui est donnée, et la vie qui est épargnée, et la vie qui est si heureuse des deux autres ! Je remercie la jeune mère de s'être rappelé un vieil ami dans une pareille heure.

    En revanche, une de ses plus grandes joies, de ses meilleures consolations, était d'apprendre que des âmes rongées par le doute, tourmentées d'irréligion, avaient retrouvé la paix et l'espérance à l'ouïe de ses prédications ou à la lecture de ses livres. Cette joie lui fut souvent accordée. Nous transcrirons, à titre de spécimen de sa correspondance avec ses convertis, les deux lettres suivantes: la première adressée en 1848 à un médecin d'Utica (New York), la seconde à une femme de haute distinction comme penseur et comme écrivain, et qui, d'Angleterre où elle avait lu plusieurs de ses ouvrages, lui avait envoyé les premières expressions d'une affection reconnaissante que la mort est loin d'avoir éteinte.

    2 octobre 1848. — Je vous remercie des aimables choses que vous dites de mes écrits. J'espère sincèrement qu'ils pourront contribuer un peu à diriger l'attention des hommes sur les grandes réalités de la religion et les encourager à faire de notre terre le paradis que Dieu veut. Je vois bien des signes qui font espérer. Ici, à Boston et dans le voisinage, il s'opère un grand changement en mieux depuis une demi-douzaine d'années. On n'insiste plus autant qu'auparavant sur ce qui passe pour miraculeux dans le christianisme. Plus j'étudie la nature de l'homme et l'histoire de ses progrès, plus je suis rempli d'admiration pour le génie de Jésus de Nazareth, d'amour ardent pour son magnifique caractère et sa noble vie. Il est le représentant le plus parfait du genre humain jusqu'à présent, et le christianisme en est la plus grande idée. Que l'on calcule les résultats du christianisme, et l'on verra qu'il est le plus grand fait de l'histoire.

    Mais je ne vois dans tout ce qui a été fait jusqu'à présent que le printemps de la religion, les quelques jours chauds de mars, qui fondent la neige sur les pentes les mieux exposées des collines et ne font encore que promettre les violettes et les rosés. L'été réel et l'automne du christianisme sont, je le pense, bien loin encore. Mais ils viendront, et tout homme de bien, toute bonne action, toute bonne pensée, tout bon sentiment, hâtent leur venue.

    A mademoiselle Cobbe, en Angleterre. 5 mai 1848. — Ma chère amie, votre lettre du 4 avril m'a fait éprouver de vrais délices. Je suis extrêmement heureux d'avoir réussi à dissiper les difficultés qui embarrassaient votre chemin sur le terrain de la religion, et votre aimable lettre m'a réchauffé le cœur encore une fois en me faisant penser que j'avais de nouveau porté secours à l'une de mes semblables que peut-être je ne verrai jamais * (Les relations d'amitié qui s'établirent ainsi par correspondance s'entretinrent par la même voie. Douze ans seulement après la lettre que nous reproduisons, mademoiselle Cobbe put rencontrer enfin son ami et son maître ; mais ce fut, hélas! pour assister à ses derniers moments). Votre histoire ajoute un intérêt de plus à tout cela. Je sais combien vous avez dû souffrir sous le joug de cette théologie orthodoxe qu'on vous avait appris à accepter sous le nom de religion, et que vous ne pouviez ni admettre ni encore moins trouver propre à vous satisfaire. Nous avons la même orthodoxie en Amérique, seulement, pensons-nous, un peu plus — comme chaque chose est un peu plus — intense de ce côté de l'eau...

    Vous me demandez si Jésus croyait aux peines éternelles, etc., ou pourquoi, n'y croyant pas, je me dis chrétien si Jésus y croyait. Je ne pense pas qu'il y crût. Je ne vois pas comment il y pouvait croire. Je doute que Paul lui-même y ait cru. Hé quoi ! Jésus n'enseigne-t-il pas que Dieu aime tous les hommes, les pécheurs aussi bien que les saints? Je sais qu'il y a plusieurs passages, quelques paraboles, qui enseignent clairement cette odieuse doctrine. Pourtant je ne crois pas que Jésus l'ait enseignée. Il était facile à des Juifs de se méprendre sur ses paroles et de rapporter pareille chose de lui longtemps après sa mort. Je ne saurais attribuer une très grande autorité historique aux évangiles, ils indiquent plutôt les faits qu'ils ne les décrivent. —Je me dis chrétien parce que je crois que Jésus a enseigné la religion absolue, bonté et piété, libre bonté, libre piété, libre pensée. Il fut, à certains égards, atteint des erreurs de son pays et de son temps. Mais il a rendu aux hommes un tel service en leur donnant la vraie méthode de religion, que j'aime à me dire chrétien par reconnaissance. Mais je ne penserais pas mal d'un autre qui n'aimerait pas ce nom ; je doute même que Jésus eût recommandé de l'adopter.

    Citons encore cette lettre qu'il reçut d'un jeune homme qui lui écrivait du far west :

    Je voudrais pouvoir vous exprimer sur ce papier mes sentiments, la joie, la paix, la satisfaction que je goûte en contemplant les pensées du bon Dieu dans ses œuvres. Il n'y a pas longtemps encore que la pensée de Dieu était la plus terrible qui pût me traverser l'esprit. Quelle agonie désespérée j'ai endurée, quand, durant des nuits mortelles, je pensais à l'enfer éternel vers lequel, selon toute probabilité, je m'avançais à grands pas! Et pourtant le sombre et hideux enfer de la théologie chrétienne était préférable à son idée de Dieu. Mais, Dieu merci, ce temps est derrière moi, bien qu'il soit dur d'entendre chuchoter le mot d'incrédule à ses oreilles et de voir se détourner des amis que je considérais naguère comme mes amis de cœur. Pourtant je supporte volontiers cela. Oh! j'en supporterais dix fois plus pour ne pas revenir à ma première croyance.

    J'ai de nouvelles pensées, de nouvelles perspectives, de nouvelles aspirations; toutes choses sont nouvelles, nouveaux cieux, nouvelle terre, et pas d'avenir sombre par delà. Je vois, en avant, une splendeur glorieuse, immense, et je marche en avant avec une paix, un calme qui m'étonne moi-même. Je n'ai plus peur, car je ne saurais avoir peur de Celui qui est bon.

    Bien d'autres témoignages du même genre seraient encore à notre disposition, s'il était besoin de s'étendre davantage. Tous ceux qui, de près ou de loin, se sont trouvés dans une position analogue à celle de Théodore Parker, comprendront que de pareilles communications fussent pour lui autant de ravissements. Ils comprendront, par conséquent, cette parole qu'on lit dans une lettre à l'un de ses amis : « Un poète n'a pas plus de joie à chanter que moi à prêcher. "

     

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      DidierLe Roux

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